samedi 29 avril 2023

Carnet de bord 22/04/2023-28/04/2023



Films vus en compagnie
Tetris de Jon S. Baird (2023)
Henk Rogers est un promoteur de jeux vidéo, ancien développeur qui possède sa propre compagnie au Japon. Lors d’un salon professionnel en 1988 à Las Vegas, il découvre Tetris, un jeu russe dont il achète les droits arcades et consoles pour le Japon à travers le distributeur Mirrorsoft, entreprise du magnat des médias Robert Maxwell. Henk négocie ensuite avec Nintendo un partenariat pour vendre Tetris sur la Famicom (appelée NES en dehors du Japon). Alerté de la sortie prochaine de la Game Boy, il se déplace en URSS pour acquérir les droits de Tetris pour les consoles portables. Il n’est pas le seul, le fils de Robert Maxwell et Robert Stein, l’anglais qui a initialement cédé les droits à Mirrorsoft, sont également sur le coup.

Quand je vois une œuvre tirée de faits réels datant des années 40 ou 50, je sais que la réalité é été largement aménagée pour la rendre dramatique et palpitante. Par exemple, quand la MGM décida de produire le biopic La pluie qui chante (1946) sur le compositeur Jerome Kern, ils furent embêtés car il ne s’était rien passé de trépidant dans son existence et ils ajoutèrent moult drama. Pareillement, je n’exige pas une quelconque authenticité historique dans La vie d’Emile Zola (1937) ou La vie passionnée de Vincent van Gogh (1956). En revanche, j’attends un minimum de véracité d’une adaptation en 2023 de la rocambolesque aventure de la diffusion mondiale du jeu Tetris.
Ce minimum est certes atteint mais guère plus. Henk Rogers et Alexey Pazhitnov (le créateur de Tetris) reconnaissent que leur histoire a été fortement embellie. La partie sur le KGB avec la traitresse et le méchant chef corrompu sont de pures inventions. Il n’y a pas eu de course-poursuite en voiture, d’évasion à la dernière seconde ou ce genre de choses. Il y avait effectivement un climat pesant, des menaces latentes, des marchandages retors avec des retournements de situation, et cela aurait dû suffire. Pensée comme une transposition d’un bouquin de John le Carré, ça aurait pu donner un excellent résultat. En l’état, sans être désagréable, c’est extrêmement hollywoodien et ça me fatigue de voir invariablement les mêmes schémas appliqués sur tous les types de récits.


うた魂♪ [Utatama] de Makoto Tanaka (2008, Sing, Salmon, Sing!)
Kasumi est une lycéenne sûre d’elle. Elle est jolie, est amoureuse du beau Junichi, est fière de ses talents et adore s’écouter chanter. Tout bascule le jour où Junichi prend une photo d’elle sur scène où elle ressemble, selon lui, à un saumon en train de pondre. Sa confiance en elle s’effondre, elle n’ose se montrer en public et songe à abandonner sa passion. Après une prestation ratée avec sa chorale, elle a une révélation en voyant l’émotion générée par le chœur d’une école adverse, pourtant composé d’une bande de voyous punks.

Utatama est le style de comédie typiquement japonaise créée pour valoriser une vedette, la jeune mannequin Kaho reconvertie dans le cinéma un an auparavant. L’objectif est de prouver à quel point elle peut jouer un panel d’émotions et chanter à partir d’un pitch neuneu. Bien que ça fasse par moment très manga, c’est un script original qui avait gagné le prix du meilleur scénario en 2004 dans un festival. La mise en place est longuette et la transition de Kasumi d’une fille super égocentrique à super altruiste est peu crédible. Néanmoins, les punks choristes sont sympathiques, les chansons gentiment désuètes et c’était globalement plaisant.


The Day the Earth Caught Fire de Val Guest (1961, Le jour où la Terre prit feu)
Peter Stenning est journaliste au Daily Express, un tabloïd conservateur anglais. Alcoolique depuis son divorce, son métier l’ennuie et il assure le service minimum. Consécutivement à l’explosion simultanée de deux bombes atomiques par les Etats-Unis et la Russie, le climat commence à se détraquer. Londres connait une vague de chaleur inédite, combinée à des pluies diluviennes et à d’impressionnantes vagues de brouillard. Peter est envoyé pour enquêter auprès du service national britannique de météorologie, où il se lie avec une jolie dactylo, standardiste occasionnelle.

Ce curieux The Day the Earth Caught Fire est un trois-en-un : c’est à la fois un film catastrophe, une romance avec un gars misogyne et relou, et le quotidien d’un journal anglais en 1961. La romance occupe malheureusement une fraction non négligeable du métrage. Peter Stenning est un héros repoussant, dragueur macho et sans gêne qui ne comprend pas le refus. La rédaction est également beauf, sans doute représentative du Daily Express de l’époque. Le rédacteur en chef est d’ailleurs joué par Arthur Christiansen, qui a réellement occupé ce poste entre 1933 et 1957, et The Day the Earth Caught Fire a été en partie tourné dans les locaux du périodique. L’ambiance est correctement retranscrite par une esthétique documentaire et il est amusant de comparer avec l’atmosphère des équivalents américains, où tout le monde crie et court en permanence. Chez les Anglais, on demeure calme, on fait les choses à son rythme même sous la pression. L’aspect catastrophe est le plus réussi, malgré des effets spéciaux approximatifs. Pour ceux qui douteraient encore du réchauffement climatique, ils évoquent une vague de chaleur extraordinaire quand la température à Londres atteint 35°C. Pour rappel, c’est monté à 40°C durant l’été 2022. Les réactions des gens et des gouvernements sont crédibles et The Day the Earth Caught Fire tient mieux la route que le récent et surcoté Don’t Look Up (2021).
A noter que le réalisateur Val Guest, un ancien de la Hammer qui y a dirigé les deux premiers Quatermass, a mis huit ans à réunir les financements pour ce sujet dont personne ne voulait entendre parler.


Der Fan d’Eckhart Schmidt (1982)
Simone est une lycéenne fan inconditionnelle de R, un populaire chanteur de new wave. Elle lui envoie des lettres enflammées où elle lui déclare son amour et est persuadée qu’il va lui répondre ou lui faire signe. Ne voulant croire à l’absence de retour de sa part, elle accuse le facteur et ses parents de lui dissimuler son courrier. Elle se rend en définitive à Munich au pied d’un studio où R doit enregistrer une émission pour le rencontrer en chair et en os.

En 1964, un groupe de cinéphiles espérant faire carrière dans le milieu forme le Neue Münchner Gruppe, en réaction au Oberhausen Manifesto rédigé deux ans auparavant qui appelait à la création d’un nouveau cinéma allemand. A l’inverse de l’Oberhausen Manifesto, en faveur du renversement du système à travers une démarche intellectuelle rigoureuse, le Neue Münchner Gruppe n’avait pas de prétentions auteuristes : ils souhaitaient uniquement filmer librement, sans contrainte, à travers une méthode quasi-documentaire et dans une optique plus émotionnelle et authentique centrée sur le désir de la jeunesse. Issu de ce mouvement, Eckhart Schmidt n’avait réalisé aucun long métrage depuis 12 ans quand il décide d’adapter le journal fictionnel d’une jeune fille écrit pour un magazine de musique qu’il avait fondé. Il choisit pour incarner Simone Désirée Nosbusch, 16 ans au moment du tournage et modératrice dans des programmes musicaux de la chaîne de télévision ZDF. R est interprété par le chanteur du groupe de new wave Rheingold, qui se charge en outre de la bande originale.
Afin de satisfaire les producteurs, le premier montage de Der Fan laissait supposer que tout n’était un rêve. Eckhart Schmidt modifia son montage à la dernière seconde pour supprimer cette conclusion mais la deuxième moitié conserve une irréalité, et un doute subsiste sur la véracité des événements auxquels on assiste. Eckhart Schmidt introduit par ailleurs un parallèle entre le fanatisme de Simone et la période nazi. Il est difficile de comprendre comment les critiques en 1982 ont pu rater ce rapprochement pas vraiment subtil, une affiche avec une foule faisant le salut nazi apparaissant dès le début et le logo de R évoque le symbole des SS. J’ai lu sur un blog une analyse détaillée de cette analogie avec le nazisme, le lecteur pourra s’y reporter s’il le souhaite : https://obsessionb.com/2016/07/21/be-kind-rewind-der-fan-deckhart-schmidt-1982. Malgré cette explication, je demeure dubitatif, j’estime ce parallèle non pertinent et artificiel.
Au final, je suis d’accord avec un site allemand (merci la traduction automatique) qui juge que Der Fan néglige l’émotion au profit de l’allégorie, avec une approche excessivement intellectuelle et une forme maniérée et statique. Eckhart Schmidt, auteur, poète, a d’après moi un peu oublié ses principes de l’époque où il signait le manifeste du Neue Münchner Gruppe et livre une œuvre glaçante et triste. Désirée Nosbusch a un énorme charisme et Eckhart Schmidt retranscrit correctement l’ambiance d’un certain milieu musical des années 80, cela n’a pas suffi pour que je m’intéresse aux émois de cette adolescence sociopathe et à son idole en chemise brune. Je remarque cependant, à la lecture des avis unanimement positifs de Der Fan, que je semble être un des rares à avoir des réserves.


Films vus seuls
天字第一號 [Tian zi di yi hao] de Ying Chang (1964, The Best Secret Agent)
Dans les années 30, fuyant la colonisation japonaise dans le nord de la Chine, Tsui-Ying et son père gagnent leur vie sur les routes en exécutant des spectacles de rue. A la suite d’un bombardement, Tsui-Ying se retrouve seule et part chanter dans un cabaret à Shanghai. Elle est remarquée par l’influent ministre Chen Chao-Chun, qui collabore avec les Japonais, et elle l’épouse en dépit de son amour pour Chou Ling-Yun, le beau neveu de Chen Chao-Chun. Trois ans plus tard, Chou Ling-Yun revient à Shanghai après des études à l’étranger et est engagé par son oncle. Celui-ci est menacé par les rebelles anti-Japonais et cherche à capturer leur chef, le mystérieux Heaven N°1.

Tian zi di yi hao est un remake du film chinois éponyme de Tu Guangqi tourné à Shanghai en 1946, au scénario très similaire. Ce fut un des premiers à aborder la période de l’occupation japonaise, dans un cinéma chinois moribond qui peinait à se remettre de la guerre. Confiant le beau rôle à la résistance, il eut un grand succès. La version de 1946 était elle-même une adaptation du roman Wild Rose de Chen Quan, publié en feuilleton puis en livre en 1942. Wild Rose s’inspirait de Luminous Cup de Yu Lingju, que Chen Quan combina à une nouvelle d’espionnage, Vase, écrite consécutivement à la révélation dans les journaux qu’un micro avait été découvert chez le président collaborationniste du gouvernement provisoire installé par les Japonais. Stylistiquement, il emprunta aux récits d’espionnage de magazines américains. Tout en conservant la trame, le long métrage de 1946 modifie de nombreux points : le rang du personnage principal passe d’espion n°15 à espion n°1 ; les noms des protagonistes sont changés ; le méchant perd en profondeur ; la conclusion devient tragique et Tu Guangqi ajoute du suspens en maintenant secrète l’identité de l’espion n°1 jusqu’à la dernière ligne droite. Tian zi di yi hao rappelle en outre The Secret Code de Zhang Daofan (1937) et ses équivalents hollywoodiens.
Le Tian zi di yi hao de 1946 va donner lieu à un engouement autour du film d’espionnage en Chine jusqu’à la prise de pouvoir des communistes en 1949. Aussi quand, dans la foulée de la popularité des James Bond, les Taïwanais décident de produire un film d’espionnage, ils s’orientent naturellement vers le classique de 1946. Bien que fidèle à celui-ci, Ying Chang adopte un ton plus léger (de ce que j’ai lu, je n’ai pas pu récupérer l’original) et reprend la fin moins dramatique du roman. Hung Pai (la biche dans The Fantasy of Deer Warrior (1961)) éclipse le reste du casting, notamment un jeune Ko Chun-Hsiung en love interest, qui percera dans des rôles ambigus du style Yi-Ming dans The Bride Who Returned from Hell (1965). Hung Pai sera dès lors abonnée aux espionnes, que ce soit dans les suites officielles de Tian zi di yi hao (au moins 3) ou dans ses multiples copies. Tian zi di yi hao connaitra en effet un immense succès à Taïwan et engendrera une mode qui durera jusqu’en 1967, accouchant d’une trentaine de titres perdus pour la plupart. Tous mettront en avant une héroïne forte, avec généralement un acolyte masculin incompétent ou dépendant.
Comme toujours avec le cinéma en taïwanais, Tian zi di yi hao est fauché mais ça ne choque pas si on n'escompte pas du James Bond like. Dans la première moitié, c’est essentiellement un mélodrame avec des chansons. L’espionnage devient central relativement tard et le ton prend progressivement un tour légèrement comique. Je m’attendais à plus délirant après l’étrange The Fantasy of Deer Warrior, Tian zi di yi hao met trop de temps à décoller et je me suis poliment ennuyé pendant deux bons tiers.


海軍特別年少兵 [Kaigun tokubetsu nenshô-hei] de Tadashi Imai (1972, Special Boy Solders of the Navy)
En mars 1945, suivant un mois de combat, les Américains prennent le contrôle de l’île d’Iwo Jima. Sur les 22 000 soldats japonais présents, mille environ survivront aux affrontements. Parmi les victimes, de nombreux adolescents embrigadés, préférant mourir plutôt que de se rendre. Via un flashback, nous voyons l’arrivée en juin 1943 d’un groupe de jeunes gens dans un camp d’entrainement et les étapes qui ont menés ces cadets de la marine à leur mort à Iwo Jima.

Ancré à gauche et un temps membre du parti communiste japonais, Tadashi Imai a entamé sa carrière en 1939 et a dû réaliser des œuvres de propagande. Il a par la suite changé son fusil d’épaule en se concentrant sur des films militants centrées sur les classes laborieuses et dénonçant l’oppression des puissants, à l’image de Kome (1957) que j’avais chroniqué précédemment.
Gros budget produit pour les 40 ans de la Tôhô, Kaigun tokubetsu nenshô-hei se situe dans une veine antimilitariste assez classique, qui dépeint comment des garçons sont amenés à donner leur vie pour un pays qui les exploite. C’est une une sorte d’équivalent masculin de La tour des lys, mis en scène par Tadashi Imai en 1953, qui portait sur un groupe d’étudiantes enrôlées en tant qu’infirmières lors de la bataille d’Okinawa. Kaigun tokubetsu nenshô-hei ajoute un pan social, les adolescents engagés viennent de familles pauvres, parfois honteuses, qui contrastent avec les officiers riches chargés de leur formation. Un élève méprise ainsi son père communiste, incarné par Rentarô Mikuni, un autre est embarrassé par sa sœur prostituée. Cet aspect est intéressant, il démarque Kaigun tokubetsu nenshô-hei du tout-venant et il est dommage qu’il n’ait pas été exploré davantage. Malheureusement, l’essentiel du récit tombe dans le schéma galvaudé des bleus encadrés par un sergent sévère au grand cœur, qui s’unissent dans l’adversité et meurent bravement au combat. Les méthodes violentes du sergent sont remises en cause uniquement par un officier naïf incapable de proposer une alternative et on nous montre que, sous ses allures de dur à cuire, le sergent est en fait un tendre qui veut aider ces jeunes issus de milieux défavorisés. L’antimilitarisme tombe à plat, je m’attendais à mieux de la part de Tadashi Imai.


沓掛時次郎 遊侠一匹 [Kutsukake Tokijiro - Yukyo ippiki] de Tai Katô (1966, One Man of the Gambler's Code)
Kutsukake Tokijiro est un yakuza sans attache qui parcourt les routes en compagnie de son ami Asakichi. Ancien paysan, celui-ci n’a pas l’envergure pour ce métier et Kutsukake voudrait qu’il retourne aux champs. Profitant de l’hospitalité qui leur a été offerte, la cheffe d’un gang souhaiterait que Kutsukake élimine des rivaux et lui tend un piège. Il la voit venir et s’arrange pour s’éclipser. Honteux de son camarade qu’il croit lâche, Asakichi rebrousse chemin pour se battre et meurt. Asakichi le venge puis, dégoûté, repart seul.

Kutsukake Tokijiro est une célèbre pièce de taishû engeki écrite par Shin Hasegawa en 1928. Le taishû engeki est une forme de théâtre populaire bon marché dont l’objectif principal est de divertir le public sans prétention artistique. Kutsukake Tokijiro - Yukyo ippiki est la huitième adaptation de la pièce, la plus cotée au Japon, avec la star Kinnosuke Nakamura dans le rôle principal. En 1966, la Toei songeait à arrêter les jidai-geki, passés de mode. Kinnosuke Nakamura les convainquit de produire ce Kutsukake Tokijiro qui lui tenait à cœur, malgré le peu d’estime qu’il avait pour les yakuza eiga. Il quitta la Toei durant l’année et monta sans grand succès sa propre compagnie en 1968.
Kutsukake Tokijiro - Yukyo ippiki se rattache au ninkyo eiga, où des yakuzas respectables défenseurs de la veuve et de l’orphelin se heurtent à de méchants yakuzas ou à des autorités corrompues. Ils sont confrontés à des dilemmes moraux opposants leurs sentiments personnels (ninjo) et leur devoir (giri). L’acteur emblématique du ninkyo eiga fut Ken Takakura et Kinji Fukasaku entreprit sa série des Combat sans code d'honneur en opposition au manichéisme du genre. Kutsukake Tokijiro - Yukyo ippiki suit les étapes obligées, c’est extrêmement prévisible dans son déroulement du début à la fin. C’est bien photographié, les acteur·ice·s sont bons, et Kiyoshi Atsumi apporte une touche comique durant les vingt premières minutes. Pas désagréable, tout en ayant une forte impression de déjà-vu.


Saw de James Wan (2004)
Deux individus se réveillent enfermés dans une pièce sordide. Ils sont attachés au pied, chacun dans un coin, et le corps d’un homme mort d’une balle dans la tête est allongé au milieu de la salle. Cherchant des indices pour saisir pourquoi ils sont emprisonnés, ils trouvent dans leur poche une enveloppe à leur nom contenant une cassette. L’un deux attrape le lecteur posé sur le sol à côté du défunt et ils écoutent les enregistrements. Une voix caverneuse leur propose un puzzle qu’ils devront résoudre pour s’échapper. Le problème est que la condition d’évasion de l’un est l’assassinat de l’autre.

Je n’avais jamais vu Saw, un des emblèmes et fondateurs du torture porn, terme apparu en 2006 pour désigner un courant de bobines nihilistes qui privilégiaient les tortures et mutilations gore au scénario. Je redoutais le pire. A ma grande surprise, c’est regardable, moins gore qu’attendu, avec une histoire pas passionnante mais qui a le mérite d’être présente, à l’inverse du nasouille Hostel (2005). James Wan sait filmer et instaurer une ambiance, comme il le prouvera dans les inégaux Dead Silence (2007), les Insidious et les Conjuring. Les acteurs sont corrects, et j’étais content de revoir Danny Glover et Cary Elwes (le héros mythique de Princess Bride (1987)). Si la dernière demi-heure est plutôt ratée et si la révélation façon Usual Suspects (1995) tombe à plat, ça reste meilleur qu’escompté. Son aura a sans doute pâti des médiocres suites, même si je suppose que Saw VI (2009) est une boucherie et qu’on prend son pied devant Saw VII (2010) (désolé, ces jeux de mots étaient incontournables dans une critique de Saw).


Séries
妖魔 [Yôma] de Takashi Anno (1989, Yoma, au-delà des ténèbres), 2 OAV
Dans un Japon féodal uchronique de l’époque Sengoku, les massacres de la guerre civile engendrent l’émergence de démons, les yôma. A la suite de l’assassinat du chef de la famille Takeda par un yôma, le ninja Marô déserte. Craignant qu’il divulgue la mort de leur leader alors que le clan souhaite dissimuler l’information pendant trois ans, Hikage est chargé d’éliminer son ancien camarade et ami d’enfance. Sa traque le mène dans un village isolé dont les habitants ont perdu la mémoire et qui semblent cacher un lourd secret.

Yôma est tiré du manga éponyme en deux volumes écrit par Kei Kusunoki, une spécialiste de l’horreur et de la comédie (pas simultanément). Il est réalisé par Takashi Annô, qui n’a rien fait de notable durant sa carrière. Sorti en France en VHS en mai 1996, Yôma pâtit de la comparaison avec Ninja Scroll (1993), paru un mois auparavant dans l’Hexagone et qui comprenait aussi des ninjas et des démons. Yôma était composé de deux OAV tandis que Ninja Scroll était un long métrage de cinéma produit quatre ans plus tard. L’ambiance, la musique et le character design de Yôma sont d’un bon niveau, le problème se situe plutôt du côté de l’histoire, en particulier dans le second épisode. On a l’impression qu’un univers complexe a été imaginé et qu’il n’est pas utilisé (peut-être était-ce développé dans le manga), le résultat consistant en deux petites aventures conventionnelles avec des personnages sans relief et sans psychologie. Vite vu, vite oublié, je le laisse retomber dans l’oubli des OAV horrifiques des années 80, genre à la mode à cette période.


鬼切丸 [Onikirimaru] de Yoshio Kato (1994-1995, Onikirimaru), 4 OAV
Une démone donna un jour naissance à un enfant ayant une apparence humaine. Au lieu d’avoir des cornes, il naquit avec à la main une épée tueuse de démons nommée Onikirimaru. Il erre depuis à la recherche de monstres à pourfendre, persuadé qu’il pourra devenir humain s’il élimine tous les démons de la Terre. Sur son chemin, il sera amené à rencontrer une lycéenne dont le corps abrite deux esprits maléfiques ; une entité emprisonnée volant la mémoire de ses victimes ; un ogre mangeur d’enfants ; et une servante opprimée par ses maîtres qu’un fantôme souhaite pervertir.

Onikirimaru est l’adaptation du manga éponyme en 20 volumes de Kei Kusunoki, l’autrice de Yôma. Il a été publié entre 1992 et 2001 et une suite, commencée en 2013, est toujours en cours. Lorsque les OAV ont été faites, seuls quatre ou cinq livres étaient parus. Le nom Onikirimaru désigne plusieurs épées fameuses dans l’Histoire japonaise et le héros rappelle la légende de Kozuna, un enfant mi-humain mi-démon qui protégeait les mortels contre les démons. Les quatre OAV n’ont pas de rapport entre elles, elles sont autonomes tout en suivant un schéma similaire et n’offrent aucune progression narrative : une victime est violentée par un monstre, le gentil surgit et le trucide. Les vêtements des femmes sont arrachées au passage, occasionnant dans chaque épisode de la nudité gratuite. Techniquement, c’était déjà daté en 1994, avec un character design très années 80 et une animation guère meilleure qu’une série TV. Encore un animé qui mérite son anonymat.


Livres
La patrouille du temps de Poul Anderson (Le livre de poche, collection « Science-fiction », 2007), 288 p.
En 1954 aux Etats-Unis, Manse Everard répond à une annonce pour un bureau d’ingénierie proposant un travail bien rémunéré avec des déplacements à l’étranger. Ancien militaire devenu ingénieur mécanicien, Manse aime voyager et il se présente. Après un entretien et divers tests, il est engagé et envoyé en formation à l’Oligocène. Il a en effet été recruté comme patrouilleur du temps, son emploi consistant à noter les perturbations dans le cours du temps et à rectifier sur place les événements pour remettre l’Histoire sur le chemin prévu. Cela lui donnera l’opportunité de se rendre dans l’Angleterre victorienne, dans la Perse antique, dans l’Amérique du XIIIe siècle et dans un New-York parallèle dominé par les Celtes.

Il y a moult années, j’avais joué au jeu de rôles TimeWatch avec l’ami M. Martin, fanatique des aventures temporelles. Je ne savais pas que c’était inspiré d’une série de nouvelles cultes aux Etats-Unis. Le livre de poche que j’ai lu en contient quatre publiées entre 1955 et 1960, et une dernière sans intérêt datant de 1975 (Les chutes de Gibraltar, qui n’est pas située dans des temps historiques). Il y en a apparemment six autres parues entre 1983 et 1995. Le maniaque de la cohérence et des paradoxes temporels devra passer son chemin : il est rapidement signalé que le temps retombe en général sur ses pattes et que seules certaines modifications clés peuvent avoir un impact. Cela permet de ne pas trop s’attarder sur les détails et d’excuser des actes qui auraient dû engendrer des conséquences. Idéologiquement, ce n’est pas franchement progressiste, les femmes servent à être sauvées, les héros chassent et fument de gros cigares en buvant un whiskey. Manse Everard est une sorte de James Bond temporel et cela fleure bon l’Amérique des années 50-60. Pourtant, je dois avouer que ça se lit agréablement, l’action est soutenue, Poul Anderson a effectué un gros travail de recherche et nous plonge dans les époques qu’il décrit. C’est du divertissement de qualité, que je recommande malgré ses limites.


Japanese Folktales de Norikazu Muramaru (Yohan Publications, 1992), 151 p.
Japanese Folktales contient trente contes japonais de cinq pages comprenant occasionnellement une illustration simple. La plupart sont situés dans l’espace et dans le temps, généralement avant l’ère Edo dans des coins reculés du Japon. Quelques-uns offrent une rapide contextualisation, montrant que ce livre est au départ destiné à un public occidental.

Difficile de trouver la moindre information sur ce court recueil édité au Japon, l’auteur est inconnu au bataillon et l’éditeur semble spécialisé dans les ouvrages en anglais ou lié à l’Occident. Il n’y a pas d’introduction ni d’explication et les contes ont l’air d’avoir été sélectionnés au hasard, sans logique d’ensemble. En l’état, c’est plaisant à lire, ce sont de petites légendes distrayantes sans morale aucune, baignant dans le surnaturel, susceptibles d’enchanter les enfants (anglophones) et les adultes.


Revues
L'oiseau Magazine n°150 – Printemps 2023
Le dossier de ce mois-ci est consacré aux espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD), le nouveau nom des animaux nuisibles, dont le changement d’appellation n’a pas amélioré le statut. Il existe toujours en France quatre espèces de mammifères (belette d’Europe, fouine d’Europe, martre des pins et renard roux) et cinq espèces d’oiseaux (corbeau freux, corneille noire, pie bavarde, geai des chênes et étourneau sansonnet) indigènes chassables en nombre illimité durant les dates d’ouverture de la chasse, soit entre septembre et fin février. Alors qu’aucune étude sérieuse n’établit que ces animaux engendrent des dégâts significatifs et que des alternatives efficaces existent pour limiter les risques, ils continuent à être massacrés chaque année, technique qui a depuis longtemps prouvé son inutilité. Ils occupent pourtant un rôle de premier plan dans les écosystèmes et pourraient être des alliés, consommant de nombreux insectes et rongeurs destructeurs de cultures.

Excepté ce dossier, de belles images de la Papouasie occidentale donne envie d’aller observer l’avifaune unique de cette île, malheureusement très instable politiquement. L’article de Samara Danel sur l’influence des humains sur l’étude du comportement des corvidés est, comme d’habitude, passionnant. Et le reportage sur le delta de l’Okavango m’a donné envie de retourner dans cette région, ce ne sera toutefois pas pour bientôt.


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