samedi 10 décembre 2022

Carnet de bord 03/12/2022-09/12/2022



Films vus en compagnie
Nappily Ever After de Haifaa Al-Mansour (2018, Une femme de tête)
Depuis qu’elle est toute petite, Violet soigne son apparence, en particulier ses cheveux. Femme noire, elle doit en permanence être vigilante afin qu’ils soient bien lisses et ne redeviennent pas crépus. Sa vie semble être une réussite, elle est appréciée à son travail et son petit ami est un médecin prometteur. Alors qu’elle pense qu’ils vont se fiancer, il lui dit qu’elle est trop soucieuse d’être parfaite et ils rompent. S’engage alors un processus d’acceptation de soi, qui va être très lié à sa chevelure.

Nappily Ever After est une petite comédie romantique très prévisible. C’est une adaptation du livre éponyme de Trisha R. Thomas, premier d’une série toujours en cours de neuf tomes. Bien que ce ne soit pas désagréable à regarder, ça reste dans le tout-venant des comédies romantiques américaines sans rien de particulièrement notable.


Zanox de Gábor Benö Baranyi (2022)
Misi est un lycéen introverti, sujet à des crises d’angoisse. Il prend un médicament expérimental pour l’aider à contrôler ses crises, le Zanox. Après une journée catastrophique, il atterrit à l’hôpital où un vieil alcoolique lui propose un alcool local fait-maison. Après une gorgée, Misi est propulsé dans le temps et revient au moment où il prenait son petit-déjeuner.

J’aime bien les films de boucle temporelle, et je me fais un plaisir à damer le pion à mon illustre ami M. Martin en regardant les trucs les plus obscurs possibles avant lui. Comme je commence à en avoir vu un paquet, il devient difficile de trouver de nouveaux titres. Parfois imdb ment et il n’y a pas de boucle, souvent c’est assez naze et, de temps en temps, je tombe sur une bonne surprise. C’est le cas de ce Zanox, dont je ne sais plus comment j’en avais entendu parler. Le cinéma hongrois est surtout connu pour ses films d’auteur que je qualifierais poliment d’exigeant (Béla Tarr ou Miklós Jancsó) et/ou engagés, comme White God (2014) ou Son of Saul (2015, pas encore vu). Il semble pourtant exister un pan plus grand public, qui ne passe généralement pas les frontières (je connais uniquement Kontroll (2003) pour ma part).
Zanox est un bon cru, le scénario est malin et fonctionne bien, renouvelant le concept de boucle temporelle de façon intelligente. La réalisation est relativement sobre et efficace. Les acteurs et actrices font le boulot, les lycéen·ne·s étant comme d’habitude joué·e·s par des personnes beaucoup trop âgées. Le tout en 1h30, pas de perte de temps ni de blabla inutile, pas de scènes à rallonge pour expliquer que holàlà on est dans une boucle temporelle dis donc, on ne prend pas le spectateur pour un neuneu. A noter que je n’ai vu aucune critique dans une langue autre que le hongrois, c’est dommage car Zanox gagne à être connu.


Fumer fait tousser de Quentin Dupieux (2022)
La tabac force combat les méchants en caoutchouc pour protéger la terre. Mais l’analyse de leurs derniers combats montre une baisse de motivation et de solidarité au sein de l’équipe. Afin de préparer leur prochaine lutte contre le vil Lézardin et pour ressouder le groupe, ils sont envoyés en séminaire à la campagne. Et quoi de plus motivant que de se raconter des histoires qui font peur ?

Excepté Incroyable mais vrai (2022) sorti quelques mois plus tôt, j’ai vu tous les films de Quentin Dupieux. J’avais lu une interview lors de la sortie d’Au poste ! (2018) où il expliquait que, après des années passées en Amérique du Nord, il était content de retrouver un tournage exclusivement en français et qu’il allait à présent se concentrer sur les dialogues. Je constate en effet que la parole prend une importance de plus en plus grande dans ses scénarios. Fumer fait tousser constitue pour l’instant le summum de cette tendance, ce n’est qu’une succession d’histoires que les personnages se racontent. A un moment, Dupieux estime en avoir fait assez et c’est la fin. Alors que d’habitude ses conclusions sont assez abruptes ou décevantes, ici ça ne choque pas, la trame principale n’a guère d’importance en soi et n’est qu’un prétexte à narrer d’autres choses. Elle est arrêtable à tout moment. Si on n’est pas au niveau d’un Réalité (2014), l’œuvre la plus maitrisée de sa période américaine, Fumer fait tousser est un petit objet sympathique, parsemé de récits horribles traités sur un ton léger et décalé.


Raya and the Last Dragon de Don Hall, Carlos López Estrada & Paul Briggs (2021, Raya et le dernier dragon)
Dans un royaume imaginaire d’Asie du Sud-Est, la dernière dragonne s’est sacrifiée pour libérer la terre des Druun, des créatures maléfiques qui transformaient toute vie en pierre. Elle a laissé derrière elle une gemme qui a engendré la division du royaume, chaque peuple tentant de l’avoir pour soi. 500 ans plus tard, à la suite de l’éclatement de la gemme, les Druun reviennent et le monde sombre de nouveau dans le chaos. Raya, ancienne gardienne de la gemme, se met à la recherche de la dernière dragonne, seul être capable de ramener la stabilité et la paix.

Flemmard est le terme qui me vient spontanément à l’esprit. Le scénario est cousu de fil blanc, les différents peuples se résument à quelques images d’Epinal, et la dragonne est un prétexte à un Awkwafina show. On pourrait résumer l’histoire en trois lignes pour un enfant de 3 ans de la façon suivante : Raya est une héroïne au grand cœur qui va réunir les morceaux de gemmes et les peuples dans une odyssée pleines de péripéties. Elle rencontrera en chemin des compagnons haut-en-couleur et saura retrouver la confiance perdue dans ces temps troublés. Que d’aventures !


Feathers de Omar El Zohairy (2021, Plumes)
Un couple vit avec ses trois jeunes enfants dans un petit appartement sordide. Le mari écrase la famille de son autorité et ne lui laisse que le nécessaire pour acheter à manger. Une fête est organisée pour l’anniversaire du fils aîné, au cours de laquelle un magicien est invité. Lors d’un tour de magie, le mari est transformé en poule. L’épouse va alors devoir se débrouiller seule et éponger les nombreuses dettes.

Le film de festival, dont le but premier est de plaire au public plutôt intellectuel des festivals occidentaux, est un univers en soit. Il a connu des évolutions avec le temps et possède diverses tendances, entre festivals ou au sein même d’un festival réputé. On identifie ainsi assez facilement un film estampillé Sundance, et la variété cannoise a actuellement plusieurs déclinaisons. L’une d’elle consiste à prendre un pays pauvre un peu exotique, quelques points bonus s’il est musulman, et d’y montrer le terrible quotidien de la femme. Il est bon de privilégier la sobriété dans le jeu des acteurs et actrices, et de filmer de façon posée dans des décors bien sales. Il est possible d’y ajouter quelques touches de misérabilisme et quelque chose d’un peu inhabituel pour titiller le festivalier. Je ne dis pas que ça ne correspond à aucune réalité mais ce sont les seuls films de ces pays qui sont reconnus et mis en avant, alors qu’il y a parfois toute une production variée qui n’arrive jamais jusqu’à nous.
Feathers, avec son titre anglais et sa sélection à Cannes, rentre parfaitement dans le moule. Le personnage féminin principal est quasiment mutique, sourit rapidement deux fois en tout et pour tout, et encaisse les malheurs les uns après les autres. Certains critiques parlent de libération de la femme, ce n’est pas tant une libération qu’une survie à la suite de la disparition du mari. Le prétexte fantastique est assez vain, il sert juste à se débarrasser de l’homme sans avoir à chercher une explication et ça n’apporte rien à l’histoire. Toute l’action se situe dans des lieux pauvres et sales, sauf la maison d’un couple occidental. A la fin, le festivalier est bien content, il peut coller des termes fourre-tout comme réalisme magique et se dit que quand même, dans ces pays-là, la vie des femmes c’est dur.


Films vus seuls
Sabar Ini Ujian de Anggy Umbara (2020, Patience Is a Virtue)
Par peur de devoir être père, Sabar a quitté sa compagne alors qu’ils allaient de marier. Plusieurs années plus tard, son ex s’apprête à épouser un de leurs amis communs et Sabar regrette sa décision. Invité au mariage, il s’y rend bon gré mal gré et se morfond durant la cérémonie. Alors qu’il pense que cette journée est enfin terminée, il se réveille le lendemain et c’est de nouveau le matin de la cérémonie : il est coincé dans une boucle temporelle et il va devoir trouver comment s’en sortir.

Je n’y connais à peu près rien en cinéma indonésien. A part des titres réalisés par des étrangers (The Raid de Gareth Evans (2011) et The Act of Killing de Joshua Oppenheimer (2012)), les seuls films indonésiens que j’ai vus sont les deux versions de La reine de la magie noire (1981 et 2019). Je n’ai toutefois pas été trop dépaysé ici : Sabar Ini Ujian est une comédie romantique façon Un jour sans fin (1993) mollasson, avec un humour bien relou qui m’a un peu fait penser à certains longs métrages indiens. Comme souvent dans les timeloops de comédie romantique, le héros est au départ insupportable, et va petit à petit comprendre ses erreurs et changer son comportement, amenant à la sortie de la boucle. Sabar Ini Ujian s’avère assez pénible : l’humour est très lourd, l’acteur principal peu charismatique, les situations ultra convenues, et la morale moisie (il faut pardonner à son papa même s’il s’est barré quand on était petit car ce n’était pas sa faute en vrai). Même pour la science, ça ne vaut pas le coup.


Meet the Feebles de Peter Jackson (1989, Les Feebles)
Vie et horreurs d’une troupe de spectacles dépravée, avec sa diva boulimique et capricieuse, son patron mafieux, son bras-droit qui tourne des pornos, son lanceur de couteau drogué traumatisé par la guerre du Vietnam, son journaliste à scandale et son couple de jeunes premiers idéalistes.

Meet de Feebles se situe entre Bad Taste (1987), le premier long métrage de Peter Jackson, et Brain Dead (1992). J’aime bien Brain Dead, Bad Taste étant plein de bonne volonté mais tout de même très fauché, mal joué et avec une musique affreuse. Je connaissais Meet the Feebles de réputation, sans avoir eu l’opportunité de le voir jusqu’à présent. C’est fait, j’aurais pu m’abstenir…
Sorti de son idée de départ, un Muppet Show trash, il n’y a pas grand-chose. Le scénario sert juste à accumuler les scènes trash, les personnages sont complètement inintéressants, l’histoire est nulle, c’est de la provoc pour la provoc sans rien derrière. Et au final c’est très moral, les gentils s’en sortent et les méchants sont punis. Seul point positif, ça m’a permis de capter la référence dans Fumer fait tousser, où le chef doublé par Alain Chabat ressemble très fortement au rat bras-droit du chef de la troupe dans Meet the Feebles.


うずまき [Uzumaki] de Higuchinsky (2000, Spiral)
Kirie est amoureuse de son ami d’enfance, Shuichi. Il semble perturbé ces derniers jours et propose à Kirie de s’enfuir ensemble de la ville, qu’il dit maudite. Le père de Shuichi a, depuis quelques temps, un comportement étrange et est obsédé par les spirales. Il filme tous les objets en comportant, ne va plus au travail et reste assis des heures à les regarder. Il se rend compte qu’il peut même en générer lui-même, en tournant rapidement ses baguettes dans sa soupe miso ou en roulant des yeux. Cette obsession le conduit à la mort. Ce n’est cependant que le début, les spirales contaminant doucement toute la ville.

Uzumaki est réalisé par Higuchinsky, Japonais d’origine ukrainienne qui n’a pas fait grand-chose à part ça. C’est une adaptation apparemment assez fidèle du manga éponyme de Junji Itô, traduit en français aux éditions Delcourt/Tonkam. Je n’ai jamais rien lu de cet auteur, dont le style semble assez proche de Kazuo Umezu, le maître du manga d’horreur. Junji Itô est aussi connu pour Tomie, également traduit en français chez Mangetsu et qui a été porté plusieurs fois au cinéma (je me rends compte qu’étonnamment je n’ai pas vu le premier Tomie de 1998, il va falloir changer ça).
Comme souvent avec les mangas d’horreur, le scénario d’Uzumaki repose sur son concept, décliné de façon la plus affreuse possible. Junji Itô reconnait qu’il n’a en général pas une idée de scénario, il bâtit ses histoires autour d’une image qu’il a en tête. De façon assez prévisible, le film comporte quelques séquences bien creepy mais les personnages sont assez fades et il manque une bonne trame.


A dança dos paroxismos de Jorge Brum do Canto (1929)
Un jeune noble arrive dans un village de paysans, épuisé après un long voyage. Il se rend au royaume de Fairland pour épouser une gente dame. On lui donne à boire et à manger et, lorsqu’il s’apprête à repartir, une femme lui dit de se méfier de la reine des fées, qui peut provoquer des malheurs.

C’est un curieux moyen métrage que ce A dança dos paroxismos, premier film de Jorge Brum do Canto, réalisateur, scénariste et acteur principal qui n’avait alors que 18 ans. ll est dédié à Marcel L’herbier, Jorge Brum do Canto était fan du cinéma d’avant-garde français et ça se sent. C’est une adaptation des Elfes, un court poème du XIXe siècle de Charles-Marie Leconte de Lisle. A dança dos paroxismos est assez lent, le scénario est mince et je l’ai vu sans musique d’accompagnement. Jorge Brum do Canto réussit néanmoins à instaurer une ambiance un peu surnaturelle, renforcée par le montage très avant-gardiste. Avec un bon fond musical, ça pourrait donner quelque chose d’assez intéressant.


Intégrale des court-métrages de Yuri Nornstein
25-e — первый день [25-e - pervyy den] de Yuri Nornstein & Arkadiy Tyurin (1968, Le 25 octobre - premier jour)
Дети и спички [Deti i spichki] de Yuri Nornstein (1969, Children and Matches)
Времена года [Vremena goda] de Ivan Ivanov-Vano & Yuri Norstein (1969, Seasons)
Сеча при Керженце [Secha pri Kerzhentse] de Ivan Ivanov-Vano & Yuri Norstein (1971, La Bataille de Kerjenets)

Le 25 octobre - premier jour est le premier film de Yuri Norstein. C’est une œuvre de propagande sur la première journée de la révolution bolchévique d’octobre 1917, inspirée visuellement par la peinture d’avant-garde russe et européenne des années 1910-1920. Malgré son aspect propagandiste, il a eu des problèmes avec la censure et des passages ont été coupés.
Children and Matches est un court film de sécurité montrant les dangers pour les enfants de jouer avec des allumettes.
Seasons est un des deux court-métrages de Yuri Norstein réalisés avec Ivan Ivanov-Vano, un des pères de l’animation russe. Il suit un couple d’amoureux sur quatre saisons, prétexte pour illustrer Les Saisons, célèbre suite de Tchaïkovski. C’est animé en stop-motion de marionnettes, technique dont Norstein n’était pas fan mais il ne pouvait se permettre à ce moment de sa carrière de rejeter une collaboration avec Ivan Ivanov-Vano.
La Bataille de Kerjenets se fonde sur la légende de la cité invisible de Kitezh et sur l’opéra que Rimsky-Korsakov en a tiré. Visuellement, il s’inspire des peintures médiévales russes des XIVe-XVIe siècles. C’est une étape importante pour Yuri Norstein, chargé de tous les aspects techniques. C’est par ailleurs la première fois qu’il travaille avec sa femme, Francheska Yarbusova, qui sera la directrice artistique de toutes ses réalisations suivantes.

Bien que ces quatre premiers titres soient impressionnants visuellement, ils n’ont pas la cohérence et la rigueur narrative des suivants. Ils ne cherchent pas vraiment à raconter quelque chose, ils illustrent de la musique et immergent le spectateur dans une ambiance (excepté Children and Matches, commande faite avec un objectif concret). A voir uniquement par complétisme d’après moi.

Лиса и заяц [Lisa i zayats] de Yuri Nornstein (1973, La renarde et le lièvre)
Цапля и журавль [Tsaplya i zhuravl] de Yuri Nornstein (1974, Le héron et la cigogne)
Ёжик в тумане [Yozhik v tumane] de Yuri Nornstein (1975, Le hérisson dans le brouillard)
Сказка сказок [Skazka skazok] de Yuri Nornstein (1979, Le conte des contes)

En 1972, un producteur italien lance un projet européen visant à tourner dans plusieurs pays des court-métrages d’animation tirés de contes nationaux. Le conte russe, La renarde et le lièvre, échoit à Yuri Nornstein, qui devient enfin réalisateur indépendant. Un lièvre a construit une maison en bois et une renarde une maison en glace. La maison de la renarde est bien plus jolie et elle se moque du lièvre. Toutefois, quand vient le printemps, la maison de la renarde fond. Elle s’empresse de venir prendre la maison du lièvre et le chasse. Le pauvre lièvre est triste et d’autres animaux essayent de l’aider. Mais la renarde est tenace et il n’est pas si facile de la chasser.
Le film suivant est également une adaptation d’un conte de Vladimir Dahl, Le héron et la cigogne. Un héron est amoureux d’une cigogne et voudrait l’épouser. Elle s’estime trop bien pour lui et refuse. Néanmoins, elle réalise sa solitude et change d’avis. Cette fois, c’est le héron qui ne veut plus. Après réflexion, il change également d’avis mais la cigogne le rejette…
Le hérisson dans le brouillard est une inspiré d’une histoire pour enfants de Sergueï Kozlov. Un petit hérisson rend visite à son ami l’ours pour regarder les étoiles en buvant du thé. Il y a un épais brouillard et le petit hérisson se perd, effrayé par les étranges créatures qui surgissent dans ce monde rendu fantasmagorique par les conditions climatiques.
Le conte des contes est l’ultime court métrage de Yuri Nornstein, ce dernier travaillant depuis 40 ans sur son prochain film, une adaptation du Manteau de Gogol. Le conte des contes s’ouvre sur une berceuse russe, qui dit à un bébé qu’un loup viendra l’emporter pour l’emmener dans la forêt. On suit ensuite ce loup, lui-même spectateur des rêves et souvenirs du réalisateur. La narration est assez décousue, elle tourne autour d’images et de sentiments, et dégage une forte mélancolie autour d’un monde perdu.

Le conte des contes est considéré comme la plus grande réussite de Yuri Nornstein. J’aime beaucoup le loup et c’est très beau mais j’ai été plus marqué par Le hérisson dans le brouillard. Je l’ai vu plusieurs fois et je ne m’en lasse pas. L’histoire est simple et limpide, plus concrète que dans Le conte des contes, et j’adore le petit hérisson. La musique et les voix sont également très bien choisies. Dans les deux œuvres plus anciennes, bien que Le héron et la cigogne soit plus réputé, je préfère La renarde et le lièvre, plus proche de ce que j’attends d’un conte et avec des personnages plus amusants. Ces quatre films restent dans tous les cas des chefs d’œuvres à voir absolument.


四谷怪談 [Yotsuya kaidan] de Kenji Misumi (1959)
Tamiya Iemon est un samouraï de rang inférieur qui ne réussit pas à trouver du travail. Il n’est pas assez riche et ne peut s’acheter une position. Il passe ses journées à pêcher et à trainer avec des individus peu recommandables. Il sauve un jour une jeune femme d’une riche famille, elle tombe amoureuse de lui et veut l’épouser. Comme Iemon est amoureux de sa femme et n’a pas envie de divorcer, le père de la jeune femme engage de vils gredins pour se débarrasser de l’épouse encombrante.

Ça doit être la 8e version que je vois de Yotsuya kaidan, célèbre pièce de kabuki qui a inspiré des dizaines de long métrages, et c’est probablement la moins fidèle à l’originale. Le film de Kenji Misumi est sorti quelques mois avant l’adaptation de Nobuo Nakagawa, la plus connue en Occident. Dans le Misumi, Iemon est joué par Kazuo Hasegawa, acteur à la carrière assez extraordinaire : il a débuté comme onnagata (homme qui interprète des rôles féminins) dans le cinéma muet des années 20, avant de se spécialiser dans les rôles de samouraï chevaleresque. Il a joué notamment dans La porte de l’enfer (1953), Les amants crucifiés (1954) et La vengeance d’un acteur (1963), remake d’un long métrage de 1935 où il avait déjà le premier rôle.
Peu habitué aux héros négatifs, son Iemon est sans doute le moins sombre de ceux que j’ai pu voir. D’habitude, Iemon est l’exemple de l’opportuniste ambitieux, un colérique prêt à tout pour réussir, qui n’hésite pas à se débarrasser des obstacles. Ici, au contraire, il aime réellement sa femme, il aide les gens et n’est pas particulièrement retors, il veut juste avoir la paix. Yotsuya kaidan baigne habituellement dans le surnaturel, le fantôme de la femme de Iemon venant hanter ses assassins. Cet aspect ne semble pas intéresser beaucoup Misumi, à l’inverse d’un réalisateur comme Nakagawa. Je conseillerais donc plutôt à un néophyte la version de ce dernier.


リトル・フォレスト 夏・秋 [Ritoru foresuto: Natsu/Aki] de Jun'ichi Mori (2014, Petite forêt : Eté et automne)
リトル・フォレスト 冬・春 [Ritoru foresuto: Fuyu/Haru] de Jun'ichi Mori (2015, Petite forêt : Hiver et printemps)
Ichiko est une jeune paysanne revenue dans sa campagne natale après avoir vécu quelques années dans une grande ville. Sa nouvelle vie semble lui convenir mais elle hésite à faire un choix et à se stabiliser définitivement. Nous la suivons toute une année, de l’été au printemps suivant, dans sa vie quotidienne solitaire. Elle a quitté la ville à la suite d’une déception amoureuse et sa mère, qui l’a élevée seule, est partie de la maison familiale plusieurs années auparavant. Chaque période a son ambiance, correspond à différentes plantes à semer ou à récolter, et à différents plats, la cuisine japonaise étant très liée à la saisonnalité.

Petite forêt est adapté d’un manga assez populaire au Japon, qui s’inscrit dans une mode, également présente chez nous, de retour à la campagne et à la cuisine traditionnelle faite maison. L’histoire est très simple et sert de prétexte à suivre les cultures des plantes et les plats à préparer suivant les saisons. Les deux films ne sont pas désagréables, on a un peu l’impression de suivre un documentaire culinaro-agricole avec une légère trame. Ça reste très gentillet, avec une image carte postale de la vie paysanne, à se demander pourquoi plus personne ne veut bosser dans l’agriculture et vivre dans des villages paumés.


繡花大盜 [Xiu hua da dao] de Chor Yuen (1978, Clan of Amazons)
Un mystérieux bandit masqué habillé de rouge et passant son temps à broder commet une série de vols spectaculaires. Les autorités sont dans l’impasse et font appel à Lu Xiao-feng pour attraper le coupable. Aidée de son amie Xue Bing, il se lance à la recherche de l’organisation des chaussons rouges, groupe de femmes spécialistes d’arts martiaux portant des chaussons rouges brodés.

C’est bon il est parti ? On peut sortir alors.

Comme précisé précédemment, je suis fan des adaptations de Gu Long réalisées par Chor Yuen. Je n’avais jamais vu Clan of Amazons, qui ne fait pas partie des titres de la Shaw Brother édités par Wild Side et que je n’avais curieusement jamais récupéré. On retrouve tout ce qui fait le sel de ces métrages : un héros nonchalant super balaise, un rebondissement toutes les deux minutes (en à peine 1h30, le héros est trahi par cinq personnages et esquive trois tentatives d’empoisonnement), des situations invraisemblables traitées avec un grand naturel (voir copie d’écran ci-dessus), de très beaux costumes et décors, et des acteurs et actrices parfaits dans leur genre. L’acteur principal Tony Liu n’est certes pas au niveau d’un Ti Lung, qui joue dans les meilleurs Chor Yuen. Il est toutefois convaincant et est accompagné par Li Ching, excellente dans son rôle de comparse du héros. Un film fort sympathique. Je me rends compte d’ailleurs que j’ai déjà vu sa suite, Duel of the Century (1981), il y a quelques années.


Séries
ノワール [Nowâru] de Kôichi Mashimo (2001, Noir), 26 épisodes
Mireille Bouquet est une célèbre tueuse à gages française vivant à Paris. Elle est un jour contactée par Kirika, une lycéenne japonaise amnésique. Elle est en possession de la montre à gousset des parents de Mireille, assassinés lorsqu’elle était jeune. Mireille se rend à Tokyo pour rencontrer Kirika. Elle ne se souvient de rien excepté qu’elle est Noir, nom mythique utilisé par les meilleurs assassins depuis des siècles. Mireille décide d’aider Kirika à regagner sa mémoire et en fait son associée, cette dernière s’avérant être une tueuse exceptionnelle.

Après Wolf’s Rain, je continue avec les animés réputés du début des années 2000 que j’avais loupés. Je passe rapidement sur le fait que Noir se passe partiellement en France, notamment à Paris. Je ne me suis pas focalisé là-dessus. Il n’y a rien de très choquant, quelques erreurs géographiques, des prénoms français très datés, rien de pire que n’importe quel film américain se déroulant dans notre pays. Je connaissais déjà la musique de Noir, j’avais écouté les OST quand elles étaient sorties et j’avais bien accroché. Cette musique est omniprésente dans la série. Cela pourra agacer, j’ai estimé pour ma part que ça fonctionnait assez bien dans l’ensemble.
Scénaristiquement, rien de révolutionnaire, tout tourne autour d’une mystérieuse organisation, responsable de la mort des parents de Mireille et qui veut tuer Mireille et Kirika. La révélation du mystère n’a guère d’intérêt et les derniers épisodes sont loin d’être les meilleurs. Ce qui compte, ce sont les actions générées par la recherche de la solution et les situations croisées en chemin. Il ne faut donc pas trop en attendre du scénario et plutôt regarder Noir pour son ambiance.


Livres
Petites leçons de sociologie des sciences de Bruno Latour (La Découverte, collection « La Découverte Poche », 2007), 256 p.
Petites leçons de sociologie des sciences est un recueil d’articles écrits par Bruno Latour entre 1984 et 1993. Ils sont regroupés en trois grandes parties : des considérations sur les objets de la vie quotidienne ; des analyses sociologiques portant sur la façon dont les chercheurs perçoivent leur discipline et écrivent leurs articles ; l’importance des images et des représentations en science.

A l’époque lointaine où j’étais en premier cycle de mathématiques-informatique, j’avais eu un cours d’histoire et méthodologie des sciences. Sur les plus de 100 étudiants inscrits, on était à peine une dizaine à y assister, le cours ayant lieu en fin de journée et ne comptant que très peu sur la note globale du semestre. J’avais trouvé ça passionnant, ça m’avait incité à lire La structure des révolutions scientifiques de Thomas Kuhn, référence incontournable pour qui veut comprendre la façon dont marche la recherche scientifique. Le prof nous avait également parlé du fonctionnement des labos de recherche et de Bruno Latour, mais je n’avais pas eu l’occasion de récupérer ses ouvrages et ça m’était ensuite un peu sorti de la tête. Petites leçons de sociologie des sciences est donc mon premier livre de Latour.
Ma principale surprise vient du ton, situé sur le registre de l’anecdote et avec pas mal d’humour. Le style est clair, loin de la complexité inutile trop répandue dans les écrits universitaires, et ça se lit facilement. On a par contre parfois le sentiment que le seul but de certains textes est de mettre en avant une réflexion amusante ou originale de l’auteur. C’est particulièrement le cas dans la première partie sur les objets, où j’ai l’impression de ne pas avoir appris quoi que ce soit à la fin des cinq articles. Les deux autres parties sont plus enrichissantes, notamment son portrait d’un biologiste en capitaliste sauvage : il suit le parcours d’un biologiste plus intéressé par le prestige que la beauté de la science. L’objectif de Bruno Latour est de montrer qu’un chercheur est toujours un être humain, et que ses travaux de recherche ne peuvent être dissociés de la société et des raisons pour lesquelles ils sont effectués.
Je reste sur une impression finale mitigée. Latour assume sa subjectivité et se met parfois en scène. Il est cohérent avec son propos puisqu’il estime que les chercheurs et les sciences qu’il étudie sont subjectives et orientées. Il finit à force par scier la branche sur laquelle il est assis : comment considérer ses textes comme des analyses sociologiques rigoureuses si la rigueur scientifique est subjective ? Tous ses articles se fondent sur ses propres expériences et constatations : comment être sûr que les phénomènes qu’il décrit sont bien réels et généraux, pas uniquement des cas particuliers qu’il a croisé ? Son biologiste en capitaliste sauvage est-il par exemple représentatif de la recherche ? Pourquoi s’intéresser à lui et pas à tous les autres, qui restent à étudier les sujets que le biologiste capitaliste en quête de reconnaissance quitte rapidement ? A partir d’un ou deux exemples, il généralise avec des schémas dont je ne vois pas vraiment l’apport. Ça donne un peu l’impression qu’à chaque cas particulier qu’il croise, il en tire un article plus ou moins caustique et en déduit une vérité générale discutable. S’il fait réfléchir et soulève des questions importantes sur la manière dont la science est menée, la façon dont il le fait m’agace et j’attends de lire d’autres textes de lui pour avoir une opinion définitive.


La maison au bord du monde de William Hope Hodgson (Le livre de poche, 1977), 224 p.
Dans un coin reculé d’Irlande, deux amis font du camping et passent leurs journées à pêcher. En descendant la rivière, ils tombent sur une vieille bâtisse abandonnée située au flanc d’un large et profond gouffre. En fouillant les ruines, ils découvrent un vieux manuscrit. L’ambiance est malsaine et ils rentrent bien vite à leur campement. Le manuscrit a été écrit par le dernier habitant de la demeure. Il y retranscrit les évènements horribles qui lui sont arrivés durant son séjour dans cette sombre maison.

Si ce roman n’avait pas été écrit plus de 10 ans avant les premières œuvres de Lovecraft, j’aurais cru à un imitateur. Lovecraft connaissait les textes de William Hope Hodgson, il le cite comme exemple dans son essai Épouvante et surnaturel en littérature. Il est clair à la lecture de La maison au bord du monde qu’il lui a servi de modèle. Quoi de plus Lovecraftien que ces derniers écrits retrouvés d’un homme sombrant dans la folie ? Que ces horribles créatures venues de la nuit des temps ? Que ces rêves trop réels où l’esprit parcourt le temps et l’espace ? Seul gros problème : William Hope Hodgson consacre beaucoup trop de pages aux visions galactiques. On comprend rapidement le principe, l’âme immortelle du narrateur voit le temps s’écouler à une vitesse vertigineuse et contemple la destruction du système solaire. Ce n’était pas la peine d’y passer une soixantaine de pages, soit un tiers du bouquin. C’est dommage car sans cela c’est plutôt pas mal.


La fille du bureau de tabac de Masahiko Matsumoto (Cambourakis, 2018), 272 p.
Ces onze nouvelles ont été publiées dans les années 70. Elles ont pour cadre la vie quotidienne de jeunes hommes et femmes dans le Tokyo des années 60. La plupart des histoires ont pour héros des membres de la classe moyenne inférieure, dont les préoccupations principales tournent autour de l’emploi et du mariage. La nouvelle la plus longue, Mademoiselle Happy qui occupe plus d’un tiers du livre, suit une femme célibataire qui trouve un emploi de vendeuse de préservatifs à domicile.

Je ne connaissais pas du tout Masahiko Matsumoto, un des fondateurs du gekiga (manga pour adultes) et un auteur prolifique des années 50-60. J’ai bien aimé La fille du bureau de tabac, véritable plongée dans le quotidien de jeunes adultes citadins tout à fait banals. Le ton est assez léger, les personnages sont plutôt sympathiques et on les suit avec plaisir. Je vais du coup essayer de récupérer Gekiga fanatics, sa seule autre œuvre traduite en français.


Revues
L'oiseau Magazine – Rapaces de France n°24 – Hors-série 2022
Les hors-série Rapaces de France sont en général moins déprimants que les numéros normaux de L’oiseau Magazine car la situation des rapaces est plutôt meilleure que celles des autres espèces, grâce à leur protection ancienne et aux nombreux projets de préservation/restauration qui leur sont consacrés. On constate ainsi en France une augmentation du nombre de Hiboux grand-duc, de Balbuzards pêcheurs ou de Milans royaux. Les améliorations restent cependant précaires et certaines espèces, comme le Vautour percnoptère, sont encore en danger. Les hors-série Rapaces de France sont très factuels, ils donnent la situation sur de nombreuses espèces et les dernières observations. Il n’y a pas vraiment d’articles de fond, excepté dans ce numéro le dossier un peu plus conséquent sur le busard des roseaux.


Les Cahiers du cinéma n°793 – Décembre 2022
Le numéro de ce mois-ci a suscité peu d’envies cinéphiliques. Le dossier sur l’état du cinéma français n’est pas inintéressant. J’avoue toutefois regarder tellement peu de films français récents que j’ai du mal à me sentir concerné. Je n’ai ainsi vu aucun des titres cités dans leurs exemples, un peu comme leur top 10 de l’année qui me laisse froid.

Au niveau des sorties, c’est assez maigre. Il faudra un jour que je récupère une œuvre du réalisateur kazakh Darezhan Omirbaev, par curiosité. Le québécois Falcon Lake (2022) est intrigant, à noter si je tombe dessus un jour, tout comme Les bonnes étoiles (2022), un Kore-Eda sud-coréen avec Bae Doo-na. Le film d’animation Unicorn Wars d’Alberto Vazquez (2022) me fait un peu peur, je n’avais pas eu l’occasion de mettre la main sur son précédent long métrage, Psiconautas (2015), qui semblait visuellement impressionnant. Et il faut que je vois le Pinocchio (2022) de Del Toro qui arrive sur Netflix directement.
Pas grand-chose non plus du côté du cinéma de patrimoine. Un petit cas de conscience (2002) de Marie-Claude Treilhou attise ma curiosité. Il faudrait absolument que je vois son premier long métrage, Simone Barbès ou la Vertu (1980), encensé par les Cahiers. Et leur article sur Cluny Brown de Lubitsch (1946) m’a donné envie d’y rejeter un œil. C’est à peu près tout.


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