samedi 6 mai 2023

Carnet de bord 29/04/2023-05/05/2023



Films vus en compagnie
Pachamama de Juan Antin (2018)
Dans un village de la cordillère des Andes en 1535, deux préadolescents se soumettent au rite de passage dans l’âge adulte. La fille, Naïra, mure et réfléchie, semble prête, à l’inverse du turbulent Tepulpaï. Lorsque le shaman demande aux enfants durant de la cérémonie de sacrifier leur bien le plus précieux, Naïra n’hésite pas à donner son lama préféré. Tepulpaï se contente de jeter des fleurs mortes, gardant près de lui sa plume de condor chérie, et échoue. Boudant dans son coin, il voit au loin les envoyés du pouvoir inca confisquer les récoltes et s’emparer de la statuette en or du Dieu du village. Il décide d’aller reprendre l’idole, accompagné contre son gré par Naïra.

Comme souvent dans l’animation européenne (Juan Antin est Argentin mais Pachamama a été réalisé en Europe), Pachamama est splendide graphiquement, mélangeant dessins en deux dimensions et protagonistes en images de synthèse. Le scénario en revanche est banal, un voyage initiatique convenu avec un gosse insupportable et des seconds couteaux sans relief. Difficile de croire que Juan Antin et son épouse anthropologue aient bossé 14 ans sur cette histoire, je n’ai rien vu d’innovant dans leur conception de la société précolombienne. S’ajoute à cela un problème classique en France, un doublage abominable qui donne l’impression d’avoir été fait pour des mômes de 3 ans et qui m’a complètement empêché d’entrer dans Pachamama.


Mon petit doigt m'a dit... de Pascal Thomas (2005)
Prudence et Bélisaire Beresford rendent visite à une tante de Bélisaire, la rude Ada, dans une luxueuse maison de repos du sud de la France. Maltraitée par Ada, Prudence préfère aller se promener et ses pas l’amènent dans une salle de lecture. Elle sympathise avec une femme étrange, Rose Évangelista, qui lui explique qu’un enfant est emmuré dans la cheminée. Pendant ce temps, Ada, qui perd la tête, dévoile à Bélisaire que les pensionnaires sont empoisonnées. Quand elle meurt peu après, Prudence apprend que Rose a disparu et craint qu’il lui soit arrivé malheur.

Après les succès de La dilettante (1999), où Catherine Frot obtenait sa première tête d’affiche, et de Mercredi, folle journée ! (2001), Pascal Thomas se lance dans une trilogie d’adaptation de récits d’Agatha Christie avec le couple Beresford incarnés par Catherine Frot et André Dussollier. Mon petit doigt m'a dit... respecte apparemment fidèlement la trame de By the Pricking of My Thumbs, un roman mineur qui n’a pas connu d’autre transposition sur grand écran, ce qui ne m’étonne guère. Pascal Thomas a voulu en faire une comédie peuplée de personnages cocasses et de bons mots, c’est raté. Ce n’est pas drôle (avec une belle scène raciste) et l’intrigue s’enlise doucement jusqu’à un final artificiel. J’espère que les deux suites seront moins pénibles.
J’ai failli oublier. Encore une fois, l’ornithologue amateur est bafoué. Un individu dit à un moment qu’un choucas a dû se coincer dans une cheminée et se dépêche d’aller le déloger. Quel ne fut pas ma stupéfaction en voyant le soi-disant choucas, une simple corneille noire. Intolérable.
Ceci n’est pas un choucas


À l'abordage de Guillaume Brac (2020)
Félix rencontre Alma un soir d’été sur les bords de Seine. Ils dansent ensemble toute la nuit puis s’endorment dans un parc. Le lendemain matin, Alma doit attraper son train et ils ont juste le temps d’échanger leurs numéros. Fou amoureux, Félix décide de lui faire une surprise en allant passer une semaine au camping de Die, situé près de la maison de vacances des parents d’Alma. Il convainc son ami Chérif de le suivre et ils descendent dans le Sud via un covoiturage. Le chauffeur, Edouard, est un jeune bourgeois guindé et l’ambiance est électrique. A la demande de Félix, ils font un détour dans le village de Die et Edouard abime sa voiture. En attendant la réparation, il est contraint de rester au camping avec Félix et Chérif.

Pour À l'abordage, Guillaume Brac a travaillé avec le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Il a organisé des entretiens avec les trente étudiants de la promotion, en a retenu douze et s’est inspiré de moments de leur vie pour écrire le scénario avec Catherine Paillé. La plupart des interprètes débutent, ce qui explique la variabilité de leur jeu et le fait qu’ils déclament parfois leur texte. Salif Cissé en Chérif et Édouard Sulpice en Édouard se démarquent, et je constate qu’ils ont depuis une carrière florissante. Les deux acteurs principaux sont noirs, une exception notable dans ce genre de comédie douce-amère à la française et, sans être centrale, la question du racisme est abordée par petites touches. À l'abordage porte un regard plein de tendresse sur ces citadins peu doués en amour catapultés dans un décor estival dont ils ne sont pas coutumiers. Félix est assez relou, franchissant à de multiples reprises la limite de l’acceptable dans sa relation avec Alma, et À l'abordage est composé de scénettes partiellement improvisées à l’intérêt inégal. J’ai toutefois bien aimé flâner avec cette bande de bras cassés attachants, qui profitent d’une pause dans leur morne quotidien.


A Kid for Two Farthings de Carol Reed (1955, L'enfant et la licorne)
Dans un quartier populaire de Londres, Joanne vit avec son fils Joe chez un vieux tailleur, M. Kandinsky, où elle travaille en compagnie de Sam le culturiste. Son mari, parti faire fortune en Afrique du Sud deux ans auparavant, n’est toujours pas tombé sur le bon filon et elle attend, de plus en plus déprimée malgré le soutien de M. Kandinsky. Sam, de son côté, espère devenir Mister World. Tant qu’il n’a pas gagné suffisamment d’argent, il repousse son mariage avec la belle Sonia, qui languit depuis quatre ans. Pour égayer cette triste réalité, M. Kandinsky raconte fréquemment à Joe des histoires extraordinaires que ce dernier prend pour argent comptant. Ainsi, quand il trouve au marché un chevreau avec une unique corne minuscule, il est persuadé d’avoir mis la main sur une licorne qui pourra concrétiser les souhaits et sortir son entourage de la misère.

N'en déplaise à François Truffaut qui aimait le dénigrer, le cinéma anglais des années 40-50 est formidable. J’y déniche régulièrement des pépites et même le tout-venant dégage en général un charme singulier. Certains des meilleurs films sur l’enfance ont été produits dans ce pays durant cette période. Je citerais évidemment Première désillusion (1948) mais également Rapt (1952), et surtout L’aimant (1950) et The Rocking Horse Winner (1949). En dépit de leurs différences, ils mettent tous en scène les illusions de l’enfance qui se heurtent au monde des adultes à travers le regard naïf d’un petit garçon. A Kid for Two Farthings se situe dans une veine similaire, premier long métrage en couleur de Carol Reed qui réutilise un enfant comme héros sept ans après Première désillusion.
A Kid for Two Farthings est tiré d’un roman semi-autobiographique de Wolf Mankowitz publié en 1953, sur la jeunesse de l’auteur dans la communauté juive de l’East End londonien. Scénariste (par exemple du curieux The Day the Earth Caught Fire (1961) chroniqué ici récemment), il se charge d’adapter son livre pour l’écran. Carol Reed tourne dans le marché traditionnel de Petticoat Lane, qui conservait encore en 1955 son ambiance juive populaire, dans un beau technicolor qui donne un aspect exotique et étrange à ce lieu coloré. La façon dont le son est employé est originale, le bruit ambiant recouvrant parfois les conversations.
Joe est interprété par Jonathan Ashmore, le fils des comédiens Peter Ashmore et Rosalie Crutchley, qui ne réitèrera pas l’expérience et deviendra chercheur en physique. La mère est incarnée par l’excellente Celia Johnson, vue notamment dans Brève rencontre (1945), et M. Kandinsky par David Kossoff, dont le père était un tailleur juif immigré russe. Le boxeur Primo Carnera est étonnamment correct en antagoniste effrayant. Ça se gâte en revanche avec Sam, joué par le catcheur Joe Robinson, et son amie Sonia, la sous-Marylin Monroe anglaise Diana Dors. Malheureusement, une fraction non négligeable est consacrée à leur romance et aux hésitations de Sam à effectuer un combat de catch. Cet axe narratif ne convoie pas la féerie désenchantée des séquences avec M. Kandinsky ou le chevreau, et empêche A Kid for Two Farthings d’atteindre le niveau des autres titres cités précédemment. Cela reste néanmoins une œuvre attachante, j’ai adoré le personnage de M. Kandinsky et la fin est émouvante.


Films vus seuls
おとうと [Otôto] de Yôji Yamada (2010, About Her Brother)
Kahoru, fille de la pharmacienne Ginko Takano, épouse un médecin de la riche famille Terayama. Lors de la cérémonie, l’oncle de Kahoru, Tetsurô, se met à boire et sème la pagaille, amenant les Terayama à regretter l’union. Cinq ans auparavant, Tetsurô avait déjà perturbé l’anniversaire des treize ans de la mort du père de Kahoru et ils l’avaient perdu de vue. Quelques jours après le mariage, Tetsurô repart et disparait de nouveau pendant des mois. Dans l’intervalle, Kahoru et son mari se séparent et elle retourne vivre chez sa mère.

L’idée d’Otôto a surgi dans l’esprit de Yôji Yamada durant l’enterrement de Kon Ichikawa. Il s’interrogea sur ce que serait devenu le délinquent petit frère de Tendre et folle adolescence (Otôto en japonais, 1960) s’il n’était pas mort de la tuberculose. Il confia le rôle de la grande sœur Ginko à Sayuri Yoshinaga et celui de Tetsurô à Tsurube Shôfukutei, qui jouaient la mère et le beau-frère dans son long métrage précédent Kâbê (2008). Tetsurô ressemble à un Tora-san qui ne chercherait pas à réparer ses erreurs, qui n’aurait que des mauvais côtés. Cela rend difficile de s’apitoyer sur lui lorsque les malheurs le rattrapent dans une seconde partie au pathos trop appuyé, faisant selon moi d’Otôto un des plus faibles Yôji Yamada.


三八新娘憨子婿 [San ba xin niáng zhuàng zi xù] de Chi Hsin (1967, Foolish bride, naive bridegroom)
Bun-de est un jeune homme populaire auprès des filles, qui tombent toutes sous son charme sans qu’il ait à faire quoi que ce soit. Il est tellement sollicité que son père doit l’enfermer dans sa maison. Cela l’empêche de fleurter à sa guise avec son amoureuse Gui-zu et ils doivent inventer des stratagèmes pour se fréquenter. Elle voudrait que Bun-de s’affirme et vienne la demander en mariage mais ni le père de ce dernier ni la mère de Gui-zu ne sont décidés à leur donner leur accord.

En novembre 1966, en opposition à la révolution culturelle maoïste démarrée cinq mois auparavant, Chiang Kai-shek lance à Taïwan le mouvement de renaissance culturelle chinoise, qui promeut notamment l’éducation familiale empreinte de respect filial et la culture traditionnelle. En conséquence, le cinéma en mandarin, déjà empêtré dans son réalisme sain et son nationalisme à la gloire du gouvernement, se cantonne à dépeindre une jeunesse obéissante et moderniste. A l’inverse, le cinéma en taïwanais continue de jouer les trouble-fête, à l’image de ce peu convenable Foolish bride, naive bridegroom sorti en février 1967. Loin de se conformer au schéma attendu, il prend un malin plaisir à inverser les conventions de genre : le père de Bun-de ayant dû élever seul son fils évoque une veuve éplorée, parodie d’une figure classique du mélodrame ; Bun-de est un lâche qui se fait mener par le bout du nez ; les femmes courent après les hommes et expriment clairement leurs sentiments et leurs envies, en particulier Gui-zu qui incite Bun-de à s’enfuir avec elle et n’hésite pas à le bousculer violemment. Foolish bride, naive bridegroom se termine même par un marié conduit, à l’instar d’une nouvelle épouse, dans un palanquin fermé.
Foolish bride, naive bridegroom est assez rythmé et offre des plans intéressants du Taipei des années 60, avec des scènes filmées dans la rue et des passants qui fixent la caméra. Niveau humour, ce n’est pas subtil, beaucoup de slapstick et des acteur·ice·s souvent en roue libre. Il faut être honnête, un spectateur contemporain non habitué aux comédies hongkongaises (qui s’en rapprochent dans le style d’humour, bien que Foolish bride, naive bridegroom soit moins en dessous de la ceinture et ne comporte pas d’homophobie ou de misogynie) aura sans doute du mal à tenir jusqu’au bout. Je ne suis moi-même pas fan, je reconnais néanmoins que Foolish bride, naive bridegroom est une curiosité avec un humour gentil, qui propose un rafraichissant renversement des clichés.


Iron Maze de Hiroaki Yoshida (1991, Labyrinthe infernal)
L’homme d’affaires japonais Sugita rachète une usine sidérurgique dans la banlieue délabrée de Pittsburg. Il souhaite la raser afin de construire un parc d’attraction, au grand dam des habitants qui se souviennent avec nostalgie d’un âge d’or perdu. Quelques jours après son arrivée, il est retrouvé inconscient dans l’aciérie désaffectée, gravement blessé à la tête avec une barre de fer à ses côtés. Barry, un local ayant eu maille à partir avec Sugita, se livre à la police et s’accuse du crime. Sa version des faits diffère cependant de celle de l’épouse de Sugita et le shérif comprend vite que la situation n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air.

Ayant lu récemment La magicienne de Ryûnosuke Akutagawa, j’ai cherché les adaptations de cet auteur sur grand écran. Il y en a étonnamment peu et elles ne sont pas simples à récupérer. Nonobstant sa piètre note sur imdb, j’ai regardé la coproduction nippo-américaine Iron Maze sans savoir de quelle nouvelle elle était tirée. J’ai mis un certain temps à réaliser que c’était Dans le fossé, fameuse pour avoir inspiré Rashômon (1950). Hiroaki Yoshida et son scénariste Tim Metcalfe n’ont pas compris que sa force était fondée sur la relativité de la vérité, le lecteur ne pouvant choisir entre des points de vue irréconciliables. Dans Iron Maze, si le second récit conteste au départ le premier, le locuteur admet par la suite qu’il a menti et le spectateur devine au fil des narrations ce qu’il s’est passé. A la fin, il n’y a aucun doute, les zones d’ombre ont été levées, tout le monde est gagnant et on se réconcilie en jetant des cailloux au loin. Si j’ajoute que c’est tellement fauché qu’ils n’ont pas retourné trois plans où le micro apparaît de façon flagrante pendant plusieurs secondes, on imagine sans peine que cet Iron Maze est à éviter absolument.


駅前旅館 [Kigeki ekimae ryokan] de Shirô Toyoda (1958, L'auberge de la gare)
Près de la gare d’Ueno à Tokyo, les auberges se battent pour attirer les clients. Le manager de Kukimoto, Jihei, est extrêmement doué, alternant entre bagou et obséquiosité pour satisfaire les plus exigeants. Le Kukimoto est un ryokan spécialisé dans les groupes d’étudiants et de travailleurs, engendrant une activité frénétique et une attention permanente. Jihei se démène malgré le manque de reconnaissance de ses employeurs et, avec d’autres gérants des environs, se relaxe dans un bar proche tenu par une belle femme. Depuis quelques temps, la situation dans le quartier s’est tendue à cause des rabatteurs regroupés dans une organisation quasi-mafieuse, qui font du chantage aux hôteliers et prostituent les jolies filles.

Kigeki ekimae ryokan a pour source une longue nouvelle de l’écrivain Masuji Ibuse parue en feuilleton dans le magazine Shincho en 1956-1957. Spécialiste des histoires courtes, Masuji Ibuse a écrit un seul roman, Pluie noire (1965), qui sera porté à l’écran par Shôhei Imamura en 1989. La trame chez Masuji Ibuse est en général plutôt lâche, une figure centrale lie des épisodes variés axés sur des aspects de la société japonaise rarement mis en avant. Il n’y a pas de sommet tragique ou de point culminant, pas de réel dénouement, il se contente d’illustrer les mésaventures des protagonistes avec un humour délicat mêlé de compassion, sans cruauté ni moralisme. Kigeki ekimae ryokan est représentatif, comédie de mœurs virevoltant autour d’un Jihei qui circule entre les espaces et les groupes.
En 1955, la Toho avait produit La relation matrimoniale, qui avait cartonné dans les salles. Mettant en vedette Hisaya Morishige et Chikage Awashima, ce film montrait la vie d’un négociant d’Ôsaka et les spectateurs avaient apprécié l’utilisation du dialecte du kansai. Trois ans plus tard, la même équipe est reconduite avec en toile de fond le petit peuple de Tokyo et son dialecte particulier. Shirô Toyoda, spécialiste des transpositions littéraires, est de nouveau chargé de la direction. Hisaya Morishige est entouré de deux comédiens à la mode : l’ancien batteur de jazz Frankie Sakai, transféré récemment de la Nikkatsu, et Junzaburô Ban venu de la Shôchiku. Devant l’immense succès de Kigeki ekimae ryokan, vingt-trois suites seront réalisées entre 1961 et 1969, constituant la série dite Ekimae (littéralement devant la gare). Elles n’auront guère de rapport entre elles, excepté le trio Morishige/Sakai/Ban et la localisation près d’une gare.
Toutes les subtilités liées à la langue m’ont évidemment échappé. Les évènements s’enchaînent rapidement et il est difficile au début d’appréhender les tenants et aboutissants. Sur le fond, il ne se passe pas grand-chose, c’est un tableau du quotidien d’un milieu populaire dans les années 50 brossé sur un ton léger. Je n’ai jamais réussi à entrer dans Kigeki ekimae ryokan, les péripéties de ce manager de ryokan ne m’ayant pas captivé. Il faut dire que je ne suis pas fan de Hisaya Morishige et de Frankie Sakai, moins pénible pourtant qu’à son habitude, rien à voir avec Mothra (1961). Je verrai peut-être le second volet par curiosité à l’occasion si je peux le récupérer.


Livres
Memoirs of a Professional Cad de George Sanders (Dean Street Press, 2015), 193 p.
Né en 1906 à Saint-Pétersbourg, George Sanders est envoyé en 1917 dans une école anglaise et est rejoint par ses parents après le déclenchement de la révolution soviétique. A l’âge adulte, il enchaine les boulots dans divers domaines, de vendeur de tabac à publicitaire, avant de devenir acteur de music-hall, de théâtre puis de cinéma en 1936. Il le demeurera jusqu’à son suicide en 1972, où il laissera une lettre restée célèbre : « Dear World, I am leaving because I am bored. I feel I have lived long enough. I am leaving you with your worries in this sweet cesspool. Good luck. » (Cher monde, je pars parce que je m’ennuie. J’ai le sentiment d’avoir vécu suffisamment. Je vous laisse avec vos soucis dans cette douce fosse d’aisance. Bonne chance). Memoirs of a Professional Cad est son autobiographie écrite en 1960, qui détaille son enfance, sa carrière et sa vie privée, ponctués de réflexions cyniques sur l’existence et sur son métier.

Memoirs of a Professional Cad est exactement ce à quoi on s’attend de la part de George Sanders, une autobiographie amusante et bien écrite, où il se moque de lui-même, de son gagne-pain et de son entourage. J’ai sans surprise préféré tout ce qui concerne le cinéma, qui n’occupe qu’une fraction de l’ensemble. La description de sa jeunesse et de ses emplois avant sa carrière sont pareillement fort distrayants. Il s’embourbe en revanche quand il parle des femmes, en raison d’une misogynie très années 50. S’il est élogieux envers les actrices qu’il mentionne, il ne peut s’empêcher de provoquer en sortant des généralités réactionnaires sous couvert de bons mots. Son évocation d’un séjour au Japon est également discutable, datée et raciste, n’ayant d’intérêt que comme illustration de l’étrangeté de ce pays aux yeux des Occidentaux à cette époque. En dépit de ces défauts, c’était divertissant et je vais essayer de voir les longs métrages qu’il mentionne que je ne connais pas, notamment un Duvivier dont il dépeint avec force moquerie le tournage.


Sado: Japan's Island in Exile d’Angus Waycott (Stone Bridge Press, 1996), 208 p.
L’écrivain anglais spécialiste des récits de voyage Angus Waycott raconte sa randonnée d’une dizaine de jours sur l’île japonaise de Sado. Parti à pied de Ryotsu, la ville principale où accoste le ferry pour Niigata, il fit le tour de l’île en longeant la côte dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Outre son croquis des paysages et des rencontres qu’il a effectués, il s’attarde sur l’Histoire de Sado, lieu d’exil des opposants et source d’or pendant plus de trois siècles après la découverte d’un filon en 1601.

Sado: Japan's Island in Exile est l’unique livre que j’ai trouvé en anglais sur cette île où je vais me rendre prochainement. Il a été écrit en 1996, à un moment où y subsistait environ 80 000 habitants (contre 50 000 en 2022) et où le tourisme était en plein boom, boom retombé depuis. Le programme de réintroduction de l’ibis du Japon débuté en 2008 n’avait pas encore démarré et de rares ibis survivaient péniblement. Angus Waycott est marié à une Japonaise de Niigata, ville importante située en face de Sado, parle parfaitement japonais et possède une grande érudition sur la culture de la région. Tous ses apartés historiques sont passionnants et m’ont permis de mieux comprendre l’évolution de Sado. Il y a un peu trop de descriptions à mon goût mais ça reste une lecture enrichissante qui m’a idéalement préparé à mon voyage.


Rumic World – 1 or W de Rumiko Takahashi (Delcourt, 2016), 256 p.
Rumic World – 1 or W est un recueil de neuf nouvelles de 15 à 40 pages publiées entre 1978 et 1994 dans divers magazines japonais. Ancrées dans la société de l’époque, elles se moquent gentiment des défauts de leurs contemporains à travers des aventures légères centrées sur des adolescent·e·s ou de jeunes adultes et comprenant souvent une touche de surnaturel et de romance. Elles abordent la question des régimes, de la cupidité, des gourous, des relations intergénérationnelles, du respect des aïeux, du culte du sport et de la victoire. A noter que Je suis un chien, et alors ?! préfigure Ranma ½ qui sortira deux ans plus tard, avec ce garçon qui se transforme en chien quand son nez saigne.

Rumiko Takahashi est probablement la mangaka la plus lue au monde, avec ses 200 millions d’exemplaires vendues en 2017. En France, elle est surtout célèbre pour Lamu, Juliette je t’aime et Ranma ½, diffusés en dessins animés durant les années 80 et 90. J’avoue mieux connaître ces adaptations que les mangas d’origine, j’ai lu seulement un ou deux volumes de Lamu et des Ranma ½ dans la vieille édition Glénat toute moche. Les récits réunis ici sont inédits et plaisants bien que de qualité inégale. L’autrice crée en quelques pages un univers en soi peuplés de personnages sympathiques. Elle saute aisément d’un genre à l’autre, du shôjo de La divinité du régime au shônen de La déesse, c’est moi !, en passant par un style quasi yaoi dans Invitation au Takarazuka. Sans être d’une grande originalité, c'est un livre agréable qui m'a donné envie de me lancer dans la lecture des séries réputées de Rumiko Takahashi.


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