mercredi 2 juin 2010

Y’en a partout : dissection du film de zombies

Cette note sera partielle et partiale : nous nous limiterons essentiellement aux productions anglophones, excluant en grande partie l'aspect italien. Peu de Fulci, de Mattei, ou d'autres réalisateurs en nom en i. La présentation restera donc incomplète mais, après tout, une présentation sur les zombies à laquelle il manque des bouts nous semble assez logique.

Un bout de l’histoire des films de zombies
Nous ne nous lancerons pas dans une grande étude sur les origines du zombie à travers les âges. Non qu'une telle étude soit pourrie, mais ce n'est pas notre propos.
Le mot zombi ou zombie [1] a des origines incertaines : d’après notre ami Robert, « Zombi ou zombie n.m. est emprunté (1832) à un mot créole haïtien, lui-même d’une langue africaine probablement parlée au Dahomey (Bénin), source du vaudou haïtien (cf. en tchilouba nzambi « dieu » et zumbi « fétiche ») [2]. ». Le Merriam-Webster estime, quant à lui, que le mot zonbi, du créole de Louisiane ou d'Haïti, a une origine bantou et se rapproche du mot kimbundu (une langue pré coloniale africaine) nzúmbe – qui veut dire fantôme.
Nous nous garderons bien de trancher car nous pouvons sûrement trouver des bouts de Vérité un peu partout. La police n'a pas encore réussi à identifier les meurtriers de la petite Vérité et elle continue son enquête.

Dans tous les cas, les divers dicos s'accordent pour rattacher le zombie au vaudou. Cette origine se retrouve dans le premier film de zombies, White Zombie, dont l’action se situe à Haïti et qui rattache les zombies à un maître vaudou (joué par Bela Lugosi). Inspiré d’une pièce de Broadway intitulée Zombie, le film fut produit et réalisé de façon indépendante par les frères Halperin et sortit en juillet 1932. Il essayait de surfer sur la mode des films fantastiques Universal (Dracula et Frankenstein), tout en jouant sur l’intérêt relatif que pouvait porter le public à Haïti, sous occupation américaine de 1915 à 1934.
White Zombie est un mélo mou du genou qui connut un demi-succès, le film ayant relativement bien marché pour une production indépendante. Il fut surtout redécouvert rétrospectivement, après l'explosion du film de zombies vers la fin des années 60 et au delà. Il existe en DVD, les pellicules décrépies ayant pu être rénovées par des procédés que nous tairons afin de ne pas tomber dans le gore.

Quelques autres films exploitant le thème des zombies (re)virent le jour dans les années 40 et 50, séries B rapidement enterrées et qu'aucun savant fou n'a pour l'instant eu l'idée de ressusciter. Mentionnons tout de même le regardable I Walked With a Zombie de Tourneur.
Les années 60 virent un accroissement important du nombre de films de zombies, avec des productions telle que le mexicain Santo contra los Zombies [3] ou l’improbable The Incredibly Strange Creatures Who Stopped Living and Became Mixed-Up Zombies.

Il fallut attendre 1968 pour que le genre s'extirpe de l'anonymat et de la tombe, avec le mythique Night of the Living Dead de George Romero. Réalisé avec un tout petit budget, le film s'inspirait au niveau scénaristique de Je suis une légende de Matheson. Sur le plan visuel, il se détachait de la base vaudou et de son imagerie associée, et rappelait les dernières scènes de Carnival of Souls.
Dans 26 secondes : L'Amérique éclaboussée et dans Politique des zombies, Jean-Baptiste Thoret resitue le film dans son époque en dissociant Night of the living dead, film « gore réaliste » des films « gores festifs » comme Blood Feast de Herschell Gordon Lewis : l’essentiel, dans le film de Romero, n’est pas l’aspect gore mais la critique de la société américaine, la dénonciation de la violence, du racisme et de l'autodéfense. L’esthétique documentaire du film fait écho aux bandes d’actualité et montre le climat qui régnait aux Etats-Unis en pleine guerre du Vietnam, 5 ans après l’assassinat de Kennedy et 6 mois après l’assassinat de Martin Luther King. La frontière entre le gentil et le méchant, le Soi et l’Autre, s’effondre : le mal n’est plus extérieur mais intérieur.
Cette critique sociétale de Night of the living dead fut reprise dans les deux suites réalisées par Romero, Dawn of the Dead [4] et Day of the Dead. Elle positionnait Romero dans une logique type Nouvel Hollywood et en marge des films d’horreur de l’époque produits par l’AIP de Corman ou la Hammer.

Ce n’est toutefois pas l’aspect engagé qui révolutionna le genre. A partir de Night of the living dead, le film de zombies ne tourna plus autour du vaudou ou des Antilles [5] : l'accent fut dorénavant mis sur la propagation de la zombitude et sur l'aspect gore et violent des zombies. Les années 70 et 80 connurent, aux Etats-Unis et en Italie, une explosion du film de zombies : les bouts en résultant peuvent encore se trouver de nos jours dans les DVDthèques de certains cinéphiles nécrophages.
Plusieurs films se nourrirent de l'effet de mode, telle la trilogie des Return of the Living Dead ou les deux Zombi de Fulci, nommés Zombi 2 et Zombi 3 pour sucer le jus de l'effet promotionnel du Zombie de Romero.
Dans les années 90, le genre connut un certain ralentissement, Braindead et Dellamorte Dellamore sauvant la décennie de la déliquescence.

Mais, à l'instar du zombie poursuivant le pauvre hère, le ralentissement n'empêcha pas de rattraper le public avec le succès de 28 jours plus tard [6] en 2002 et plus récemment de Bienvenue à Zombieland. Romero lui-même remit ses mains dans les entrailles et réalisa deux nouveaux opus, Land of the Dead en 2005 et Diary of the Dead en 2007. On ne tue pas aussi facilement un genre qui peut revenir de la mort.
Ce retour en force du film de zombies peut, selon Sylvestre Meininger, être associé à la déstabilisation des repères résultant des attentats du 11 septembre 2001 : le genre met en avant notre terreur face à l’écroulement du monde actuel et notre nostalgie de l’ordre disparu. A l’inverse de la trilogie de Romero, ce ne sont plus les problèmes et contradictions de la société qui sont soulignées mais, au contraire, les conséquences négatives qu’engendrerait l’annihilation de la société.

Comment reconnaître un zombie dans la rue ?
Après cet historique rapide, attardons-nous un peu sur les grandes caractéristiques du genre. Des esprits facétieux s'amuseront probablement à trouver des failles en citant des exemples tirés de leur visualisation perverse de films obscurs, voulant prouver par le contre-exemple la vanité de notre noble tâche.
Comme, à l'instar d'aujourd'hui, il nous arrive d'être poli, nous signalerons que nous cherchons à tirer des conclusions générales, valables dans les grandes lignes et dans la majorité des cas. Et celui qui commencera à nous sortir des critères de scientificité épistémologiques ou méthodologiques pourra aller voir là-bas très loin si nous y sommes.

Le zombie n’est pas reconnaissable dans l’absolu : ainsi, dans un bon nombre de films, les héros mettent du temps à comprendre que Bob n’est pas seulement un peu fatigué après une semaine de boulot et qu’il y a quelque chose de bizarre dans son comportement. Le film de zombies ne se définit donc pas par la présence de zombies mais par un contexte et un certain nombre de caractéristiques qui amènent à requalifier a posteriori les perturbateurs en « zombies ». D’où le classement de 28 jours plus tard dans les films de zombies.

Nous allons tenter d'expliciter les caractéristiques de la plupart des films de zombies post Nuit des morts-vivants [7] :
• Le film de zombies, aussi appelé amicalement films de zomb', comporte toujours un petit groupe de personnages, héros de l'histoire, qui tentent de survivre face à un groupe toujours plus grand de zombies. Ce petit groupe devient de plus en plus paranoïaque au fur et à mesure qu'avance le film : ils se rendent compte que la zombitude est contagieuse – bien qu'ils ne sachent généralement pas comment – et qu'ils ne sont pas à l'abri. Le groupe se réduit doucement et les survivants doivent combattre leurs anciens camarades.

• Le zombie peut assimiler ou contaminer tout individu pour en faire un autre zombie. L'individu en question ne peut enrayer le processus de transformation en zombie, quelque soit ses motivations, même si une extrême volonté peut parfois retarder l'échéance.

• Le zombie est coriace, on ne l'élimine pas facilement. La transformation en zombie entraîne un processus de déshumanisation : le nouvel être n'est plus sensible à la mort dans le sens où les êtres humains l'entendent. On notera cependant qu'exploser la tête reste un moyen assez sûr pour se débarrasser d'un zombie. On remarquera en outre, de façon assez curieuse, que la zombification a une fâcheuse tendance à ralentir sérieusement les êtres contaminés. Heureusement que les héros, compatissants, font des efforts pour attendre leurs poursuivants zombies, que ce soit en ne trouvant pas la bonne clé, en tombant, en se foulant la cheville ou en se trompant de chemin pour sortir.

• Compte tenu des thèmes abordés, le genre, malgré ses apparences de divertissement gore, propage un message assez paranoïaque. A l’instar des communistes, les zombies sont partout : votre ami(e) le (ou la) plus proche ou votre famille peuvent être contaminé(e)s, on ne peut faire confiance à rien ni personne. Et ils mangent des bébés. Les films de zombies prennent alors un malin plaisir à montrer les bassesses de la nature humaine face à l'adversité, les extrémités qu'amènent la paranoïa, les choses horribles que l'homme est prêt à faire pour assurer sa survie. On retrouve ici des problématiques proches des survival movies. C'est également dans l'adversité que se reconnaissent les vrais héros : l'individu fourbe et lâche cachera sa zombification autant que possible, tandis que le héros courageux, devant sa transformation inéluctable, se sacrifiera pour sauver ses compagnons d'infortune.

• Le dernier élément notable du film de zombies est sa fin pessimiste. La zombification de l'humanité est inévitable et on ne peut au mieux que la retarder.
Vous savez à présent comment reconnaître un film de zombies. Il ne reste plus qu'à espérer que cela vous fasse réfléchir à ce que vous ferez quand l'humanité se zombifiera, que ce soit à cause d'une entité extra-terrestre, d'un virus inconnu, de mouches qui transforment en zombie par leur piqûre (oui oui, l'imagination des scénaristes n'a pas de limite, cf. Infested) ou de la propagation de l'idéologie communiste dans le monde (ah mince, ça ne marche plus).
Vous devrez alors massacrer sans pitié tous vos proches, zombies avérés ou potentiels. D'ailleurs, si ça se trouve le phénomène a déjà commencé, et nous nous méfierions à votre place...


[1] Les deux orthographes sont acceptées en français. Sous l’influence de l’anglais, zombie a aujourd’hui pris le dessus. Puisque nous avons une fâcheuse tendance à utiliser la langue de Shakespeare et Romero, nous nous servirons de cette seconde version.
[2] Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris : Le Robert, 2007.
[3] Santo est un lutteur mexicain qui a la sale manie de tomber sur tous les trucs surnaturels qui passent par le Mexique, et il y en a un paquet. Santo contra los zombies est le premier Santo tourné au Mexique (il existe 2 Santo antérieurs tournés à Cuba). Il y affronte des zombies façon vaudou manipulés par un appareil électrique accroché à leur ceinture. Les zombies ressemblent à des peones fatigués après une mauvaise nuit et le film n’est pas d’un grand intérêt.
[4] Connu en français sous le titre Zombie ou Le crépuscule des morts-vivants. Traditionnellement, Zombie désigne la version du film remontée par Dario Argento avec la musique des Goblins, tandis que Le crépuscule des morts-vivants fait référence au film original monté par Romero. La version la plus connue dans l’hexagone est celle d’Argento, distribuée en DVD.
[5] A quelques exceptions près comme le mineur L'emprise des ténèbres de Wes Craven.
[6] Nous connaissons l’argument de Danny Boyle selon lequel 28 jours plus tard ne serait pas un film de zombies, les « monstres » n’étant pas morts mais contaminés par un virus. Nous répondrons de façon très constructive : Bullshit. Shaun of the Dead se moque d’ailleurs de cette volonté de ne pas désigner un zombie pour ce qu’il est.
[7] Les films de zombies vaudou ont des caractéristiques différentes, les zombies étant créés et contrôlés par un sorcier.


Sources bibliographiques
Sylvestre Meininger, « Sur les écrans de l’apocalypse. Le retour des morts-vivants », Le Monde Diplomatique, http://www.monde-diplomatique.fr/2008/03/MEININGER/15705, mars 2008.
Jamie Russell, Book Of The Dead: The Complete History Of Zombie Cinema, Surrey: Fab Press, 2005.
Jean-Baptiste Thoret, 26 secondes : L'Amérique éclaboussée, Paris : Rouge Profond, 2003.
Jean-Baptiste Thoret (dir.), Politique des zombies : L'Amérique selon George A. Romero, Coll. « Les grands mythes du cinéma », Paris : Ellipses Marketing, 2007.

Films cités (en l’absence de précision, le film existe en DVD français)
28 Days Later... (28 jours plus tard) de Danny Boyle (2002)
Blood Feast (Blood Feast) de Herschell Gordon Lewis (1963)
Braindead (Braindead) de Peter Jackson (1992) : existe en DVD US
Carnival of Souls (Carnival of Souls) de Herk Harvey (1962)
Dawn of the Dead (Zombie) de George Romero (1978)
Day of the Dead (Le jour des morts-vivants) de George Romero (1985)
Dellamorte Dellamore (Dellamorte Dellamore) de Michele Soavi (1994)
Diary of the Dead (Diary of the Dead - Chroniques des morts-vivants) de George Romero (2007)
Dracula (Dracula) de Tod Browning (1931)
Frankenstein (Frankenstein) de James Whale (1931)
Infested (Infested) de Josh Olson (2002)
I Walked With a Zombie (Vaudou) de Jacques Tourner (1943)
Land of the Dead (Land of the Dead, le territoire des morts) de George Romero (2005)
Night of the Living Dead (La nuit des morts-vivants) de George Romero (1968)
Return of the Living Dead (Le retour des morts-vivants) de Dan O'Bannon (1985)
Return of the Living Dead Part II (Le retour des morts-vivants 2) de Ken Wiederhorn (1988)
Return of the Living Dead III (Le retour des morts-vivants 3) de Brian Yuzna (1993)
Santo contra los Zombies de Benito Alazraki (1962) : les rares DVD que nous avons trouvés semblent pirates. Nous avons vu le film dans une copie de mauvaise qualité en espagnol non sous-titré.
The Serpent and The Rainbow (L'emprise des ténèbres) de Wes Craven (1988)
Shaun of the Dead (Shaun of the Dead) d’Edgar Wright (2004)
The Incredibly Strange Creatures Who Stopped Living and Became Mixed-Up Zombies de Ray Dennis Steckler (1964) : existe en DVD US mais nous n’avons pas vu ce truc.
White Zombie (White Zombie) de Victor Halperin (1932)
Zombi 2 (L’enfer des zombies) de Lucio Fulci (1979)
Zombi 3 (Zombie 3) de Lucio Fulci (1988)
Zombieland (Bienvenue à Zombieland) de Ruben Fleischer (2009)

2 commentaires:

  1. Oui, euh, bonjour, je viens de découvrir ce blog, c'est pas mal, bon, clairement l'auteur pompe un peu Terry Pratchett dans le style, mais bon.
    Et alors sinon, ouais, le truc sur les zombies, c'est bien, mais alors, quitte à faire une étude sur l'aspect sociétal du zombie, moi je trouve que l'auteur élude un peu rapidement le sujet alors qu'il y aurait eu matière à développer un peu plus. Non, parce que, c'est bien de parler du 11 septembre, mais bon, ça commence à dater, mec, hein, faux sortir, Zombieland, c'est quand même 7 ans après. Alors que par contre, le côté épidémie, anthrax et grippe A, alors ça, on n'en parle pas ! Alors que excusez moi, mais justement, toute cette nouvelle vague de zombie-virus qu'on se prend dans la gueule ces temps-ci (tiens, d'ailleurs, le gars, il parle pas de [REC] alors que quand même quoi !), c'est quand même vachement lié à la grippe A, c'est sûr qu'on traite pas le sujet du zombie de la même façon quand l'OMS passe son temps à déclencher l'alerte orange foncée de pandémie mondiale qui va réduire l'humanité en cendres. Parce que ça, ç'aurait été pertinent. AMHA. Enfin, moi, j'dis ça, j'dis rien. Et aussi, le niveau baisse, les permières notes étaient mieux, et puis y a pas assez de mises à jour.

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  2. La résurgence du genre n'est pas liée directement à l'aspect pandémie mais la sortie de 28 jours plus tard a bénéficié d'un "heureux" hasard : le film est sorti en Grande-Bretagne le 1er novembre 2002 et dans le reste du monde courant 2003, soit en plein pendant l'épidémie de SRAS (novembre 2002-juillet 2003). Cet aspect a probablement contribué au succès du film, qui faisait écho à l'actualité.

    Contrairement à ce qu'en pense Danny Boyle, le côté viral, loin de distinguer 28 jours plus tard du genre, a plutôt contribué à faire du virus un élément explicatif et narratif des films de zombies ultérieurs. Cet aspect n'est donc pas négligeable et fait sans doute partie des facteurs explicatifs de la popularité du zombie depuis quelques années, nous le reconnaissons.

    Pour les autres remarques, nous vous suggérons d’écrire une lettre de protestation à l’Association Française des Ninjas, 5 rue Suicaché, 75526 Paris Cedex 21. Vos remarques seront alors prises en considération et transmises à qui de droit.

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