jeudi 16 février 2012

Kore-eda a-t-il réalisé un miracle dans la Pagode ?

Fort d’une riche actualité cinématographique parisienne, nous revenons pour une nouvelle note, moins de deux semaines après la précédente. Que le lecteur se rassure, cette cadence haletante ne sera pas maintenue et nous reprendrons bien vite notre rythme de croisière, digne d’un paresseux paralytique un jour de canicule.

Nous étions, le 13 février dernier, au cinéma La Pagode pour la diffusion en avant-première de I Wish d’Hirokazu Kore-eda, en présence du réalisateur et de la traductrice Catherine Cadou. Dans le cadre de ses « Rendez-vous avec le Japon », ce cinéma projette, tous les deuxièmes samedi du mois, un film japonais suivi d’une discussion/analyse.
Saisissant prestement son calendrier, l’agaçant lecteur remarquera bien vite l’incohérence de nos propos, le 13 février étant un lundi. Nous le renverrons à La Pagode pour toute prière, cette dernière ayant adapté son calendrier à la venue du réalisateur.

L’été dernier, nous avions tenté de nous lancer dans la critique de films sur ce blog. Les plus vigilants d’entre vous auront remarqué l’abandon de nos essais : faute d’envie et de tournure stylistique adéquate, nos expérimentations risquaient de générer de monstrueuses engeances.
Nous laissons la critique aux spécialistes de l’exercice et préférons nous concentrer sur l’angle d’approche original ou la mise en avant d’informations rares ou inédites. La retranscription d’interventions de personnalités cinématographiques entre dans ce cadre.

Pour une analyse détaillée de I Wish, le lecteur se reportera aux nombreuses critiques qui devraient jaillir dans les prochaines semaines, comme les fleurs dans les champs avec l’arrivée du printemps. Passé cette métaphore champêtre sans doute inexacte, nos connaissances en botanique avoisinant dangereusement le néant, nous nous contenterons de présenter rapidement le métrage et de donner notre opinion en quelques lignes subjectives, avant de passer au cœur du sujet : la discussion entre les spectateurs et Kore-eda à la fin de la séance.
La valeur ajoutée de notre texte proviendra de ces propos, qui apportent un éclairage fort intéressant. Nous ne ferons pas de retranscription ligne à ligne mais plutôt des regroupements logiques : en raison de l’entremise de la traduction et de notre prise de notes partielle, nous ne pouvons guère prétendre à la citation fidèle. Nous organiserons les éléments pour en faire ressortir les idées clés.

Quelques révélations (ou spoilers en bon franglais) ponctueront notre retranscription. Elles seront masquées par défaut et il faudra cliquer sur le lien signalé pour les afficher (ce système fonctionne sous Firefox et Internet Explorer, merci de nous le signaler en cas de problème sur un autre navigateur). Bien qu’il soit toujours dommage de ne pas lire l’intégralité de notre prose, nous ne lui en tiendrons pas rigueur : il est toujours regrettable de savoir en avance que Keyser Söze c’est Kevin Spacey ou qu’en fait le docteur Malcolm Crowe est un fantôme.

I Wish You Were Here
Depuis le divorce de leurs parents, deux frères (Koki Maeda et Ohshirô Maeda) vivent séparés, l’un chez la mère et les grands-parents maternels à Kagoshima, près d’un volcan ; l’autre chez le père musicien, à Fukuoka.
Quelques jours avant la mise en circulation du Shinkansen [1] du Kyūshū [2] entre Fukuoka et Kagoshima, la région est en effervescence. Le grand frère entend dire que le croisement de deux trains à grande vitesse génèrera une énergie propre à réaliser les miracles [3]. Les deux frères décident alors, avec leurs amis, de se retrouver au lieu de croisement prévisionnel des trains, chacun ayant un souhait à réaliser.

N’ayant vu que trois long-métrages de Kore-eda sur ses huit, lacune que nous comptons bien combler d’ici peu au grand malheur de notre portefeuille, nous ne sommes pas bien placé pour tirer de grandes conclusions auteuristes. Bien que retrouvant certaines problématiques présentes dans Nobody Knows et Still Walking (famille, séparation, enfance, mort), nous avons surtout été frappé par la différence d’ambiance et de ton : I Wish se concentre sur des enfants joyeux et les scènes du quotidien sont filmées avec humour et bienveillance.
Malgré une légère baisse de rythme durant le deuxième quart, le film est un agréable voyage initiatique enfantin, où le chemin parcouru importe plus que la destination.

Cette rapide présentation terminée, nous avons brièvement songé à passer à my ouiche, une très bonne quiche sans pâte possédant de nombreuses variantes (dés de jambon, jambon/saucisses, saumon). Ce jeu de mots, même selon les critères peu élevés de ce blog, est cependant bien trop lamentable et il est préférable d’enchaîner directement sur les propos du réalisateur, bien plus pertinents que les nôtres.

Remettre sur les rails le spectateur plein d’entrain
D’après Kore-eda, I Wish se résumait au départ à une idée simple d’enfants allant voir le nouveau Shinkansen. Il pensait mettre en scène une histoire d’amour entre un garçon et une fille : ils se seraient rencontrés sur le quai et seraient tombés amoureux à fond de train.
Ses plans furent bouleversés lors des auditions par sa rencontre avec les deux acteurs principaux. Le grand frère, Koki Maeda, vint postuler pour le rôle principal en emmenant son petit frère Ohshirô Maeda.

Les frères Maeda sont deux comiques de télévision. Avant de tourner I Wish, ils étaient déjà assez connus mais n’avaient pas d’expérience cinématographique. Séduit par leur fougue et leur désir de vivre, Kore-eda décida d’engager les deux enfants, puis sélectionna leurs camarades.
Il les réunit et leur demanda de lui montrer leurs habits quotidiens, de lui dire leurs plats préférés et leurs habitudes. Il les observa, les écouta, puis modifia le scénario en combinant sa trame initiale avec leurs caractères.

La rencontre entre le réalisateur et les enfants fut déterminante.
Comme le souligne Kore-eda, (la suite comporte une petite révélation sur la fin du film, cliquez ici pour la lire)

Si le film respire la joie de vivre, c’est grâce aux enfants : leur santé et leur gaieté a contaminé toute l’équipe de tournage. Ils ont tiré l’histoire, réécrite au fur et à mesure, vers des aspects plus positifs.

Plus que les autres personnages, les deux acteurs principaux ont eu une influence déterminante sur les thèmes et la réussite du métrage, recentrant le film sur un élément absent de la trame initiale : la force de l’amour fraternel. Cet aspect est particulièrement bien retranscrit dans une scène fort appréciée de Kore-eda où les deux frères sont côte à côte en tenue de sport : leur amour et leur proximité renforçant leur ressemblance, il devient difficile de les distinguer l’un de l’autre.

Lors du tournage, les jeunes acteurs n’ont pas eu accès au scénario. Kore-eda leur expliquait les scènes au jour le jour, en comptant sur leur spontanéité et sans forcément les prévenir des détails des situations. Par exemple, lors de la scène de retrouvaille des deux frères sur le quai de la gare, le grand frère ne savait pas que son petit frère allait arriver avec des amis.

Quelques révélations sur la fin si vous cliquez ici


A la fin du tournage, le réalisateur demanda à la mère des frères Maeda comment elle avait fait pour avoir des enfants aussi vivants. Très simplement, elle leur avait donné ce seul conseil : si vous vivez sur une île déserte, il faut que vous puissiez vous en sortir.

Kore-eda, qui a eu une enfance sombre et difficile, garde un souvenir précieux de sa rencontre avec les frères Maeda : ils ont ouvert dans son cœur un petit coin de ciel bleu.
Le réalisateur a dédié I Wish à sa fille de 4 ans [5]. Lorsqu’elle aura 10 ans, ce film, espère-t-il, l’aidera à comprendre que la vie vaut la peine d’être vécue [6].

Informations supplémentaires pour lecteur curieux
Outre ces précisions sur le film, deux éléments ont été relevés lors de la discussion avec les spectateurs, réponses à des questions plus ou moins pertinentes. Nous ne jetterons pas la pierre à ces interrogateurs du lundi soir : nous n’avions pas nous-mêmes de question pertinente à poser et nous ne transportons pas de cailloux dans les cinémas. De toute façon, le réalisateur s’arrangea pour rendre chaque réponse intéressante.

1) Quelle influence cinématographique ?
Nous le constatons trop souvent, le spectateur occidental aime rattacher les films japonais au petit groupe de réalisateurs nippons bien connus (Kurosawa, Mizoguchi et Ozu). Un spectateur rapprocha ainsi I Wish de Gosses de Tokyo d’Ozu. Bien qu’honoré de la comparaison, Kore-eda la rejeta respectueusement.
Il préféra connecter son film à des réalisateurs comme Truffaut et Hou Hsiao-hsien, mâtiné d’une vision moderniste liée à l’attirance des enfants pour le Shinkansen, symbole de la technologie japonaise.

2) Tourner à l’étranger ?
Kore-eda aimerait travailler un jour en dehors du Japon. Il a un projet de film au Brésil : l’histoire suivrait la vie d’un immigré japonais au Brésil en 1945, pendant la seconde guerre mondiale. Ce projet est toutefois trop cher et n’est pas d’actualité.
Après réflexion et, espérons-nous, uniquement par politesse, il ajouta qu’il aimerait également tourner un jour un film en France avec des acteurs français. Cette proposition emballa le public de la salle mais nous laissa dubitatif, vu le jeu généralement catastrophique des acteurs dirigés par un réalisateur ne parlant pas leur langue et la qualité relative de nombre d’acteurs français contemporains.
En attendant, il poursuit sa carrière au Japon et commence un nouveau tournage fin mars 2012. Ce sera encore une histoire de famille.


Au final, cette soirée fut doublement enrichissante, à la fois pour la qualité du film visionné et pour l’intérêt des propos du réalisateur après la séance.
I Wish sort en salles le 11 avril prochain, probablement dans un nombre réduit de salles et sur une durée très courte, comme d’habitude avec les films asiatiques. Nous espérons qu’il trouvera son public.


[1]Train à grande vitesse japonais.
[2]Une des quatre îles principales du Japon, la plus au Sud de l’archipel.
[3]Le titre original du film, Kiseki (奇跡), signifie littéralement « miracle ».
[4]Un spectateur souligna le rapprochement possible entre les deux films, les enfants de I Wish se découvrant dans l’éloignement parental au lieu d’être, comme dans Nobody Knows, engloutis par la solitude. Cette interprétation fut toutefois relativisée par Kore-eda, qui précisa qu’il n’avait pas cette idée à l’esprit lors du tournage.
[5]Kore-eda a l’habitude de dédier ses films. Il avait dédié Still Walking à sa mère, décédée peu avant.
[6]Et que les animaux ne ressuscitent pas, pourrions-nous ajouter. Elle comprendra alors que Nemo le poisson rouge, qui flottait à la surface du bocal quelques jours auparavant, n’est pas revenu d’entre les morts en changeant légèrement de taille, contrairement à l’explication donnée par ses parents. Il est parti dans le monde merveilleux des toilettes et a été remplacé par son ami Nemo 2.

3 commentaires:

  1. Oh que j'aurais aimé assister à cette séance! Merci d'avoir partagé vos impressions (je suis tout de même un peu jaloux). Il y a quelques mois j'avais consacré une petite note de blog à ce film: j'avais dû me creuser la tête pour: éviter les spoilers; ne pas donner aux lecteurs l'impression démoralisante que, les protagonistes étant des enfants trop trop mignons, il pouvait s'agir d'une version nippone du Petit Nicolas; dissimuler mon ignorance de la filmographie et des méthodes de travail de Kore-Eda. Ce billet répond à bien des questions que je me posais. Je regrette bien de n'avoir découvert votre blog que récemment (par un lien sur le blog des cinéphiles incorrigibles): j'ai été soulagé de lire que Kore-Eda suggérait spontanément une connection avec le cinéma de Truffaut (qui m'était venue à l'esprit, mais c'était pure spéculation de ma part).
    Merci pour votre blog, j'espère bien y lire bientôt de nouvelles notes, si le temps vous le permet!

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  2. Merci de votre commentaire. Nous étions au Japon jusqu'à récemment et nous ne consultions nos messages qu'occasionnellement.

    Nous manquons malheureusement de temps depuis plusieurs mois pour alimenter ce blog. Si cela vous intéresse, vous pouvez toutefois lire notre dernière critique sur DVDClassik (dans une optique différente de celle de ce blog) : http://www.dvdclassik.com/article/changements-de-tetes-de-georges-melies-a-david-lynch

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  3. Merci pour cette information: j'ai pris note du lien, et je reviendrai sûrement souvent visiter DVD Classik!

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