jeudi 24 février 2011

Qu'est-ce que le cinéma ?

Nous ne voulons pas ici faire notre Bazin mais plutôt mener une petite introspection sur l’évolution de la notion de cinéma dans notre inconscient.
Présenté de cette façon, ce nouveau sujet ne risque pas de passionner les foules mais, si nous nous préoccupions de notre lectorat, nous aurions depuis longtemps cessé d’écrire quoi que ce soit. Et les machins à deux euros vaguement autobiographiques sont ‘achement à la mode de nos jours.

L’intolérance de la jeunesse
Après une période de gestation d’une bonne décennie, nous avons commencé à nous intéresser sérieusement au cinéma vers la fin du collège. Nous avions de bonnes prédispositions : depuis nos 10 ans, notre réalisateur préféré était Sergio Leone, et nous considérions déjà Ennio Morricone comme un génie.
A l’époque où certains camarades de classe s’interrogeaient sur le sexe opposé, où les jeunes adolescents se trémoussaient sur les débuts de la dance et s’extasiaient sur Les Visiteurs, nous avons commencé à lire Télérama et nous avons découvert Fritz Lang et Akira Kurosawa.

Au cours de notre adolescence, malgré une certaine réserve de notre part (due initialement à une note d’un seul T à notre film préféré à l’époque, Le Bon, la brute et le truand), Télérama a constitué notre principale source de critiques et d’informations sur le cinéma. Nous découpions chaque semaine les encarts de tous les films avec 2 ou 3 T et nous essayions de voir ou d’enregistrer le maximum de films bien notés. Nous étions constamment en quête de VHS vierges pour magnétoscoper des films improbables, du film muet suédois des années 10 (Les Proscrits de Victor Sjöström) aux téléfilms polonais des années 80 (Le Décalogue de Kieślowski), en passant par tous les films japonais sur lesquels nous pouvions tomber. Habitant en province et n’ayant pas de cinéma facilement accessible à proximité, notre connaissance du cinéma se limitait au petit écran.

Bien que regardant les aimables divertissements à la mode sur les grandes chaînes, le vrai cinéma se restreignait pour nous aux films d’auteurs, aux grands classiques et au cinéma indépendant. L’émission de référence était Le cinéma de minuit et Arte restait la seule chaîne non payante globalement valable.
En d’autres termes, nous étions un petit intello étroit d’esprit. Notre vision du cinéma était limitée et élitiste : il y avait d’un côté le bon cinéma, élevé au rang d’œuvre d’art et qui méritait une place de choix dans notre consommation culturelle ; et d’un autre côté le mauvais cinéma, forcément hollywoodien et/ou grand public, qui ne méritait guère plus qu’un visionnage coupable et dévalorisé. Nous avions parfois quelques crises de foi (parce que Citizen Kane c’est quand même chiant hein et L’empire des Sens n’est pas franchement intéressant, même pour un ado sensible aux charmes des actrices japonaises) mais nous respections globalement notre dogme.

Tout en conservant la même optique, notre intransigeance s’adoucit au début du lycée au contact de cinéphiles moins intellos. Nous faisant prêter beaucoup de cassettes vidéo, nous découvrîmes des réalisateurs récents comme John Woo, Quentin Tarantino ou les frères Coen. Des gens qui, tout en étant dans le système, réalisaient des films dont nous ne pouvions nier la qualité.
Nous commençâmes alors à réfléchir, sans le savoir, sur une sorte de « politique des auteurs », en mettant le réalisateur au premier plan dans nos critères de sélection. Nous cherchions à récupérer tous les films des réalisateurs que nous apprécions, quelle que soit la qualité admise des films. Nous nous questionnions sur la valeur des Fritz Lang américains ou des John Woo américains (Chasse à l’homme, nanar Jean-Claudesque ou pochade jouissive d’un John Woo se caricaturant à l’extrême ?), sans réaliser que tout ce travail d’analyse et de réflexion avait déjà été effectué par de plus illustres des décennies auparavant.

Et soudain, Dieu pointa du doigt un ninja à moustache
Alors que notre fondamentalisme initial commençait à s’effriter à la vision d’œuvres moins cotées, nous tombâmes sur un film qui bouleversa durablement notre optique et notre santé mentale : Ninja Terminator.

Un ami avait retrouvé dans sa cave une vieille cassette qu’il avait achetée plus jeune. Il en avait revu des extraits, s’était dilaté la rate quelques minutes, et nous l’avait prêté en nous disant « tiens, montre ça à tes potes avant ton jeu de rôles ce soir, vous allez bien rigoler ».
Nous amenâmes la chose à nos amis le soir même, en présentant cela comme un petit divertissement à visionner 5 minutes avant de commencer la partie… Nous regardâmes finalement l’intégralité du métrage, pliés en deux de rire. Même les plus stoïques de nos amis se roulaient par terre.
Un tel objet cinématographique n’était pas imaginable pour nous à cette époque : Internet n’existait pas, le concept de nanar ne s’était pas popularisé, et un tel niveau de médiocrité, d’absence de considération du réalisateur pour le scénario, le montage et les effets spéciaux n’était pas concevable.
Pourquoi tous les passants cherchaient-ils à tabasser Jaguar Wong ? Pourquoi le réalisateur estimait-il nécessaire de nous montrer deux fois la scène complètement inutile d’un ninja s’entraînant avec des nunchakus enflammés ? Pourquoi le méchant portait-il une perruque blonde rappelant la coupe d’un Patrick Juvet de la grande époque ? Pourquoi, alors que ni nous ni nos amis n’étions complètement stupides, ne comprenions-nous pas grand-chose au scénario ? Pourquoi des acteurs qui se parlaient semblaient parfois ne pas être dans la même pièce ? Pourquoi Richard Harrison, son téléphone Garfield et son costume de ninja commando ? Autant de questions qui nous plongèrent dans des abîmes de rire et de perplexité.

Ce film nous ouvrit les yeux : tout un univers cinématographique nous était totalement inconnu et un film suffisamment mauvais pouvait être plus agréable à regarder que bon nombre de films d’auteur ou de chefs d’œuvre estampillés Télérama. Nous arrêtâmes de voir les films chiants intellos et rattrapâmes le temps perdu sur le cinéma de divertissement. Nous nous mîmes à visionner tout ce qui pouvait nous passer sous la main, sans distinction de qualité. Le cinéma devenait pour nous un divertissement, l’aspect culturel passant au second plan.

Cette passade ne dura pas et nous recommençâmes à visionner des films plus côtés vers la fin du lycée, en excluant toutefois le cinéma français contemporain et une bonne partie de la nouvelle vague, définitivement catégorisés comme chiants dans notre esprit. Nous étions alors arrivés à un certain équilibre entre films connotés art et essai et films de divertissement pur, avec une volonté d’en savoir plus sur les films de ninjas et autres aberrations du même style.

Le nanar : une voie vers la sagesse
Grâce à l’arrivée de l’ADSL et de sites internet comme cdiscount, qui proposait des DVD à 10 francs, nous inaugurâmes avec des amis un nouveau genre de soirée ciné : les soirées nanars.
Au rythme de 2-3 films par semaine en période scolaire, et parfois d’une vingtaine par semaine en période de vacances (record de 6 films dans la journée), nous effectuâmes un visionnage frénétique de tous les mauvais films sympathiques que nous pûmes récupérer. Nous vîmes à cette époque pléthore de films de ninjas, de grosses bébêtes, de slashers, et autres objets filmiques peu recommandables. Nous découvrîmes ou redécouvrîmes Chuck Norris, Steven Seagal, Richard Harrison…
Alors que nous cantonnions inconsciemment le cinéma dans certaines limites du possible, nous réalisâmes que ces limites n’étaient pas valables : oui, il existait un remake de La nuit des morts vivants avec des lapins géants carnivores (Night of the Lepus), un genre dédié aux sévices de femmes peu habillées dans des camps nazis (Ilsa la louve des SS et tous les films de nazisploitation), et pléthore de films 2 en 1 philippino - hongkongais où apparaissent régulièrement des ninjas.

Ce furent également les nanars qui nous poussèrent vers le cinéma de genre, souvent par hasard : nous vîmes notre premier Hammer pour rire, avant de nous rendre compte de la qualité des films de ce studio ; nous achetâmes notre premier Mario Bava pour l’aspect kitsch de la jaquette et du métrage (le fameux Masque du démon).

L’accumulation de mauvais films nous rendit paradoxalement plus exigeant sur la qualité des bons films. Nous devînmes plus attentif aux clichés, aux mauvais trucages, aux mauvais acteurs, aux ficelles scénaristiques grossières… Nous nous mîmes à regarder imdb après chaque film, pour retrouver où nous avions vu tel ou tel acteur et pour lire les trivia [1].
C’est avec les nanars que nous commençâmes à nous pencher sur l’envers du décor, sur le cinéma comme machine industrielle, sur la production, les firmes cinématographiques, le financement (ou son absence)…

Vers l’infini et au-delà
Depuis quelques années, nous avons encore approfondi ces recherches. Nous nous sommes plongé dans la lecture d’ouvrages sur le cinéma pour mieux comprendre tous ses aspects : production, réception, réalisation, financement, théories critiques… Nous avons commencé à appréhender le cinéma à la fois comme un art et comme une industrie culturelle, à nous intéresser non seulement au film mais à son public et à ses conditions d’existence.

Aujourd’hui, tous les films peuvent nous intéresser, bien que nous ayons nos préférences. Le cinéma français contemporain ne fait toujours pas partie de nos priorités : il nous apparaît comme trop souvent faussement intellectuel, cherchant à se donner de la profondeur sans y réussir, stylistiquement pauvre et sans rythme, à l’inverse, par exemple, du cinéma sud-coréen contemporain ou hongkongais des années 80 et 90. Nous essayons également de voir le maximum de classiques car souvent leur statut se justifie d’une façon ou d’une autre.

C’est seulement aujourd’hui que nous comprenons toute la valeur d’une émission comme La dernière séance. Durant notre jeunesse, nous considérions cette émission avec sympathie, grâce à la passion que montrait Eddy Mitchell pour les films diffusés, mais nous ne regardions que rarement les films projetés, en particulier le deuxième film – souvent une série B.
Quand nous examinons aujourd’hui les programmes de cette émission, nous constatons que nous possédons nombre de ces films en DVD, et que le choix éditorial, bien que centré sur le cinéma classique américain, était exceptionnel [2] : des grands films de série A – du Hitchcock, du Minnelli, du Wilder, du Mankiewicz –, de la très bonne série B – du Dwan, du Boetticher, du Tourneur –, et même quelques films de la Hammer. Le tout en double séance avec des présentations d’Eddy Mitchell fournissant le contexte, et des actualités et un dessin animé pour remettre dans l’ambiance des spectateurs de l’époque. Il n’est pas étonnant que la partie éditoriale de cette émission ait été assurée par Patrick Brion, historien du cinéma, qui avait également été à l’origine du Cinéma de minuit.

Rétrospectivement, nous nous souvenons qu’avant notre adolescence élitiste téléramaesque, nous regardions souvent avec notre mère La dernière séance : cette émission a probablement contribué à notre amour actuel pour le cinéma et à une définition ouverte de cet art.
Pour répondre à la question titre, le cinéma, ce n’est plus pour nous des bons films et des mauvais films, de l’art ou du divertissement, c’est un ensemble de phénomènes qui amènent à la création et à la diffusion d’une œuvre dans un temps et un espace donné. Ce blog n’est finalement que la continuation de nos réflexions et recherches, où nous tentons de mettre par écrit notre conception du cinéma.


[1]Les trivia (singulier trivium) sont, sur imdb, des anecdotes relatives à un film (ou à une personnalité mais cet aspect nous intéresse moins), qui fournissent généralement des détails sur la production, le tournage, la réalisation ou le contexte historique du film.
[2]Wikipedia liste une bonne partie de la programmation de La dernière séance : http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Derni%C3%A8re_S%C3%A9ance_%28%C3%A9mission%29


Films cités (en l’absence de précision, le film existe en DVD français)
Ai no korîda (L’empire des Sens) de Nagisa Ôshima (1976)
Berg-Ejvind och hans hustr (Les Proscrits) de Victor Sjöström : existe en DVD US mais dans une version tronquée.
Citizen Kane (Citizen Kane) d’Orson Welles (1941)
Dekalog (Le Décalogue) de Krzysztof Kieslowski (1989)
Hard Target (Chasse à l’homme) de John Woo (1993)
Il buono, il brutto, il cattivo (Le Bon, la brute et le truand) de Sergio Leone (1966)
Ilsa: She Wolf of the SS (Ilsa la louve des SS) de Don Edmonds (1975)
La maschera del demonio (Le masque du démon) de Mario Bava (1960)
Les Visiteurs (Les Visiteurs) de Jean-Marie Poiré (1993)
Night of the Lepus (Les rongeurs de l'apocalypse) de William F. Claxton (1972) : existe en DVD US avec des sous-titres français.
Night of the Living Dead (La nuit des morts vivants) de George A. Romero (1968)
Ninja Terminator (Ninja Terminator) de Godfrey Ho (1985) : existe en DVD US mais malheureusement pas en DVD français (la VF constituant un plus non négligeable)

2 commentaires:

  1. Déjà tu faisais un blog, c'était louche, mais bon tu faisais des articles égaux à toi même, alors j'ai rien dit.
    Mais là tu racontes ta vie, ça me fait peur... Fais gaffe, un jour, si ça continue comme ça, tu auras des sentiments hein !

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  2. Pfff, sale type...

    Mais bon, n'as-tu pas vu qu'en sous-texte il y a une critique des intellos bobos qui s'extasient devant les films chiants ?
    En fait, le but de ce texte est de se moquer de certaines personnes. Ca te va comme ça ?

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