mardi 28 juin 2011

Le tombeau de l'arbre du Texas

Afin de meubler un peu ce blog et puisque nous n’avons pas le temps de faire régulièrement des articles détaillés sur des sujets qui nous tiennent à cœur, nous avons décidé, unilatéralement avec nous-mêmes, d’écrire, une fois toutes les 2 semaines environ modulo 1 à 2 semaines, de petites critiques sur des films vus durant la période écoulée.
La critique de films n’est pas dans nos habitudes et nous demandons l’indulgence des lecteurs. C’est en pratiquant cet exercice que nous pourrons nous améliorer. De toute façon, étant administrateur de ce blog, nous ne manquerons pas de censurer allègrement tout manque d’indulgence.

Nos critiques seront organisés en 2 ou 3 parties : le résumé de la trame en quelques lignes, un petit avis bien subjectif et, à l’occasion, quelques digressions plus ou moins en rapport avec le film.
Sauf volonté de nuire à un certain type de film ou de public, nous essaierons de ne pas trop révéler de moments clés ou de prévenir le lecteur dans le cas contraire.

Bien qu’elle ne soit plus aussi débordante que durant notre ère estudiantine, notre consommation cinématographique reste à un niveau correct, avec en moyenne une dizaine de films par semaine.
Nous n’allons pas tout critiquer ici. Nous nous concentrerons sur 3 à 5 films pour lesquels nous pensons pouvoir écrire quelques lignes potables.
Pour ce premier essai, nous soliloquerons sur les films suivants :
The Tree of Life
Le Tigre du Bengale & Le Tombeau Hindou (version 1938)
Le traître du Texas

The Tree of Life de Terrence Malick (2011)
Actuellement au cinéma

Pitch :
Jack adulte (Sean Penn) est tourmenté en voix off parce que son petit frère est mort trop jeune. Dans sa jeunesse, son père (Brad Pitt) n’était pas gentil et, du coup, Jack jeune il n’était pas sympa non plus. Heureusement, sa mère avait la grâce.

Avis :
Avant d’aller le voir, nous avions déjà entendu et lu nombre d’avis sur le dernier Malick. En résumé, la partie centrale sur l’enfance de Jack était bien mais le reste était trop long, chiant et inutile.
Après visionnage, nous ne contesterons pas que le film puisse susciter un ennui certain. Par contre, nous tenons à revenir sur la soi-disant inutilité de certaines scènes : loin d’être vaines, elles changent la perspective et le sens du récit.
A première vue, l’histoire s’articule autour de l’enfance de Jack. La plupart des résumés du film, y compris le nôtre, se concentrent uniquement sur ce point. La relation avec le père et la mort du frère sont placées au centre du récit, le reste n’étant que prêchi-prêcha.
En approfondissant un peu, une autre vision émerge : Malick nous conte ici une histoire de grâce, dans le sens religieux du terme. Le sous-texte religieux est présent dès le titre, « L’arbre de vie », symbole interreligieux de l’immortalité dans la Bible et des lois de l’univers dans la Kabbale. Une lecture à travers le prisme de la grâce donne sens à toutes les scènes :
• La partie de création de l’univers se justifie par sa fin, où un dinosaure, dans un geste de bonté désintéressée, en épargne un autre sur le point de mourir. Plus que la création du monde, Malick nous montre l’émergence de la grâce. Tout ça pour ça ? Bah oui, mais faut croire que Malick voulait absolument mettre des dinosaures dans son film, même s’ils manquaient singulièrement de plumes ;
• L’enfance de Jack expose son tiraillement entre la bonté de sa mère et l’intransigeance de son père, image d’un conflit entre le Bien et le Mal ;
• La mort du frère de Jack déstabilise sa mère et met à mal sa croyance en la bonté ;
• La reconnaissance par Jack de l’amour qu’il porte à son frère décédé et à son père l’amène, par le pardon et un trip new age, à l’absolution et à la paix d’esprit. Cette reconnaissance permet également à sa mère d’accepter le deuil et de retrouver la grâce.
Bien que poussée à l’extrême dans The Tree of Life, la grâce constituait déjà un élément important de La ligne rouge et du Nouveau monde : les deux films se demandaient comment la grâce peut exister dans un environnement violent et cynique, à travers la focalisation sur un individu exceptionnellement bon.

Il est possible, et c’est notre cas, de ne pas accrocher particulièrement au scénario de The Tree of Life mais nous pensons qu’il n’est pas juste de ne retenir que la partie de l’enfance : cette dernière ne constitue qu’un épisode d’une histoire plus globale et l’extraire du tout donnerait un film différent.

Enfin, quoi que nous puissions penser du scénario, il convient de noter la qualité de la réalisation, du pur Malick, parfois jusqu’à la caricature, à base de montage rapide, de voix off sur scènes contemplatives et d’inserts d’images de nature. Ca peut sembler facile dit comme ça mais Malick reste le seul à savoir le faire, et il faut reconnaître que ça fonctionne très bien.


Der Tiger von Eschnapur de Richard Eichberg (1938, Le Tigre du Bengale)
Das indische Grabmal de Richard Eichberg (1938, Le Tombeau hindou)
En DVD chez Wild Side sur les collectors du Tigre du Bengale et du Tombeau Hindou de Fritz Lang

Pitch :
Une sorte d’aventurier aime la femme du Maharadjah du coin et s’enfuie avec elle. Ils sont poursuivis à travers le monde par le Maharadjah et son cousin fourbasse. A Paris, le Maharadjah les rattrapent et en profite pour demander à un architecte de lui construire un grand palais/tombeau en Inde. Après moult péripéties, tout le monde se retrouve chez le Maharadjah en Inde pour un final plein de suspense et de retournements de situation.
Avis :
Deux raisons motivaient au départ notre envie de voir ces 2 films :
• Avoir un point de comparaison avec les 2 films homonymes de Fritz Lang (que nous n’avons pas encore vus), également tirés du roman de Thea von Harbou
• Voir un film d’aventure produit par les nazis
Nous ne nous attendions pas spécialement à un spectacle regardable et nous fûmes agréablement surpris. Sans être exceptionnels, les deux films se sont avérés très corrects, bénéficiant d’assez gros moyens : beaux décors avec tournage de quelques scènes en Inde, grand nombre de figurants, trucages convaincants, acteurs potables, réalisation sobre bien que sans génie et scénario distrayant.
Notons qu’il existe deux versions du film, une en allemand et une en français, avec des équipes techniques identiques mais des acteurs différents. Ce furent les derniers films réalisés par Richard Eichberg avant son émigration aux Etats-Unis en 1938.

Contrairement à ce que nous escomptions, ces films ne contiennent pas de référence à l’idéologie nazie. Sous le régime nazi, les films de pure propagande ne constituait qu’une minorité [1] mais, même dans les divertissements, certains préceptes du régime transparaissaient : glorification de l’histoire allemande, rabaissement de certaines franges de population, mise en valeur d’un certain type de famille et de société…
Rien de tout cela ici, même pas un petit nerveux à moustache ou un grand blond qui claque des talons : Richard Eichberg, le réalisateur, était un spécialiste de thrillers, de mélodrames exotiques et de comédies pendant la république de Weimar. Il avait travaillé sur des coproductions anglo-allemandes, avait souvent œuvré sur d’importants budgets et réalisé plusieurs films très populaires au niveau international. Plus que des films produits par les nazis, Le tigre du Bengale et Le tombeau Hindou apparaissent comme des reliquats des films d’aventures des années 20. La première adaptation du roman de Thea von Harbou, scénarisée par Thea von Harbou et Fritz Lang, avait d’ailleurs été réalisée par Joe May en 1921.

En attendant de voir la version de Fritz Lang, à la réputation assez moyenne, les deux films de Richard Eichberg ont constitué un spectacle plutôt divertissant, un exemple intéressant de continuation du cinéma grand public de Weimar sous le régime nazi.


Horizons West de Budd Boetticher (1952, Le traître du Texas)
En DVD chez Sidonis

Pitch :
Deux frères Sudistes et un ami de moindre importance qui ne servira pas à grand chose dans le film rentrent au Texas à la fin de la guerre de sécession. Le petit frère (Rock Hudson) se fait une joie de revenir à la ferme familiale mais le grand frère (Robert Ryan) a d’autres ambitions : la guerre l’a changé et il ne compte pas se contenter d’une pauvre vie de paysan. Pour réussir il est prêt à tout, y compris se mettre ses proches à dos (en même temps, c’est Robert Ryan hein, ça ne pouvait pas être un brave gars).

Avis :
Réalisé quelques années avant les films du cycle Ranown (les 7 films réalisé par Boetticher avec Randolph Scott), Le traître du Texas n’atteint pas leur excellence mais reste une bonne série B.

Le gentil, interprété par un Rock Hudson particulièrement fade, est complètement éclipsé par Robert Ryan dans son rôle habituel de bad guy. Le scénario évite le manichéisme facile, le personnage du grand frère possédant une psychologie relativement complexe.
Comme souvent chez Boetticher, le personnage principal féminin (interprétée par Julie Adams, plus connue comme la fille trimballée par la créature du Lagon Noir) est intéressant et ne se contente pas d’être une vulgaire faire-valoir. Elle provoque les évènements, a un fort caractère et un vrai rôle dans le récit : elle aguiche clairement Robert Ryan alors qu’elle est déjà mariée, l’empêche d’aller en prison, sauve Rock Hudson. Nous sommes loin de l’archétype du personnage féminin passif trop souvent présent dans les westerns.

Au final, Le traître du Texas est une honnête série B à voir pour les amateurs de westerns et de Boetticher. Les profanes devraient plutôt se rabattre sur les films du cycle Ranown, tout de même bien supérieurs.

Digression :
Nous souhaitions profiter de cet espace pour dire quelques mots sur Robert Ryan. Nous avons remarqué cet acteur relativement récemment : nous l’avions certes vu dans Les 12 salopards, La horde sauvage et Les professionnels (apparemment, il joue aussi dans Le jour le plus long mais le casting de ce film est tellement gigantesque que nous nous souvenons plus du tout de son rôle) mais il ne nous avait pas particulièrement marqué.
Rétrospectivement, nous nous rendons compte de notre erreur, Robert Ryan ajoutant une plus-value non négligeable à ces films.

La révélation nous est venue avec Billy Budd, magnifique film de Peter Ustinov, dans lequel Robert Ryan joue, d’après nous, une des plus belles ordures du cinéma, un maître d’équipage violent et tyrannique, sorte de Mal personnifié qui va se heurter à la bonté et la naïveté de Billy Budd.
Robert Ryan crève l’écran : il joue le sale type avec délectation, avec un air satisfait, sûr de lui, et un petit sourire narquois qui donnent foncièrement envie de l’étrangler.

Le hasard fit que, peu de temps après, nous commençâmes sérieusement à nous intéresser aux films de séries B, domaine que nous avions plutôt négligé jusque là. Nous découvrîmes que Robert Ryan faisait partie des grands acteurs de série B, spécialisés dans les loosers et les affreux.
Nous le vîmes coup sur coup dans : Nous avons gagné ce soir de Robert Wise, Un homme est passé de John Sturges, Caught de Max Ophüls, Clash by Night de Fritz Lang et Les rubis du prince birman d’Allan Dwan. Même dans ce dernier film, franchement faible, Robert Ryan reste convaincant.
Il nous reste encore à voir Feux croisés d’Edward Dmytryk, Côte 465 d’Anthony Mann, Le petit arpent du bon Dieu d’Anthony Mann et Le coup de l’escalier de Robert Wise que nous avons en DVD, et nous nous réjouissons déjà du plaisir simple de revoir Robert Ryan dans un rôle de sombre crapule ou autre personnage à la mentalité douteuse.


C’est tout pour cette fois. Nous aurions également pu disserter sur Hitokiri (un excellent Hideo Gosha, même si Goyokin reste pour nous un cran au dessus), Animal Kingdom ou Du sang dans la poussière, mais point trop n’en faut. Il ne faudrait pas habituer le lecteur à une prolixité que nous ne pourrions assumer par la suite.


[1]14% d’après Monika Bellan dans Monika Bellan, 100 ans de cinéma allemand, Coll. « Les essentiels de civilisation allemande », Paris : Ellipses Marketing, 2001, p.56.

3 commentaires:

  1. Pas tout à fait d'accord avec toi sur le Malick. Certes, un film avec seulement le passage sur l'enfance n'aurait pas donné la même lecture et, comme avec un M&Ms, c'est quand même meilleur avec l'enrobage de chocolat (parce que la cacahuète toute seule, bof). Cela dit, je pense que ça fonctionne plutôt à l'envers (d'où la métaphore du M&Ms) : le message sur la grâce, ou plutôt l'illustration de ce message par des images de l'espace et de gens sur la plage qui s'aiment, n'est qu'un enrobage, et un peu indigeste en plus. Etait-il vraiment indispensable pour faire passer l'idée que l'amour c'est chouette ? N'aurait-il pas été plus judicieux d'insister sur cette idée au sein de la cacahuète du film, le passage sur l'enfance, voir de virer ce prologue spatial et cet épilogue new age au profit, par exemple, d'un contre-poids intéressant (et qui manque cruellement) qu'aurait été la vie adulte de Jack ?
    Bon, ma métaphore ne tient pas tout à fait la route, mais tu vois ce que je veux dire : je suis d'accord mais pas d'accord. C'est mon côté doctorant.

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  2. Nous contestons vigoureusement votre vision du M&Ms. D’après ce que vous dîtes et la façon dont vous utilisez votre métaphore, l’enrobage chocolat peut s’interpréter comme un plus, qui rend le produit meilleur mais n’en constitue pas la moelle intrinsèque. Or, un M&Ms sans l’enrobage chocolat, ce n’est pas un M&Ms, c’est seulement une cacahouète. Le centre et la périphérie sont liés en un tout, le M&Ms, et l’un ne peut être dissocié de l’autre sans perte de sens.
    Nous irons même plus loin : à l’origine, le M&Ms ne contenait pas de cacahouète. Cette variété moins sophistiquée est encore en vente aujourd’hui et se rapproche des Smarties. Le M&Ms Peanut n’est arrivé qu’ensuite. L’essence du M&Ms, plus que la cacahouète, c’est le chocolat. C’est lui qui donne son sens au M&Ms.

    Nous pourrions partir de cette remarque pour continuer dans les métaphores à 2 sous mais nous préférons revenir à des bases saines, la métaphore M&Ms ayant montré son inutilité.

    Après de multiples lectures, votre message reste ambigu.
    D’un côté, vous semblez considérer le « prologue spatial » et l’épilogue comme un enrobage, alors qu’ils sont, d’après nous, fondamentaux dans la vision de Malick. Il ne faut pas perdre de vue qu’il voulait faire une Histoire de la grâce, et pas seulement un film sur « l’amour, c’est chouette ». Son premier montage durait 8 heures, il avait en tête un film somme. C’est dans cette optique que s’intègre le « prologue spatial », comme apparition de la grâce, et l’épilogue new age, comme accomplissement et révélation (à mettre en parallèle avec l’ouverture sur la mort du frère, générateur du doute existentiel).

    D’un autre côté, vous proposez de réintégrer la signification de ces passages dans la partie centrale sur l’enfance, ce qui ne nous semble pas forcément logique si vous estimez que ces passages ne sont pas indispensables. Il n’y aurait alors pas de perte de sens.
    Sur ce point, nous ne pouvons qu’approuver : nous convenons tout à fait que Malick aurait pu trouver un moyen plus digeste pour faire passer son propos, en substituant les passages lourds par des métaphores plus subtiles glissées dans le récit central.

    Je vous laisse le soin de lever, si vous le souhaitez, l’ambiguïté de votre propos ou de l’expliciter un peu plus, avec ou sans utilisation de métaphore alimentaire.

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  3. Votre commentaire soulève le paradoxe du film, et ce qui cause, selon nous, son côté cul entre deux chaises - si vous me passez l'expression. Reprenons vos dires.

    Oui, Malick voulait créer un film somme, et c'est tout à son honneur. Force est de constater, néanmoins, au visionnage du produit fini, que la somme, c'est toujours l'addition de toutes les parties présentes ; or cette addition est bancale, justement parce que Malick, de par sa volonté ou celle des studios, a dû trancher dans ses 8 heures pour en extraire une durée plus convenable.
    Or, ce qu'il a gardé, toujours selon nous, n'est pas adéquat, puisque les parties manquent de cohérence entre elles. C'est pourquoi nous avancions (un peu maladroitement, car il était tard et nous venions de rédiger de nombreuses pages à la suite sur l'usage de la couleur dans le roman contemporain anglophone) qu'il eût été plus à propos de chercher cette cohérence par la narration d'un récit limpide et/ou logique, avec (par exemple) l'ajout de séquences "Jack adulte". Certes, la thèse de Malick aurait sans doute été un peu mise à mal, mais les synapses du spectateur, moins. Et nous situant dans ce second fauteuil, nous ne cachons pas notre préférence.

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