Films vus en compagnie
Just Like Heaven de Mark Waters (2005, Et si c’était vrai…)

Just Like Heaven est tiré d’un roman de Marc Levy. Je n’ai jamais rien lu de Marc Levy, auteur globalement méprisé des milieux intellectuels et littéraires. J’avoue que je le confonds avec Guillaume Musso, dont j’avais vu l’adaptation coréenne d’un de ses livres, Will You Be There? (2016). Ça ne m’aurait pas étonné plus que ça que Will You Be There? et Just Like Heaven soient du même auteur, ce sont dans les deux cas des comédies romantiques faciles avec une touche de surnaturel.
Bien que sorti en 2005, Just Like Heaven ressemble au tout venant de la comédie romantique des années 90. Reese Witherspoon et Mark Ruffalo font le boulot, et Jon Heder est très bien en libraire mystique perché. C’est du fast-food hollywoodien : c’est bourré de clichés du début à la fin, y’a aucune surprise, on aura oublié le truc dans deux semaines, mais une fois de temps en temps ça passe.
東京タワー オカンとボクと、時々、オトン [Tôkyô tawâ: Okan to boku to, tokidoki, oton] de Joji Matsuoka (2007, Tokyo Tower: Mom and Me, and Sometimes Dad)

Tôkyô tawâ est une adaptation de l’autobiographie de l’artiste Lily Franky. Lily Franky est surtout connu en Occident comme acteur mais c’est une facette tardive de sa carrière : il est également musicien, chroniqueur radio et presse, illustrateur et écrivain. Son autobiographie, best-seller au Japon, est sortie avant ses grands succès au cinéma et il n’a pas participé au film. Le rôle de Lily Franky est tenu par Joe Odagiri, acteur beau gosse qui a tourné dans une soixantaine de films dont plusieurs Kiyoshi Kurosawa et deux Kore-eda (I Wish (2011) et Air Doll (2009)). La mère est jouée vieille par Kirin Kiki, également habituée de Kore-eda ; jeune par Yayako Uchida, la fille de Kirin Kiki. Je n’ai pas vu d’autres films du réalisateur, Joji Matsuoka.
Je ressors avec une impression un peu mitigée. Le récit est touchant, c’est très bien joué et bien écrit mais ça aurait gagné je trouve à être plus sobre dans les passages dramatiques. Lily Franky dégage comme acteur une certaine retenue et Joe Odagiri l’interprète de façon très posé. Je pense que son livre doit aborder avec pudeur les épreuves les plus difficiles et ne pas insister sur la douleur. Le film est un peu trop démonstratif à mon goût, avec utilisation de ralentis ou de musique mélo. C’est dommage.
La abuela de Paco Plaza (2021, Abuela)

Ça commence mal avec une scène voyeuriste de très mauvais goût. S’installe ensuite une ambiance oppressante assez réussie, bien filmée avec une peur instillée par des effets simples et efficaces. Malheureusement, plus le film avance, plus son intrigue devient évidente. Il est scénarisé par Carlos Vermut, réalisateur/scénariste de La niña de fuego (2014) qui m’avait pas mal déçu de mémoire. La fin est complètement ridicule et tombe dans les clichés les plus éculés. Le réalisateur, Paco Plaza, n’avait rien fait de terrible depuis le premier [Rec] (2007). Caramba, encore raté.
The Lost City de Aaron Nee & Adam Nee (2022, Le secret de la cité perdue)

Je ne m’attendais pas à un film intelligent, je n’ai pas été déçu. Le film est exactement ce à quoi on peut s’attendre en voyant l’affiche : de l’aventure bête et gentille. Sandra Bullock joue son rôle habituel d’héroïne d’action, Channing Tatum est bien dans le beau gosse qui ne sert à rien, et Daniel Radcliffe se fait plaisir en méchant James Bondien. Je me serais passé de l’humour en dessous de la ceinture mais, à part ça, ça remplit son contrat de blockbuster décérébré d’un soir où on n’a pas envie de réfléchir.
WolfWalkers de Tomm Moore & Ross Stewart (2020, Le people loup)

C’est le troisième long métrage de Tomm Moore, situé dans l’Irlande médiévale comme les deux précédents, The Secret of Kells (2009) et Song of the Sea (2014). Ce sont tous de jolis films d’animation en 2D aux dessins élaborés, irrigués de folklore local. Tomm Moore dit s’être inspiré visuellement de l’œuvre de Marcell Jankovics. J’avais vu Le Fils de la jument blanche (1981) et je comprends en effet le rapprochement.
WolfWalkers est un très beau film, graphiquement splendide et au scénario bien mené. La musique de Bruno Coulais s’intègre bien à l’univers. Le rendu sonore et visuel de la nature irlandaise est également intéressant, remplie de multiples petits animaux et de chants d’oiseaux des bois et sous-bois. J’avais lu je ne sais plus où qu’on constatait un appauvrissement de la faune dans les dessins animés occidentaux au cours du XXe siècle : alors que les campagnes et forêts des Disney des années 30/40, par exemple, comprenaient de multiples animaux, celles des années 90 étaient tristement vides. WolfWalkers remet cette faune en toile de fond. Elle ne sert à rien d’un point de vue purement narratif, elle est présente car c’est normal qu’elle soit là. On voit des rougegorges, des merles, des pies, des corneilles, des blaireaux, des cerfs ; on entend des pouillots véloces, des mésanges, des pies, des corbeaux… Malheureusement, comme ses deux films précédents, il n’est pas toujours facile de le trouver en VO, les DVD et Blu-ray français contenant uniquement la VF (car ce sont des dessins animés donc pour les enfants…). A voir sans faute, avec ou sans enfant.
Bringing Out the Dead de Martin Scorsese (1999, À tombeau ouvert)

Je n’ai jamais été un grand fan de Scorsese comme réalisateur, je préfère largement son travail de cinéphile et restaurateur à travers sa Film Foundation. J’ai vu la majorité de son œuvre et il n’y a guère que La valse des pantins (1982) que j’apprécie vraiment (il faudrait aussi que je revoie After Hours (1985), qui m’avait mis mal à l’aise quand j’étais ado). Bringing Out the Dead est réputé comme un des films où Nicolas Cage est le mieux exploité et un des rares films de Scorsese d’avant 2016 que je n’avais pas encore vu.
Nicolas Cage est en effet bien utilisé, son côté halluciné colle au personnage et ses excès sont relativement bridés. Le monologue intérieur permanent de Frank est assez relou, et le dispositif 3 nuits/3 coéquipiers différents hauts en couleur est un peu trop convenu. La réalisation de Scorsese n’est pas exceptionnelle, notamment la répétition lourdingue des passages en accéléré dans l’ambulance la nuit. Certains personnages ressortent tout de même, notamment celui de Mary jouée par Patricia Arquette ou le dealer joué par Cliff Curtis. Je reste mitigé mais je le place tout de même dans le haut du panier des Scorsese (ce qui montre le peu d’affection que j’ai pour sa filmographie…).
Films vus seuls
હું હુંશી હુંશીલાલ [Hun Hunshi Hunshilal] de Sanjiv Shah (1992, Love in the Time of Malaria)

Je connais très mal le cinéma indien : si on enlève Satyajit Ray et quelques classiques des années 50-60, je n’ai pas vu plus d’une vingtaine de films de ce pays. Hun Hunshi Hunshilal est probablement le premier film en Gujarati que je vois et je n’ai pas de point de repère.
Premier point notable : ça chante tout le temps. Dans les films indiens que j’avais vus jusqu’à présent, il y avait quelques chansons, souvent extradiégétiques, et l’essentiel était parlé. Dans Hun Hunshi Hunshilal, il y a 45 chansons, qui durent de quelques secondes à plusieurs minutes. La majorité du film est chanté et les chansons s’inscrivent dans le récit, un peu comme un Jacques Demy. Scénaristiquement, c’est très barré : les moustiques symbolisent les pauvres et les rebelles, l’Etat voulant écraser les masses. Le pouvoir s’enferme dans une logique liberticide de plus en plus délirante (avec interdit de la nuit, des cerfs-volants, de la couleur rouge, des rêves) et le héros finit par se rebeller. Un trio de méchants joue le même rôle qu’un chœur de tragédie grecque, commentant les actions du héros tout en le tourmentant. Tout cela est très absurde, ça ne ressemble à pas grand-chose d’autre et ça fonctionne plutôt pas mal. Et j’aime beaucoup le titre anglais du film, raison initiale de mon visionnage.
つぐみ [Tsugumi] de Jun Ichikawa (1990, Tugumi)

J’avais entendu parler de Tsugumi dans je ne sais plus quel article récemment, où il était comparé à Futari de Nobuhiko Ôbayashi (1991). Ils étaient cités comme exemples de films à tendance shôjo, peuplés de jeunes filles mélancoliques et hantées par la mort. J’avais bien aimé Futari et j’étais curieux de voir Tsugumi. J’ai été plutôt déçu : le personnage de Tsugumi est assez pénible, le film ne possède pas d’aspect fantastique et ne véhicule pas la même gentillesse triste que Futari. C’est le quatrième film que je vois de Jun Ichikawa, rien de bien convaincant pour l’instant.
Note sur le titre : le titre japonais a été transcrit Tugumi en rômaji (alphabet latin) sur l’affiche japonaise. Or, les Japonais utilisent plus la méthode Kunrei pour transcrire le japonais que la méthode Hepburn, classique en Occident. Selon la méthode Kunrei, le つ (son tsu) s’écrit tu et pas tsu. D’où Tugumi et non Tsugumi (voir la vidéo sur les différentes écritures en rômaji de l’excellente chaîne youtube de Julien Fontanier). Mes titres japonais sur ce blog étant normalement transcrit via la méthode Hepburn, j’ai mis Tsugumi en titre japonais et Tugumi en titre franco-anglais, le mot japonais original étant つぐみ.
The Girl Can't Help It de Frank Tashlin (1956, La blonde et moi)

Frank Tashlin était adoré par les Cahiers du Cinéma vers la fin des années 50, notamment par Godard. Venu du cartoon, il est connu pour son extravagance, dans son utilisation de la couleur comme dans ses gags très inspirés par les dessins animés de la Warner. Outre ses cartoons, The Girl Can't Help It est le quatrième film que je vois réalisé par lui. Je ne suis clairement pas fan : ses scénarios sont souvent très sexistes et simplistes, et je reste insensible à son humour. Comme réalisateur de cartoon déjà, il faisait partie d’un de ceux que j’aimais le moins à la Warner, loin d’un Chuck Jones ou d’un Friz Freleng.
The Girl Can't Help It est du même style que Will Success Spoil Rock Hunter? (1957), également avec Jayne Mansfield et sorti un an plus tard. Les deux films reposent quasi exclusivement sur le physique de Jayne Mansfield, tous les gags et situations tournant autour d’elle. Pour ne rien arranger, je n’ai jamais beaucoup aimé Tom Ewell, l’acteur principal ici, avec son jeu à la Humphrey Bogart du pauvre. Il semble spécialisé dans le rôle d’homme chavirant pour une belle blonde, et est surtout connu pour Sept ans de réflexion de Billy Wilder (1955). Jayne Mansfield était d’ailleurs présentée comme une Marilyn Monroe de série B. Elle ne joue pas aussi mal qu’on pourrait le craindre mais elle n’a pas le charisme de Monroe. A noter la présence d’Edmond O'Brien, très pénible et en roue libre dans le rôle du truand. Je pense en rester là pour Tashlin, vraiment pas mon truc.
放浪記 [Hôrô-ki] de Mikio Naruse (1962, Chronique de mon vagabondage)

Hôrô-ki est tiré de l’autobiographie de Fumiko Hayashi, écrivaine adaptée à l’écran à six reprises par Mikio Naruse. J’avoue ne plus trop me souvenir des différentes adaptations, les mélangeant dans ma tête avec d’autres Naruse. Hôrô-ki est extrêmement mélo, le personnage principal passant d’une situation misérable à une autre. Cela semble assez caractéristique des écrits de Fumiko Hayashi, un des personnages vers la fin lui reprochant sa complaisance dans la description de la pauvreté sordide. L’écrivaine est présentée comme très endurcie par la vie et possédant une vision pessimiste de l’existence. Pas ma tasse de thé tout ça.
Livres
Un monde d’azur de Jack Vance (Le livre de poche, 1978), 224 p.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas lu un roman de SF qui tienne vraiment la route. Les livres de Jack Vance sont en général assez agréables à lire, comme le recueil de nouvelles Châteaux en espace chroniqué précédemment, mais Un monde d’azur est un cran au-dessus. Le personnage principal n’est pas particulièrement notable et il passe assez rapidement au second plan. Le récit ne se focalise pas sur un héros, mais alterne entre plusieurs groupes et plusieurs personnages au sein de chaque groupe. Il montre comment, à partir d’un incident, tout un système politico-social va être renversé, forçant les extrémistes à montrer leur vrai visage. Comme d’hab dans la SF de cette époque, les femmes sont quasi-inexistantes. Au moins ici, bien que sous-exploitée, le seul personnage féminin important est assez intéressant et pas manichéen (on se contente de ce qu’on a, surtout quand on a lu précédemment du Van Vogt). Un monde d’azur s’avère donc être une belle surprise, avec une histoire teintée de questionnements politiques et menée de façon intelligente dans un univers original. Il reste dans ma bibliothèque. Tin tin tin…
La vis (Œuvres 1968-1972) de Yoshiharu Tsuge (Cornélius, 2019), 192 p.

Techniquement et dans la construction des histoires, ce volume m’a bien plus convaincu que les précédents. Le style de Yoshiharu Tsuge s’est considérablement enrichi. Les deux premières nouvelles baignent dans une étrangeté que j’ai appréciée et j’ai été un peu déçu que la suite reprenne une tournure plus conventionnelle. On retrouve malgré tout dans le livre une ambiance teintée de surnaturel, qui manquait d’après moi précédemment.
Toutefois, un gros problème peu présent précédemment apparaît : la façon dont il représente la femme, montrée quasi exclusivement comme objet sexuel. A une exception près, toutes les histoires comportent une scène de viol ou d’agression sexuelle, considéré du point de vue de l’agresseur. C’est un phénomène assez courant chez un certain milieu intellectuel d’avant-garde japonais : je me souviens ma lassitude, quand je regardais beaucoup de films d’auteur japonais des années 60 et 70, devant la présence quasi-systématique d’une scène de viol. A voir dans le prochain livre mais je ne suis guère optimiste pour la suite.
Les mémoires de papa Moomin de Tove Jansson (Le lézard noir, collection « Le petit lézard », 2014), 178 p.

J’ai déjà lu les strips des Moomin de Tove Jansson édités dans la même collection, et je me suis mis depuis quelques temps aux romans. Je n’avais pas été complètement séduit par les strips, le format court ne permettant pas de développer suffisamment les situations. Les romans me parlent plus. Je les lis dans l’ordre de parution originale.
Les mémoires de papa Moomin est le quatrième roman et celui que j’ai préféré jusqu’à présent. Il me semble plus resserré que les précédents, restant focalisé sur une trame principale. J’ai bien aimé l’alternance des écrits de papa Moomin et les retours dans le présent, où toute la famille commente l’histoire racontée. Ma préférence peut aussi venir du fait que, en étant au quatrième volume et ayant lu les strips, je connais mieux les personnages et y suis plus attaché. Les dessins accompagnant le récit sont toujours aussi beaux. Vivement le prochain.
Le Soleil, la Terre... la vie : La quête des origines de Muriel Gargaud, Purificación López-García, Hervé Martin, Thierry Montmerle & Robert Pascal (Belin/Pour la science, collection « Bibliothèque scientifique », 2009), 304 p.

J’avais entendu parler de cet ouvrage dans le passionnant Guide critique de l’évolution dirigé par Guillaume Lecointre. Bien que datant de 2009, Le Soleil, la Terre... la vie semblait offrir une vision relativement juste de l’état des connaissances sur les sujets traités. Le livre est en effet très précis et détaillé, trop en fait pour moi : il est plus centré sur des sujets de physique, chimie et géologie que de biologie, et les démonstrations des phénomènes sont trop pointues pour mon besoin. Je ne regrette pas de l’avoir lu, j’ai appris beaucoup de choses sur la création du système solaire et de notre planète, et les débats en cours sont bien présentés. Mais un bouquin plus vulgarisé aurait aussi bien fait l’affaire. A réserver à ceux qui veulent les démonstrations précises des phénomènes décrits.
Revues
Les Cahiers du cinéma n°792 – Novembre 2022

Côté cinéma de patrimoine, je découvre le réalisateur philippin Mike de Leon, qui me semble être tout à fait ma came : du cinéma social/politique mâtiné de fantastique. Carlotta va sortir ses films au cinéma, j’espère qu’il y aura un coffret Blu-Ray ensuite. Je serais également curieux de voir La victime désignée (1971), un giallo que je ne connais pas et qui vient de paraître chez l’éditeur Frenezy.
Quelques articles intéressants également sur les premiers films de John Ford, sur la ressortie de L’ange rouge (1966) et Tatouage (1966) de Yasuzo Masumara (pas fan du premier, pas vu le second mais il m’intrigue car j’ai lu la nouvelle de Jun'ichirô Tanizaki dont le film est tiré) et sur la deuxième édition du Dictionnaire des films de Jacques Lourcelles.
Je repars cette semaine avec deux envies de films, merci ! Hun Hunshi Hunshilal ça a l'air d'être quelque chose en effet, et je vais même peut-être pouvoir convaincre Camille de le voir…
RépondreSupprimerTu me diras ce que tu as pensé de Hun Hunshi Hunshilal si tu le vois, c'est tellement différent qu'on peut aussi détester je pense.
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