jeudi 17 mai 2012

Plaidoyer pour une bonne utilisation du mot nanar

Notre travail étant plus prenant et nos loisirs limités, nous avons négligé ce blog le mois dernier, préférant la pratique à l’écriture et consacrant notre temps libre au visionnage de films.
Visionnage, lecture ou écriture, éternel dilemme. Les journalistes de cinéma reprochent souvent aux universitaires de ne pas assez voir de films, et ces derniers accusent les premiers de ne pas se soucier des avancées de la recherche cinématographique. Membre d’aucune de ces deux classes, nous ne prendrons pas parti et nous contenterons d’une révolution de salon, reprochant à notre chat de ne jamais regarder les films dans leur intégralité et de ne pas finir les ouvrages qu’il a commencé à grignoter.

Malgré les nombreux ponts, le mois de mai ne nous permettra guère de sortir du tunnel, coincé entre la fin du cycle cinéma fantastique français à la Cinémathèque et le début de la longue et alléchante rétrospective de 150 films pour les 15 ans de la Maison de la Culture du Japon à Paris.
Conscient des besoins de nos lecteurs, pauvres hères survivant péniblement dans la perspective de nos fabuleux articles, nous avons couché sur papier une rapide réflexion sur un sujet à la mode. Car Hic Sunt Ninjas peut aussi être tendance et dans le vent, si la tendance est rance et le vent une légère bise sentant la naphtaline.

Nous offrirons aujourd’hui un moment de détente, sans exploration de quelque cinématographie improbable ou de plongeon dans d’austères écrits théoriques ou chiffres nébuleux.
Dans le climat actuel propice aux clivages idéologiques, nous resterons fédérateur avec un sujet apte à reposer l’esprit du cadre surmené, de l’étudiant stressé, du retraité angoissé ou du prolétaire fatigué après une rude journée. Planqué dans notre appartement et derrière un anonymat relatif, nous nous opposerons courageusement à la majorité en clarifiant la définition d’un terme trop galvaudé depuis quelques années : le nanar.

Nous adopterons un ton de circonstance, plus familier qu’à l’accoutumée, et nous prions les lecteurs de nous excuser d’éventuels écarts de langage.
Nous finirons la note par une étude de cas pertinente d’un nanar peu connu, mettant en application tous les principes exposés dans notre analyse.

Je mets les pieds où je veux, et c’est souvent dans la gueule
Depuis plusieurs années, le nanar est en vogue sans galère : parti d’une communauté restreinte de fous furieux, il s’est popularisé et touche lubriquement un plus large public.
La croissance du site de référence sur le sujet, nanarland, en témoigne : confidentiel au départ, il est devenu, au milieu des années 2000, partenaire de la Cinémathèque Française pour l’annuelle Nuit Excentrique. Depuis octobre 2010, il possède son émission Escale à Nanarland sur Allociné : d’abord bi-mensuelle, elle est devenue hebdomadaire en septembre 2011.
Conséquence de ce phénomène, le terme nanar s’est répandu comme la petite vérole, jeté par le tout venant à la face d’un monde qui vivait bien tranquille et n’en demandait pas tant.

Nous ne nous intéresserons pas à la définition basique du nanar. Nanarland a déjà fait le boulot et nous n’y reviendrons pas. A l’inverse de l’étudiant sans imagination ou de la définition wikipedia, nous ne souhaitons pas copier coller le travail effectué par nos illustres collègues. C’est du vol et du plagiat. Nous n’aimons pas trop les voleurs et les fils de p****.
Notre but est de mettre en garde le lecteur frivole qui, par manque de connaissance ou de rigueur, utilise le terme en société pour désigner un quelconque mauvais film, par exemple le dernier Zack Snyder venu. Or, si le dénigrement des films de Zack Snyder est un acte salutaire, leur stigmatisation à travers le mot nanar n’est pas adéquate, comme nous le montrerons sous peu.

Avant d’entrer dans les entrailles en plastique et sauce tomate du sujet, une petite mise au point s’impose.
Nous ne reprochons pas à nanarland sa popularité. Bien qu’ayant connu le nanar avant le site (cf. notre article Qu'est-ce que le cinéma ?), il nous a fait découvrir nombre de pépites en polystyrène doré, et nous le consultons régulièrement lorsque nous avons un doute sur la « qualité » d’un métrage. Nous lui devons d’ailleurs deux révélations ces dernières années : Piège mortel à Hawaï et En Büyük yumruk. Deux films digne d’un Horson Wales, double imaginaire sénile et paillard de son illustre quasi-homonyme.

Nous ne regrettons pas non plus l’époque où le nanar était l’exclusivité d’une petite élite privilégiée et légèrement débile. Il fallait alors plusieurs semaines pour récupérer un film sur les premiers logiciels de partage grand public, à l’époque où la mule était un âne, dans une qualité abominable et sans aucun sous-titre.
L’autre possibilité était de se tourner vers les DVD à 10 francs du tout jeune Cdiscount, mais, en l’absence d’information sur ce genre de films, il y avait plus de risque de tomber sur un navet qu’un nanar (cf. ci-dessous pour les différences entre les deux termes). Pour un Mosquito ou un Shark Attack, combien de daubes molles et sans sel avons-nous pu voir ? [1] Nous n’aimons pas gâcher la nourriture, et il est toujours dommage qu’un plat ne soit pas assez relevé et manque de texture.

Même si, aujourd’hui, de nombreux films restent introuvables ou visibles uniquement en copie VHS discutable, la popularisation du nanar a facilité l’accès à nombre d’œuvres de référence. Elle a contribué à déterrer des chefs d’œuvre moisissant auparavant dans les cryptes condamnées d’une histoire du cinéma honteuse. A l’instar de certains fromages, le nanar devient plus goûteux en moisissant.

Comme l’intitulé de nanarland le précise avec justesse, un nanar est un mauvais film sympathique. Ces trois mots résument l’essence du nanar. Trois mots simples, pas toujours bien compris et réunis, l’absence d’un des éléments empêchant la complétion de la nanaritude. MAIS POURQUOI ? POURQUUUUOOOIIII ?????

Nous examinerons dans un premier temps les deux insuffisances les plus évidentes, aussi incomplètes que le jeu de Steven Seagal, avant de nous pencher sur le cœur du problème : le mauvais film.

Ma patience a des limites mais il ne faut pas exagérer
Si le locuteur considère un film comme uniquement sympathique sans être mauvais, ce n’est pas un nanar. Merci, Captain Obvious.
Par exemple, bien que bourré de clichés, de répliques stupides, de personnages caricaturaux et de ficelles scénaristiques parfois douteuses, Predator de John McTiernan est pour nous un excellent film d’action horrifique. Nous ne lui appliquerons pas le terme de nanar. Les lecteurs à fort esprit de contradiction pourront nous provoquer s’ils le souhaitent, mais il ne faudra pas venir nous baver sur les rouleaux car nous sommes du genre à boire un bidon d’essence pour pisser sur le feu de camp des petits merdeux qui cherchent le trouble.

De même, nous connaissons l’expression « vieux nanar », utilisée pour dénigrer un vieil objet sans valeur ou démodé, mais, quoi qu’en dise nanarland, nanar n’a jamais désigné pour nous un mauvais objet non filmique sympathique.
Nous ne sommes pas assez grabataire pour être membre de l’Académie française et nous ne contesterons pas l’existence de cet emploi. Cependant, sur ce blog, la loi c’est nous : nous ne considérerons pas cette utilisation et nous incitons les lecteurs à limiter le nanar au cinéma. Les autres disciplines n’ont qu’à se débrouiller.
Une chanson des Musclés ne sera donc pas nanarde, pas plus qu’un épisode des Musclés ou un livre écrit par les Musclés, si cette ignominie a un jour existé [2].
Nous tolérerons cependant les applications annexes liées au cinéma : les expressions « acteur nanar », « scène nanarde », « dialogue nanar »… sont autorisées, ces éléments constituant la moelle du film nanar.

La suite après cette courte pause : Une bande annonce comme on n’en fait plus

Un mauvais film impitoyable qui ne montre aucune pitié
Qu’est-ce qu’un mauvais film ? Cette question pourrait susciter à elle seule de passionnantes pages plus ou moins inspirées. Grâce à notre légendaire capacité de concision, nous n’allons y consacrer que quelques mots.

A moins de faire preuve d’une grande mauvaise foi, ce qui nous arrive parfois mais quand même très rarement, ou d’avoir participé au tournage [3], tout un pan du cinéma peut facilement être rangé dans la catégorie des mauvais films. Aucun cinéphile sensé n’irait défendre la qualité des films de ninjas des années 80, des films de Max Pécas ou avec Chuck Norris.
N.B. : la réunion de facteurs aggravants ne permet pas de transcender la médiocrité. Les deux films de Chuck Norris dans lesquels apparaissent des ninjas [4] n’ont pas réussi à éclipser Shining ou Le silence des agneaux. Et il n’existe malheureusement pas de film de Max Pécas avec Chuck.

A l’autre extrémité, tout cinéphile un minimum honnête reconnaîtra la qualité de grands classiques comme Citizen Kane, Il était une fois dans l’Ouest ou Le Parrain. Il est possible de ne pas accrocher à ces films, c’est notre cas avec Citizen Kane. Leurs qualités restent cependant indéniables et ils ne peuvent être qualifiés de mauvais.

Entre le très mauvais et le très bon, il existe une zone grise, composée de bien plus de la moitié des métrages produits dans l’histoire du cinéma [5].
Cette zone grise est plus ou moins étendue selon chaque spectateur. Elle dépend de sa culture, de son éducation, de son âge, de sa connaissance du cinéma, de ses goûts, des conditions de visionnage d’un film, de son humeur, de l’âge du capitaine…

Pour compliquer le tout, un même spectateur change souvent d’avis au cours du temps. Un film peut sembler mauvais à un temps T1 et bon à un temps T2, ou l’inverse. T3 reste toutefois difficilement défendable.
Nous avions détesté Heat de Michael Mann lors de sa sortie en 1995. Nous l’avons largement réévalué depuis. A l’inverse, nous préférons ne pas revoir certains de nos classiques de jeunesse, comme L’histoire sans fin, probablement très moyen aujourd’hui, comme le démontre ce passage, exposé ici par pure cruauté gratuite envers les nostalgiques de tout bord.

La mode et les connaissances historico-culturelles du public influent également sur la perception de la qualité. Le succès de Tigre et Dragon a donné une légitimité en Occident aux films de sabre chinois, légitimité depuis longtemps acquise en Asie. Avant cette date, nombre d’occidentaux trouvaient ridicules les combats aériens propres à certaines œuvres de ce genre, alors qu’ils acceptaient parfaitement qu’un homme vole dans le ciel en portant un slip par dessus son pantalon.
Autre exemple, le succès de Tarantino, l’homme qui change de film préféré tous les deux jours, a aidé à populariser nombre de genres et sous-genres cinématographiques peu mis en avant par les critiques et les chercheurs.

Bien qu’étant un pré-requis nécessaire, être un mauvais film n’est toutefois pas suffisant. Bravant les périls et les dictionnaristes impotents, nous nous élevons contre une certaine utilisation, d’après nous erronée, du terme nanar.
Dans cette lutte, nous affrontons d’illustres adversaires, et en premier lieu le Petit Robert. D’après lui, le nanar est un « mauvais film ». Le sympathique n’étant pas de mise, nous profitons de sa petite taille pour lui donner quelques coups de latte quand survient son cousin, Le dictionnaire historique de la langue française. Tout en aidant sa parenté à se relever, il affirme que le nanar est « un mauvais film archaïque ».
Le Larousse n’est pas en reste. Il désigne le nanar comme un « film inintéressant, médiocre », un « navet ».

Conformément à ces définitions, le mot nanar est régulièrement utilisé par le public comme synonyme de navet, soit un mauvais film pas sympathique, ennuyeux, ridicule et peu digne d’intérêt. Il sert à dénigrer le dernier mauvais film vu, avec une intonation péjorative et/ou un vil rire moqueur.
Les dictionnaires en nombre roulent des mécaniques et s’attendraient à ce que nous nous rendions gentiment à leurs arguments. Comme le dit un grand poète contestataire : « Compte là-dessus et boit de l’eau ». Nous ne sommes pas d’accord, navet et nanar ne sont pas synonymes. Le sympathique ne doit pas être oublié et les propagateurs de la mauvaise parole risquent de se retrouver avec la b*** dans un tupperware.

Le nanar zure de voler au secours de l’opprimé, en ne sonzeant qu’au resspet de la zustice
Contrairement au navet, le terme nanar n’a pas, selon nous, de volonté provocatrice. Il ne sert pas à diminuer la valeur de l’objet désigné. D’une certaine façon, il le valorise. Que serait la Sainte Trinité avec seulement deux membres ? Nous n’oserions parler de Dieu comme d’une Sainte Duplicité. Le nanar doit susciter la sympathie, une vraie sympathie, pas une simple dépréciation liée au ridicule, au kitsch ou à l’incohérence du métrage.
Par exemple, 300 de Zack Snyder est ridicule, kitsch et incohérent. Il ne suscite pourtant aucune sympathie. Selon nos critères, ce n’est pas un nanar, seulement un navet.

A l’inverse de Christophe Lambert, nous avons le rire difficile. Les films comiques nous faisant peu d’effet, pour nous dérider, rien ne vaut un bon nanar. L’amusement est généralement plus grand lorsque nous sommes en groupe, ce style de film s’appréciant mieux en communauté. Le nanar se partage, d’où l’existence d’évènements comme La nuit excentrique, les soirées cinéma bis à la Cinémathèque ou les soirées nanar dans notre appartement, côtés pour la qualité de la nourriture et la médiocrité des films projetés.

Même lorsque toutes les conditions sont remplies, le niveau de sympathie engendré par un nanar est difficilement prévisible à l’avance. Chaque spectateur est plus ou moins réceptif à un certain type de mauvais film. Certaines valeurs incontestées peuvent nous décevoir, alors que des titres jugés mineurs par la communauté nous plairont particulièrement.
Par exemple, l’espèce d’intellectuel de gauche [6] que nous sommes est insensible au nanar franchouillard type Le führer en folie ou Le lac des morts-vivants. Nous trouvons ces films pathétiques et/ou soporifiques, et ils suscitent chez nous plus de consternation que de rire. A l’inverse, sans grande surprise, nous adorons les nanars ninjas.

Nous attendons d’un nanar un certain rythme et nous ne faisons pas partie des fanatiques capables de voir un navet pour une scène nanarde culte. Nanarland est là pour ça.
Le lecteur vigilant remarquera ici un point complexe, omis à dessein : un navet peut comporter des passages nanars. Quand le navet devient-il un nanar ? Nous dirions, de façon complètement arbitraire, quand, à la fin de la projection, l’amusement a été supérieur à l’ennui. Un nanar doit forcément se terminer par cette conclusion : « C’était mauvais mais quand même fort sympathique ».

La subjectivité du caractère sympathique doit être prise en compte par un locuteur présentant un nanar à un public réceptif. Négliger cet élément risque d’entraîner des déceptions, voire des vexations liées à des différences culturelles ou d’époque.
Par exemple, nous avons vu plusieurs bons nanars turcs du début des années 80. Ces films nous ont fait rire mais nous ne les conseillerions pas à un cinéphile turc. Il les considèrerait probablement comme de navrantes œuvres d’exploitation indignes, et se désolerait qu’un des films turcs les plus connus soit Turkish Star Wars.


Pour conclure, à l’instar des trois petits cochons, des trois mousquetaires sans d’Artagnan car si ce petit frimeur avait servi à quelque chose ils se seraient appelés les quatre mousquetaires, ou des trois doigts de la main, le nanar doit respecter la trinité. Ce principe simple évitera au lecteur bien des écueils.
Nous incitons le lecteur à ne pas utiliser le mot nanar en vain, à privilégier navet lorsque son but est de provoquer ou de dégrader, et de réserver le mot nanar pour des films festifs, à conseiller à des amis pour des moments de divertissement et de détente.


P.S. : Vous vous souvenez, au début de notre texte, nous vous avions promis une étude de cas pertinente. I lied.


[1]Ne chercher pas de réponse dans une note de bas de page, cette question était purement rhétorique.
[2]Information pour le lecteur jeune, vieux et/ou étranger, peu au fait des références « culturelles » françaises des années 80/90 : Les Musclés était une série télévisée produite par le studio AB pour le Club Dorothée. Les acteurs étaient à peu près aussi mauvais que les scénarios, la réalisation ou la musique. Les Musclés sont aujourd’hui devenus chez les trentenaires le symbole d’un certain mauvais goût à la française.
[3]Comme Bernard Launois, le réalisateur du fameux nanar Devil Story, qui voulait avec son film « concurrencer les Américains sur leur marché » car, en France, « on peut faire mieux » que les Américains.
[4]Dans La fureur du juste, Chuck combat des ninjas, regroupés au sein d’une amicale des méchants appelée…. NINJA. Original.
Chuck apparaît également en costume de ninja blanc dans le rêve d’un de ses fans au début de Sidekicks.

[5]Une bonne moitié seulement car autant les chefs d’œuvre incontestables sont rares, autant les mauvais films incontestables sont largement répandus.
[6]L’extrait en trop à 06m05s.

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