dimanche 30 octobre 2022

Carnet de bord 22/10/2022-28/10/2022



Films vus en compagnie
Pahanhautoja de Hanna Bergholm (2022, Egō)
Une corneille arrive dans le salon d’une parfaite famille finlandaise et sème la panique, brisant le mobilier en verre. La jeune ado Tinja l’attrape, la passe à sa mère, qui lui tord le cou et demande à sa fille de la jeter dans la poubelle. La nuit suivante, Tinja entend les cris de la corneille : elle s’est échappée de la poubelle et est en train d’agoniser dans la forêt. Tinja l’achève puis voit à proximité un nid avec un œuf. Elle décide de récupérer l’œuf et de le couver. Un être étrange finit par s’extraire de l’œuf et va semer le trouble dans cette famille pas si parfaite.

Les relations entre Tinja et le monstre sont bien développées, mettant en avant les problèmes d’une ado anorexique écrasée par l’autorité de sa mère. La créature est en animatronique à l’ancienne avec un côté organique sale, effet encore difficile à obtenir en images de synthèse. Le personnage de la mère est en revanche excessivement méchant et cruel. C’est dommage, cela dessert le film et je reste sur une impression mitigée.
Par ailleurs, personne ne se pose la vraie question importante de ce film : de quelle espèce est la corneille et que fait-elle en Finlande ?
Ce n’est clairement pas un corvidé européen avec son œil marron, sa queue large et son bec relativement fin (pour une corneille). Je pencherais pour une Corneille d’Amérique, espèce souvent utilisée sur les tournages. J’hésitais avec une Corneille d'Hispaniola à cause de légères traces blanches sur l’individu présent dans Egō mais cette espèce est plus rare et plus grosse, et la Corneille d’Amérique reste plus probable. N’empêche que moi je verrais ça qui débarque chez moi je me dirais tout de suite qu’il y a un truc louche, surtout que l'individu est nettement différent d'un plan sur l'autre, comme s'il y en avait plusieurs dis donc. L’ornithologie ça sauve des vies.


Our Ladies de Michael Caton-Jones (2019)
La chorale d’un lycée catholique d’une petite ville paumée d’Ecosse est envoyée à Édimbourg pour un concours de chant. Cinq amies profitent de l’après-midi de liberté avant le concours pour se balader en ville, cherchant des hommes avec qui coucher.

Petite comédie écossaise centrée sur des lycéennes dévergondées (jouées comme d’habitude par des femmes ayant entre 21 et 28 ans), le film se suit avec plaisir, malgré un langage souvent bien trop vulgaire pour moi. Comme d’habitude avec les films britanniques, la comédie est teintée de problématiques sociétales et comporte des aspects dramatiques.
Note : j’ai bien aimé l’accent écossais de plusieurs acteurs et actrices. C’est un accent que j’ai toujours trouvé sympathique et j’aurais une bien meilleure prononciation en anglais si je prenais l’accent écossais en roulant mes r.


All is True de Kenneth Branagh (2018)
William Shakespeare s’exile dans sa maison à la campagne après l’incendie de son théâtre. Il y retrouve sa femme et sa fille aînée, pas ravies de le voir revenir s’installer après presque 20 ans d’absence. Leur agacement augmente lorsque William se met à pleurer soudainement la mort de son fils, décédé plus de 15 ans plus tôt, alors qu’il n’avait jamais manifesté jusqu'à présent sa tristesse.

Tout n’est clairement pas vrai dans All is True, les dernières années de la vie de Shakespeare n’étant pas connues en détail. La reconstitution est bien faite, notamment les éclairages en lumière naturelle ou à la bougie. Côté réalisation, Kenneth Branagh ne peut s’empêcher de faire des ralentis inutiles et sa façon de filmer n’est pas toujours très pertinente. Je me suis lassé assez vite des pleurnicheries de Shakespeare sur son fils et me suis plus intéressé aux personnages féminins, ses filles et sa femme. Passable donc, plus intéressant que Beaucoup de bruit pour rien (1993) vu récemment et également réalisé par Branagh.


Living in a Big Way de Gregory La Cava (1947)
Juste avant de partir à la guerre, Leo Gogarty (Gene Kelly) rencontre une femme et ils se marient. 3 ans plus tard, la femme n’est pas enchantée de le voir revenir et souhaite divorcer, estimant que leur mariage avait été conclu sur un coup de tête et qu’ils n’ont rien en commun. Mais Gogarty ne l’entend pas de cette oreille et décide de reconquérir son cœur.

Plutôt déçu par ce combo Gregory La Cava/Gene Kelly, gros échec au box-office qui a poussé La Cava vers la retraite. Le scénario rappelle un peu My Man Godfrey de La Cava (1936) par certains aspects, mais sans la tchatche du duo Powell/Lombard, avec un côté social moins fort et avec un personnage principal plus conservateur. Parce que le personnage de Gene Kelly, il ne croit pas au divorce et le film est bourré de discours paternalistes/traditionnalistes relous. L’intérêt est plutôt du côté des seconds rôles, notamment la grand-mère de l’épouse, la femme d’un ex-camarade de Gogarty mort au combat et le majordome impertinent. Mais tout ça sent le réchauffé et ne fonctionne pas bien.
Le film comporte trois numéros musicaux, surtout axés sur la danse et chorégraphiés par le duo Kelly/Donen. Il n’y a guère qu’une chanson originale assez banale chantée par Gene Kelly, Fido and me.


Films vus seuls
祈りの幕が下りる時 [Inori no maku ga oriru toki] de Katsuo Fukuzawa (2018, The Crimes That Bind)
Kyoichiro, un homme abandonné par sa mère lorsqu’il était enfant, apprend le décès de cette dernière dans une lettre envoyée par son amant. Lorsque Kyoichiro se rend sur place, l’amant a disparu et reste introuvable. 16 ans plus tard, le cadavre carbonisé d’une femme est découvert dans un appartement tokyoïte vétuste. Kyoichiro, devenu policier dans un commissariat de quartier, remarque un lien entre l’affaire et le mystérieux amant de sa mère. Il se lance dans l’enquête, aidé par un de ses cousins inspecteur.

Hiroshi Abe est un acteur assez charismatique, grosse star au Japon depuis une vingtaine d’années. Mannequin au départ, il joue généralement des beaux gosses cools et flegmatiques, parfois affreusement sexistes comme dans la série des films Trick (2002, 2006, 2014) ou dans Bubble Fiction: Boom or Bust (2007). Il est toutefois très bien dans plusieurs films de Kore-Eda dont Still Walking (2008) ou Après la tempête (2016), ou dans le sympathique A Ghost of a Chance (2011) de Kôki Mitani. Il assure ici le service minimum dans un film d’enquête convenu et oubliable.


20世紀ノスタルジア [20-seiki nosutarujia] de Masato Hara (1997, 20th Century Nostalgia)
Après le départ de son ami Toru pour l’Australie, la lycéenne Anzu se retrouve à monter seule le film amateur qu’ils tournaient ensemble. Ils y jouaient deux extraterrestres occupant les corps de deux lycéens et découvrant la vie terrestre, prétexte pour filmer leurs excursions dans Tokyo.

Après The First Emperor (1973), documentaire sur un film non abouti chroniqué précédemment, j’étais curieux de voir un long métrage de fiction de Masato Hara. Je n’avais pas masse de choix, 20th Century Nostalgia étant le seul trouvable avec sous-titres. Je n’ai pas été dépaysé puisqu’il s’agit encore d’un film sur un film, entrecoupé de quelques chansons. Le personnage d’Anzu est sympathique et le métrage est plein d’énergie mais le concept s’essouffle assez vite et je me suis un peu ennuyé dans la deuxième moitié.


妻として女として [Tsuma to shite onna to shite] de Mikio Naruse (1961, Comme une épouse, comme une femme)
Un homme, sa femme et ses deux enfants semblent mener une parfaite vie de famille. Mais sous ces apparences, l’homme entretient depuis plus de 15 ans une autre femme, qui gère pour lui un bar. Lorsque cette dernière finit par se lasser de cette situation et demande à partir, le couple refuse de lui laisser le bar ou une quelconque compensation financière. Elle se voit alors contrainte d’aborder un sujet qu’elle avait juré de taire.

On revient ici à un Naruse plus mélo, avec Hideko Takamine dans le rôle de la maîtresse lasse de la lâcheté de son amant. Elle se heurte à l’épouse officielle, qui n’a pas non plus eu la vie facile. Aucun des deux personnages féminins n’est blâmé, la faute est du côté du mari. Rien de très original, ça sent le réchauffé et j’ai l’impression d’avoir déjà vu ce genre de films 20 fois.


Mulheres da Beira de Rino Lupo (1923)
Dans un petit village de la région de Porto, un père célibataire pauvre décide d’envoyer sa fille vendre du pain dans la ville proche. N’étant jamais sortie de sa campagne, la jeune fille est éblouie par la ville. Elle est peu intéressée par le pauvre berger qui lui fait de l’œil et tombe rapidement amoureuse d’un riche séducteur. Ce dernier l’emmène à Porto mais la délaisse bien vite pour une autre femme.

Le scénario est tiré d’un conte d’Abel Botelho, dramaturge et écrivain naturaliste portugais de la fin du XIXe-début du XXe siècle. Le recueil contenant le conte est apparemment composé de drames passionnels en milieu rural. Le film, réalisé par Rino Lupo pour la compagnie de Porto Invicta Film en 1921, est un bon gros mélo moraliste. C’est le premier film réalisé par Rino Lupo au Portugal et le premier film tourné intégralement en extérieur pour Invicta Film. Le tournage fut compliqué, Rino Lupo et le directeur artistique Henrique Alegria quittèrent la compagnie avant le début du montage. Le film ne sortit qu’en 1923.
On ne retrouve pas ici la beauté des paysages d’Os Lobos, réalisé par Rino Lupo 2 ans plus tard, et rien ne vient égayer ce drame très classique assez dispensable.


夕凪の街 桜の国 [Yûnagi no machi sakura no kuni] de Kiyoshi Sasabe (2007, Yunagi City, Sakura Country)
Le film est découpé en deux parties de durée à peu près égale. Dans la première partie, on suit le quotidien de Minami Hirano, jeune femme irradiée 13 ans plus tôt à Hiroshima. Elle vit avec sa mère dans un bidonville de la ville et suscite l’intérêt d’un de ses collègues de travail. La deuxième partie se déroule en 2007. Se demandant si son père n’est pas devenu gâteux, une jeune femme le suit plus ou moins discrètement pour voir où il se rend. Il va à Hiroshima, où il rencontre d’autres personnes âgées que sa fille ne connait pas.

Tiré d’un manga réputé en un volume traduit en français sous le titre Le Pays des Cerisiers, c’est un drame assez classique dans sa première partie, avec la belle femme malade et condamnée aimée par le gentil collègue du bureau. La deuxième partie est un peu plus légère et originale, avec une fille qui suit maladroitement son père, aidée par une amie d’enfance. Tout cela reste très classique, autant revoir Pluie noire de Shôhei Imamura (1989), plus incisif et qui m’avait pas mal marqué quand j’étais ado.


転校生 さよならあなた [Tenkôsei: Sayonara anata] de Nobuhiko Ôbayashi (2007, Switching - Goodbye Me)
Un adolescent revient à Nagano, ville où il avait vécu plus jeune, avec sa mère récemment divorcée. Lors de son arrivée en classe, le garçon Kazuo tombe sur Kazumi, une amie d’enfance envahissante. Après l'école, ils se rendent à une source d’eau utilisée pour confectionner les nouilles soba du restaurant familial de la jeune fille. Les deux ados tombent dans l’eau et échangent leur corps.
Si le pitch rappelle quelque chose, c’est normal, le film est un remake de Je suis toi, tu es moi, réalisé par le même Ôbayashi en 1982. Le remake suit les grandes lignes de l’original durant la première moitié mais se démarque dans sa seconde moitié en prenant une tournure bien plus dramatique. Ce virage est assez bien mené et surprend le spectateur qui se croyait en terrain connu.
J’ai cependant préféré l’original pour plusieurs raisons :
• l’original se déroule à Onomichi, la ville du réalisateur, cadre plus pittoresque que Nagano ;
• le remake accentue encore l’importance du garçon Kazuo, dans son corps puis dans le corps de Kazumi. C’était déjà le cas dans l’original mais ici la différence de traitement est vraiment disproportionnée ;
• l’original est plus ancré dans le quotidien, sans l’élément dramatique du remake. Il est plus touchant et engendre un plus fort sentiment d’identification et de nostalgie douce-amère, caractéristique des films d’Ôbayashi des années 80 et 90 (voir Shimaizaka ou Ashita vus précédemment) ;
• l’original est imprégné d’une sorte de fantastique un peu magique, avec des effets kitsch et datés, lui donnant un charme absent du remake.
Le remake apporte une autre vision et a son intérêt. Je ne sais pas d’ailleurs lequel des deux est le plus proche du roman d’origine de Hisashi Yamanaka. Mais à choisir, si je ne devais en voir qu’un, je conseillerais sans hésiter la version de 1982.

オズランド 笑顔の魔法おしえます [Ozurando Egao no Maho Oshiemasu] de Takafumi Hatano (2018, Oz Land)
Kurumi, jeune tokyoïte dynamique, est transférée par sa boîte dans un parc d’attraction de Kumamoto, dans le Kyûshû. Dégoûtée par cette mutation dans un premier temps, elle va découvrir les joies de ce travail et les qualités de ses collègues.
Après travailler dans un hôtel c’est formidable, voici travailler dans un parc d’attraction c’est trop d'la balle. Pas grave si le chef vous fait ramasser les poubelles alors que vous voulez gérer des projets et sortez d’une grande université (en fait c’est pour que vous connaissiez le parc par cœur mais on ne va quand même pas vous expliquez pourquoi vous faîtes les choses) ; trop top de travailler de nuit pour des idoles qui viennent chanter le lendemain ; super marrant quand le premier jour on vous fait croire qu’il y a une bombe dans le parc… Y a pas à dire, le travail c’est le seul lieu d’épanouissement possible et vos collègues sont vos seuls amis. Rien à sauver dans ce film à la gloire du capitalisme et de l’esprit d’entreprise.


Séries
シリアルエクスペリメンツレイン [Serial Experiments Lain] de Ryutaro Nakamura (1998), 13 épisodes
À la suite du suicide d’une lycéenne, les jeunes de son établissement reçoivent des emails de la morte. Se demandant si elle en a reçu un également, Lain, une jeune fille introvertie et sans ami, branche son vieil ordinateur. Elle commence à trainer sur le Wired, sorte d’internet, puis rencontre dans la vraie vie des inconnus qui disent la connaitre sous une autre personnalité. Sa dépendance au Wired augmente et la vie de Lain prend une tournure de plus en plus étrange.

Cela faisait plus de 20 ans que je n’avais pas vu Lain. A l’époque, j’avais bien aimé l’ambiance mais j’avais trouvé la série assez absconse. La façon dont je l’avais vue n’avait pas aidé : un ami achetait les VHS selon ses rentrées d’argent et on regardait chaque cassette avec plusieurs semaines d’intervalle. La magie d’internet aidant, j’ai pu cette fois enchaîner les épisodes et je n’ai pas trouvé le scénario aussi obscur que dans mon souvenir.
Bien qu’ayant plus de 20 ans et fortement centrée sur la technologie, la série ne fait pas trop datée. Malgré quelques charabias pseudo-scientifiques, les créateurs ont eu la bonne idée de ne pas chercher à montrer trop clairement les aspects concrets du Wired pour se concentrer sur ses concepts et ses conséquences comme l’anonymat, la rumeur, la réputation, la mémoire du Wired… Le rythme très lent et l’ambiance contemplative pourront rebuter mais la série ne fait que 13 épisodes et je trouve qu’elle fonctionne plutôt bien dans l’ensemble.


Livres
La bête de A.E. Van Vogt (Presses Pocket, 1980), 224 p.
Dans la campagne américaine, un homme tombe sur une mystérieuse machine alors qu’il cherche de la ferraille à revendre. Il se rend compte que c’est une sorte de moteur extrêmement puissant fait dans une matière étrange et contacte un ancien ami haut placé. Rapidement menacé par des hommes mystérieux, la machine lui est enlevée. Il ne se résout pas à faire profil bas et se retrouve embarqué avec son ex-femme dans une organisation secrète.

Dès les premières lignes, ce roman me rappelait quelque chose. Rien de plus normal car c’est une fusion de trois nouvelles précédentes dont La machine (The Great Engine, 1943), que j’avais lue quelques mois plus tôt. La nouvelle ne m’avait pas laissé un grand souvenir et le roman n’améliore pas les choses, au contraire. La structure en trois parties est clairement visible, les nouvelles n’étant qu’imparfaitement fusionnées. La nouvelle The Beast (1943), qui a donné son nom au roman et en constitue la 3e partie, était une suite de La machine. En ajoutant une deuxième partie, extraite de The Changeling (1944), Van Vogt a dû effectuer des changements mais le nettoyage n’a été que partiel. Certains éléments issus des nouvelles n’ont plus trop leur place, comme des nazis surgissant à un moment et disparaissant aussi sec. Ça ne se tient pas bien et, si on le souhaite vraiment, autant lire les nouvelles d’origine (seule la première ayant été traduite à ma connaissance).
Par ailleurs, je ne m’en rendais pas compte quand j’étais plus jeune mais qu’est-ce que Van Vogt est sexiste, encore plus que la moyenne des auteurs de SF de son époque. J’ai lu trois romans et un recueil de nouvelles de lui ces derniers mois et, bien que La bête soit pour l’instant le summum, j’ai retrouvé ce problème à chaque fois. C’est franchement pénible, les personnages féminins sont systématiquement soumis ou sournois, et il ne peut s’empêcher des faire des remarques sexistes à chaque fois qu’un personnage féminin intervient. Encore un livre qui dégage, ça fait de la place.


Le marais (Oeuvres 1965-1966) de Yoshiharu Tsuge (Cornélius, 2020), 248 p.
Ce premier volume des œuvres de Yoshiharu Tsuge paru aux éditions Cornelius réunit ses premières nouvelles éditées dans la revue Garo, mensuel japonais de bandes dessinées d’avant-garde des années 60. Excepté trois nouvelles qui se démarquent par leur narration, les autres sont assez classiques dans le style gekiga (manga pour adulte) de l’époque.

Je n’avais rien lu jusqu’à présent de Yoshiharu Tsuge et cette entrée en matière est gentillette. Ce n’est pas un hasard si ce volume, qui présente les premières œuvres de l’auteur, a été édité en troisième car la majorité des nouvelles ne sont pas exceptionnelles. Seules Le marais (qui a donné son titre au recueil), Tchiko et La chasse aux champignons se démarquent. Elles déconcertèrent le public et Yoshiharu Tsuge, déçu, arrêta d’écrire pendant un an. J’attends donc la suite pour me faire un vrai avis sur ce mangaka.
Comme d’habitude, Cornelius a fait un joli travail d’édition, un beau livre en couverture rigide avec une présentation intéressante de l’auteur et une mise en contexte des nouvelles du recueil.


L’Intelligence animale – Cervelle d’oiseaux et mémoire d’éléphants de Emmanuelle Pouydebat (Odile Jacob poches, 2020), 215 p.
Ce livre écrit par la chercheuse Emmanuelle Pouydebat, biologiste spécialiste du comportement animalier, explore la question de l’intelligence humaine et animale. Qu’est-ce que l’intelligence ? Est-ce une spécificité de l’être humain, voire des primates ou des mammifères ? Comment et sous quelles formes se manifeste-t-elle dans le monde animal ? Autant de questions abordées dans ce petit ouvrage, agrémenté de nombreux exemples.

Je connaissais déjà la majorité des exemples cités, notamment pour les oiseaux car j’ai lu plusieurs bouquins plus pointus sur le sujet dont Le génie des oiseaux de Jennifer Ackerman. Emmanuelle Pouydebat refuse de limiter l’intelligence aux facultés humaines : elle montre comment ce qu’on associe habituellement à l’intelligence comme les outils, la culture ou l’empathie, ne sont pas le propre de l’être humain ou des primates. Elle va toutefois un peu loin d’après moi, élargissant le concept aux bactéries capables de survivre en milieu hostile. Le problème ici est que le mot intelligence ne veut plus dire grand-chose, surtout quand il existe des termes plus adéquats. Intelligence émotionnelle ? Autant parler d’empathie. Intelligence navigationnelle ou mémorielle ? Sens de l’orientation et mémoire. Je comprends qu’elle veuille détruire l’image de l’humain en haut d’une pyramide fictive du vivant, je ne peux qu’approuver. Je suis également d’accord sur l’incertitude entourant la définition de l’intelligence. Mais je ne pense pas que ce soit constructif de tout assimiler à un concept flou d’intelligence. Il faut plutôt chercher à détrôner l’intelligence de son piédestal et protéger le vivant, intelligent ou pas.
Malgré ces réserves, c’est un livre facile et rapide à lire, et une bonne introduction au comportement animal malgré ses côtés un peu moralisateurs. Cela m’a fait réfléchir à l’importance de l’environnement sur le comportement et aux limites de l’observation : un même animal ne fera pas la même chose selon son milieu (certaines espèces n’ont pas d’outil tout simplement parce qu’elles n’en ont pas besoin, mais pourront très bien se mettre à en utiliser si le contexte change) et de nombreuses espèces sont mal considérées parce qu'elles n’ont pas été suffisamment observées (notamment les espèces aquatiques et les insectes).


Articles
Aaron Gerow est un des chercheurs les plus intéressants que j’ai pu lire sur le cinéma japonais des premiers temps. Son livre Visions of Japanese Modernity m’a fait envisager cette période du cinéma japonais sous un angle totalement nouveau et réfléchir sur la notion même de cinéma. J’ai donc décidé de récupérer ses différents articles et extraits de livre mis à disposition gratuitement sur sa page internet de l’université de Yale, en commençant pas les articles : https://works.bepress.com/aarongerow/#articles
Ils sont le plus souvent relativement courts, de quelques pages à une dizaine de pages. J’ai été plus convaincu par ceux portant sur le cinéma d’avant 1945 que par ceux traitant de réalisateurs ou de films plus contemporains.

« Celluloid Masks: The Cinematic Image and the Image of Japan » d'Aaron Gerow (Iris, 16, Spring 1993, p.23-36)
« The Self Seen as Other: Akutagawa and Film » d'Aaron Gerow (Literature/Film Quarterly, 1995, p.197-203)
« Kawabata and Cinema: The Ambivalence of Knowledge, Medium, and Influence » d'Aaron Gerow (Japan Forum, 30(1), 2018, p.26-41)
Ces trois articles examinent les liens entre le cinéma et trois grands auteurs japonais, Ryûnosuke Akutagawa, Yasunari Kawabata et Jun'ichirô Tanizaki. J'avais beaucoup aimé le recueil Rashômon et autres contes d'Akutagawa quand j'étais ado, il faudrait que je récupère d'autres nouvelles. J'avais été moins convaincu par Kawabata, dont j'ai dû lire 5 ou 6 romans, excepté Le Grondement de la montagne que j'avais apprécié (mais je préfère l'excellente adaptation de Naruse (1954) avec Setsuko Hara). Je connais moins Tanizaki, dont j'ai juste lu Le Chat, son maître et ses deux maîtresses il y a quelques années.

Ce qui ressort globalement, c'est l'ambivalence des écrivains par rapport au cinéma, en particulier chez Tanizaki et Kawabata. Alors qu'ils ont baigné dans le cinéma à leur début, les deux participant à la conception de films, ils s'en sont éloignés en vieillissant et avec l'arrivée du parlant. Leur vision du cinéma a toujours été critique, influencée par des modernistes qui voulaient transformer le cinéma japonais. Kawabara semblait ainsi intéressé moins par le cinéma que par ce qu'aurait dû être le cinéma pour les intellectuels des années 20.
Je note également un lien entre cinéma et fantastique, très présent dans les nouvelles situées dans le milieu du cinéma. Il faudrait d'ailleurs que je récupère La tumeur à face humaine de Tanizaki.


« Colonial Era Korean Cinema and the Problem of Internalization » d'Aaron Gerow (Trans-Humanities, 8(1), February 2015, p.27-46)
« Spectateurs combattants. La réception du cinéma japonais dans la Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale » d'Aaron Gerow (Ebisu, 30, Printemps/Eté 2003, p.35-54)
« Uchida Tomu and the Missing Links » d'Aaron Gerow (Kolik Film, 4, 2005, p.40-44)
Le premier article s'intéresse au cinéma coréen produit sous l'occupation japonaise. Plusieurs films ont été retrouvés et restaurés dans les années 2010. Ils permettent de voir comment les réalisateurs coréens véhiculaient les valeurs promues par les autorités japonaises, dans un contexte où les films japonais eux-mêmes n’étaient pas considérés comme assez japonais. L'article se contente d'explorer quelques pistes, il faudra que je récupère une analyse plus approfondie.

Le deuxième article aborde le problème de la réception : comment être sûr que les films sont correctement perçus par les colonisés, voire par les Japonais ? Est-ce qu'il ne faudrait pas faire des films uniquement destinés aux colonisés et ne pas exporter les films japonais ? Malgré le durcissement progressif de la réglementation durant les années 30 puis l’unification des entreprises de production en 1941, les films nationaux (kokumin eiga, concept flou n’ayant jamais été clairement défini malgré sa large utilisation) ne représentaient qu’une petite partie de la production. Ils se retrouvaient noyés dans la masse et peu vu par la population. De plus, même pour les films idéologiquement validés, il y avait toujours le risque d’une mauvaise interprétation par les spectateurs, en particulier par ceux des colonies ou des nouveaux territoires occupés pendant la guerre.
Enfin, le cinéma japonais n'était pas apprécié par les autorités japonaises. Elles le trouvaient vulgaire, trop populaire, inutile pour l'éducation des masses et techniquement arriéré. Tout en voulant renforcer un socle de valeurs dites japonaises, l'Etat prenait comme exemple le modèle hollywoodien. Les intellectuels nationalistes étaient particulièrement sensibles à ce que pensaient les étrangers du cinéma japonais. Dans ce cadre, les colonies (Corée, Mandchourie, Taïwan puis plus tard d'autres parties d'Asie) constituaient un laboratoire particulièrement scruté, à tel point que l’avis des étrangers sur le cinéma japonais comptait plus que l’avis des spectateurs purement japonais.

Le dernier article, très court, porte sur Tomu Uchida. Réalisateur important des années 30, il part en Mandchourie en 1940 mais ne réalise aucun film sur place. Prisonnier après la guerre, il ne rentre au Japon qu’en 1954 et se remet à la réalisation. C'est un des rares exemples de réalisateur passé directement de l’âge d’or des années 30 à celui des années 50, sans connaître les bouleversements de la guerre totale puis de l’occupation américaine d’après-guerre. Son œuvre peut donc servir à répondre à une question débattue par les spécialistes du cinéma japonais : y a-t-il continuité ou rupture entre le cinéma japonais des années 30 et celui des années 50 ? Aaron Gerow penche fortement vers la continuité. Les centaines de films japonais que j’ai pu voir réalisés durant ces périodes me font aller dans son sens.


« If Ainu Are Indians, Then What Are Japanese? » d'Aaron Gerow (YIDFF Daily Bulletin, 4, October 1993, p.2)
« “I want to see Seijun’s films once more before I die”—The Suzuki Seijun Incident and Postmodern Spectatorship » d'Aaron Gerow (Image Forum, 169, February 1994, p.75-83)
« A Scene at the Threshold: Liminality in the Films of Kitano Takeshi » d'Aaron Gerow (Asian Cinema, 10(2), Spring/Summer 1999, p.107-115)
« The Homelessness of Style and the Problems of Studying Miike Takashi » d'Aaron Gerow (Canadian Journal of Film Studies/Revue Canadienne d'Études Cinématographiques, 18(1), Spring 2009, p.24-43)
« The Empty Return: Circularity and Repetition in Recent Japanese Horror Films » d'Aaron Gerow (Minikomi: Informationen des Akademischen Arbeitskreis Japan, 64, 2002, p.19-24)
« Recognizing 'Others' in a New Japanese Cinema » d'Aaron Gerow (Japan Foundation Newsletter, XXIX(2), January 2002, p.1-6)
Rien à relever sur ces articles portant sur le cinéma japonais des années 60 (pour les deux premiers) puis 90 à 2010 (pour les quatre suivants). J’ai vu la plupart des films cités, les angles d’approche ne m’ont pas convaincu et je n’ai pas appris grand-chose. On est plus ici dans la critique que dans la théorie et l’Histoire, et cela m’intéresse moins.


« Introduction: The Theory Complex » d'Aaron Gerow (Review of Japanese Culture and Society, 13(2), December 2010, p.1-13)
Cet article porte sur la situation de la théorie du cinéma au Japon. C’est une introduction à un numéro présentant plusieurs théoriciens et leur point de vue. Il faudra peut-être que je lise le numéro à l’occasion. L’introduction explique les raisons du manque de théoriciens sur le cinéma au Japon et sur leur faible reconnaissance dans leur pays.


« Consuming Asia, Consuming Japan: The New Neonationalist Revisionism in Japan » d'Aaron Gerow (Bulletin of Concerned Asian Scholars, 30(2), April 1998, p.30-36)
« Fantasies of War and Nation in Recent Japanese Cinema » d'Aaron Gerow (The Asia-Pacific Journal: Japan Focus, 4(2), 2006)
« War and Nationalism in Yamato: Trauma and Forgetting the Postwar » d'Aaron Gerow (The Asia-Pacific Journal: Japan Focus, 9(1), 2011)
Le premier article examine la popularité d’un écrivain néo-nationaliste que je ne connais pas et d’un film que je n’avais pas aimé, Swallowtail Butterfly de Shunji Iwai (1996). Rien de bien passionnant pour moi si ce n’est que ce ne sont pas toujours les films les plus salement nationalistes qui sont les plus dangereux.

Cette idée est renforcée par les deux articles suivants : le premier étudie la résurgence au début des années 2000 de films de guerre bien basiques glorifiant l’armée japonaise (ou sa version moderne, les forces d'autodéfense) ; le second se penche sur Otoko-tachi no Yamato (2005), au discours en apparence anti-guerre. Aaron Gerow estime que le second est plus pernicieux par certains aspects. Les premiers ne cachent pas leur propos et montrent les limites de la percée des discours nationalistes : afin de plaire au plus grand nombre, le nationalisme de ces films est rendu inoffensif à force d’atténuation. A l’inverse, Otoko-tachi no Yamato, en liant directement le Japon actuel au traumatisme de la guerre, évacue toute la difficile période la reconstruction. Il masque les difficultés sociales et politiques, et les débats idéologiques qui ont agité la société japonaise de 1945 aux années 70. Il oublie que la société japonaise d’aujourd’hui n’est pas la conséquence logique de la guerre mais le résultat de choix faits après la guerre.
Je n’ai vu aucun des films cités dans les deux derniers articles et j’ai donc du mal à me positionner sur les points avancés par l’auteur. Il faudra que je les regarde pour me faire un avis.


Revues
L'oiseau Magazine n°148 – Automne 2022
Rien de très notable dans ce numéro. Le dossier sur les animaux dangereux ne m’a pas appris grand-chose, si ce n’est de se méfier des escargots d’eau douce : porteur d’un parasite à l’origine d’une maladie grave, ces escargots tuent jusqu’à 200 000 personnes par an, soit 1000 fois plus que les crocodiles. Instinctivement, j’aurais plus tendance à flipper devant un crocodile que devant un escargot, comme quoi…
Ah, et la courte note du directeur général de la LPO sur de la situation des blaireaux est affligeante pour la France, comme toujours sur ce genre de question : sans apporter la moindre preuve des dégâts occasionnés, 20 000 à 30 000 blaireaux sont tués tous les ans en France. Et alors que les arrêtés de destruction des blaireaux doivent normalement faire l’objet d’une déclaration de dégâts, le préfet du Loir-et-Cher, obligé par la justice à produire le document, a révélé qu’il n’en avait pas. Je propose donc de remplacer l’insulte « blaireau » par « préfet », cela me semble plus juste pour le pauvre animal.


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