lundi 26 mars 2012

60 ans de chiffres sur le cinéma en France et au Japon en pas mal de lettres

La fréquence de publication de billets en février le prouve, nous avons disposé le mois dernier de temps libre et nous l’avons utilisé pour traîner sur le net de façon fort peu productive. Par divers liens improbables, nous sommes tombé sur le site de la Motion Picture Producers Association of Japan (MPPAJ), association regroupant quatre majors japonaises : la Shôchiku, la Toho, la Toei et Kadokawa Shoten [1].

Notre souplesse légendaire nous aida à amortir le choc et nous nous intéressâmes de plus près au contenu. Le site comporte des statistiques très intéressantes sur l’industrie japonaise du film de 1955 à 2011.
Les statistiques semblent appréciées des internautes cinéphiles, le billet sur les statistiques imdb des films d’horreur étant sans conteste le plus populaire de ce blog. Notre deuxième billet le plus populaire portant sur Steven Seagal, nous songeâmes un temps à des statistiques sur les films de Steven Seagal, sujet susceptible de nous apporter gloire et célébrité.
Rejetant la facilité, la fortune et, plus fondamentalement, en l’absence de données pertinentes sur tous les Direct-To-Video de Steven Seagal [2], nous nous concentrâmes sur l’évolution du cinéma japonais des années 50 à nos jours, en quelques chiffres et attrayants graphiques.

Afin d’élargir notre perspective, nous avons ajouté des données sur le cinéma français. Elles fournissent un point de comparaison et accroissent l’intérêt de notre propos, le lecteur exigeant venant sur notre blog pour s’informer et non, fort heureusement, pour la qualité de nos traits d’esprit et de nos bons mots. Elles proviennent du CNC et de l’INSEE : ces organismes mettent à disposition du public des statistiques fiables et précises sur des périodes longues, même s’il est parfois difficile de retrouver une information en particulier.
Nous avons pu remonter jusqu’en 1947, à l’exception de quelques données curieusement introuvables avant les années 70, sans doute terrées dans un coin, effrayées à jamais par les boules disco et les pantalons pattes d’eph’. Des chiffres plus anciens existent sur le net, mais ils ne correspondent pas aux données CNC et INSEE sur les périodes communes. En alimentation comme en statistiques, l’âge avançant, nous préférons la qualité à la quantité et nous avons écarté les sources douteuses. Précisons toutefois que nous ne sommes pas partisan des portions ridicules type Nouvelle Cuisine et, qu’en données comme en nourriture, il convient d’avoir une quantité minimale dans son assiette.

Notre objectif dans ce billet sera de livrer des informations brutes, sur lesquelles nous reviendrons à l’avenir. N’ayant pas encore de connaissances suffisamment approfondies sur l’histoire de l’industrie cinématographique japonaise, nous ne chercherons pas les raisons structurelles des phénomènes relevés. Nous nous contenterons de croiser les données, de faire apparaître des parallèles intéressants et d’examiner dans quelles mesures les tendances étudiées sont purement japonaises, françaises ou communes.
D’après Claude Forest, en Europe, « les fréquentations nationales ont suivi la même évolution ces cinquante dernières années, même si des particularités locales […] l’ont légèrement décalée dans le temps ou en amplitude » [3]. La France servira donc d’exemple représentatif d’une tendance européenne.

Il conviendrait d’ajouter les Etats-Unis à cette analyse. Bien qu’ayant plusieurs pistes, nous n’avons pas encore mis la main sur des informations fiables à long terme pour ce pays. Leur récupération fournira l’objet d’un nouveau billet, à peu de frais noteront les esprits mesquins, et nous permettra de valider ou de tempérer les constatations du présent texte.

Entrées en matière
Nous allons découper notre étude en grandes thématiques, en commençant par l’évolution du nombre d’entrées des années 1950 à 2010.

Les entrées sont au cœur de la vie de l’industrie cinématographique : elles génèrent des revenus, du prestige, permettent aux salles et aux distributeurs de vivre, et impactent le nombre et le type de films diffusés.

En France, la rémunération du prix d’un billet en 2010 est répartie comme suit [4] :
• 10,72% pour la taxe spéciale additionnelle (TSA), taxe qui alimente un fond de soutien au cinéma français géré par le CNC
• 5,30 % de TVA
• 1,27 % pour la SACEM
• 37,98 % pour les distributeurs
• 44,73 % pour les exploitants
La TSA est une particularité française. Elle concerne tous les tickets, quel que soit la nationalité ou le genre du film. Les spectateurs de blockbusters américains ou de film intimiste iranien contribuent de la même façon à aider le cinéma français. Ce concept nous a toujours beaucoup amusé, il faut l’avouer : « Hé les amis, remplissons le bas de laine du cinéma français en allant voir Saw VII ».
Les autres bénéficiaires de l’argent des entrées se retrouvent a priori dans tous les pays, y compris au Japon.

Ci-dessous le graphique du nombre d’entrées pour la France et pour le Japon, en millions par an :

Puis le nombre moyen d’entrées par habitant et par an [5] :

Nous relevons trois phases distinctes :
• Une chute brutale se produit durant la deuxième moitié des années 50 et les années 60 : en France, le nombre d’entrées est divisé par 2,2 entre 1957 et 1969 ; au Japon, le nombre d’entrées est divisé par 6,0 entre 1957 et 1972.
• En France, les années 70 correspondent à une période de stabilisation, avant une nouvelle détérioration durant la deuxième moitié des années 80. Au Japon, la baisse ralentit mais perdure jusqu’au milieu des années 90. En 1957, dernier pic avant la chute, un français allait en moyenne 9,3 fois par an au cinéma, contre 2 fois par an en 1992 ; en 1958, un japonais y allait 12,3 fois par an, contre 0,9 fois par an en 1996.
• Depuis la deuxième moitié des années 90 et les années 2000, la conjoncture s’est un peu améliorée dans les deux pays. En 2011, un français va en moyenne 3,3 fois par an au cinéma et un japonais 1,36 fois par an. Grâce à cette moyenne par habitant plus de deux fois supérieure, le nombre d’entrées totale en France surpasse celui du Japon depuis 1993.
Les phases 1 et 3 sont communes aux deux pays.
En phase 2, la situation française est plus chaotique, faite de stabilisation, de légère hausse et de nouvelle chute, comparée à une légère baisse régulière pour le Japon.

L’effondrement des années 60 est généralement imputé à la télévision mais nous n’avons pas de chiffres significatifs sur ce sujet.

Les données fournies sont nationales et masquent des disparités régionales parfois importantes. Dans L’argent au cinéma, Claude Forest note une baisse sensible de la fréquentation parisienne entre 1947 et 1952 (moins 25 millions de spectateurs), malgré une stabilité globale due à l’augmentation de la fréquentation régionale [6].

Ne pas tirer le rideau sur les écrans
L’évolution du nombre d’écrans suit, dans l’ensemble, la même tendance que celle du nombre d’entrées, avec un décalage de 2 ans en moyenne :

Nous remarquons :
• Une forte baisse dans les deux pays de 1960 au premier tiers des années 70 (1972 pour la France, 1974 pour le Japon).
• Une amélioration en France de 1972 au milieu des années 80, avant une nouvelle dégradation ; une diminution plus douce mais continue pour le Japon de 1974 au milieu des années 90.
• Une augmentation notable depuis le milieu des années 90 dans les deux pays, parallèlement à l’arrivée des multiplexes : le nombre d’écrans a été multiplié par 2,0 au Japon et par 1,3 en France entre 1993 et 2010.
Malgré l’apparente similitude des évolutions du nombre d’entrées et du nombre d’écrans, nous avons tenté de coupler les deux données, au cas où nous obtiendrions une tendance nouvelle, une sorte de mulet, de tigron ou de beefalo statistique.
Bien nous en prit, le croisement nuançant les tendances évoquées précédemment et n’aboutissant pas à un ornithorynque :
• En France, la situation se détériore de 1957 à 1967. La moyenne fluctue ensuite autour de 40 000 entrées par écran et par an jusqu’en 1984, avant de chuter autour de 25 000 entrées par écran et par an vers la fin des années 80 et le début des années 90. Elle s’est accrue depuis pour atteindre 37 700 entrées par écran en 2010.
• Au Japon, la moyenne du nombre d’entrées par écran diminue de 1955 (début des données) à 1965. Elle varie entre 65 000 et 80 000 de 1965 à 1998, avant de chuter. Le plus bas est atteint en 2011 avec 43 344 entrées par écran.
L’augmentation sans doute trop rapide du nombre d’écrans par rapport au nombre d’entrées durant les années 2000 au Japon engendre une diminution du ratio écran/entrée malgré la hausse du total des entrées.
A l’inverse, en France, la vitesse d’accroissement du nombre d’écrans semble plus raisonnable et le ratio est en hausse, bien que toujours inférieur à celui du Japon.

Les films sont de sortie
L’évolution du nombre de films diffusés chaque année en première exclusivité [7] dans les cinémas diffère assez fortement entre les deux pays.
Nous examinerons les chiffres de la France et du Japon séparément, avant de réunir les deux cultures, tel le yakitori bœuf-fromage.

Pour la France, nous n’avons trouvé de données fiables qu’à partir de 1975.
Entre 1975 et 1989, le nombre de films baisse constamment, de 707 à 366 titres.
Jusqu’en 1997, malgré quelques fluctuations, il tourne autour de 400, puis s’améliore doucement par la suite.
Durant la deuxième moitié des années 2000, il est légèrement inférieur à 600.

Excepté ces dernières années, les évolutions du nombre de films français et du nombre de films étrangers répondent aux mêmes tendances, bien que la baisse soit plus accentuée pour les films étrangers.


Pour le Japon, malgré de fortes fluctuations, la moyenne du nombre de sorties reste stable de 1955 à 1974, entre 650 et 700 par an.
La situation se dégrade fortement durant les années 70 et le début des années 80, avec une chute à 498 films en 1983.
Après une belle embellie à la fin des années 80 et au début des années 90, avec une pointe à 777 films en 1989, la diminution reprend, avec 600 sorties en moyenne entre 1992 et 2004.
Finalement, suite à une forte remontée en 2005, la moyenne ces dernières années avoisine les 800 sorties par an.

La chute drastique des années 70 est essentiellement imputable à la forte diminution du nombre de films japonais, divisé par deux entre les années 50 et 90.


Malgré des tendances différentes sur le long terme au niveau global, les courbes du nombre de films nationaux sont assez similaires entre la France et le Japon : en baisse durant les années 70 et 80, stables durant les années 90 et en hausse durant les années 2000.

Les variations globales entre les deux pays à partir de 1975 résultent essentiellement de l’évolution du volume de films étrangers, malgré la part changeante occupée par ces derniers au cours des époques :
• En France, durant les années 70 et 80, les films français fournissent en moyenne 30 à 40 % des sorties. Ce pourcentage s’accroit légèrement pendant les années 90, avec environ 40% des sorties, augmentation confirmée dans les années 2000, avec une moyenne côtoyant les 45%.
• Au Japon, les films japonais dominent très nettement les sorties jusqu’au milieu des années 80, avec une moyenne supérieure à 60%. La deuxième moitié des années 80 et la première moitié des années 90 correspondent à une période de forte dégradation, la part de films japonais tombant à moins de 35%. Depuis 1993, la situation s’est améliorée. La part des films japonais est revenue à plus de 50% ces dernières années.
Durant les années 80, la baisse du nombre de films japonais a été compensée par une augmentation du volume de films étrangers. Le nombre total de films diffusés a connu une variation moins importante qu’en France, où la diminution du nombre de films français n’a pas été contrebalancée.

Les chiffres fournis ne nous permettent pas d’entrer plus dans le détail, notamment dans la répartition des nationalités au sein des films étrangers.
D’après Claude Forest, en France, durant les années 50 et 60, la part de marché des films américains diminue, passant de plus de 40 % du total en 1949 à 20 % au début des années 70. Dans le même temps, la part de marché des films étrangers non américains, notamment italienne, augmente d’un peu plus de 10 % à presque 30 %.
Les tendances se sont inversées depuis et, en 2000, la part de marché des films américains était de plus de 60 % contre moins de 10 % pour les films étrangers non américains [8].

Si le nombre total de films diffusés en première exclusivité sur les écrans français était, durant les années 70, supérieur à celui du Japon, le nombre de films nationaux a toujours été plus important au pays du soleil levant.
Nous avons déjà entendu des professionnels du cinéma s’enorgueillir de la 3e place mondiale de la France dans la production de films, après l’Inde et les Etats-Unis. La France est en fait 6e derrière l’Inde, le Nigéria, les Etats-Unis, le Japon et la Chine [9], et elle est en train d’être dépassée par la Russie. Ce genre de classements importe peu, il est vrai, mais nous ne voulions pas rater une occasion de jouer les rabat-joies.

Les films qui en font des caisses
Pour toutes les données en valeur monétaire, nous fournirons les graphiques en valeur absolue et avec inflation. Deux fois plus de graphiques, soit deux fois plus de bonheur et de félicité pour le lecteur.
Pour la prise en compte de l’inflation, nous nous sommes servi de l’indice des prix à la consommation, fournie en France par l’INSEE et au Japon par le bureau des statistiques. Nous nous attarderons essentiellement sur les chiffres avec inflation, plus adaptés pour les tendances à long terme.
Les chiffres du box-office sont en millions d’euros pour la France et en millions de yens pour le Japon.

Excepté durant la deuxième moitié des années 80 et le début des années 90, le montant total annuel du box-office en valeur absolue est en hausse permanente en France et au Japon.
Les montants avec inflation révèlent d’autres informations, bien plus intéressantes, et montrent des divergences fortes entre les deux pays.

Après une forte hausse pendant la première moitié des années 50, le montant du box-office français avec inflation reste globalement constant de 1955 à 1977, autour de 1 000 millions d’euros en valeur ajustée.
Ces chiffres s’envolent à la fin des années 70 et au début des années 80, pour atteindre 1 312,6 millions d’euros en valeur ajustée en 1982, puis chutent très fortement jusqu’en 1992, tombant à 815,6 millions d’euros en valeur ajustée.
Jusqu’en 1997, le box-office reste sous les 1 000 millions d’euros en valeur ajustée, puis remonte et se stabilise à une moyenne de 1 200 millions d’euros en valeur ajustée dans les années 2000.

Jusqu’aux années 80, le montant total du box-office réalisé par les films français et les films étrangers est assez similaire.
A partir de 1984, la part des films étrangers dans le box-office augmente régulièrement, comme le montre plus clairement le graphique ci-dessous :

Encore un coup des ninjas, hurleront avec véhémence les adeptes des théories du complot, prompt à noter la concordance des dates avec la mode ninja en Occident. Nous nous contenterons de ricaner sournoisement devant cette affirmation, conforté par les maigres entrées en salles des films de ce genre et sans doute complice du groupuscule des hommes en pyjama.


Après une forte hausse durant les années 50, le montant du box-office japonais avec inflation dégringole jusqu’au début des années 70, passant de presque 400 000 millions de yens en valeur ajustée à 208 030 millions de yens en valeur ajustée en 1972.
Après une stabilisation, il connaît une nouvelle période de chute durant la deuxième moitié des années 80 et la première moitié des années 90 : le plus bas est atteint en 1996 avec 145 808 millions de yens en valeur ajustée.
Les années 2000 voient une petite hausse, le montant du box-office annuel s’établissant à 200 000 millions de yens en valeur ajustée.

Ces fluctuations résultent des variations au box-office réalisées par les films japonais, les revenus des films étrangers étant stable sur le long-terme, à l’exception de ces dernières années.

Jusqu’au début des années 70, la part des films japonais au box-office est supérieure à 60%, avec une pointe à 78% en 1960.
Cette période dorée se termine dans les années 70 et 80, la part moyenne descendant à 50%, avant de s’effondrer à moins de 40% dans les années 90 et le début des années 2000.
Après un plus bas en 2002, avec 27% du montant du box-office, la situation s’est redressée ces dernières années et la part des films japonais est remontée à 55% en moyenne.


L’augmentation constante en valeur absolue du montant du box-office pour la France et le Japon malgré la fluctuation du nombre d’entrées s’explique par la hausse régulière du prix des billets.
L’augmentation du prix de la place de cinéma, c’est comme l’augmentation du prix de la baguette [10], bien que nous connaissions peu d’individus capable de regarder intensément une baguette pendant 1h30 à 2h. L’avantage indéniable de la baguette reste toutefois son moindre prix, la 3D naturelle ne nécessitant pas le port de lunettes inconfortables, l’odorama inclus gratuitement, et la capacité du produit à sustenter le spectateur à la fin du spectacle.

La hausse du prix des billets est constante en France et au Japon jusqu’à la fin des années 70.
Le prix moyen français avec inflation continue de monter jusqu’au début des années 90, avant de diminuer doucement, pour arriver à 6,45 euros en 2010, résultat probable de l’introduction des cartes illimitées et autres offres d’abonnement.
Le prix moyen japonais avec inflation baisse dans les années 80, avant de se stabiliser autour de 1 200 yens en valeur ajustée, prix toujours d’actualité aujourd’hui.

La hausse du prix des billets a longtemps été plus forte que l’inflation moyenne, comme le montre le graphique ci-dessous, calcul de la différence annuelle en pourcentage entre l’inflation du prix du ticket et l’inflation moyenne nationale (0 correspond à une inflation du ticket égale à l’inflation moyenne) :

Dans les deux pays, durant les années 60 et 70, la baisse du nombre d’entrées engendre une hausse du prix du ticket bien supérieure à l’inflation moyenne. Sans cette inflation excessive, la chute des montants au box-office aurait été plus drastique.

Porté par les films étrangers et l’augmentation du prix des places, le montant total du box-office français est en hausse sur le long terme.
A l’inverse, le montant total du box-office japonais est en baisse constante, la chute du nombre d’entrées des films japonais étant trop forte, non compensée par la performance des films étrangers et l’accroissement du prix des places.

Le bonheur est dans le blé
Nous terminerons par quelques considérations sur la rentabilité moyenne des films, soit le chiffre d’affaire moyen par film sorti en salle sur une année donnée.
Cette rentabilité est exprimée en millions d’euros pour la France et en millions de yens pour le Japon à partir des chiffres prenant en compte l’inflation.

Nous établissons ici une moyenne dont nous examinerons l’évolution. Sont amalgamés des films n’ayant rapportés que quelques milliers d’euros et des succès d’ampleur. Nos amis égalitaristes pourront nous féliciter et nous envoyer leurs dons : sur 2010, par exemple, nous mettrons sur le même plan Le Baltringue avec Vincent Lagaf’ (environ 40 000 entrées) et Avatar de James Cameron (14,7 millions d’entrées).
La majorité des films français ne sont pas rentables au cinéma, dans le sens où leur coût de production dépasse leurs recettes d’exploitation [11], mais nous ne nous attarderons pas sur cet aspect : la vie d’un film aujourd’hui ne se limite pas à son exploitation en salles et nous ne souhaitons pas stigmatiser bêtement le système d’aide et de production à la française.

En France, la rentabilité moyenne par film en valeur ajustée a connu une hausse durant les années 70 et 80, avant de se stabiliser à 2,25 millions d’euros par film sorti. Ce chiffre est toujours valable aujourd’hui.
Malgré les difficultés de l’industrie du cinéma, les distributeurs français ont réussi à conserver une rentabilité par film en valeur ajustée stable grâce à l’augmentation du prix des places et la baisse du nombre de films diffusés.
De façon intéressante, les années 2000, marquées par l’augmentation du montant total du box-office, révèle une légère baisse de l’indicateur : porté par le retour du public en salles, le nombre de sorties a explosé, conduisant à une baisse en valeur ajustée de la rentabilité moyenne par film.

Au Japon, après une forte baisse pendant la deuxième moitié des années 70 et les années 80, la rentabilité moyenne en valeur ajustée s’est stabilisée entre 250 et 300 millions de yens par film.
Comme en France, les années 2000, en raison de l’augmentation du nombre de sorties, connaissent une légère baisse en valeur ajustée malgré la hausse du montant total du box-office.


Malgré la stabilité globale de la rentabilité en valeur ajustée, les courbes des films français et des films étrangers suivent des tendances opposées et se croisent en 1992, les films étrangers devenant plus rentables que les films français.


L’évolution est plus chaotique au Japon, avec plusieurs retournements.
Entre le milieu des années 60 et 1987, puis entre 1993 et 2006, les films étrangers sont plus rentables que les films japonais.
Depuis 2006, la situation change chaque année.

Le compte est bon

Bien qu’il existe des variations non négligeables sur certaines périodes, il ressort au final de tous ces graphiques une certaine proximité franco-japonaise.
• Après un âge d’or durant les années 40/50, l’industrie cinématographique des deux pays connaît une grave crise durant les années 60, tous les indicateurs plongeant fortement.
• Ils se stabilisent ensuite, voire s’améliorent légèrement en France, avant de diminuer de nouveau durant la deuxième moitié des années 80 et la première moitié des années 90.
• Depuis la fin des années 90, une embellie se produit sur quasiment tous les tableaux.
Au début des années 2000, Claude Forest relevait déjà ces tendances pour tous les pays industrialisés, France et Japon compris. Ces évolutions similaires dans un grand nombre de pays à une période identique montre, d’après lui, que les facteurs explicatifs doivent être cherchés non au sein de la filière cinématographique mais en dehors, par « [l’]augmentation généralisée du niveau de vie, [l’]apparition de concurrents intra-sectoriels (télévision, vidéo, etc.) et surtout extra-sectoriels (autres formes de loisirs, allongement des vacances, etc.) » [12].

Pour finir en allant dans ce sens, nous dresserons une petite mise en perspective technologique. Aucune affirmation, seulement quelques amusantes considérations. Du moins qui nous amusent, mais nous avons un humour douteux :
• La chute des années 60 se déroule parallèlement à la généralisation de la télévision dans les foyers. Guy Lux et Nounours, assassins du cinéma ?
• La nouvelle chute de la deuxième moitié des années 80 et du début des années 90 arrive avec l’âge d’or de la VHS et des vidéoclubs. Oui, les ninjas…
• L’arrivée du DVD se situe paradoxalement au début de l’embellie de la fin des années 90. Dire que Matrix fut un de nos premiers films en DVD… Nous l’avions acheté à bas prix en occasion zone 1 avant la sortie du DVD français, sur un coup de tête au ralenti en prenant une pose apparemment classe mais en fait ridicule. Au final, nous n’avons jamais regardé ce DVD, n’ayant pas particulièrement apprécié le film en salle.
• La fin des années 90 et les années 2000 correspondent à la fois à une période de belle reprise pour les cinémas et à deux phénomènes très décriés : la généralisation des multiplexes et l’explosion du piratage. Ce dernier, s’il a des effets néfastes non négligeables sur les ventes de supports physiques, ne semble pas avoir affecté sensiblement la fréquentation cinématographique.


[1]Qui a notamment racheté la Daiei en 2002.
[2]Soit la quasi intégralité de sa carrière depuis les années 2000.
[3]Claude Forest, L’argent au cinéma, Coll. « Belin Sup – Economie Gestion », Paris, Belin, 2002, p.42.
[4]CNC, « Bilan 2010 », Les dossiers du CNC, nº 318, mai 2011, p.15.
[5]Cette moyenne inclut tous les habitants, y compris les nourrissons et les grabataires, deux catégories peu susceptibles de se déplacer. Le spectateur lambda se rend au cinéma plus souvent que ne l’indiquent ces chiffres.
[6]Claude Forest, op.cit., p.135.
[7]Sans compter les reprises.
[8]Claude Forest, op.cit., p.136.
[9]D’après les chiffres de l’UNESCO : http://www.uis.unesco.org/Culture/Pages/movie-statistics.aspx Notons toutefois le cas un peu particulier du Nigéria : les films produits sont diffusés en vidéo uniquement, avec un système de distribution particulier, le pays n’ayant quasiment aucun cinéma : http://news.onlinenigeria.com/templates/?a=2930
[10]Cf. données de l’INSEE sur http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip483.pdf et http://www.insee.fr/fr/bases-de-donnees/bsweb/serie.asp?idbank=000442423.
[11]En 2010, trois films seulement ont été rentables.
[12]Claude Forest, op.cit., p.43.


Addendum
Nous avions oublié de mettre à disposition les données et graphiques sous Excel, pour ceux qui voudraient des chiffres plus détaillés :
Données et tableaux

1 commentaire:

  1. Nous avons ajouté les données et tableaux Excel en fin de billet. C'était un oubli de notre part, notre volonté n'étant pas de faire de la rétention d'informations.


    Par ailleurs, pour les amateurs de statistiques, nous conseillons un ouvrage publié en février dernier : Ciné-Passions : Le guide chiffré du cinéma en France de Simon Simsi aux éditions Dixit.

    Ce livre fournit des statistiques sur le box-office français année par année de 1945 à 2011.
    Il donne la liste des 20 premiers films au box-office (100 premiers de 2000 à 2011), les palmarès des principaux festivals, quelques données annuelles générales et la liste des films ayant réalisés plus de 500 000 entrées (plus de 30 000 de 2000 à 2010).
    Il constitue une vision micro film par film, un bon complément à notre article focalisé sur les données macro.

    Alors que nous nous lamentons régulièrement sur les titres à la mode aujourd'hui, il est amusant de jeter un œil en arrière et de constater que les goûts du public ont toujours été discutables.
    Le nombre d'entrées des films de bidasses et autres charlots sont assez effarants et les tops 20 annuels comportent toujours plusieurs films que nous qualifierons au mieux de mineurs.

    Seul petit regret pour cet ouvrage : sa focalisation sur les 10 dernières années, là où les données sont pourtant le plus facilement accessibles.
    Nous aurions préféré un top 30 annuel de 1945 à 2011 et les films de plus de 100 000 entrées sur la même période, plutôt qu'un top 100 de 2000 à 2011 avec tous les films de plus de 30 000 entrées.

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