Films vus en compagnie
しあわせのパン [Shiawase no pan] de Yukiko Mishima (2012, Bread of Happiness)
Un couple tient une boulangerie/restaurant/chambre d’hôte dans un coin perdu d’Hokkaidô. Le film suit trois histoires au gré des saisons : une jeune femme espérait aller à Okinawa avec un ami mais ce dernier l’a laissée tomber et elle se rabat sur Hokkaidô par dépit ; une petite fille vit mal la séparation de ses parents et le départ de sa mère ; un vieux couple, dont la femme est gravement malade, vient passer un dernier séjour dans la région où ils se sont aimés dans leur jeunesse.Bien qu'étant encore très minoritaires, il y a depuis une vingtaine d’années de plus en plus de réalisatrices japonaises (ma préférée est Naoko Ogigami). Je n’avais encore rien vu de Yukiko Mishima, qui a fait une dizaine de longs métrages et pas mal d’épisodes de séries TV.
Shiawase no pan est un feel good movie gentillet, débordant de bons sentiments. J’aime bien les films gentils, surtout quand ils sont un peu bêtes, mais là c’est un peu trop sérieux et convenu. Rien de bien mémorable malgré la présence quasi permanente de nourriture à l’écran et de beaux paysages. J’attends de voir d’autres films de Yukiko Mishima pour me faire mon opinion.
Paddleton d’Alex Lehmann (2019)
Deux voisins célibataires, Michael et Andy, passent tout leur temps libre ensemble, à jouer au paddleton (un jeu qu’ils ont inventé) ou à regarder le même film de kung-fu en boucle en mangeant de la pizza. Un jour, Michael découvre qu’il est atteint d’un cancer en phase terminale. Il obtient une prescription pour s’euthanasier et demande à son voisin/ami de l’aider.J’aime bien l’acteur Mark Duplass, que j’ai vu dans un certain nombre de films indépendants américains ces dernières années. Il a coécrit Paddleton et s’est clairement taillé un rôle sur mesure. Le voisin est joué par Ray Romano, je le connais surtout pour la série TV Tout le monde aime Raymond (1996-2005) que je regardais occasionnellement quand j’étais jeune. Il joue ici le rôle du bougon agaçant au grand cœur.
Paddleton est centré sur deux inadaptés sociaux, dont le quotidien routinier et casanier est brutalement interrompu par la maladie de l’un des compères. Le film joue sur le contraste entre le râleur Andy et le calme Michael, et sur la non-acceptation par Andy du drame qui leur tombe dessus. Andy est souvent énervant, le récit se compose de plein de petites scénettes parfois amusantes, parfois un peu vaines, mais la sauce prend et on s’attache à ces deux loosers.
Summer Magic de James Neilson (1963, L'été magique)
À la suite du décès du père, une famille de Boston composée d’une mère et de ses trois enfants se retrouve sans le sou et doit déménager rapidement dans une résidence bon marché. L’ado de la famille, Nancy, trouve un bon plan inespéré et tout ce petit monde part à la campagne dans une jolie maison jaune un peu vétuste. Ils vont découvrir les joies de la vie rurale, aidée par le brave Osh Popham, homme à tout faire du village.Hayley Mills et Burl Ives jouent les rôles principaux de ce film Disney oublié. C’est très naïf, gentiment conservateur et les chansons ne sont pas terribles. Je note juste la chanson Ugly Bug Ball, musicalement bof mais qui comporte plein de stock-shots d’insectes, fait très rare dans un film.
Deep Rising de Stephen Sommers (1998, Un cri dans l’océan)
Finnegan et son équipe sont engagés par un groupe de gros bras patibulaires pour se rendre au milieu de l’océan. Finnegan ne pose pas de questions, ses passagers ne sont clairement pas des enfants de cœur et il faut absolument qu’ils se trouvent à un emplacement précis à un instant donné. Pendant ce temps, un gros paquebot de luxe vogue avec ses riches passagers. Leur voyage est soudain interrompu par un énorme objet qui heurte et stoppe le bateau.L’affiche que j’ai mise ci-dessus n’est pas l’originale mais j’aime bien son côté lovecraftien/Les dents de la mer (l'affiche originale de 1975). J’avais vu Deep Rising il y a une vingtaine d’années et j’en avais le souvenir d’un film d’action crétin agréable à regarder. Je confirme. Ça commence comme un Piège en haute mer (1992) like, avec des méchants mercenaires en chemin pour dévaliser un paquebot. Le film installe ses personnages, ses intrigues, on est en terrain connu. Le truc est soudain court-circuité par un gros monstre à tentacules, qui n’en a rien à faire de tout ça et prend plaisir à décimer le casting. C’est un peu la logique Predator (1987), en plus décontracté et moins bien réalisé. Un bon petit film bête de fin de semaine.
Films vus seuls
上陸第一歩 [Joriku dai-ippo] de Yasujirô Shimazu (1932, First Steps Ashore)
Un marin sauve une femme qui venait de sauter dans l’eau pour se suicider. Il la recueille dans sa chambre, n’essaye pas de profiter d’elle puis la protège contre de vils gredins. Ils tombent amoureux mais le bateau du marin doit repartir le lendemain.Joriku-dai-Ippo est un remake de The Docks of New York, réalisé par Josef von Sternberg en 1928. C’est un des derniers muets de von Sternberg, avec un superbe noir et blanc de studio très contrasté. Comme l’explique Daisuke Miyao dans The Aesthetics of Shadow, l’éclairage a un rôle narratif dans The Docks of New York : le héros est dans l’obscurité et l’héroïne dans la lumière. Ce n’est pas le héros qui sauve l’héroïne, il réussit grâce à elle à rejeter l’obscurité à la fin au profit de la lumière. A l’inverse, Joriku-dai-Ippo est surexposé tout du long, conformément à la politique de la Shôchiku à l’époque. Pas de contraste, tout est éclairé par une lumière forte. Certaines scènes se déroulent d’ailleurs en plein jour alors qu’elles se passaient la nuit dans The Docks of New York, comme la tentative de suicide de l’héroïne.
J’ajoute que la noirceur du héros et la dureté de l’environnement sont également mis de côté dans le remake japonais. Ce dernier est bien plus léger, le personnage principal est insouciant et plus sympathique. Il est beaucoup moins machiste que son équivalent américain, et l’acteur japonais choisi, l’assez banal Jôji Oka, ne dégage pas la même virilité outrancière que George Bancroft. Joriku dai-ippo est en outre un peu trop bavard, allongeant les courts dialogues intertitrés de l’original. Mieux vaut donc revoir The Docks of New York que cette transposition dispensable bien qu’historiquement intéressante.
女の歴史 [Onna no rekishi] de Mikio Naruse (1963, L'histoire d'une femme)
Nobuko (Hideko Takamine comme d’habitude) vit avec sa vieille belle-mère et son fils adulte, Koichi, dans un petit appartement de Tokyo. Elle est veuve et tient un salon de coiffure. Elle continue de donner de l’argent à son fils bien que ce dernier travaille comme vendeur de voitures. Koichi annonce un jour qu’il souhaite épouser une femme travaillant dans un bar. Sa mère refuse et il part vivre avec sa compagne.Le Naruse de la semaine était filmé relativement sobrement, malgré un scénario plutôt mélo. Dès le début, quelqu’un dit qu’il y a de plus en plus d’accidents de voiture et, justement, Koichi a une voiture. Ça ne rate pas, on est chez Naruse, pif paf au bout d’un tiers du film, plus de Koichi. Le métrage alterne entre le passé et le présent de façon assez réussie : les événements du présent renvoient en flash-back à la vie de Nobuko dans le passé, à l’époque de sa vie conjugale avec son mari précocement décédé puis durant la période d’après-guerre avec sa belle-mère et son jeune fils. Les personnages masculins sont tous plus ou moins négatifs, et les femmes doivent se débrouiller, de façon plus résignée que larmoyante.
海辺の映画館―キネマの玉手箱 [Umibe no eigakan - Kinema no tamatebako] de Nobuhiko Ôbayashi (2019, Labyrinth of Cinema)
Un petit cinéma de province fait, pour sa dernière séance avant sa fermeture, une rétrospective de longs métrages tournés durant la guerre. Trois spectateurs se retrouvent projetés dans les films et vont passer leur temps à essayer de sauver, sans succès, les héroïnes des différentes histoires.Présenté comme cela, Umibe no eigakan - Kinema no tamatebako semble assez raisonnable, une sorte de Last Action Hero (1993) japonais. Dans les faits, c’est un énorme n’importe quoi qui part dans tous les sens, avec un montage difficilement supportable et des acteurs au jeu franchement approximatif. Le tout durant 3 heures. Autant dire que j’ai beaucoup souffert. J’ai sans doute loupé quelques références mais, étant à plus de 1700 films japonais vus, je ne pense pas en avoir manqué tant que ça et comprendre les références n’a pas rendu pas le film moins pénible.
Même le discours antimilitariste m’a laissé plus que dubitatif. Ce qui en ressort, c’est que le gentil peuple s’est fait abuser par un méchant gouvernement et quelques vilains militaires. La pauvre chinoise est sauvée par des gentils japonais et les soldats ne veulent pas tuer les prisonniers. Seul point évoqué de façon non ambigu : le massacre d’habitants d’Okinawa par l’armée japonaise peu avant la défaite, événement souvent passé sous silence.
La morale est que le cinéma permet d’apprendre l’histoire, notamment en regardant les films faits durant la guerre. Certes, le cinéma de propagande japonais est complexe (voir par exemple mon article sur Terre et soldats (1939)) et la propagande qui tâche n’a constitué qu’une minorité des œuvres de fiction jusqu’au début des années 40 (le Japon commençant sa guerre contre la Chine dès 1931 avec l’invasion de la Mandchourie). Ça reste cependant assez gonflé comme proposition, ce n’est clairement pas à travers le cinéma japonais tourné durant la guerre qu’on peut comprendre la situation politico-militaire des années 30 et 40.
La nuit fantastique de Marcel L'Herbier (1942)
Denis prépare l’agrégation de philosophie et travaille aux Halles la nuit pour gagner un peu d’argent. Il est perpétuellement fatigué et s’endort régulièrement, voyant à chaque fois dans ses rêves une femme qui lui échappe. Une nuit, il arrive enfin à l’attraper. S’ensuivent d’étranges aventures, où le héros reste persuadé qu’il rêve malgré toutes les preuves du contraire.Petit film réalisé en studio par Marcel L’Herbier durant la guerre, La nuit fantastique est une comédie plaisante, aux dialogues amusants écrits par Henri Jeanson (plus connu pour Pépé le Moko (1937), Hôtel du Nord (1938) ou Le corbeau (1943)). Le film a un côté éthéré, qui rappelle d’autres films fantastiques des années 40. Ce n’est guère étonnant, la direction artistique est assurée par le futur décorateur de La belle et la bête de Jean Cocteau (1946), et la musique est de Maurice Thiriet, qui a travaillé également sur Les visiteurs du soir (1942) et Les enfants de paradis (1945). De jolis seconds rôles également, avec la présence de Saturnin Fabre, Michel Vitold et Bernard Blier. Le film aurait gagné à jouer un peu plus sur l’ambiguïté rêve/réalité et à renforcer la touche fantastique. Ça reste en l’état un petit film agréable.
鬼子来了 [Guizi lai le] de Wen Jiang (2000, Les démons à ma porte)
Un homme armé débarque en pleine nuit chez Ma Dasan, paysan chinois vivant dans un petit village pauvre durant la deuxième guerre mondiale. L’homme menace de le tuer et de massacrer son village s’il ne garde pas en vie deux prisonniers emballés dans des sacs à patates. Il demande également à Ma Dasan de les interroger et lui dit qu’il reviendra les chercher dans quelques jours. Les prisonniers s’avèrent être un soldat japonais et son interprète chinois. Le conseil du village se réunit et décide de faire ce qu’on leur a demandé afin d’éviter les problèmes.On est ici en présence d’un vrai bon film antiguerre, pas comme l’espèce de gloubi-boulga affreux que constituait Umibe no eigakan - Kinema no tamatebako. On y voit le quotidien de l’occupation japonaise en Chine, les difficultés à se nourrir et à maintenir une solidarité malgré la peur et les humiliations. Les acteurs et actrices sont très bons, à la fois du côté chinois et japonais, le réalisateur/scénariste jouant également le rôle principal. C’est assez amusant durant les deux premiers tiers, les villageois ont un côté pieds nickelés et essayent de faire ce qu’ils peuvent avec des prisonniers bien encombrants. Ça reste cependant très dur dans l’ensemble, la guerre n’étant pas une vaste rigolade façon La grande vadrouille (1966). Les démons à ma porte n’épargne pas non plus l’armée chinoise et je ne suis pas étonné que le film ait été interdit en Chine. Ça me donne envie de récupérer d’autres films de Wen Jiang, en espérant qu’il ne se soit pas trop adouci par la suite sous la pression des autorités chinoises.
জয় বাবা ফেলুনাথ [Joi Baba Felunath] de Satyajit Ray (1979, Le dieu éléphant)
Le détective Feluda arrive avec son ami écrivain et son cousin sidekick dans la ville de Benares pour quelques jours de vacances. A peine a-t-il pu poser ses affaires qu’il est sollicité par un notable local afin d’élucider le vol d’une relique familiale.C’est le deuxième film de Satyajit Ray avec le détective Feluda, encore une fois joué par Soumitra Chatterjee, l’acteur fétiche de Ray. J’avais vu le premier, Sonar Kella (1974), il y a quelques années et j’en avais gardé le souvenir d’un film un peu mou du genou mais globalement agréable. Le détective Feluda est un personnage inventé par Satyajit Ray, qui apparaît dans 35 nouvelles ou romans écrits dans les années 60. C’est une sorte de Sherlock Holmes indien, Ray étant un grand fan du détective créé par Arthur Conan Doyle.
Joi Baba Felunath a les mêmes qualités et défauts que Sonar Kella. L’histoire prend son temps, personne n’est très pressé et les enjeux restent minces. Le décor indien change un peu des habituels whodunit, le héros et ses acolytes sont sympathiques et le tout se suit agréablement, tout en restant un Satyajit Ray très mineur.
Mr. Peabody and the Mermaid d’Irving Pichel (1948, Monsieur Peabody et la sirène)
Afin de se remettre d’un mauvais rhume, M. Peabody et son épouse vont en vacances aux Caraïbes. M. Peabody va avoir 50 ans et ne l’accepte pas vraiment. Sa femme, bien plus jeune, le taquine à ce sujet et il ne voit pas d’un bon œil qu’elle flirte gentiment avec un bel anglais de passage. Parti pêcher en mer, il remonte une sirène et s’empresse de l’amener dans sa baignoire. M. Peabody s’en éprend bien vite, bien que personne ne semble voir cette sirène à part lui.En 1948, deux comédies avec des sirènes sortent coup sur coup à quelques mois d’intervalle, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis : Miranda (1948) chez les Anglais et Mr. Peabody and the Mermaid chez les Américains. Dans les deux cas, le personnage masculin principal ramène la sirène chez lui, au grand dam de sa femme, puis en tombe amoureux. La comparaison s’arrête là : dans Miranda, Miranda est jouée avec beaucoup de verve et de malice par Glynis Johns. Elle a les mœurs très libres, saute sur tout ce qui passe et le héros est complétement dépassé par les événements. Dans Mr. Peabody and the Mermaid, la sirène est muette et tout tourne autour de l’homme (William Powell), qui fait sa crise de la cinquantaine. Il y a bien quelques personnages secondaires sympathiques, dont l’épouse, mais William Powell semble fatigué et le film ne décolle jamais. Mieux vaut voir ou revoir Miranda et sa suite tout aussi sympathique, Mad About Men (1954).
玉面俠 [Yu mian xia] de Chun Yen (1971, The Jade Faced Assassin)
Alors qu’ils tentent de s’échapper, un couple est assassiné sauvagement et leurs bébés jumeaux sont séparés : le fils est enlevé par la méchante sœur de l’épouse, tandis que la fille est récupérée par un ami du mari, Lian Lanyan. Ce dernier se lance à la recherche du commanditaire du meurtre et se rend dans un village de bandits. Il est gravement blessé et reste alité pendant 18 ans. La petite fille est élevée par les bandits, qui lui apprennent toutes leurs techniques d’arts martiaux. Devenue adulte, elle part à la recherche de l’assassin de ses parents.The Jade Faced Assassin est l’adaptation d’un roman de Gu Long, écrivain chinois spécialisé dans le wuxia, récits de chevaliers errants. Il a été peu traduit en Occident de façon officielle, il existe beaucoup de traductions amateures qui circulent sur internet. J’ai lu les rares romans parus en français, Les aventures de Chu Liuxiang (en trois tomes chez You Feng) et Les quatre brigands du Huabei (chez Picquier). J’ai beaucoup aimé, ce sont des aventures rocambolesques plutôt légères, peuplées de héros invincibles et de retournements de situation improbables. Gu Long a été adapté au cinéma de nombreuses fois, wikipedia en cite une quarantaine. Dans celles que je connais, j’aime particulièrement les films de Chor Yuen, qui retranscrivent bien l’ambiance feuilletonesque et l’amoncèlement de personnages et d’intrigues.
The Jade Faced Assassin est réalisé par Chun Yen, dont je n’ai rien vu d’autre il me semble. Le rôle principal est tenu par Lily Ho, entourée par une ribambelle de seconds couteaux de la Shaw Brother. On y retrouve notamment Ku Feng dans le rôle de Lian Lanyan, increvable second rôle (crédité de 348 films sur imdb) habitué aux méchant et qui incarne pour une fois ici un personnage positif. Au vu du casting et des moyens déployés, nous ne sommes clairement pas dans une superproduction de la Shaw mais dans un film de deuxième catégorie peu connu en Occident. Si The Jade Faced Assassin n’a pas les qualités visuelles et le foisonnement scénaristique des Chor Yuen, je l’ai trouvé tout de même fort plaisant.
En lisant le résumé du roman de Gu Long sur wikipedia, je vois que le récit a été retravaillé : ils ont notamment féminisé le personnage principal et transformé les circonstances de l’assassinat des parents. Cela explique des grosses failles scénaristiques, on ne comprend pas vraiment d’où sort le grand méchant ou comment sont séparés les jumeaux. Ce n’est pas bien grave, Lily Ho prend plaisir à jouer l’héroïne invincible et décontractée, qui évite les embuches et déjoue les complots en un tour de main.
Un point assez intéressant dans plusieurs films de la Shaw des années 60 et 70, c’est la nonchalance avec laquelle les réalisateurs font se déguiser les actrices en homme. Un élément scénaristique assez récurrent est, qu’à un moment, l’héroïne se déguise en homme. Le déguisement ne consiste qu’a mettre des vêtements d’homme et arranger sa coupe de cheveux. Le mandarin étant une langue non genrée, les traducteurs sont souvent bien embêtés, surtout s’ils n’ont pas connaissance de cette habitude. Ainsi dans The Jade Faced Assassin, l’héroïne est prise pour un homme par tout le monde dans la majeure partie du film mais ce n’est pas dit explicitement et les traducteurs ne savent pas trop quel pronom mettre quand le personnage principal est mentionné. C’est seulement vers la fin, où Lily Ho change de costume et de coupe, qu'elle révèle « en fait je suis une femme ». Cela d’ailleurs ne change rien, ils se mettent tout de même à se battre. Quelques minutes plus tard, une tante intervient en disant qu'elle n'est pas leur oncle, révélation qui sort de nulle part et n’a aucun intérêt scénaristique (la tante en question avait disparu du film depuis les 5 premières minutes et le spectateur n'était absolument pas au courant qu'un des jumeaux la prenait pour un homme). Tout ça fait très fin d’un épisode de Scoubidou, on boucle le film en 5 minutes parce que c’est pas tout ça il faut terminer. J’attends impatiemment de voir The Proud Twins (1979) de Chor Yuen, autre adaptation du même roman, pour comparer.
ボディドロップアスファルト [Bodī doroppu asufaruto] de Junko Wada (2000, Body Drop Asphalt)
Eri est une jeune femme sans travail qui s’ennuie et ne sait pas quoi faire de sa vie. Elle décide d’écrire un roman d’amour pour passer le temps et devient instantanément célèbre. Sa vie sentimentale, par contre, ne décolle pas, entre refus et lapin. Ses mésaventures la dépriment et donnent une tournure sombre à son écriture, alors qu’elle planche sur la suite de son premier livre.J’ai eu du mal à résumer en quelques lignes ce film où il ne se passe pas grand-chose. Mon résumé contient la quasi-totalité des événements des deux premiers tiers du métrage. On est dans du cinéma fauché et semi-expérimental. Les vingt premières minutes consistent en des gros plans de l’héroïne allongée dans son appartement, qui monologue dans sa tête sur la vanité de son existence. Body Drop Asphalt comporte quelques trouvailles visuelles intéressantes et quelques bonnes scènes mais ça ne suffit pas pour sauver un film franchement ennuyeux.
Myši patří do nebe de Jan Bubenicek & Denisa Grimmová (2021, Même les souris vont au paradis)
Whizzy est une jeune souris dont le père est mort en héros sous ses yeux : afin de la sauver, il a tenu tête à un méchant renard et s’est finalement fait manger. Whizzy essaye de faire honneur à la mémoire de son père mais est fondamentalement craintive. Afin de prouver son courage, elle part arracher une touffe de poils à un renard endormi. Celui-ci se réveille et la poursuit. Ils sont finalement écrasés par une voiture et ils se retrouvent tous les deux au Paradis, contraints de s’entraider.Même les souris vont au paradis est un film d’animation tchèque qui mélange stop-motion de marionnettes et animation 3D. C’est techniquement très réussi, les tchèques ont une belle tradition d’animation de marionnettes, leur réalisateur le plus connu dans ce domaine étant Jiri Trnka. Niveau scénario, c’est très gentil, simple et convenu, plutôt pour les très jeunes. A voir uniquement pour le côté technique. Je n’ai trouvé que la version anglaise, dont le doublage est assez moyen, et pas la version tchèque (j’évite comme la peste les doublages français de dessins animés pour enfants, généralement insupportables).
無頼漢 [Buraikan] de Masahiro Shinoda (1970, The Scandalous Adventures of Buraikan)
Mizuno Tadakuni, un daimyo occupant une position élevée à la cour, interdit au fur et à mesure tous les loisirs et plaisirs afin d’éduquer et moraliser la population. Cette dernière ne voit pas ça d’un bon œil et la révolte gronde à Edo (ancien nom de Tokyo). En parallèle, Naojiro mène une vie de débauche. Il habite avec sa vieille mère, et utilise ses gains aux jeux pour aller voir les prostituées. Il voudrait être acteur mais l’interdiction des pièces de kabuki restreint ses possibilités. Afin de s’occuper et parce qu’il considère que le théâtre sur une scène et dans la vie sont identiques, il se retrouve mêlé au complot des rebelles.J’ai entendu parler de Buraikan dans Voices from the Japanese Cinema, dans la partie consacrée à Masahiro Shinoda. Le film avait été encensé par Donald Richie et d’autres critiques à sa sortie, et j’étais curieux de le voir. Je ne suis pas un grand fan de Shinoda : j’aime bien certains de ses jidai-geki des années 60, comme Assassinat (1964) ou La guerre des espions (1965), mais j’ai moins apprécié ses œuvres ultérieures (comme le surestimé Silence (1971) ou le décevant L’étang du démon (1979)).
Buraikan m’a laissé une impression mitigée. Il y a une belle photographie et le thème de la révolte organisée des déclassés contre le pouvoir est relativement original dans le cinéma de l’époque. Toutefois, le film se disperse trop, avec des sous-intrigues assez vaines. On suit plusieurs personnages. Naojiro, joué par Tetsuya Nakadai en roue libre, est le plus central mais sans doute un des moins importants dans la révolte, y participant de façon secondaire comme électron libre. On s’attarde également sur un homme ayant perdu sa femme et son fils, impliqué malgré lui de façon très accessoire. C’est un peu dommage de passer autant de temps sur ceux qui sont à la marge de la révolte plutôt que sur les protagonistes centraux. Bien que ce soit volontaire de la part de Shinoda, cela diminue fortement la portée politique de l’œuvre et tout cela est assez difficile à suivre si on ne connait pas le contexte politique de cette période.
Rita ou Rito?... de Reinaldo Ferreira (1927)
Rito souhaite épouser Gabriela mais les parents de cette dernière lui préfèrent le fade comte Pastel-de-nata. Afin de pouvoir passer du temps avec elle, Rito se déguise en Rita.Je cherche à voir tout ce que je peux en cinéma muet portugais. Parfois, je tombe sur des trucs très nuls comme ce Rita ou Rito?.... C’est le deuxième film de Reinaldo Ferreira réalisé dans le cadre de sa compagnie Repórter X Film. Reinaldo Ferreira était célèbre à l’époque comme reporter et son film précédent, O Táxi 9297 (1927) que je n’ai pas encore vu, est une enquête tirée d’un fait divers. Rita ou Rito?... est apparemment inspiré d’une histoire vraie.
C’est une comédie proche du slapstick américain, avec quiproquos et course-poursuites. Je craignais une forte transphobie, ce n’est pas le cas. Pour compenser, c’est bourré de blackfaces qui tâchent, bien racistes et présents durant une grosse partie du métrage... Le scénario est confus, tentant de rattacher le fait divers d’origine à une intrigue amoureuse et à des personnages « noirs » rigolos. A éviter. Le film a apparemment été restauré mais je l’ai vu dans une copie affreuse, pas très grave au vu du machin.
Séries
ウルフズレイン [Wolf’s Rain] de Tensai Okamura (2003-2004), 26 épisodes + 4 OAV
Dans le futur, sur une Terre dévastée régie par quelques nobles mystérieux, les loups ont théoriquement disparu depuis longtemps et seules quelques personnes croient encore à leur existence. Dans les récits mythiques, les loups sont les ancêtres des hommes et recherchent le Paradis. Le monde prendra fin le jour où ils le trouveront. Wolf’s Rain suit les aventures de quatre loups dont le meneur, Kiba, souhaite trouver le Paradis. Ils rencontreront en chemin d’autres loups et se heurteront à l’ambition de nobles aux motivations obscures.J’avais entendu parler de Wolf’s Rain quand il était sorti en 2003/2004 et j’avais récupéré l’OST de Yoko Kanno (pas sa meilleure d’après moi). Je regardais moins d’anime à l’époque et j’avais un peu oublié cette série par la suite. Elle est mentionnée dans le livre de Susan Napier et j’ai eu envie de la voir enfin. J’en ressors plutôt déçu : l’univers est assez peu développé, les personnages sont globalement monochromes et les enjeux assez simplistes. Vu la bonne réputation de l’anime, je m’attendais à beaucoup mieux.
Livres
Homme plus de Frederik Pohl (Le livre de poche, 1979), 320 p.
Dans un monde instable et proche de la guerre, les Etats-Unis développent en secret le programme Homme-Plus, un cyborg capable de vivre sur Mars. Compte tenu des conditions de vie très dures sur cette planète, ce cyborg n’a plus grand-chose d’humain, uniquement le cerveau et quelques autres morceaux épars. Le livre suit le parcours de Roger Torraway, ancien astronaute, qui va se retrouver au cœur du programme Homme-Plus.Il me semble avoir déjà lu un ou deux autres bouquins de Frederik Pohl mais je n’en ai plus le moindre souvenir. Je n’ai pas accroché à Homme-Plus. Le récit avance trop lentement à mon goût, l’auteur s’attarde sur de nombreux détails, sur le président des Etats-Unis et sur des aspects géopolitiques très années 70 (la projection de la guerre froide dans le futur). Les personnages secondaires ont du mal à s’émanciper de leur concept de base (l’épouse lassée de son mari, le pote séducteur manipulateur, le prêtre tiraillé entre le bien-être du programme et de l’individu…) et même le héros reste caractérisé de façon assez superficielle. Ça dégage.
La jeunesse de Yoshio (Œuvres 1973-1974) de Yoshiharu Tsuge (Cornélius, 2020), 244 p.
Les nouvelles de ce recueil ont été publiées en 1973 et 1974, les deux premières dans des magazines grand public et les autres dans des revues plus littéraires. Ayant quitté en 1972 l’atelier de Shigeru Mizuki dont il était assistant, Tsuge n’a plus de revenu régulier, d’où son rythme un peu plus soutenu qu’auparavant. La jeunesse de Yoshio revient au manga du moi développé dans le deuxième volume, en accentuant encore le côté autobiographique. Le narrateur est parfois clairement Yoshiharu Tsuge, dont on voit notamment l’épouse. Il revient sur certains passages difficiles de sa jeunesse très pauvre ou sur ses années difficiles avant sa percée dans Garo.On perd dans cet ouvrage les touches fantastiques bienvenues du précédent, ce que je trouve dommage. Point positif : beaucoup moins de viols et d’agressions sexuelles. Il en reste encore un peu et les personnages féminins sont globalement négatifs, on se contente de ce qu’on a, c’est mieux que précédemment. Le graphisme s’est enrichi par rapport au volume 2 mais les histoires ne sont pas captivantes et certaines sont scénaristiquement proches d’autres plus anciennes. Il me reste encore un volume de nouvelles, pour l'instant je suis plutôt déçu dans l’ensemble.
Voices from the Japanese Cinema de Joan Mellen (Liveright, 1975), 295 p.
Voices from the Japanese Cinema est une compilation de quinze entretiens autour du cinéma japonais réalisés par la chercheuse et critique américaine Joan Mellen en 1972. Chaque entretien est précédé d’une présentation de la personne interviewée. Ce sont majoritairement des réalisateurs. L’autrice a également discuté avec une actrice, une distributrice et une directrice artistique. Joan Mellen était à l’époque une féministe de gauche très engagée, l’absence de réalisatrice provient de leur rareté dans le cinéma japonais de l’époque.Joan Mellen est une intervieweuse pugnace, avec des idées très tranchées sur un certain nombre de sujets. Elle cherche notamment à savoir les positions de chacun sur le féminisme et l’image de la femme, sur l’engagement social et le marxisme, et sur la psychanalyse et Freud. Les interlocuteurs sont plus ou moins réceptifs, certains étant clairement sur la défensive comme Nagisa Oshima ou Kon Ichikawa. C’est très daté années 70 dans les positionnements et les problématiques, ça fournit toutefois un bon éclairage sur le cinéma japonais de cette époque et sur la façon dont il était perçu au Japon et aux Etats-Unis. Oshima est ainsi considéré comme très conservateur, Kurosawa est fortement défendu par la vieille garde et critiqué par les plus jeunes, et on voit les différentes approches des cinéastes. Je n’ai pas découvert de réalisateurs et j’ai vu quasiment tous les films cités, mais ça m’a permis de mieux connaître les idées de plusieurs réalisateurs importants du cinéma japonais des années 60-70.
Revues
Mad Movies n°365 – Novembre 2022
Pas mal de choses dans ce numéro de novembre. Côté nouveauté, Piggy de Carlota Pereda (2022) est intrigant, avec son tueur mutique qui élimine tous les persécuteurs de Sara, une adolescente en surpoids. Si le film réussit à éviter la grossophobie, ça peut être original. Samhain de Kate Dolan (2021), drame social sur fond de sorcières, semble également mériter le coup d’œil, de même que She Will de Charlotte Cobert (2021), malgré leur note imdb assez faible. Je veux définitivement voir Fumer fait tousser de Quentin Dupieux (2022) et Jacky Caillou de Lucas Delangle (2022), et la comédie horrifique L'exorcisme de ma meilleure amie de Damon Thomas est à retenir pour un soir de déprime. Inu-Oh de Masaaki Yuasa (2021) sera à voir dès que possible, j’avais été déçu par Ride Your Wave (2019) mais ses films restent en général très originaux. Enfin, j’ai ajouté dans mes bookmarks Netflix Barbare de Zach Cregger (2022), bien que je craigne un peu le syndrome Abuela les vieilles femmes ça fait peur.Côté dossiers, l’article sur les reboots enfonce un peu des portes ouvertes, bien que ce soit amusant de voir descendus en flamme certains films défendus par Mad Movies quelques mois ou années plus tôt. Un peu plus loin, l’anthologie Netflix Le cabinet des curiosités de Guillermo del Toro est analysé épisode par épisode. Je ne regarde normalement pas les séries mais certains épisodes font envie, avec une ambiance souvent lovecraftienne. Pour finir, j’ai bien aimé l’interview de John Leguizamo, j’ai découvert que c’était principalement un acteur de théâtre, qu’il faisait aussi des one-man shows et qu’il était très impliqué dans la défense des communautés latino-américaines aux Etats-Unis.
J'avais lu une critique plutôt pas mauvaise de “Labyrinth of Cinema” et étais curieux : grâce à toi je vais l'éviter.
RépondreSupprimerJe partage également ton avis sur les recueils de Tsuge, qui m'ont certes permis de découvrir des courants de la bande dessinée dont j'ignorais tout mais sont tout de même assez bof dans l'ensemble.