vendredi 28 mai 2010

Nobody expects the Spanish inquisition : La réception de La vie de Brian en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis

Nous n’allons pas nous livrer à une analyse approfondie du contenu de The Life of Brian (La vie de Brian en français) : nous n’avons pas les connaissances historiques suffisantes et nous ne souhaitons pas nous faire lapider à coups de figues molles, bien que le sujet s’y prête. Nous n’aimons pas gâcher la nourriture.

Nous souhaitons ici nous faire la main en dressant quelques pistes d’analyses historiques. Le choix de La vie de Brian est motivé par :
• La polémique lors de sa sortie, qui permet une réflexion sur la réception des films ;
• Son cadre historico-religieux, soit la province romaine de Judée au 1er siècle après JC.
Un film qui se prête bien à étude, notre objectif, sans tomber dans la facilité, n’étant pas de faire le chemin de croix.

Burn! Burn!
Les conditions de création et de diffusion du film sont données par Robert Sellers dans Always Look on the Bright Side of Life. Nous ne sommes pas incrédules comme Saint Thomas, aussi ferons-nous confiance aux faits fournis par cet ouvrage.

Nul n’étant prophète en son pays, La vie de Brian sortit d’abord aux Etats-Unis, le 17 août 1979 à New York. En 1977, un journal gay avait été condamné en Grande-Bretagne pour avoir publié un poème sur un centurion romain homosexuel ayant un penchant pas très catholique pour le Christ : avant cette affaire, la dernière condamnation pour blasphème en Grande-Bretagne remontait à 1922.
Les Etats-Unis avaient été choisis car la liberté de parole et de religion étaient ancrées dans la Constitution, le premier amendement protégeant les films depuis 1952 [1].

Les attaques des organisations religieuses débutèrent dès le 19 août 1979. A la surprise des Monty Python, le premier à jeter la pierre fut le rabbin Abraham Hecht, président de l’Alliance rabbinique américaine, qui déclara dans un communiqué à la presse que La vie de Brian constituait « une attaque vicieuse contre le Judaïsme ». Il estimait que « le blasphème et le sacrilège ne sont pas protégés par le premier amendement » et que ce crime ne pouvait être toléré. Il concluait que continuer à projeter le film pourrait engendrer des actes de violence [2].

Il fut rapidement rejoint dans la critique par des organisations chrétiennes, qui ne voulaient pas être les premières pour ne pas être les dernières. Quelques jours après le rabbin, le porte-parole de l’archidiocèse catholique de New York déclarait que La vie de Brian « est le film le plus blasphématoire que j’ai vu » et considérait qu’il constituait un crime contre la religion [3]. Des griefs similaires furent également formulés par les protestants.

Grâce à ces protestations, La vie de Brian bénéficia d’une énorme publicité de scandale, et, loin de vivre un calvaire, connut un grand succès : il récolta 20 millions de dollars sur le territoire américain. Comme le résuma John Cleese quelques années plus tard, en bon Samaritain, à propos des bruyants détracteurs : « Ils m’ont rendu riche. J’ai l’impression qu’on devrait leur envoyer une coupe de champagne ».

En Grande-Bretagne, les organisations religieuses tentèrent dans un premier temps d’influencer la commission de censure et, après leur échec, afin de ne pas boire le calice jusqu’à la lie, encouragèrent leurs membres à militer contre le film.
En réaction, loin de prendre le chemin de Damas, les Monty Python lancèrent une campagne de publicité radio provocatrice. A noter notamment cette publicité où la mère de John Cleese, 80 ans, explique que son fils lui a dit que « si [le film] ne marche pas bien, il ne sera pas capable de me garder à la maison [de retraite] plus longtemps. Donc allez voir La vie de Brian parce que j’ai 102 ans et si je devais partir ça me tuerait » [4].

Lors de la sortie nationale du film, les organisations religieuses firent pression au niveau local, et le film fut interdit dans plusieurs villes et régions de Grande-Bretagne : cette interdiction dura plus de 20 ans dans certaines villes.

Au niveau international, le film fut interdit en Norvège pendant un an [5] et en Irlande pendant 8 ans, et suscita des polémiques dans la plupart des pays occidentaux.

L’analyse de la réception montre un fort rejet de La vie de Brian par des organisations chrétiennes et juives très mobilisées, en particulier dans les pays anglo-saxons. Comment expliquer une telle mobilisation contre un film comique réalisé par une bande d’anglais farfelus adeptes du non-sens et de la provocation ?
Il serait intéressant ici de situer le film dans son époque, en s’interrogeant sur la popularité des Monty Python en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis lors de la sortie du film, sur les réactions des organisations religieuses face à d’autres films blasphématoires durant la deuxième moitié des années 70, sur la volonté d’endiguer une nouvelle religion qui ferait de John Cleese notre sauveur…

Mais à chaque jour suffit sa peine, nous ne nous lancerons pas dans cette étude. Nous nous contenterons d’une réflexion sur l’histoire racontée dans La vie de Brian et sur ses conséquences : en quoi le contenu de ce film est-il si blasphématoire qu’il nécessite une réaction immédiate et forte des organisations religieuses ?

« For life is quite absurd and death's the final word »
Du point de vue du contenu historique, le film est généralement considéré comme assez juste, tant au niveau des costumes et des décors que de l’environnement sociopolitique de l’époque.
Ce point de vue est résumé dans l’article du Guardian d’Alex von Tunzelmann, « Life of Brian: birth, blessings and blasphemy », qui conclut : « Historically speaking, there's no reason to stop looking on the bright side of life » (nous ne traduisons pas pour ne pas massacrer le jeu de mots).

Plus intéressant pour notre tentative de comprendre la réaction des organisations religieuses, La vie de Brian est signifiant du point de vue religieux. Et pas uniquement comme caricature amusante.
D'après Kevin Schilbrack, le film ne critique pas le personnage de Jésus, qui est traité de façon respectueuse, ou la croyance des Chrétiens mais la façon dont certains croyants croient. Il se moque du dogmatisme de certains religieux et des autorités religieuses. Pour Terry Jones, « La vie de Brian n’est pas blasphématoire car il prend l’histoire biblique comme parole d’évangile : vous devez comprendre et connaître l’histoire de la Bible pour comprendre vraiment le film. C’est hérétique parce qu’il se moque de la façon dont l’église représente cette histoire. L’hérésie c’est essentiellement parler contre l’interprétation de l’église, pas contre la croyance fondamentale ».

La vie de Brian n’est donc ni blasphématoire ni antireligieux. Philip R Davies, professeur d’études bibliques à l’université de Sheffield, a écrit un article intitulé « Life of Brian Research » dans lequel il estime même que « La vie de Brian est une base indispensable pour tout étudiant qui se destine à des études sur le Nouveau Testament ». Et si vous n’êtes pas d’accord, nous nous en lavons les mains.

Philip R Davies est associé à l’école de Copenhague, qui ne pas considère pas les textes bibliques comme faits historiques ou réalité objective mais comme une construction littéraire basée sur des faits réels. Ce minimalisme biblique, qui a vu le jour vers la fin des années 60, se situe dans une perspective complètement différente des organisations traditionnelles à l’origine des attaques contre La vie de Brian.

La première partie de l’article établit la justesse historique du film, tant du point de vue des sources bibliques que non bibliques. L’abondance des références pertinentes dans le film ne peut être due au hasard : elle montre une bonne connaissance et une utilisation intelligente des sources par les Monty Python, ce qui n’est guère surprenant quand on connaît la passion de Terry Jones pour l’Histoire.
La seconde partie se fonde sur cette justesse pour en tirer un sens théologique : le film La vie de Brian ne fait pas que parodier la vie de Jésus et certaines formes conventionnelles de piété chrétienne, il affirme également un autre groupe de valeurs en humanisant le Christ via le personnage de Brian, en ridiculisant les autorités et la volonté de rédemption, en donnant le premier rôle au peuple et en stigmatisant l’incompétence. La vie de Brian pourrait dès lors être considéré comme un contre-texte, à l’instar des Ecclésiastes, et mériterait sa place dans le canon de la théologie chrétienne.

Bilan
Compte tenu de ces éléments, les réactions très vives des organisations chrétiennes et juives traditionnelles pourraient être perçues comme nécessaires dans une logique de lutte d’influence, à une période où le conservatisme revenait au premier plan, tant en Grande-Bretagne (victoire des conservateurs de Thatcher en mai 1979) qu’aux Etats-Unis (où les communautés évangéliques se réorganisaient et se politisaient à travers la Nouvelle Droite Chrétienne).
Se voyant attaquées dans leur autorité par La vie de Brian et devant le risque de se faire déborder par des organisations plus conservatrices qu’elles, les organisations traditionnelles auraient senti le besoin de réaffirmer leur présence et leur influence sociétales et d’exprimer leur rejet des approches minimalistes des textes bibliques.
Nous n’allons pas crier sur tous les toits cette explication : il faudrait l’étayer par une analyse plus rigoureuse des motivations des acteurs religieux ayant participé à la critique du film à l’époque. Toutefois, ce type d’analyse historique rapide permet de relever des éléments intéressants sur un film et sur une époque :
• Sur le film en tant que tel, la justesse historique du film ne semble pas être le fruit du hasard, et le film, plus qu’une simple parodie, est porteur de valeurs.
• Sur la société, l’analyse croisée de la réception et du contenu permet de soulever des problématiques de positionnements idéologiques et de luttes de pouvoir au sein des organisations religieuses dans les pays anglo-saxons.
And now for something completely different…


[1] Suite à une décision de la Cour Suprême rejetant l’annulation pour sacrilège de la licence de projection du court métrage Il Miracolo de Rossellini.
[2] « ‘Blasphemous’ - Rabbis attack Python movie », Ottawa Citizen, 27 août 1979, p.38.
[3] « Python film comes under more fire », The Montreal Gazette, 31 août 1979, p.39.
[4] Publicité présente en bonus du DVD Immaculate Edition anglais.
[5] Interdiction que récupéra la campagne marketing suédoise en proclamant : « Le film est tellement drôle qu’il a été interdit en Norvège ».


Sources bibliographiques :
« The Secret Life of Brian », documentaire diffusé par Channel 4, 2007.
Philip R. Davies, « Life of Brian Research », p.400-414 dans J. Cheryl Exum et Stephen D. Moore (eds.), Biblical Studies/Cultural Studies: The Third Sheffield Colloquium, Coll. « JSOTSup 266 ; Gender, Culture, Theory 7 », Sheffield : Sheffield Academic Press, 1998.
Kevin Schilbrack, « “Life’s a Piece of Shit”: Heresy, Humanism, and Heroism in Monty Python’s Life of Brian », p.13-24 dans Gary L. Hardcastle et George A. Reisch (eds.), Monty Python and philosophy: nudge nudge, think think!, Coll. « Popular Culture and Philosophy vol.19 », Peru : Open Court Publishing Company, 2006.
Robert Sellers, Always Look on the Bright Side of Life: The Inside Story of Handmade Films, London : Metro Publishing, Ltd., 2003.
Alex von Tunzelmann, « Life of Brian: birth, blessings and blasphemy », guardian.co.uk, 25 décembre 2008.

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