La période écoulée depuis notre dernier message fut riche en films visionnés et la sélection des titres à critiquer fut difficile. Nous avons privilégié les thématiques et nous pouvons déjà avertir le lecteur : sur un des films sélectionnés, nous allons chercher le trouble.
Pitch :
Un homme seul et déprimé croise dans un bar une femme seule et déprimée avec un grand chapeau. Ils vont ensemble à un spectacle puis ils repartent chacun de leur côté, sans échanger adresse ou bisou. En revenant chez lui, l’homme tombe sur la police : sa femme a été retrouvée morte et il est le principal suspect, d’autant que personne ne semble l’avoir vu avec la mystérieuse femme au chapeau. Il pourra heureusement compter sur sa secrétaire, qui va mener l’enquête pour prouver l’innocence de son patron pas très dégourdi.
Avis :
Produit par l’ancienne secrétaire d’Hitchcock, Phantom Lady est une bonne série B au scénario hitchcockien, avec changement de protagoniste au cours du récit : le héros supposé, joué par Alan Curtis, s’efface rapidement pour laisser place à sa secrétaire, Ella Raines. C’est elle qui va réellement mener l’enquête et réussir là où il a échoué.
Siodmak réussit à contourner le manque de moyens par de brillantes idées de réalisation, comme la scène du procès d’Alan Curtis, où le spectateur n'entend que l'accusation du procureur et ne voit que le public de la salle d'audience et le carnet de notes d’un journaliste. Il donne à l’environnement urbain un aspect glauque et épuré, renforcé par la qualité de la photographie et des éclairages : le film se déroule essentiellement de nuit avec de très beaux clairs-obscurs.
Phantom Lady n’est pas exempt de défauts. La présence d’acteurs assez faibles (notamment le héros, Alan Curtis, franchement fadasse [1], et le tueur, Franchot Tone, qui en fait des tonnes) n’est pas complètement compensée par quelques seconds rôles intéressants : l’inspecteur, Thomas Gomez [2], et un batteur de jazz joué par Elisha Cook Jr.
Le plus gros problème vient toutefois du scénario : alors que le tueur n’était révélé qu’à la fin du roman éponyme, le spectateur découvre who done it en plein milieu du film. Il n’y a plus de suspense et la seconde partie du métrage est très inférieure à la première : l’enquête est reléguée au second plan et l’intrigue se concentre sur le vilain, interprété par un Franchot Tone des mauvais jours.
Filmé en 1944, le méchant de Phantom Lady nous fit immédiatement penser à un nazi [3] : architecte entourée de bustes typés aryens, il professe sa supériorité sur le reste de la gent humaine, supériorité qui le place au-dessus des lois et l’autorise à tuer. Il ne lui manque qu’un bel uniforme et une certaine raideur dans le bras droit.
Cet architecte nous semble être la première occurrence chez Siodmak du personnage de psychopathe ressentant un besoin irrépressible de tuer, serial killer qui réapparaîtra avec quelques variations dans The Spiral Staircase et dans Les SS frappent la nuit.
Malgré ses défauts et bien qu’inférieur aux deux films cités au paragraphe précédent, Phantom Lady reste un très bon thriller [4] que nous conseillons sans hésiter à tous les amateurs du genre.
Pitch de London After Midnight :
Un vieil homme (Lon Chaney) se suicide dans sa maison. Le détective arrivé sur place (Lon Chaney) suspecte tout le monde, le majordome, la fille du vieil homme, le voisin et son neveu. En l’absence de preuve, il se range à la thèse du suicide.
5 ans plus tard, la maison du vieil homme, abandonnée, semble avoir de nouveaux hôtes indésirables : de terrifiants vampires aux motivations inconnues (dont Lon Chaney, oui il est partout).
Pitch de The Ace of Hearts :
Entre deux verres de brandy et élaborations de signes de reconnaissance compliqués, les membres d’une société secrète décident d’assassiner un homme important qu’ils estiment néfaste. Deux membres sont particulièrement virulents et souhaitent être désignés pour tuer l’homme important : ils espèrent conquérir par cet acte le cœur de la seule membre féminine de la loge (Leatrice Joy). Un des deux hommes (John Bowers) est tiré au sort, suscitant la jalousie de l’autre (Lon Chaney).
Pitch de The Unknown :
Dans un cirque, deux hommes espèrent conquérir le cœur de la fille du directeur (Joan Crawford toute jeune). Le premier, Malabar l’homme fort (Norman Kerry), joyeux et aimant la vie, est rejeté par la fille qui craint le contact des hommes. Le second, Alonzo (Lon Chaney), sans bras et apparemment inoffensif, semble mieux positionné.
Le directeur colérique ne l’entend pas de cette oreille et frappe un Alonzo sans défense. Il comprendra bien vite son erreur : Alonzo est plus dangereux que ce qu’il laisse paraître et est prêt à tout pour arriver à ses fins (la preuve, il a un nain sarcastique comme bras droit).
Pitch de Laugh, Clown, Laugh :
Encore une histoire de trio amoureux. Lon Chaney joue Tito le clown, amoureux de la jeune fille qu’il a trouvée lorsqu’elle était enfant et élevée (Loretta Young). Conscient de l’aspect malséant de cet amour (tous les hommes ne sont pas comme Woody Allen), il déprime et est sujet à des crises de larmes. Chez son médecin, il va rencontrer un jeune homme (Nils Asther), sujet à des crises de rire, qui va s’immiscer entre lui et la jeune fille.
Avis :
Nous entendions parler de Lon Chaney depuis plusieurs années, comme l’homme aux milles visages, l’acteur fétiche de Tod Browning période muette, le père de Lon Chaney Jr., mais, à l’exception du vieux Fantôme de l’opéra où il était méconnaissable et de The Shock considéré comme assez faible, nous ne l’avions jamais vu à l’œuvre. Nous acquîmes le coffret Lon Chaney de TCM afin de pallier ce manque et pour la sortie de Balada Triste (nous y reviendrons par la suite).
Ses déguisements d’estropiés sont également restés célèbres, que ce soit un manchot dans The Unknown ou un cul-de-jatte dans The Penalty de Wallace Worsley.
L’autre point remarquable est la qualité et l’intensité de son jeu. Pour le public actuel, son jeu peut sembler légèrement outré, et il reconnaissait qu’il lui fallait un réalisateur de qualité pour le modérer, sans quoi il avait tendance à surjouer. Nonobstant ce détail, son charisme rayonne dans tous ses rôles, il donne une profondeur et une humanité à ses interprétations, réussissant à rendre pathétique le pire des salopards (et il en a joué une belle panoplie). Joan Crawford disait de lui : « Avec lui, j’ai pris pour la première fois conscience de la différence entre se tenir devant la caméra et jouer. […] Sa concentration, son absorption complète dans son personnage m’inspirait une telle crainte respectueuse que j’osais à peine lui parler » [5].
3 des 4 films du coffret TCM nous présentent Lon Chaney dans le rôle de l’amoureux éconduit, archétype qu’il réussit à rendre convaincant. Tod Browning, conscient de l’importance de son acteur fétiche, centra complètement The Unknown et London After Midnight autour de lui. A l’inverse, The Ace of Hearts, où le réalisateur s’attarde sur le couple de héros particulièrement fade et niais, est le film le plus faible du coffret.
Suite à cette découverte, nous comptons acquérir d’autres films avec Lon Chaney (nous avons commandé récemment The Penalty de Wallace Worsley), acteur plus subtil et charismatique que ce à quoi nous nous attendions.
Balada Triste de Trompeta est actuellement au cinéma
Pitch de Mort de Rire :
Mort de Rire narre l’ascension d’un duo de comiques, Bruno (El Gran Wyoming) et Nino (Santiago Segura), sur fond de haine viscérale. Toute leur carrière repose sur un seul gag : Bruno donnant une baffe à Nino.
Pitch de Balada Triste de Trompeta :
Parce qu’il vient d’une famille de clowns et qu’il a eu une enfance malheureuse, Javier (Carlos Areces) est un clown blanc : il n’est pas rigolo. Le cirque qui l’embauche est dominé par un auguste (Antonio de la Torre), un sale type pas drôle et très violent mais qui fait rire les enfants (du moins ceux qui, à l’inverse de nous étant gosse, ne détestent pas les clowns). Provoqué par la pouffe qui sert de copine à l’auguste (Carolina Bang, la copine d’Alex de la Iglesia), Javier va se dresser sur le chemin de ce dernier.
Avis :
Avant de voir Balada Triste, nous avions lu que le film étant une sorte de remake de Mort de Rire à la sauce The Unknown sur fond de franquisme [6]. Alex de la Iglesia estimait qu’il n’avait pas réussi à faire ce qu’il voulait sur Mort de Rire, que son film n’était pas drôle, et qu’il pensait, en partant du même matériau, être capable de créer une œuvre plus aboutie.
Emballé par ce discours prometteur, nous nous sommes arrangés pour voir Mort de Rire et The Unknown avant Balada Triste. Nous ne reviendrons pas sur The Unknown, évoqué précédemment : Balada Triste en a repris le principe du triangle amoureux dans un cirque, et de l’amour fou qui amène à des gestes extrêmes et à l’automutilation.
Bien que relativement anonyme en France, nous avons retrouvé dans Mort de Rire tout ce que nous apprécions dans le cinéma d’Alex de la Iglesia : une critique d’un système (la starification et le public), de la petitesse et de la bêtise humaine, grâce à un humour terriblement noir et cynique et des portraits de ratés abjects et touchants.
Nino joue le rôle du clown blanc subissant, impassible et silencieux, les baffes et le sadisme de Bruno, auguste joyeux et volubile [7]. Le succès de leur sketch va figer leur relation sado-masochiste et les ronger de l’intérieur, chacun se nourrissant du malheur de l’autre pour trouver son bonheur.
Le scénario est très bien ficelé, le crescendo dans la haine entre les deux personnages et dans l’horreur est judicieusement amené, jusqu’à un final délirant et trash.
Autant dire que nous attendions beaucoup de Balada Triste, qu’Alex de la Iglesia présentait comme son meilleur film. Plus dure fut la chute. Deux éléments clés du film nous ont profondément rebuté : la réalisation et le scénario.
Nous n’avons pas vu Crimes à Oxford mais, jusqu’à 800 balles en tout cas, la réalisation d’Alex de la Iglesia ne nous avait pas spécialement marqué, ce qui est en général plutôt bon signe. Pas d’effets inutiles, de plans pour faire joli ou se la péter, la réalisation était au service du récit.
Dès la première scène de Balada Triste, nous tiquons : aïe, le film a été tourné en HD. Nous avons certes vu ces dernières années de très bons films en HD, comme Breathless de Yang Ik-Joon, mais le HD continue à nous piquer les yeux et nous préférons largement le 35mm.
Bon gré, mal gré, nous commençons à nous faire une raison quand survient la première scène d’action : l’attaque des républicains. Et là, c’est le drame. La scène d’action est illisible, digne des films d’action US des années 2000 (ou de certains films HK, nous y reviendrons avec la critique de The Blade la prochaine fois). Certes, c’est à la mode, c’est peut-être ce que le public recherche [8], ça donne une fausse impression de dynamisme. Mais, au final, nous ne voyons rien, c’est fouillis, la caméra a la tremblote et nous trouvons le temps long.
La suite est à l’avenant : la caméra bouge trop et certains effets énervants surgissent régulièrement. Ah, le fameux grand mouvement circulaire lorsque les protagonistes arrivent en haut d’un bâtiment imposant, qui est aujourd’hui un impératif de tout film d’action US prétentieux. Alex de la Iglesia a-t-il voulu faire un film d’action à l’américaine ou a-t-il été influencé par son passage aux Etats-Unis ? Certains apprécieront peut-être. Nous non, ce n’était pas pour ça que nous étions venu et ce réalisateur ne nous avait pas habitué à ça.
Bien qu’assez abominable, nous aurions pu passer outre cette réalisation si le scénario avait été solide. Il n’en est rien. C’est le premier film où Alex de la Iglesia est seul au scénario, sans son comparse Jorge Guerricaechevarría. Il ferait mieux, à l’avenir, de rappeler ce dernier.
Passons rapidement sur LA métaphore du film, évoquée dans toutes les interviews du réalisateur : la fille qui aime se faire violenter, c’est l’Espagne. L’auguste, c’est la tyrannie, le franquisme. Le clown triste, c’est un autre courant politique, la démocratie peut-être, même si cela ne fonctionne pas très bien. La métaphore manque de finesse et on préfèrera revoir Cria Cuervos, plus subtil et moins manichéen.
Mais le problème principal vient de la confusion du scénario. Comme toujours, Alex de la Iglesia met beaucoup de choses dans son film mais, cette fois, il ne réussit pas à imbriquer habilement les différents aspects et certaines scènes semblent inutiles, comme celle de l’arrivée de Javier dans un bar et l’attentat qui suit (en images de synthèse ratées). Tout l’aspect historique est particulièrement mal intégré, plaqué de façon assez grossière sur une histoire de trio amoureux.
Au final, et contrairement à ce que peut clamer le réalisateur, nous estimons Mort de Rire bien supérieur à Balada Triste. Le public espagnol a apparemment eu le même avis : Mort de Rire avait obtenu de très bons chiffres d’entrées, Balada Triste a été boudé.
Un petit teaser pour finir, afin de tenir en haleine le lecteur jusqu’à la prochaine chronique. La prochaine fois, nous continuerons dans la polémique avec une critique pleine de mauvaise foi d’un film culte : The Blade de Tsui Hark.
[1]C’était un modèle qui est devenu acteur grâce à sa belle gueule : hé oui, déjà dans les années 40, un individu pouvait espérer faire du cinéma s’il avait une bonne tête, même en ayant le charisme et la qualité de jeu d’une huître.
[2]Qui sera très bien utilisé 4 ans plus tard dans L’enfer de la corruption d’Abraham Polonsky.
[3]Cette impression est sans doute renforcée par la présence de Franchot Tone, que nous avions vu pour la dernière fois en officier nazi dans Les 5 secrets du désert de Billy Wilder.
[4]Et pas un film noir d’après notre définition restrictive du genre, définition que nous prendrons un jour la peine de donner.
[5]Lawrence J. Quirk & William Schoell, Joan Crawford: the essential biography, Lexington: The University Press of Kentucky, 2002, p.29.
[6]Cf. l’interview d’Alex de la Iglesia dans le Mad Movies n°242.
[7]Le principe du film rappelle celui de He Who Gets Slapped de Victor Sjöström, où Lon Chaney interprète un homme devenu clown après avoir subi une baffe humiliante, et qui répète, soir après soir, cette humiliation sur scène. Vu la passion d’Alex de la Iglesia pour le milieu du cirque et pour Lon Chaney, nous ne serions pas étonné que Mort de Rire soit une référence directe à ce film.
[8]A prouver. Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore croisé quelqu’un qui trouvait « cool » les scènes d’action illisibles généralisées ces dernières années. Nous demandons à notre voisin d’en face, qui est plus jeune que nous… Ah bah non, lui non plus ne trouve pas ça cool.
- La sélection de la quinzaine se composera des titres suivants :
- • Phantom Lady
- • London after midnight / The Ace of Hearts / The Unknown / Laugh, Clown, Laugh
- • Mort de rire VS Balada Triste
Phantom Lady de Robert Siodmak (1944, Les mains qui tuent)
En DVD chez CarlottaPitch :
Un homme seul et déprimé croise dans un bar une femme seule et déprimée avec un grand chapeau. Ils vont ensemble à un spectacle puis ils repartent chacun de leur côté, sans échanger adresse ou bisou. En revenant chez lui, l’homme tombe sur la police : sa femme a été retrouvée morte et il est le principal suspect, d’autant que personne ne semble l’avoir vu avec la mystérieuse femme au chapeau. Il pourra heureusement compter sur sa secrétaire, qui va mener l’enquête pour prouver l’innocence de son patron pas très dégourdi.
Avis :
Produit par l’ancienne secrétaire d’Hitchcock, Phantom Lady est une bonne série B au scénario hitchcockien, avec changement de protagoniste au cours du récit : le héros supposé, joué par Alan Curtis, s’efface rapidement pour laisser place à sa secrétaire, Ella Raines. C’est elle qui va réellement mener l’enquête et réussir là où il a échoué.
Siodmak réussit à contourner le manque de moyens par de brillantes idées de réalisation, comme la scène du procès d’Alan Curtis, où le spectateur n'entend que l'accusation du procureur et ne voit que le public de la salle d'audience et le carnet de notes d’un journaliste. Il donne à l’environnement urbain un aspect glauque et épuré, renforcé par la qualité de la photographie et des éclairages : le film se déroule essentiellement de nuit avec de très beaux clairs-obscurs.
Phantom Lady n’est pas exempt de défauts. La présence d’acteurs assez faibles (notamment le héros, Alan Curtis, franchement fadasse [1], et le tueur, Franchot Tone, qui en fait des tonnes) n’est pas complètement compensée par quelques seconds rôles intéressants : l’inspecteur, Thomas Gomez [2], et un batteur de jazz joué par Elisha Cook Jr.
Le plus gros problème vient toutefois du scénario : alors que le tueur n’était révélé qu’à la fin du roman éponyme, le spectateur découvre who done it en plein milieu du film. Il n’y a plus de suspense et la seconde partie du métrage est très inférieure à la première : l’enquête est reléguée au second plan et l’intrigue se concentre sur le vilain, interprété par un Franchot Tone des mauvais jours.
Filmé en 1944, le méchant de Phantom Lady nous fit immédiatement penser à un nazi [3] : architecte entourée de bustes typés aryens, il professe sa supériorité sur le reste de la gent humaine, supériorité qui le place au-dessus des lois et l’autorise à tuer. Il ne lui manque qu’un bel uniforme et une certaine raideur dans le bras droit.
Cet architecte nous semble être la première occurrence chez Siodmak du personnage de psychopathe ressentant un besoin irrépressible de tuer, serial killer qui réapparaîtra avec quelques variations dans The Spiral Staircase et dans Les SS frappent la nuit.
Malgré ses défauts et bien qu’inférieur aux deux films cités au paragraphe précédent, Phantom Lady reste un très bon thriller [4] que nous conseillons sans hésiter à tous les amateurs du genre.
London After Midnight de Tod Browning (1927/2002, Londres après minuit)
The Ace of Hearts de Wallace Worsley (1921, La carte fatale)
The Unknown de Tod Browning (1927, L'inconnu)
Laugh, Clown, Laugh de Herbert Brenon (1928, Ris donc, paillasse !)
Disponible en DVD US dans le coffret Lon Chaney de TCM avec sous-titres français (sauf pour London After Midnight)The Ace of Hearts de Wallace Worsley (1921, La carte fatale)
The Unknown de Tod Browning (1927, L'inconnu)
Laugh, Clown, Laugh de Herbert Brenon (1928, Ris donc, paillasse !)
Pitch de London After Midnight :
Un vieil homme (Lon Chaney) se suicide dans sa maison. Le détective arrivé sur place (Lon Chaney) suspecte tout le monde, le majordome, la fille du vieil homme, le voisin et son neveu. En l’absence de preuve, il se range à la thèse du suicide.
5 ans plus tard, la maison du vieil homme, abandonnée, semble avoir de nouveaux hôtes indésirables : de terrifiants vampires aux motivations inconnues (dont Lon Chaney, oui il est partout).
Pitch de The Ace of Hearts :
Entre deux verres de brandy et élaborations de signes de reconnaissance compliqués, les membres d’une société secrète décident d’assassiner un homme important qu’ils estiment néfaste. Deux membres sont particulièrement virulents et souhaitent être désignés pour tuer l’homme important : ils espèrent conquérir par cet acte le cœur de la seule membre féminine de la loge (Leatrice Joy). Un des deux hommes (John Bowers) est tiré au sort, suscitant la jalousie de l’autre (Lon Chaney).
Pitch de The Unknown :
Dans un cirque, deux hommes espèrent conquérir le cœur de la fille du directeur (Joan Crawford toute jeune). Le premier, Malabar l’homme fort (Norman Kerry), joyeux et aimant la vie, est rejeté par la fille qui craint le contact des hommes. Le second, Alonzo (Lon Chaney), sans bras et apparemment inoffensif, semble mieux positionné.
Le directeur colérique ne l’entend pas de cette oreille et frappe un Alonzo sans défense. Il comprendra bien vite son erreur : Alonzo est plus dangereux que ce qu’il laisse paraître et est prêt à tout pour arriver à ses fins (la preuve, il a un nain sarcastique comme bras droit).
Pitch de Laugh, Clown, Laugh :
Encore une histoire de trio amoureux. Lon Chaney joue Tito le clown, amoureux de la jeune fille qu’il a trouvée lorsqu’elle était enfant et élevée (Loretta Young). Conscient de l’aspect malséant de cet amour (tous les hommes ne sont pas comme Woody Allen), il déprime et est sujet à des crises de larmes. Chez son médecin, il va rencontrer un jeune homme (Nils Asther), sujet à des crises de rire, qui va s’immiscer entre lui et la jeune fille.
Avis :
Nous entendions parler de Lon Chaney depuis plusieurs années, comme l’homme aux milles visages, l’acteur fétiche de Tod Browning période muette, le père de Lon Chaney Jr., mais, à l’exception du vieux Fantôme de l’opéra où il était méconnaissable et de The Shock considéré comme assez faible, nous ne l’avions jamais vu à l’œuvre. Nous acquîmes le coffret Lon Chaney de TCM afin de pallier ce manque et pour la sortie de Balada Triste (nous y reviendrons par la suite).
- Après avoir visionné les 4 films du coffret, 2 éléments ressortent immédiatement :
- • La qualité des maquillages et déguisements
- • L’intensité de son jeu
Ses déguisements d’estropiés sont également restés célèbres, que ce soit un manchot dans The Unknown ou un cul-de-jatte dans The Penalty de Wallace Worsley.
L’autre point remarquable est la qualité et l’intensité de son jeu. Pour le public actuel, son jeu peut sembler légèrement outré, et il reconnaissait qu’il lui fallait un réalisateur de qualité pour le modérer, sans quoi il avait tendance à surjouer. Nonobstant ce détail, son charisme rayonne dans tous ses rôles, il donne une profondeur et une humanité à ses interprétations, réussissant à rendre pathétique le pire des salopards (et il en a joué une belle panoplie). Joan Crawford disait de lui : « Avec lui, j’ai pris pour la première fois conscience de la différence entre se tenir devant la caméra et jouer. […] Sa concentration, son absorption complète dans son personnage m’inspirait une telle crainte respectueuse que j’osais à peine lui parler » [5].
3 des 4 films du coffret TCM nous présentent Lon Chaney dans le rôle de l’amoureux éconduit, archétype qu’il réussit à rendre convaincant. Tod Browning, conscient de l’importance de son acteur fétiche, centra complètement The Unknown et London After Midnight autour de lui. A l’inverse, The Ace of Hearts, où le réalisateur s’attarde sur le couple de héros particulièrement fade et niais, est le film le plus faible du coffret.
Suite à cette découverte, nous comptons acquérir d’autres films avec Lon Chaney (nous avons commandé récemment The Penalty de Wallace Worsley), acteur plus subtil et charismatique que ce à quoi nous nous attendions.
Muertos de risa d’Álex de la Iglesia (1999, Mort de Rire)
Balada triste de trompeta d’Alex de la Iglesia (2010, Ballade Triste)
Mort de Rire existe en DVD français mais uniquement en VF (une hérésie). Le DVD américain propose la VO espagnole avec des sous-titres anglais.Balada triste de trompeta d’Alex de la Iglesia (2010, Ballade Triste)
Balada Triste de Trompeta est actuellement au cinéma
Pitch de Mort de Rire :
Mort de Rire narre l’ascension d’un duo de comiques, Bruno (El Gran Wyoming) et Nino (Santiago Segura), sur fond de haine viscérale. Toute leur carrière repose sur un seul gag : Bruno donnant une baffe à Nino.
Pitch de Balada Triste de Trompeta :
Parce qu’il vient d’une famille de clowns et qu’il a eu une enfance malheureuse, Javier (Carlos Areces) est un clown blanc : il n’est pas rigolo. Le cirque qui l’embauche est dominé par un auguste (Antonio de la Torre), un sale type pas drôle et très violent mais qui fait rire les enfants (du moins ceux qui, à l’inverse de nous étant gosse, ne détestent pas les clowns). Provoqué par la pouffe qui sert de copine à l’auguste (Carolina Bang, la copine d’Alex de la Iglesia), Javier va se dresser sur le chemin de ce dernier.
Avis :
Avant de voir Balada Triste, nous avions lu que le film étant une sorte de remake de Mort de Rire à la sauce The Unknown sur fond de franquisme [6]. Alex de la Iglesia estimait qu’il n’avait pas réussi à faire ce qu’il voulait sur Mort de Rire, que son film n’était pas drôle, et qu’il pensait, en partant du même matériau, être capable de créer une œuvre plus aboutie.
Emballé par ce discours prometteur, nous nous sommes arrangés pour voir Mort de Rire et The Unknown avant Balada Triste. Nous ne reviendrons pas sur The Unknown, évoqué précédemment : Balada Triste en a repris le principe du triangle amoureux dans un cirque, et de l’amour fou qui amène à des gestes extrêmes et à l’automutilation.
Bien que relativement anonyme en France, nous avons retrouvé dans Mort de Rire tout ce que nous apprécions dans le cinéma d’Alex de la Iglesia : une critique d’un système (la starification et le public), de la petitesse et de la bêtise humaine, grâce à un humour terriblement noir et cynique et des portraits de ratés abjects et touchants.
Nino joue le rôle du clown blanc subissant, impassible et silencieux, les baffes et le sadisme de Bruno, auguste joyeux et volubile [7]. Le succès de leur sketch va figer leur relation sado-masochiste et les ronger de l’intérieur, chacun se nourrissant du malheur de l’autre pour trouver son bonheur.
Le scénario est très bien ficelé, le crescendo dans la haine entre les deux personnages et dans l’horreur est judicieusement amené, jusqu’à un final délirant et trash.
Autant dire que nous attendions beaucoup de Balada Triste, qu’Alex de la Iglesia présentait comme son meilleur film. Plus dure fut la chute. Deux éléments clés du film nous ont profondément rebuté : la réalisation et le scénario.
Nous n’avons pas vu Crimes à Oxford mais, jusqu’à 800 balles en tout cas, la réalisation d’Alex de la Iglesia ne nous avait pas spécialement marqué, ce qui est en général plutôt bon signe. Pas d’effets inutiles, de plans pour faire joli ou se la péter, la réalisation était au service du récit.
Dès la première scène de Balada Triste, nous tiquons : aïe, le film a été tourné en HD. Nous avons certes vu ces dernières années de très bons films en HD, comme Breathless de Yang Ik-Joon, mais le HD continue à nous piquer les yeux et nous préférons largement le 35mm.
Bon gré, mal gré, nous commençons à nous faire une raison quand survient la première scène d’action : l’attaque des républicains. Et là, c’est le drame. La scène d’action est illisible, digne des films d’action US des années 2000 (ou de certains films HK, nous y reviendrons avec la critique de The Blade la prochaine fois). Certes, c’est à la mode, c’est peut-être ce que le public recherche [8], ça donne une fausse impression de dynamisme. Mais, au final, nous ne voyons rien, c’est fouillis, la caméra a la tremblote et nous trouvons le temps long.
La suite est à l’avenant : la caméra bouge trop et certains effets énervants surgissent régulièrement. Ah, le fameux grand mouvement circulaire lorsque les protagonistes arrivent en haut d’un bâtiment imposant, qui est aujourd’hui un impératif de tout film d’action US prétentieux. Alex de la Iglesia a-t-il voulu faire un film d’action à l’américaine ou a-t-il été influencé par son passage aux Etats-Unis ? Certains apprécieront peut-être. Nous non, ce n’était pas pour ça que nous étions venu et ce réalisateur ne nous avait pas habitué à ça.
Bien qu’assez abominable, nous aurions pu passer outre cette réalisation si le scénario avait été solide. Il n’en est rien. C’est le premier film où Alex de la Iglesia est seul au scénario, sans son comparse Jorge Guerricaechevarría. Il ferait mieux, à l’avenir, de rappeler ce dernier.
Passons rapidement sur LA métaphore du film, évoquée dans toutes les interviews du réalisateur : la fille qui aime se faire violenter, c’est l’Espagne. L’auguste, c’est la tyrannie, le franquisme. Le clown triste, c’est un autre courant politique, la démocratie peut-être, même si cela ne fonctionne pas très bien. La métaphore manque de finesse et on préfèrera revoir Cria Cuervos, plus subtil et moins manichéen.
Mais le problème principal vient de la confusion du scénario. Comme toujours, Alex de la Iglesia met beaucoup de choses dans son film mais, cette fois, il ne réussit pas à imbriquer habilement les différents aspects et certaines scènes semblent inutiles, comme celle de l’arrivée de Javier dans un bar et l’attentat qui suit (en images de synthèse ratées). Tout l’aspect historique est particulièrement mal intégré, plaqué de façon assez grossière sur une histoire de trio amoureux.
Au final, et contrairement à ce que peut clamer le réalisateur, nous estimons Mort de Rire bien supérieur à Balada Triste. Le public espagnol a apparemment eu le même avis : Mort de Rire avait obtenu de très bons chiffres d’entrées, Balada Triste a été boudé.
Un petit teaser pour finir, afin de tenir en haleine le lecteur jusqu’à la prochaine chronique. La prochaine fois, nous continuerons dans la polémique avec une critique pleine de mauvaise foi d’un film culte : The Blade de Tsui Hark.
[1]C’était un modèle qui est devenu acteur grâce à sa belle gueule : hé oui, déjà dans les années 40, un individu pouvait espérer faire du cinéma s’il avait une bonne tête, même en ayant le charisme et la qualité de jeu d’une huître.
[2]Qui sera très bien utilisé 4 ans plus tard dans L’enfer de la corruption d’Abraham Polonsky.
[3]Cette impression est sans doute renforcée par la présence de Franchot Tone, que nous avions vu pour la dernière fois en officier nazi dans Les 5 secrets du désert de Billy Wilder.
[4]Et pas un film noir d’après notre définition restrictive du genre, définition que nous prendrons un jour la peine de donner.
[5]Lawrence J. Quirk & William Schoell, Joan Crawford: the essential biography, Lexington: The University Press of Kentucky, 2002, p.29.
[6]Cf. l’interview d’Alex de la Iglesia dans le Mad Movies n°242.
[7]Le principe du film rappelle celui de He Who Gets Slapped de Victor Sjöström, où Lon Chaney interprète un homme devenu clown après avoir subi une baffe humiliante, et qui répète, soir après soir, cette humiliation sur scène. Vu la passion d’Alex de la Iglesia pour le milieu du cirque et pour Lon Chaney, nous ne serions pas étonné que Mort de Rire soit une référence directe à ce film.
[8]A prouver. Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore croisé quelqu’un qui trouvait « cool » les scènes d’action illisibles généralisées ces dernières années. Nous demandons à notre voisin d’en face, qui est plus jeune que nous… Ah bah non, lui non plus ne trouve pas ça cool.
Ce billet a ravivé ma curiosité pour cette fameuse "reconstruction" de London after midnight par TCM: j'étais resté sur l'idée (le préjugé?) que ce n'était qu'une sorte de galerie de photos... mais à vous lire, on a l'impression qu'ils ont réussi à en faire quelque chose qui ressemble au film original? Dans ce cas, l'idée est assez excitante.
RépondreSupprimerVous avez effectivement raison : la "reconstruction" de London After Midnight par TCM n'est bien qu'une galerie de photos accompagnée d'intertitres et de musique. Nous aurions dû le préciser de façon explicite.
RépondreSupprimerCe n'est donc pas d'un immense intérêt (surtout que Tod Browning reprendra le même scénario pour Mark of the Vampire, qui lui existe en intégralité) mais certaines photos restent impressionnantes et donnent une idée assez exacte de l'impressionnant maquillage de Lon Chaney et de l'ambiance du film.
Merci en tout cas pour votre remarque.