samedi 1 avril 2023

Carnet de bord 25/03/2023-31/03/2023



Films vus en compagnie
La dilettante de Pascal Thomas (1999)
Séparée récemment de son deuxième mari, Pierrette Dumortier arrive à Paris pour refaire sa vie. Elle s’incruste chez son fils de 21 ans, qui loge seul dans un petit appartement à Bobigny, et obtient un emploi de surveillante dans un collège. Elle essaye ensuite de se rapprocher de sa fille Nathalie, étudiante qui habite chez son père, le premier époux de Pierrette remarié à une riche bourgeoise. Ne prenant jamais rien au sérieux et incapable de se stabiliser, Pierrette change régulièrement de boulot et d’amant, au désespoir de Nathalie.

La dilettante est un show de deux heures de Catherine Frot dans son habituel rôle d’insouciante à la verve inépuisable. Elle rend supportable un personnage d’une naïveté qui confine à la bêtise et qui engendre davantage de problèmes qu’elle n’en résout. C’est distrayant sur le moment, tout en étant fondamentalement facile dans l’écriture et dans la réalisation. Je ne garderai probablement qu’une impression floue qui se mélangera à d’autres Catherine Frot. Cela ne va pas s’arranger une fois que j’aurai regardé les trois comédies policières du même Pascal Thomas avec Catherine Frot et André Dussollier. J’en ai d’ailleurs déjà vu une en salle il me semble, impossible de me souvenir laquelle.


女篮五号 [Nu lan wu hao] de Jin Xie (1957, Woman Basketball Player No. 5)
Tian Zhenhua, un ancien basketteur de haut niveau durant les années 30, est nommé entraineur de l’équipe féminine de basket de Shanghai. Peu habitué à gérer un groupe de jeunes femmes, il est au départ déstabilisé mais reprend vite sa contenance et leur impose un entrainement rigoureux. Il se prend d’affection pour la joueuse numéro 5, Lin Xiaojie, qui s’avère être la fille de son ancienne fiancée, Lin Jie. 20 ans auparavant, alors qu’ils étaient censés se marier, Tian Zhenhua avait contrarié le père de Lin Jie. En représailles, il avait fait croire à Tian Zhenhua que sa fille ne voulait plus de lui.

Le cinéma sous Mao présente un visage fort différent selon les époques et les évolutions du régime. La période qui s’étend de 1953 à 1957 est appelée l’âge d’or du cinéma socialiste chinois. 140 longs métrages furent tournés, une relative liberté permit d’aborder de nombreux sujets et seulement 10% furent consacrés à la révolution. Nu lan wu hao est sorti en été 1957, au tout début de la campagne anti-droitiste qui allait purger l’industrie cinématographique et affecter durablement la qualité. La réalisation et le scénario sont confiés à Jin Xie, figure montante de la troisième génération. Il aura des ennuis en 1964 avec Sœurs de scène, les autorités jugeant qu’il prônait la réconciliation des classes : il sera privé de mise en scène pendant huit ans et ses parents se suicideront sous la pression. En 1956, il reçoit une commande du Shanghai Film Studio pour un film de sport. Pensant d’abord faire une comédie, il mélange en définitive sport, propagande et romance, s’inspirant pour le flash-back sur Tian Zhenhua et Lin Jie des mélodrames produits à Shanghai dans les années 30. Pour incarner Tian Zhenhua, il choisit Qiong Liu, qui a démarré sa carrière en 1934 pour la Lianhua Film Company, un des trois grands studios de Shanghai spécialisé dans les œuvres progressistes et intellectuelles. Pour les basketteuses, des non professionnelles sont sélectionnées, celle qui joue Lin Xiaojie étant par exemple une étudiante championne de volley-ball.
Après une vingtaine de minutes légères qui laissent présager une intrigue autour des rivalités dans une équipe, Nu lan wu hao vire au drame sentimental conventionnel. S’il revient ultérieurement sur les basketteuses, notamment pour caser un peu de propagande soulignant la nécessité pour le pays d’avoir des athlètes crédibles à l’échelle internationale, l’histoire d’amour entre Tian Zhenhua et Lin Jie reste centrale. C’est dommage, la partie sportive fonctionnait mieux. Nu lan wu hao est encore aujourd’hui un des titres les plus célèbres de Jin Xie, il en a fait un remake en 2001 en remplaçant le basketball par le football.


Icare de Carlo Vogele (2022)
Icare est fasciné par son père Dédale, un inventeur génial au service du roi Minos en Crète. Chargé d'apporter une pelote de fil à Ariane, il se promène dans le palais et débouche sur une grande cour isolée. Un être mi-garçon mi-bovin y vit. Il s’appelle Astérion, c’est le fils d’une liaison contre-nature entre la reine Pasiphaé et un taureau. Il a été enfermé par Minos, qui vient régulièrement le maltraiter. Icare se prend d’amitié avec cette créature pacifique et sensible, capable de communiquer par télépathie et percevant par flash le futur. Il ne sait pas qu’en parallèle Minos a commandé à Dédale un labyrinthe dans lequel il compte enfermer Astérion à jamais.

Les textes antiques qui subsistent ne sont pas loquaces sur Icare, on sait juste qu’il s’est échappé avec son père du labyrinthe, qu’il est monté trop haut, s’est brûlé les ailes et est tombé. Carlo Vogele, également au scénario, a estimé que cela lui laissait l’opportunité de développer Icare selon son envie et lui a fabriqué une jeunesse. Cela m’amuse qu’il considère nécessaire de ne posséder aucune donnée sur un mythe pour avoir le droit d’affabuler, les mythes sont par définition des constructions imaginaires véhiculés et transformés par les conteurs et on devrait pouvoir les manipuler sans se poser de question. Techniquement, le style est original, avec un côté BD et un cel-shading de qualité variable. Cette apparence visuelle contribue à installer une ambiance de conte mélancolique, renforcée par la musique classique mélange de Vivaldi et de compositions créées pour l’occasion. Toutes les séquences entre Icare et Astérion sont réussies, et rendre Astérion clairvoyant est en accord avec l'inéluctabilité de la tragédie. A partir du moment où Astérion est enfermé, Icare perd son souffle. Le personnage d’Ariane prend de l’importance avec l’apparition de Thésée, elle est inopportunément dépeinte en pimbêche insensible et ne suscite aucune empathie. Les toutes dernières images retrouvent la poésie initiale, il aurait fallu maintenir cette ambiance tout du long.


Tig de Kristina Goolsby & Ashley York (2015)
Tig accompagne pendant presque deux ans l’humoriste Tig Notaro. En 2012, elle enchaîne les calamités. A un malaise sur le tournage de In a World... (2013) lié à une grave infection succède le décès de sa mère. Dans la foulée, Tig est diagnostiquée d’un cancer du sein. Au fond du trou, avant une périlleuse double mastectomie, elle effectue un ultime stand-up au Largo où elle aborde ses problèmes et son cancer avec humour. C’est un triomphe, qui aura un impact significatif sur sa vie et sa carrière.

Je ne suis pas fan de stand-up, je ne traine pas sur les réseaux sociaux et je connaissais Tig Notaro uniquement via sa cinématographique. La manière dont elle traverse les épreuves est remarquable et sa relation avec la comédienne Stephanie Allynne est touchante. Néanmoins, Tig cumule tous les défauts du documentaire américain. C’est techniquement ultra-standardisé, voyeuriste, jouant avec les émotions du spectateur. Kristina Goolsby et Ashley York créent ainsi un suspens hors de propos sur le succès ou l’échec de l’implantation d’un ovaire fécondé de Tig dans une mère porteuse. Les réalisatrices viennent de la télé réalité, ça se sent, avec des confessions face caméra, de la grosse musique et des effets de montage. On a parfois l’impression que Tig Notaro est suivie 24 heures sur 24, dans les moindres recoins de son intimité. Paradoxalement, si on est informé de tous les détails sur ses malheurs et sur l’évolution de son couple avec Stephanie Allynne, on n’apprend pas grand-chose de ses idées, de son positionnement idéologique et seuls de rares passages montrent sa façon de travailler. Sur un tel sujet, il y avait moyen de faire mieux.


ゴメンナサイ [Gomennasai] de Mari Asato (2011, Ring of Curse)
Bien qu’étant la meilleure élève de sa classe, Kurohane n’est guère appréciée, en particulier par Shiori, jalouse de ses résultats. Elle ne se préoccupe pas de ce manque de popularité, elle ne parle à personne et rejette la proposition de Yuka de participer à un club littéraire. Afin de pouvoir se moquer de Kurohane, Shiori la désigne pour concevoir la pièce de théâtre de fin d’année. Kurohane se met immédiatement au travail sans broncher. Nul ne se doute que les textes de Kurohane sont capables de tuer.

Avant les romans pour smartphones, il existait au Japon des nouvelles pour téléphone portable comme Gomennasai, écrite par Yuka Hidaka et publiée en 2007 sur le site spécialisé Mahô no iRando. Pour le long métrage, les producteurs ont fait appel aux trois chanteuses du groupe de J-Pop Buono!, qui incarnent Kurohane, Yuko et Shiori. Gomennasai commence et termine par une mise en abyme : les idoles apparaissent dans leur propre rôle et présentent Gomennasai à la télévision, puis reviennent à l’écran après la conclusion. Cette originalité ne sauve pas le film de l’ennui. C’est de la J-horror mou du genou, un vague succédané de Ring (1998), les adolescents surnommant même Kurohane Sadako. L’interprétation est franchement moyenne, ce n’est pas effrayant pour deux sous et le récit n’a aucun intérêt quand on a compris le principe. Mari Asato est une des rares femmes œuvrant dans l’horreur, dommage qu’on lui confie des scripts aussi nases.


Films vus seuls
死との約束 [Shi to no Yakusoku] de Hidenori Jôhô (2021, Appointment with Death)
Suguro Takeru est en vacances dans un luxueux hôtel près du sanctuaire de Kumano Hongû-taisha dans la préfecture de Wakayama au sud-est d’Ôsaka. Il y croise une docteure venue se ressourcer, la riche famille Hondo menée d’une main de fer par une mère acariâtre et possessive, et une vieille amie qu’il avait arrêté des années auparavant. Alors qu’ils sont tous en promenade sur les chemins de Kumano, Mme Hondo est assassinée et l’inspecteur local demande à Suguro Takeru de mener l’enquête.

Pour cette troisième et pour l’instant ultime adaptation d’Agatha Christie avec Suguro Takeru en Hercule Poirot, Kôki Mitani transpose le roman Rendez-vous avec la mort dans le Japon de 1955. Encore une fois, d’après le Agatha Christie wiki, il suit fidèlement la trame du livre. L’histoire est plus dynamique que celle de Kuroido Goroshi et ne dure qu’environ 2h (contre 2h30 pour Kuroido Goroshi). Shi to no Yakusoku bénéficie des beaux décors naturels du sanctuaire de Kumano Hongû-taisha et contient davantage d’humour que ses deux prédécesseurs. Malheureusement, cet humour tourne essentiellement autour de l’agaçant Suguro Takeru. L’actrice qui joue Mme Hondo, Keiko Matsuzaka, en fait des tonnes, elle m’avait déjà fatigué dans Tsuna hiichatta!. Même si j’avais deviné depuis longtemps le/la/les coupable(s), la classique scène de réunion des suspects pour la révélation est montée de façon distrayante. Sans rien apporter au genre, cette trilogie s’est avérée agréable et j’espère qu’ils vont la prolonger.


妖婆 [Yoba] de Tadashi Imai (1976, The Possessed)
En 1919, un riche couple célèbre le mariage de leur fille unique Ôshima à un jeune homme prometteur, Shinzo. Le soir de leur nuit de noces, la jalouse cousine d’Ôshima, Sawa, psalmodie des incantations et Shinzo ne parvient pas à assurer son devoir conjugal. La situation se répète nuit après nuit, Shinzo rejette la faute sur Ôshima et Sawa devient sa maitresse. Le divorce est prononcé et Ôshima reste avec ses parents. En 1923, tout son entourage meurt dans le grand tremblement de terre du Kantô et elle perd tous ses biens. Elle se retrouve orpheline et exerce le métier de couturière itinérante. Elle semble poursuivie par l'infortune, comme si un esprit malfaisant s’accrochait à elle.

Yoba est librement inspiré d’une nouvelle éponyme de Ryûnosuke Akutagawa. Tandis que celui-ci dépeint une vile magicienne uniquement sous l’angle d’une menace pour un couple d’amoureux, la scénariste Yôko Mizuki, collaboratrice habituelle de Tadashi Imai, imagine les circonstances amenant à sa transformation en sorcière. Seul le dernier quart d’heure recolle à la source. C’est paradoxalement cette origin story qui surnage, baignée d’une ambiance oppressante légèrement fantastique que j’ai appréciée, bien que datée. Il ne faut par contre pas s’attendre au moindre discours politique, c’est du Tadashi Imai de commande qui se cantonne au divertissement inoffensif.
Machiko Kyô, connue en Occident pour Rashômon (1950) ou Les contes de la lune vague après la pluie (1953), interprète Ôshima. Toujours charismatique à 50 ans passé, son talent n’est pas correctement exploité, cantonnée en proie impuissante. L’inversion des rôles de victime et persécutrice entre Ôshima et Sawa est invraisemblable, il aurait mieux valu que Yôko Mizuki s’affranchisse totalement du texte de Ryûnosuke Akutagawa et assume jusqu’au bout son point de vue. Tout le quart d’heure final évoque un mauvais Exorciste (1973), sorti au Japon en 1974. Cela fait basculer Yoba dans un kitsch risible et détruit malencontreusement l’atmosphère pesante instaurée pendant une heure. C’est ballot car, si l’on coupe ces quinze minutes, c’est un honnête drame horrifique plus subtil que le tout-venant de l’époque.


トラック野郎 度胸一番星 [Torakku yarô: Dokyô ichibanboshi] de Norifumi Suzuki (1977, Truck Rascals V: Ichibanboshi the Brave)
Alors que le camionneur Momojiro s’arrête pour uriner, le fantôme d’une femme surgit devant lui et lui demande d’aller sur l’île de Sado. Sur place, il rencontre Minako, une institutrice qui ressemble trait pour trait à l’apparition. C’est le coup de foudre et Momojiro envisage de s’installer sur l’île, jusqu’à ce qu’un malentendu l’amène à repartir sur le continent. Une lettre de Minako lui apprend que, contrairement à ce qu’il pensait, elle demeure célibataire. Elle lui demande de revenir afin de tenir sa promesse et effectuer une excursion avec ses élèves. Momojiro va-t-il pouvoir épouser la dame de ses rêves et ne pas se faire jeter comme à son habitude ?

Je vais prochainement aller deux semaines sur l’île de Sado et je cherche des films qui y ont été tournés. Ils sont peu nombreux et parfois difficiles à récupérer. Outre le 31e Tora-san que j’ai déjà vu, il y a ce Torakku yarô: Dokyô ichibanboshi, pur produit d’exploitation des années 70, genre dont je ne suis pas friand. La série des Torakku yarô comporte dix épisodes diffusés sur une courte période de 5 ans, avec en vedette Bunta Sugawara, l’acteur de la saga des Combat sans code d'honneur de Kinji Fukasaku. Les multiples volets suivent un schéma proche des Tora-san, Momojiro parcourt le Japon et tombe amoureux sans succès d’une nouvelle femme à chaque étape. La différence est que les Torakku yarô comprennent des courses-poursuites, des bagarres, du sexe et de l’humour en dessous de la ceinture. Ils manquent toutefois de la subtilité et de l’humanisme d’un Yôji Yamada, le réalisateur Norifumi Suzuki étant spécialisé dans l’érotisme, l’horreur et la violence.
C’est exactement ce que je craignais, vulgaire, vaguement provoquant et flemmard scénaristiquement, avec Bunta Sugawara en roue libre tout du long. La police est ridiculisée, ce qui est en soi une bonne chose sauf quand c’est pour valoriser des fous de la route sous bière et testostérone. Il y a quelques images d’Épinal de l’île de Sado, c’est pour ça que j’étais venu, un peu maigre cependant pour justifier le visionnage de ce machin.


夢の仕掛人・因幡くん登場! ラムの未来はどうなるっちゃ? [Urusei Yatsura: Yume no shikajin Inaba-kun tôjô! Ramu no mirai wa dô naruccha!?] de Tetsu Dezaki (1987, Urusei Yatsura: Inaba the Dreammaker)
Shinobu croise un beau jeune homme affamé en costume de lapin nommé Inaba et lui donne à manger. Tandis qu’elle est en train de se dire qu’il est mignon, Inaba lui propose lourdement un rendez-vous galant. Elle l’envoie valser au loin et il disparait, laissant derrière lui une curieuse clé. Lum, qui trainait dans le coin avec Ataru, explique que cette clé permet d’aller dans une autre dimension. Ils décident de l’utiliser et ils débarquent tous les trois dans un lieu étrange rempli de portes flottant dans les airs. En passant à travers l’une d’elle, ils arrivent dans un futur où les évènements ont pris une tournure qui ne leur plait guère. Inaba les rejoint et leur explique que chaque porte est un futur possible. Shinobu, Lum et Ataru se mettent à les explorer pour atteindre le destin de leurs rêves.

Le lièvre d’Inaba est un animal légendaire qui apparaît dans le Kojiki. Il trompe une bande de requins, leur marche dessus pour traverser la mer entre deux îles et sa fourrure est arrachée par le dernier en représailles. Le Dieu Ôkuninushi vient à son secours et l’aide à retrouver son pelage. En récompense, le lièvre lui prédit qu’il épousera la princesse Yakami. Je ne sais pas si c’est en raison de cette capacité à présager une alliance que Rumiko Takahashi a choisi Inaba pour garder l'avenir. Le pitch m’intriguait, me rappelant un peu Lamu : Un rêve sans fin (1984), un long métrage de Mamoru Oshii que j’aime beaucoup avec une boucle temporelle. Malheureusement, à l’image du Château de Cagliostro (1979), qui est plus un Miyazaki qu’un Lupin, Lamu : Un rêve sans fin est plus un Oshii qu’un Lamu. Tiré d’un manga officiel, Urusei Yatsura: Inaba the Dreammaker n’est pas un scénario original, c’est un OAV d’une heure avec une animation comparable à la série TV. Il n’a pas la folie de Lamu : Un rêve sans fin, le concept des futurs possibles est juste effleuré et exploré mollement. La bande des lièvres compagnons d'Inaba est en revanche sympathique et distrayante, davantage que Inaba le gars en costume. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu de Lamu et j’étais un peu paumé. A réserver aux fans de la série.
Note au passage, si le mot japonais usagi est souvent traduit par lapin, c’est en fait un lièvre. Le lapin est une espèce ibérique fragile et qui craint l’eau. Sa propagation en Asie est récente et il ne se reproduit en liberté au Japon que depuis le XIXe siècle.


Hostel d’Eli Roth (2005)
Deux amis américains et un fêtard rencontré en Islande se rendent aux Pays-Bas pour fumer des joints et coucher avec des filles. En rentrant le soir à leur hôtel, un gars leur parle de la Slovaquie, où apparemment les femmes sont belles et faciles, et il leur communique l’adresse d’un hôtel situé dans une petite ville proche de Bratislava. A l’accueil, on leur explique qu’ils vont devoir partager leur chambre et ils découvrent avec joie que leurs colocataires sont deux superbes demoiselles peu farouches. Après une nuit de débauche, le camarade islandais a disparu et un léger malaise s’installe. La nuit suivante, un de deux américains se volatilise à son tour et l’unique rescapé se met à sa recherche.

Oh que c’est mauvais… Ah, la Slovaquie, ce pays exotique et dangereux où tout peut arriver et où les enfants vous agressent en bandes dans les rues. Information amusante, ça n’a même pas été tourné en Slovaquie mais dans de jolis villages de République Tchèque. Pour Eli Roth tout ça c’est pareil. Attaqué par les gouvernements slovaque et tchèque devant l’image qui est donné de la région, il a répondu que de toute façon les Américains ne savaient pas que ce pays existait et que ça vise à montrer leur ignorance du monde. Merci Eli. Il s’est par contre excusé auprès du gouvernement islandais parce que le pote islandais ne pense qu’à boire et coucher, y’a clairement deux poids deux mesures. A part ça, c’est du torture porn bas de gamme ultra racoleur, avec des femmes nues, du sexe et des mutilations. Aucun intérêt. A noter l’apparition inutile de Takashi Miike, qui aurait dû rester chez lui et dont les films, avec tous leurs défauts et ils sont nombreux, sont plus sympathiques que ceux d’Eli Roth.


House of 1000 Corpses de Rob Zombie (2003, La maison des 1000 morts)
Le soir d’Halloween, deux couples d’amis se baladent dans des coins reculés du Texas afin de rédiger un bouquin sur les attractions insolites. Ils s’arrêtent dans une station-service, qui dispose également d’un musée des horreurs. Ils apprennent en le visitant l’existence d’un serial-killer local, Docteur Satan, qui fut pendu à un arbre et qui, selon la rumeur, pourrait être encore en vie. Le propriétaire de l’attraction leur indique la localisation de cet arbre et ils s’y rendent aussitôt. En chemin, un pneu explose et la femme qu’ils avaient pris en stop leur propose de passer chez elle le temps que son frère aille récupérer une roue de secours. Parvenus à sa maison, les promeneurs sont invités à dîner par la mère de l’autostoppeuse, qui leur présente son inquiétante famille.

J’entends depuis longtemps parler dans Mad Movies du travail de Rob Zombie et je n’avais pas eu l’occasion d’y jeter un œil jusqu’à maintenant. Je suis intrigué par ses Halloween, j’ai néanmoins commencé avec sa première réalisation, House of 1000 Corpses. Il avait au préalable dirigé plusieurs de ses clips musicaux. Alors que j’écoutais du heavy metal quand j’étais ado, je ne suis curieusement jamais tombé dessus. Tout le début dans la station-service avec Sid Haig dans le rôle du propriétaire tient correctement la route grâce au charisme de ce dernier. Dès qu'il s'éclipse, le niveau décline et l’essentiel du métrage dans la maison est assez pénible. Cette bande de freaks qui torturent les voyageurs égarés donne une forte impression de déjà-vu et je me suis ennuyé. Rob Zombie termine dans un délire baroque et bizarre, qui n’est que survolé et survient trop tard, il m’avait perdu. La photographie et le montage sont pleins de gimmicks vains, qui sont globalement agaçants même s’ils installent une ambiance. Rob Zombie est d’ailleurs de nos jours franchement critique vis-à-vis de House of 1000 Corpses, qu’il estime chaotique et bourré de défauts. Je regarderai par curiosité la séquelle, The Devil's Rejects (2005), avant de passer aux Halloween.


夜の河 [Yoru no kawa] de Kôzaburô Yoshimura (1956, River of the Night)
Kiwa est une teinturière de Kyoto, qui travaille avec son père dans leur petit atelier. Ils n’utilisent que des ingrédients de haute qualité et Kiwa confectionne des motifs originaux et sophistiqués. Malgré ses 30 ans, elle ne souhaite pas se marier et préfère se consacrer à son travail, imposant ses créations aux boutiques pour étendre l’entreprise familiale. Lors d’une excursion à Nara, elle rencontre un chercheur à l’université, le professeur Takemura. Il porte une cravate teinte par Kiwa et ils sympathisent. Ils se revoient ensuite et deviennent amants, bien que Takemura soit déjà marié.

En 1950, Kôzaburô Yoshimura et son scénariste Kaneto Shindô quittent la Shôchiku et créent une compagnie indépendante, la Kindai Eiga Kyodai. Ils passent un contrat avec la Daiei, qui accepte de produire leurs œuvres. Yoru no kawa entre dans le cadre de cet accord, sans Shindô au scénario cependant. Tiré d’un roman de Hisao Sawano, l’adaptation est écrite par Sumie Tanaka, une collaboratrice récurrente de Mikio Naruse. Cette parenté est palpable, Yoru no kawa rappelle les bons Naruse, ceux qui ne tombent pas dans le mélodrame larmoyant et évoquent sobrement le quotidien des femmes. Kiwa est toutefois plus énergique et volontaire que les héroïnes de Naruse, elle prend sa vie et sa romance en main tout en continuant son travail. Elle ne subit pas les évènements et elle n’est pas jugée ou punie pour son volontarisme, fait rare dans le cinéma des années 50.
Portés par Fujiko Yamamoto, vue dans Fleurs d'équinoxe (1958) ou dans La vengeance d'un acteur (1963), et par Ken Uehara en amant vieillissant, Yoru no kawa bénéficie d’une superbe photographie de Kazuo Miyagawa, le directeur de la photographie de Mizoguchi et de quelques Kurosawa. Les couleurs ont une grande importance dans ce film centré sur les teintures et elles ressortent superbement dans la restauration récente effectuée par Kadokawa Pictures, qui a récupéré le catalogue de la Daiei. Elles ont en revanche été apparemment retouchées pour leur donner de la vigueur, les pellicules de l’époque ne permettant pas un rouge aussi vif. C’est en tout cas une belle réussite, un drame calme et subtil qui était à mon goût.


日本の熱い日々 謀殺・下山事件 [Nihon no atsui hibi bôsatsu: Shimoyama jiken] de Kei Kumai (1981, L'affaire Shimoyama)
En 1949, afin de se conformer au plan Dodge imposé par les Etats-Unis au Japon occupé, le gouvernement japonais effectue des coupes dans les dépenses vers l’industrie et les transports. En conséquence, les grandes entreprises licencient en masse. Les ouvriers s’organisent, menés par le puissant syndicat national des travailleurs du chemin de fer. A l’apogée des manifestations, le nouveau président des chemins de fer japonais, Sadanori Shimoyama, est chargé de mettre en place un vaste plan de licenciements. Il disparait le 5 juillet et est retrouvé mort le lendemain sur une voie ferrée. Les autorités privilégient la thèse du suicide tandis que le médecin légiste qui a effectué l’autopsie est sûr que c’est un meurtre. Yashiro, journaliste au Showa News, décide d’enquêter.

Kei Kumai est réputé pour ses films sociaux, qui mettent le nez dans des sujets que les Japonais préfèreraient oublier. Il s’est fait un nom au niveau international avec Sandakan No. 8 (1974), qui traite de la prostitution forcée de Japonaises envoyées en tant que « domestiques » dans des maisons closes à l’étranger au début du XXe siècle. Dans L'affaire Shimoyama, il revient sur la chaotique période de l’occupation américaine et sur l’accident de Shimoyama, un des trois grands mystères des chemins de fer japonais (les deux autres étant l’accident de Mitaka et l’accident de Matsukawa, abordé dans Nippon dorobô monogatari (1965)). Il transpose à l’écran le livre-enquête du journaliste Kimio Yada, qui a couvert l’affaire pour le Asahi Shimbun et qui sert de modèle à Yashiro joué par Tatsuya Nakadai. Kei Kumai tourne en noir et blanc et inclut des images d’archive pour retranscrire l’atmosphère et ponctuer le défilement du temps. L'affaire Shimoyama se déroule en effet sur 15 ans, de la mort de Shimoyama au classement définitif de l’enquête. Kei Kumai montre que, loin de l’image d’Epinal que donne aujourd’hui le cinéma japonais des années 50, ce fut une ère tourmentée, avec de nombreuses protestations et des répressions violentes des autorités.
L'affaire Shimoyama rappelle un peu les thrillers conspirationnistes américains des années 70, comme Les Hommes du président (1976). Tatsuya Nakadai est excellent en reporter obstiné, qui refuse la thèse officielle et continue à interroger des témoins 15 ans après les faits. Ce n’est pas toujours facile à suivre, il y a une multitude de protagonistes, on passe du temps sur des éléments anecdotiques et la volonté d’ancrer le récit dans son époque accroit la complexité. Il y a trop de détails, il aurait fallu simplifier pour se concentrer sur l’essentiel. Mon intérêt pour l’Histoire japonaise contemporaine m’a aidé à apprécier L'affaire Shimoyama mais je pense que la plupart des spectateurs décrocheront rapidement.

Livres
La magicienne d'Akutagawa Ryûnosuke (Philippe Picquier, collection « Picquier Poche », 2003), 206 p.
Ce recueil comporte cinq nouvelles d'Akutagawa Ryûnosuke :
Les poupées (1923) : une famille bourgeoise dans le besoin est contrainte de revendre sa collection de poupées traditionnelles, normalement exposée une fois par an lors de l’Hina matsuri, la fête consacrée aux petites filles. La fille de la famille âgée de 15 ans n’est au départ pas bouleversée par cet évènement. Cependant, au fur et à mesure que se rapproche la date de la transaction, un besoin irrépressible de revoir les poupées rangées dans leur caisse la saisit.
Un crime moderne (1918) : le docteur Kitabatake Giichirô explique comment il en est venu à assassiner l’époux de sa cousine, femme dont il était follement épris depuis l’enfance.
Un mari moderne (1919) : un homme raconte le mariage de son ami Miura, attaché aux traditions, avec une épouse un peu trop moderne.
La magicienne (1919) : épaulé par un de ses amis, un jeune libraire essaye de tirer son amoureuse des griffes de sa mère adoptive, une terrifiante sorcière dotée de grands pouvoirs.
Automne (1920) : deux sœurs sont amoureuses de leur cousin. L’aînée, Nobuko, décide de laisser le champ libre à sa cadette et se marie avec quelqu’un d’autre. Elle le regrette bientôt.
Peu traduit en Occident, Akutagawa Ryûnosuke est pourtant un auteur majeur, un des pères de la nouvelle au Japon (il en a écrites plus de 150). Son nom a été attribué à un prestigieux prix littéraire japonais, le prix Akutagawa, un équivalent du Goncourt. Influencé par Poe, ses textes ont souvent une touche fantastique et/ou étrange. Les Occidentaux n’en ont généralement entendu parler que pour Rashômon de Kurosawa (1950), qui utilise la nouvelle éponyme pour l’introduction puis s’inspire essentiellement de Dans le fourré. La France est plutôt bien desservie, pas loin d’une cinquantaine de nouvelles ayant été traduites, réparties dans quatre livres.
Seule La magicienne, la plus longue du recueil, baigne dans le surnaturel. C’est prenant, d’une lecture aisée, et ça justifie l’achat de l’ouvrage. Il est étonnant qu’elle n’ait donné lieu qu’à l’adaptation approximative de Tadashi Imai (1976). Les poupées m’a plu également. Rien de mystérieux ici, une vieille dame raconte une anecdote de son adolescence. Il y a une ambiance triste et nostalgique, et une description vivante de la fin d’un monde. Un crime moderne, Un mari moderne et Automne m’ont moins marqué, centrées sur des histoires d’amour déçu.

Magies et merveilles de Catherine Moore (Casterman, collection « Presses Pocket – Science-Fiction », 1988), 320 p.
Magies et merveilles est composé de six nouvelles rédigées par Catherine Moore entre 1934 et 1950 :
L’illusion lumineuse (1934) : Dixon erre assoiffé dans le désert. Il tombe sur une étrange forme ovale qui lui propose un marché : le sauver en échange d’aider l'entité à détrôner le Dieu d’une planète lointaine et étrange.
Plus puissants que les dieux (1939) : Bill Cory n’arrive pas à se décider entre une brillante scientifique et une belle bourgeoise. Il est contacté par ses enfants des futurs alternatifs résultant de son choix de mariage, chacun essayant de le convaincre que son occurrence est la meilleure.
Le fruit de la connaissance (1940) : Dans l’Eden, Lilith essaye de persuader Adam qu’elle est mieux pour lui que la jeune parvenue Eve.
La porte du temps (1943) : Une créature invincible s’ennuie et cherche des trésors à dérober dans l’univers. Elle s’arrête sur un couple de terriens, qui semble offrir un challenge à sa mesure.
Le code (1945) : un scientifique expérimente sur le père de son ami Bill un procédé révolutionnaire permettant de remonter le temps et de rajeunir. Tout ne se passe pas comme prévu et Bill s’inquiète.
L’héritier présomptif (1950) : Edward Harding est un ancien intégrateur, dont le travail consistait à faire fonctionner un super ordinateur à travers la fusion de son cerveau avec six autres êtres humains exceptionnels. Il accepte un contrat visant à abattre un ancien collègue, qui a monté un groupe d’intégration pirate pour le compte des sécessionnistes vénusiens.
Je ne connaissais pas Catherine Moore, une des premières écrivaines de SF/Fantasy, qui a commencé sa carrière dans les années 30. Ainsi que l’indique la préface d’Alain Dorémieux, elle a disparu des radars dans les années 40, cachée derrière des pseudonymes ou derrière son mari Henry Kuttner, à tel point qu’il est difficile aujourd’hui de savoir qui a écrit quoi dans leur œuvre commune. A la mort d’Henry Kuttner en 1958, elle cessa complètement la fiction. Elle fut pourtant une pionnière, publiée dès l’âge de 22 ans en 1933 dans Weird Tales, à une époque où le milieu ne comprenait quasiment pas de femmes. Elle masqua à ses débuts son genre sous le nom de C.L. Moore, les lecteurs ne pouvant deviner que C.L. signifiait Catherine Lucille. Elle est qualifiée de féministe sur sa page wikipedia française, non sur l’anglaise. Les nouvelles de ce recueil n’autorisent pas l'emploi de ce terme, bien qu’il y ait en effet un ton un peu différent des romanciers masculins, en particulier dans L’illusion lumineuse. Excepté dans Le fruit de la connaissance, tous ses héros sont des hommes de leur temps et les femmes, quand elles sont présentes, suivent les codes en vigueur (amoureuse éperdue dans L’illusion lumineuse, épouses et fille à papa dans Plus puissants que les dieux, fiancée kidnappée dans La porte du temps).
Les deux récits les plus tardifs sont intéressants. Le code m’a un peu évoqué Lovecraft ou Machen (peut-être aussi Dunsany, il y a longtemps que j’en ai lu), avec son climat pesant, ses références à Faust ou aux légendes, et son basculement dans le merveilleux. L’héritier présomptif m’a fait penser à du Zelazny avant l’heure, Edward Harding se rapprochant des surhommes typiques de cet auteur. J’ai moins accroché aux autres, au style trop verbeux et qui auraient gagné à être condensés. J’en ressors avec une impression mitigée et il faudra que je lise davantage de Catherine Moore pour me faire une opinion, peut-être ses aventures avec Jirel de Joiry, la première héroïne du sous-genre de la Sword and Sorcery.


Les larmes de la bête de Yoshihiro Tatsumi (Vertige Graphics, 2004), 110 p.
Quatre nouvelles de Yoshihiro Tatsumi parues en 1970, 1971 et 1990 composent ce petit livre. Seule La colline où abandonner les siens a pour l’instant été publiée chez Cornélius sous le titre La montagne où abandonner ses ancêtres, les suivantes sont inédites. Les larmes de la bête est centrée sur une famille, Le pied et Retrouvailles usent de la classique trame chez Tatsumi du célibataire en manque de femmes.

Les larmes de la bête est la meilleure histoire du recueil. Tatsumi développe pour une fois des personnages humains qui tentent d’avoir une vie normale et qui suscitent une certaine empathie. Le pied et Retrouvailles empruntent le schéma habituel, si ce n’est une séquence de rêve inhabituelle pour Tatsumi dans Le pied, loin toutefois des délires visuels d’un Yoshiharu Tsuge. De la même manière que pour le volume précédent, je dirais qu’il faut plutôt attendre que Cornélius se penche sur cette période, l’année 1971 sera probablement couverte par leur prochain volume.


Samurai from Outer Space – Understanding Japanese Animation d’Antonia Levi (Open Court, 1997), 169 p.
Samurai from Outer Space est un des premiers ouvrages écrit par une universitaire portant sur le contenu de l’animation japonaise. Après avoir présenté la réception de celle-ci aux Etats-Unis, Antonia Levi divise son analyse en chapitres thématiques, son objectif étant d’expliquer les spécificités narratives japonaises. Sa théorie est que les animés sont irrigués par une culture si éloignée de l’Occident qu’une grille de lecture est nécessaire pour que les spectateurs puissent les apprécier au mieux. Cette altérité explique en outre leur succès sur un jeune public américain lassé des schémas manichéens judéo-chrétiens. Le style graphique, la religion, l’héroïsme, les robots, la mort et la représentation des femmes constituent l’essentiel des points abordés, illustrés d’une multitude de cas tirés de titres souvent obscurs.

Samurai from Outer Space est sorti en 1996 et tout ce qui concerne la situation des fans aux Etats-Unis est daté. Les exemples renvoient à des œuvres qui, pour certaines, étaient apparemment déjà confidentielles au moment où le livre est paru. J’en ai vu plusieurs quand j’étais ado, d’autres m’étaient totalement inconnues. Samurai from Outer Space n’est pas exempt de reproches. Tout d’abord, il est complètement américano-centré, ce qui n’empêche pas Antonia Levi de généraliser ses propos à tout l’Occident. L'état de l’animation japonaise en France ou en Italie dans les années 90 était pourtant distinct de celui des Etats-Unis à la même époque. Quand elle estime que le shôjo est peu accessible et peu traduit ou que Urusei Yatsura est difficile d’accès en raison de ses références shinto, elle ignore sans doute que Candy, un pur shôjo des années 70, est diffusé à une heure de grande écoute en France dès 1978, et que 148 épisodes de Lamu (nom français d’Urusei Yatsura) sur 190 sont passés au Club Dorothée à partir de 1988.
Antonia Levi a également tendance à attribuer aux Japonais des habitudes qui ne leur sont pas propres, bien que peut-être rares aux Etats-Unis. C’est le cas de la légèreté avec laquelle ils dévoient et accommodent leurs mythes et légendes. Si le respect est globalement de mise en Occident, je le signalais dans ma critique d’Icare, il faut néanmoins relativiser, notamment en Italie où ils n’hésitent pas à recycler l’antiquité et la mythologie gréco-romaine à toutes les sauces. Les délires du péplum dans les années 60 évoquent des détournements présents dans les animés. Même dans une France très à cheval sur le respect des textes d’origine (oubliant qu’ils sont des mélanges et des altérations de sources antérieures), des exceptions sont possibles, comme la coproduction franco-nippone Ulysse 31 (1981-1982).
Par ailleurs, afin de renforcer le fossé entre les animés/mangas et les cartoons/comics US, l’auteure passe sous silence des tendances de fond de la culture populaire américaine. J’ai bondi de ma chaise quand elle explique sérieusement que, stylistiquement, la BD américaine se cantonne sagement dans des cases carrées et symétriques là où la japonaise n’hésite pas à transgresser les formats ; ou que les Américains sont perturbés par le fait d’avoir des visions contradictoires d’évènements similaires, alors que ça ne pose aucun problème aux Japonais, à l’image de la série et du film Yamato de Leiji Matsumoto. Techniquement, sans aller chercher des références indépendantes prestigieuses à la Krazy Cat, les comics utilisent depuis les années 40 les splash panels, des cases qui prennent une à deux pages en jouant sur la perspective et les plans. Narrativement, c’est parfois tellement le bazar entre les univers parallèles qu’ils sont obligés de faire le ménage, à l’instar de DC avec son Crisis on Infinite Earths en 1985.
Elle minimise enfin la noirceur des séries d’animation américaines des années 90, citant Gargoyles (1994-1997), Batman: The Animated Series (1992-1995) ou X-Men: The Animated Series (1992-1997). Tout en reconnaissant un rapprochement avec les animés, elle considère qu’elles sont condamnées à suivre un chemin manichéen et à rester enfantine. Elle ne les a clairement pas regardées : moi qui étais habitué aux animés japonais depuis mon enfance, ces trois séries m’avaient marqué quand j’étais ado par leur pessimisme.
Malgré ces reproches, et il y en aurait d’autres, je ne regrette pas ma lecture. Si on enlève tout l’aspect comparatif et si on passe outre la légèreté théorique et le manque de références sourcées, elle apporte un éclairage intéressant à certains aspects de l’animation japonaise. Toutes ses explications sur la différence entre la représentation du shinto et du bouddhisme, sur la façon de considérer l’héroïsme, la mort et la cybernétique, ou sur les raisons de l’absence des mères de famille dans l’animation en général sont pertinentes. C’est attaquable mais elle avance des idées originales avec des exemples concrets. Le style est abordable, ça se lit facilement et ça m’a donné envie de récupérer quelques animés cités. S'il ne faut pas prendre tout ce qu’Antonia Levi dit pour argent comptant, Samurai from Outer Space aide à mieux comprendre comment les histoires sont contées dans l’animation japonaise.


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