samedi 24 décembre 2022

Carnet de bord 17/12/2022-23/12/2022



Films vus en compagnie
First Cow de Kelly Reichardt (2019)
Cookie est cuisinier pour une bande de trappeurs. Calme et réservé, il se démarque et est insulté dès que la nourriture vient à manquer. Un soir où il ramasse des champignons dans la forêt, il tombe sur King-Lu, un immigré d’origine chinoise qui fuit des hommes dangereux. Cookie lui donne à manger et le cache jusqu’au matin. Quelques temps plus tard, ils se retrouvent dans une petite ville de pionniers et d’autochtones, et s’installent ensemble dans une cabane à l’écart. Un jour, Cookie fait des beignets avec du lait volé et King-Lu propose de les vendre à la populace, y voyant un moyen d’obtenir un peu d’argent et de quitter ce coin froid et perdu.

Kelly Reichardt fait partie des réalisatrices américaines dont je guette les sorties. First Cow est son second western après La dernière piste (2010), déjà scénarisé par Jonathan Raymond. Ils présentent des similitudes comme le format 4/3, plus adapté pour mettre au premier plan l’ordinaire et la vie des gens simples, et le scénario centré sur les oubliés de la conquête de l’Ouest. Après les femmes dans La dernière piste, First Cow se penche sur le sort d’un cuisto juif de la côte Est et d’un chinois sans attache. Les deux acteurs principaux, que je ne connaissais pas, sont excellents et leur duo de marginaux fonctionne très bien. Bien que tout soit perdu d’avance, on se plait à les suivre et à espérer qu’ils s’en sortent. Comme souvent chez Kelly Reichardt, les situations sont dures mais filmées avec une grande sérénité. Une belle œuvre qui ajoute une pierre supplémentaire à ce genre protéiforme et immortel qu’est le western américain.


渚のシンドバッド [Nagisa no Shindobaddo] de Ryosuke Hashiguchi (1995, Grains de sable)
Ito est un lycéen amoureux de son meilleur ami Yoshino. Il n’ose lui en parler, craignant sa réaction et celle de ses camarades. Transférée récemment d’un autre lycée, Aihara prend rapidement la mesure de la situation et taquine Ito sans mauvaises intentions devant deux autres élèves. Un peu plus tard, un dessin graveleux sur le tableau apprend à toute la classe les sentiments d’Ito. N’ayant plus rien à perdre, il décide de déclarer sa flamme à Yoshino et est rejeté. Il se rapproche alors d’Aihara, autre marginale qui l’apprécie et le comprend.

Il y a environ un an, j’avais vu Hush! (2001), où une femme à la dérive demande à un homme gay en couple de lui faire un enfant. Ça fonctionnait étonnamment bien et j’étais curieux de visionner Grains de sable du même réalisateur. Le résumé sur la jaquette du DVD laissait supposer un trio un peu similaire. En fait, Grains de sable est centré sur un triangle amoureux, avec un rythme plus lent et plus sombre que Hush!.
Il illustre de façon crédible le quotidien des ados et la stigmatisation vécue par ceux qui sont différents. La lenteur aide à bien caractériser les différents protagonistes et à les ancrer dans leur morne quotidien. Les personnages secondaires ne sont pas laissés de côté et ont un certain relief. Les acteurs et actrices sont joués par des ados et jeunes adultes, phénomène plus fréquent au Japon qu’en Occident. Ryosuke Hashiguchi n’a pas réalisé beaucoup de longs métrages. J’ai déjà vu de lui le très bon All Around Us (2008), sur un couple dont la femme sombre dans la dépression, avec Lily Franky dans le rôle du mari. Il faudra que je récupère le reste de sa filmographie.


Coupez ! de Michel Hazanavicius (2022)
Lors du tournage d’un film de zombie, un réalisateur se désole de la nullité de son actrice principale et prend une pause pour se calmer. De vrais zombies débarquent soudain, contraignant les acteurs et actrices à enfin montrer de vraies émotions. Le réalisateur revient avec sa caméra et se met à tout filmer, ravi de la tournure des évènements, tandis que le casting se fait progressivement décimer.

Coupez ! est un remake de Ne coupez pas ! (2017). Difficile de ne pas trop en dire pour ceux qui n’ont pas vu l’original japonais. Sans spoiler, il prend bien en compte son statut de remake via quelques légères modifications scénaristiques, et intègre une actrice japonaise de Ne coupez pas ! dans un rôle similaire. Ce ne sont pas les aspects les plus réussis, avec une vision assez simpliste de la mentalité japonaise. Pour le reste, c’est un décalque qui n’apporte rien avec une première partie assez ratée, trop dans le second degré. Tout en suivant la même trame, Michel Hazanavicius aurait pu placer les imprévus à d’autres endroits et amener des idées différentes. Le personnage interprété par Jean-Pascal Zadi par exemple, clairement l’acteur le plus drôle de la distribution, aurait pu être plus développé en jouant davantage sur sa maîtrise de la musique et des effets sonores. En l’état, autant voir ou revoir Ne coupez pas !.


Murder on the Orient Express de Kenneth Branagh (2017, Le crime de l’Orient-Express)
Hercule Poirot arrête les méchants grâce à son gros cerveau et sa belle moustache. Il monte dans l’Orient-Express à Istanbul pour se reposer quelques jours avant d’arriver à Londres. Pas moyen de fermer l’œil, v’là-t’y pas qu’on se retrouve avec un cadavre sur le dos et un assassin à débusquer. Et vraiment pas de bol, le train est bloqué par une avalanche tombée sur un paysage néo-zélandais et bloquant le train à l’entrée d’un tunnel censé être en Yougoslavie. Tel Dieu tombé des cieux, Kenneth Branagh, pardon Hercule Poirot rétablira-t-il la justice et l’équilibre ?

Kenneth, Kenneth, Kenneth… Je n’ai jamais lu Agatha Christie. Comme beaucoup de gens, je la connais à travers des adaptations au cinéma et à la télévision. J’ai vu au moins deux fois Le crime de l’Orient Express de Sydney Lumet (1974), avec Albert Finney en Poirot convaincant et assez sobre. Cette nouvelle version produite et réalisé par Kenneth Branagh, avec Kenneth Branagh en Hercule Poirot, pâtit de la comparaison. Kenneth a voulu aérer, les gens sortent du train on ne sait pas trop pourquoi, pour prendre le thé dans le froid ou pour s’asseoir à une table façon La Cène de Léonard de Vinci, sans Judas parce qu’il n’y a pas de traitre. Manque juste un kangourou et des mariachis. Kenneth Branagh poursuit aussi des méchants façon Tom Cruise, marche sur des wagons enneigés et évitent les balles. La moustache au vent, il se compare à Dieu dans un paysage à la Peter Jackson. C’est pompeux, outrancier et prétentieux. Je vais quand même voir son Mort sur le Nil (2022), qu’on m’a dit meilleur et afin de pouvoir critiquer en toute connaissance de cause.


Thor: Love and Thunder de Taika Waititi (2022)
Un méchant tue des dieux avec une épée magique. Thor est un dieu, faut pas toucher à ses potos et il essaye de l’arrêter. Pour la peine, le vilain enlève les enfants d’Asgard. Thor mâle et femelle partent à sa poursuite et pif paf.

J’aime bien Taika Waititi et j’avais été plutôt tolérant à l’époque avec Thor: Ragnarok (2017). Sauf qu’à un moment faut arrêter les bêtises, Taika, et songer à retourner en Nouvelle-Zélande pour refaire des petits trucs sympas comme Boy (2010) ou Hunt for the Wilderpeople (2016). Bien que Thor: Love and Thunder soit moins gênant que Jojo Rabbit (2019), c’est aussi nul, et j’ai franchement peur quand je vois dans ses réalisations à venir une adaptation de L’Incal et d’Akira.


42nd Street de Lloyd Bacon (1933, 42ème rue)
Malgré des problèmes de santé, le prestigieux metteur en scène Julian Marsh s’apprête à monter un nouveau spectacle. Ruiné par le crash de 1929, il doit absolument connaitre le succès. Le show est financé par le riche Abner Dillon, qui impose en vedette sa compagne du moment, la chanteuse Dorothy Brock. Mais celle-ci est amoureuse de son ancien partenaire de vaudeville, Pat Denning. Une révélation de cette liaison menacerait l’existence du spectacle, et Julian Marsh est prêt à tout pour écarter Pat. Dans le même temps, les auditions ont lieu puis commencent les répétitions.

Ma copine va bientôt assister à l’adaptation sur scène de 42nd Street et nous avons donc revu le film, ce que nous n’avions pas fait depuis une bonne dizaine d’années. 42nd Street a connu à l’époque un immense succès, qui a permis de sauver la Warner de la faillite et a remis au goût du jour la comédie musicale, genre qui tombait en désuétude. Il a lancé la carrière de Busby Berkeley au cinéma, fait connaître au grand public Ginger Rogers et le duo Ruby Keeler/Dick Powell, réutilisé ensuite dans six longs métrages. 42nd Street suit un schéma qui devint rapidement classique dans les comédies musicales de la Warner des années 30 : une première heure consacrée à l’histoire, au montage du spectacle et aux répétitions ; une dernière demi-heure montrant le résultat, avec des grands numéros souvent chorégraphiés par Busby Berkeley.
Warner Baxter est ici très bon dans le rôle du metteur en scène. Son personnage était gay dans le roman éponyme. Même en pré-code, ce point était trop polémique et sa liaison avec le jeune premier a disparu, bien que son homosexualité surnage à un ou deux moments. Cela explique aussi pourquoi l’histoire d’amour entre le jeune premier, interprété par Dick Powell, et Ruby Keeler parait tellement artificielle, guère aidé par le jeu particulièrement tarte de cette dernière. Si Ruby Keeler savait chanter et danser, jouer n’était pas son fort. Pas sûr qu’elle aurait eu le rôle si elle n’avait pas été à l’époque la femme de la superstar Al Jolson. Les seconds couteaux sont tou·te·s très bon·ne·s, cela se suit agréablement jusqu’à l’exceptionnel numéro final, 42nd Street. On est en pré-code et ça se voit, les femmes sont peu vêtues, couchent facilement et toutes les chansons sont bourrées d’allusions sexuelles. Ça donne envie de revoir Gold Diggers of 1933 (1933), ne serait-ce que pour Joan Blondell et le numéro musical Remember My Forgotten Man.


Films vus seuls
キクとイサム [Kiku to Isamu] de Tadashi Imai (1959, Kiku and Isamu)
Kiku et Isamu sont deux enfants métisses, né·e·s d’un père noir américain et d’une mère japonaise. Ils vivent dans un petit village japonais avec leur grand-mère maternelle, leur mère étant décédée et leur père reparti aux Etats-Unis sans laisser ses coordonnées. A l’école, les enfants se moquent régulièrement d’eux en raison de leur différence et les adultes chuchotent dans leur dos. Kiku, la sœur aînée plus grande et plus forte que les enfants de son âge, ne se laisse pas marcher sur les pieds et n’a pas la langue dans sa poche. Leur grand-mère, très vieille et inquiète pour leur avenir, décide de contacter un organisme pour les faire adopter aux Etats-Unis, persuadée que leur vie sera meilleure là-bas. Malgré les difficultés, Kiku ne veut pourtant pas quitter les lieux où elle a grandi.

Comme d’habitude, Tadashi Imai aime bien aborder des questions délicates pour la société japonaise. Kiku and Isamu est le premier long métrage de fiction à se pencher sur le cas des hâfu, enfants métisses nés en nombre après l’arrivée des soldats américains en 1945. J’ai un bouquin sur le sujet, Hapa Japan, mais je ne l’ai pas encore lu. Kiku and Isamu est principalement centrée sur Kiku qui commence à devenir adulte. Elle réalise sa différence et les difficultés de sa vie à venir, et choisit de les affronter plutôt que de fuir. A l’inverse de certaines de ses autres œuvres, Imai ne tombe jamais dans le mélo, porté par la joie de vivre de Kiku et d’Isamu. Ce film assez unique mériterait d’être plus connu.
C’est le seul long métrage de l’actrice principale, Emiko Takahashi, qui deviendra ensuite chanteuse. Ce n’est guère étonnant vu la rareté des personnages noirs dans le cinéma japonais. La scénariste Yôko Mizuki, collaboratrice habituelle de Tadashi Imai et Mikio Naruse, est à l’origine du projet. C’est aussi elle qui insistât pour donner le rôle à Emiko Takahashi, Imai la trouvant trop rebelle lors du casting. La grand-mère est jouée par Tanie Kitabayashi, qui n’avait que 48 ans à l’époque. Elle est fortement grimée et en fait des tonnes. Son interprétation a apparemment plu, elle a été récompensée du prix de la meilleure actrice et elle sera abonnée aux petites vieilles durant le reste de sa carrière.


英雄對英雄 [Ying xiong dui ying xiong] de Yun Ling (1981, The Last Duel)
Pour une histoire de femmes, Lu Hsiao-Feng doit fuir le redoutable Sze Mun Tsui She, qui cherche à le tuer. Il se réfugie dans la villa de la mort, lieu étrange abritant des spécialistes d’arts martiaux en cavale et dirigée par un mystérieux homme masqué. Ce dernier semble avoir une idée derrière la tête et propose à Lu Hsiao-Feng de se joindre à lui.

A force de voir des réalisations de Chor Yuen tirés de romans de Gu Long, on finit par oublier la difficulté à adapter cet auteur aux récits tentaculaires, peuplés de myriades de protagonistes et de dizaines d’intrigues entremêlées. Le taïwanais The Last Duel permet de remettre les choses en place. Malgré un scénario ultra-simplifié focalisé sur un seul héros, tout est confus, artificiel et caricatural. Les méchants n’ont aucune envergure, les décors et costumes font cheap et les combats sont ridicules, mal montés et mal chorégraphiés. La musique est un pot-pourri de bandes originales occidentales : j’ai reconnu Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970) d’Ennio Morricone et Psychose (1960) ; et il y a apparemment, entre autres, des morceaux de Terreur dans le Shanghai-Express (1972) et de Pulsions (1980). Je n’ai pas réussi à récupérer la VO et j’ai dû me contenter de la version anglaise, catastrophique. Ça n’a pas aidé. Même sans cela, je ne pense pas que j’aurais apprécié ce The Last Duel de bien pauvre facture.


West Indies de Med Hondo (1979)
West Indies couvre plus de 300 ans de colonisation dans les Antilles françaises. C’est une satire composée de tableaux chantés et de reconstitutions pseudo-historiques montrant la responsabilité des élites dans la situation actuelle. L’oppression des noirs des Caraïbes est la résultante d’une machination fomentée par l’Etat français, aidé par les capitalistes, les religieux et les bourgeois, majoritairement blancs et minoritairement noirs.

West Indies est une adaptation libre de la pièce Les négriers de Daniel Boukman, déjà mise en scène au théâtre par Med Hondo. Pensé comme un musical à l’américaine, avec un décor quasi unique de pont d’un bateau, il évoque un show de Broadway. En raison de son anticolonialisme subversif, Med Hondo eut beaucoup de mal à financer le projet, refusant tout soutien conditionné à des coupes ou à des changements de script. Le découpage est judicieux, les passages entre les époques sont bien menés et le décor est pleinement utilisé. Les numéros musicaux sont bien chorégraphiés et ce n’est pas trop mal musicalement. La charge anticolonialiste est réjouissante, l’Etat français et ses représentants ne sont pas épargnés, de même que les notables noirs ayant profité de la situation. West Indies a donc tout pour plaire si on adhère à l’idée initiale de théâtre filmé. Or, ce n’est pas du tout mon truc. Je n’aime pas le théâtre, que ce soit en vrai ou à l’écran, et West Indies m’a rebuté sur la forme, composé de nombreux monologues, de scénettes dans un décor quasi unique, et d’un peu trop de didactisme par moment. Je le conseille néanmoins pour se faire sa propre opinion.


黒の報告書 [Kuro no hôkokusho] de Yasuzô Masumura (1963, Le dossier noir)
Un homme est retrouvé assassiné dans son salon, le crane ouvert par un lourd pot de fleurs. Les empreintes de trois personnes sont prélevées sur les lieux : sa secrétaire/maîtresse, sa femme et un ancien employé amant de sa femme. Ce dernier est rapidement suspecté, un faisceau de preuves le désignant comme coupable.

Malgré mon faible intérêt pour son œuvre jusqu’à présent, je continue avec Yasuzô Masumura en prenant cette fois un titre de sa première partie de carrière, dans un genre policier qui me convient a priori mieux que les histoires d’amour dramatiques. Le dossier noir tourne autour du jeune procureur qui mène l’enquête. Bien qu’il voie dans cette affaire une possibilité de promotion facile, il garde un certain idéalisme, qui finit par le mettre en danger face à un avocat de la défense sans scrupule. Alors qu’au départ l’opportunisme est mis en avant, c’est en fait assez manichéen, le gentil procureur se heurtant au cynisme de la défense, à la corruptibilité des témoins et à l’aveuglement de la justice. C’est mon treizième Yasuzô Masumura, y’a un moment où il va falloir que j’arrête plutôt que d’accumuler les déconvenues. A noter que c'est le second volet d'une série de films de la Daiei comprenant tous le mot noir dans le titre.


Going Hollywood de Raoul Walsh (1933, Au pays du rêve)
Sylvia est professeure de français dans un établissement pour jeunes filles. Son caractère rêveur et son amour de la musique et de la danse déplaisent à la directrice. Bouleversée par une chanson du crooner Bill Williams à la radio, elle démissionne subitement et part à la rencontre du chanteur de charme. Il est sur le départ pour Hollywood et ne s’intéresse guère à cette groupie de plus. Sylvia ne se décourage pas et décide de le suivre en s’embarquant dans le train.

Actrice populaire du cinéma muet, maîtresse du célèbre William Randolph Hearst, Marion Davies a eu du mal à négocier le passage au parlant, en raison notamment de son bégaiement. Going Hollywood laisse les parties chantées essentiellement à Bing Crosby et les numéros dansés à Marion Davies. Elle est ainsi en terrain connu, ayant débuté sa carrière comme danseuse à Broadway et dans les Ziegfeld Follies. Déjà star de la chanson, Bing Crosby est alors au début de sa carrière d’acteur et c’est Marion Davies qui l’a imposé en tête d’affiche.
Bing Crosby fait ce qu’on lui demande avec un rôle de crooner au cœur d'artichaut. A la différence de ses interprétations plus tardives, il est ici assez antipathique, délaissant ses fans et souhaitant uniquement coucher avec l’héroïne. Marion Davies se débrouille correctement, sans avoir le charisme et la verve d’une Claudette Colbert ou d’une Carole Lombard. Going Hollywood comporte par ailleurs un blackface de Marion Davies et une parodie longuette de célébrités de la radio, difficilement compréhensible pour le public d’aujourd’hui. Rien d’exceptionnel donc, on peut donc passer son chemin. A noter la première apparition dans un long métrage de l’actrice lesbienne Patsy Kelly dans le rôle de la bonne copine de l’héroïne.


みんなわが子 [Minna waga ko] de Miyoji Ieki (1963, All My Children)
L’action débute en juin 1945. Pour les protéger des bombardements, les enfants d’une école primaire de Tokyo vivent avec le personnel de leur établissement à Kôfu, une petite ville éloignée de la capitale. Malgré l’imminence de la défaite, les enseignants continuent de prôner la supériorité du Japon et de préparer les garçons à devenir un jour pilote kamikaze. Les enfants s’intéressent surtout à la nourriture, limitée par le rationnement, et attendent les visites périodiques de leurs mères venues de Tokyo. Les bombardements s’intensifiant et menaçant Kôfu, tout le monde est évacué dans un village de montagne.

C’est dingue à quel point j’ai eu du mal à trouver des infos sur Minna waga ko. Il n’est mentionné dans aucun de mes nombreux livres sur le cinéma japonais et je n’ai quasiment rien découvert sur internet, même en cherchant en japonais. Il a apparemment été produit par une coopérative agricole, l’association cinématographique de la communauté rurale nationale (Zenkoku nôson eiga kyôkai), et a été distribué (et coproduit ?) par ATG (Art Theatre Guild, une société de production et distribution indépendante connue pour ses liens avec la nouvelle vague japonaise). Cette coopérative a également produit plusieurs films de Satsuo Yamamoto, communiste très engagé. Le scénario de Minna waga ko est tiré des archives de l’évacuation des enfants de l’école élémentaire de Gekkôhara à Tokyo. C’est réalisé par Miyoji Ieki, homme de gauche dont l’œuvre est peu connue et que j’ai déjà mentionné dans ma critique de Robô no ishi (1938).
Minna waga ko adopte le point de vue des enfants, pris dans une guerre incompréhensible. Elle ne les intéresse au fond pas vraiment, moins en tout cas que les jeux quotidiens et la quête de nourriture. Les enfants sont bien dirigés et ça m’a fait penser aux Hiroshi Shimizu des années 40 et 50. C’est un bon film en soit mais je commence, avec le temps et l’accumulation, à être gêné par cette victimisation permanente de la population japonaise. Il est indéniable qu’elle a souffert pendant la guerre, en particulier durant les dernières années du conflit. Sans même parler des très rares dissidents, les bombardements, le manque de nourriture et les décès des hommes sur le front ont touché tout le monde. Sauf que le Japon était l’agresseur et, pour cent longs métrages sur la dure vie des Japonais durant la guerre, combien sur l’horreur de la colonisation, sur les massacres des prisonniers et des civils ou sur la dureté de la guerre dans les pays envahis par le Japon ? Je ne blâme pas Minna waga ko, qui insiste sur la vanité de la propagande et le désespoir des futurs kamikazes. C’est juste qu’il entre dans une logique d’ensemble qui me dérange à la longue.


學校風雲 [Hok hau fung wan] de Ringo Lam (1988, School on Fire)
En sortant de son lycée, Yuen-Fong assiste à la mort d’un garçon qui l’avait embêtée un peu plus tôt dans la journée. Il s’était moqué du petit ami de Yuen-Fong, un membre des triades. Appelée à témoigner, Yuen-Fong désigne les coupables. Le chef de son petit ami la menace et exige qu’elle rembourse les frais d’avocat. Son besoin d’argent et ses mauvaises fréquentations vont l’entraîner dans une spirale infernale.

School on Fire est le troisième de la série des on Fire, après City on Fire (1987) et Prison on Fire (1987), tous réalisés par Ringo Lam. School on Fire est le plus nihiliste des trois. Il dépeint une société corrompue et décrépie, où il n’existe aucun recours. L’école, la police, la famille ne servent à rien, les triades règnent en maître, seul l’argent est roi. Scénarisé par le frère de Ringo Lam, Yin Lam, School on Fire n’offre aucune porte de sortie, aucun romantisme ni happy end. Tourné caméra à l’épaule, il tend vers un certain réalisme et documente la déchéance d’une âme pure. Excepté vers la fin, les scènes d’action sont brèves et violentes, ancrées dans le quotidien. C’est sans doute le meilleur Ringo Lam.
School on Fire a eu beaucoup de problèmes avec la censure et a été interdit dans de nombreux pays. A Hong Kong, malgré plus de 30 coupes exigées par les censeurs, il est placé dans la catégorie III et est rapidement retiré de l’affiche sans avoir eu le temps de trouver son public. En 1988, un système de classement venait d’être mis en place en réponse aux inquiétudes d’une partie du public après la sortie du Syndicat du crime (1986) deux ans plus tôt. La catégorie III correspond à une interdiction aux moins de 18 ans. A la suite de cet échec, Ringo Lam se tourna vers un cinéma plus orienté action.


O Táxi 9297 de Reinaldo Ferreira (1927)
O Táxi 9297 débute par l’assassinat d’une actrice dans un taxi immatriculé 9297. Un an plus tard, le lieutenant Hair, américain d’origine portugaise, est envoyé à Lisbonne en mission diplomatique. Il se lie d’amitié avec Arsenio de Castro, un bourgeois de mauvaise réputation. Ils sont invités par Horacio de Azevedo, un riche excentrique qui possède une maison à la campagne. Arrivé dans la demeure, le lieutenant Hair remarque rapidement une belle jeune femme, qui vit dans une peur constante. Il décide de l’aider et de résoudre le mystère qui l’entoure.

C’est mon deuxième Reinaldo Ferreira après le très mauvais Rita ou Rito?... (1927). C’est tiré d’un fait divers, le meurtre de l’actrice Maria Alves en 1926. La police avait conclu à un cambriolage qui avait mal tourné mais Reinaldo Ferreira, alors journaliste à O Século, avait enquêté et estimé que le coupable était l’amant de la victime. A la suite de l’investigation d’un autre journaliste, il fut prouvé que Maria Alves avait bien été tuée par son manager et amant dans le taxi 9297. A partir de ces événements, Reinaldo Ferreira scénarisa et réalisa O Táxi 9297, qui connut un beau succès. Il en fit également une pièce de théâtre et un roman.
Passé l’introduction, O Táxi 9297 n’a plus qu’un vague rapport avec l’histoire d’origine. Reinaldo Ferreira a imaginé que l’actrice assassinée avait une fille, prise en étau entre des êtres malveillants. Elle est heureusement secourue par un beau héros. Ce film à énigmes, où le militaire cherche à comprendre les tenants et aboutissants au milieu de gens tous plus louches les uns que les autres, n’est pas franchement trépidant. Le mystère est assez nase, il y a un personnage homosexuel qui sert juste à être ridicule parce qu’il est efféminé et c’est platement photographié. Dispensable. J’ai vu une version restaurée sans musique, ce qui n’a sans doute pas aidé.


Livres
Cinq solutions pour en finir de Dominique Douay (Denoël, collection « Présence du futur », 1978), 288 p.
Cinq nouvelles composent ce recueil. Le récit principal, découpé en cinq parties réparties dans le livre, se déroule dans un Paris dystopique où les habitants sont condamnés, chaque année la nuit du réveillon, à changer de corps. Le matin du 1er janvier, ils se réveillent dans une nouvelle vie avec une nouvelle famille, un nouveau métier et de nouveaux souvenirs. Une année, sans qu’il sache pourquoi, un homme échappe à la réinitialisation. Dans les autres histoires :
• deux hommes, Alduce et Thomas, sont enfermés dans un univers artificiel gris et sombre dont ils ne peuvent s’échapper ;
• des spationautes reviennent sur Terre et, tandis qu’ils s’attendaient à être accueillis en héros, ils sont mis en quarantaine et protégés d’une foule hostile ;
• sur une planète à l’agonie, un homme survit en contrôlant son environnement à l’aide d’illusions ;
• les dirigeants d’un régime totalitaire lancent une méthode inédite pour contrôler leur population sans l’aide de la police.
Je n’avais jamais lu de Dominique Douay. De ce que je vois sur sa fiche wikipedia, il a été proche du PS et a fait partie de la mouvance de la science-fiction politique de gauche, avec une forte influence de K. Dick sur son œuvre. Cinq solutions pour en finir colle assez bien à cette définition. Certaines idées de départ sont bonnes et elles ne sont pas trop mal exploitées, en particulier dans Thomas. Comme K. Dick, l’auteur joue beaucoup sur la perception de la réalité et utilise plusieurs fois une narration éclatée, mélangeant points de vue et époques. Il ne peut par contre s’empêcher de saupoudrer le tout de considérations sexuelles décrites de façon explicite. J’avoue préférer la pudibonderie anglosaxonne sur ce point. Les personnages féminins sont absents ou utilitaires, servant principalement à coucher avec les hommes. Cinq solutions pour en finir se situe plutôt dans son début de carrière. Selon la façon dont son style a évolué, la suite pourrait être intéressante. A réessayer à l’occasion sur des écrits plus tardifs.


Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez (Seuil, collection « Points », 1995), 480 p.
Fuyant une malédiction et un fantôme, José Arcadio Buendia et Ursula Iguarán s’exilent de leur région, accompagnés par plusieurs familles d’amis. Dans un endroit perdu au milieu de nulle part, ils fondent le village de Macondo. Six générations de Buendia se succèdent dans la grande et belle demeure construite par José Arcadio Buendia, leurs frasques et pérégrinations ponctuant la vie de Macondo. Malgré les amis, les mariages et les naissances, l’ombre de la solitude plane sur les Buendia, aucun·e ne semblant destiné·e à trouver le bonheur et la sérénité.

La fiche wikipedia de La fin des temps d’Haruki Murakami, que j’ai lu récemment, évoquait le « discret réalisme magique » de Murakami. Ayant un peu de mal avec ce terme utilisé à tort et à travers, j’ai eu envie de lire le roman de référence de ce courant en littérature, Cent ans de solitude. A l’inverse du Japon de Murakami qui m’évoque plus les univers alternatifs classiques en science-fiction, la Colombie des XIXe-XXe siècles emplie de merveilleux de Gabriel Garcia Marquez correspond tout à fait à ce que je concevais du réalisme magique. Il n’y a pas du tout l’indétermination propre au fantastique, les évènements surnaturels font partie de la vie et personne ne s’en étonne. Cent ans de solitude pourrait être décrit comme le mélange d’une saga familiale, d’une chronique historique et d’un conte, tout ça depuis le point de vue d’un village.
J’ai eu un peu de mal au départ avec certains aspects peu reluisants de la famille Buendia. L’inceste hante le récit, et plusieurs cas de pédophilie ou de viol sont mentionnés ou suggérés. Ils sont décrits sur le ton neutre et descriptif tenu par l'auteur tout au long du livre. Mais, comme me disait un ami qui se reconnaitra, certains romans méritent leur réputation et je me suis passionné pour cette famille vouée à la destruction. J’ai beaucoup aimé la façon dont la narration prend souvent une longueur d’avance sur le lecteur, annonçant l’air de rien des faits à venir, ou comment des personnages secondaires dans un premier temps deviennent principaux ensuite. Aucun membre de la famille n’est laissé de côté. Juste un bémol sur l’édition française que j’ai lu : bien que ce soit prévisible, ce n’est pas très malin de mettre en première phrase du quatrième de couverture la dernière phrase du roman. C’est d’autant moins malin qu’elle est accolée à un autre élément, engendrant une ambiguïté sur le sens. J’ai ainsi attendu pendant une bonne partie de l’ouvrage quelque chose qui n’arrive jamais. En y réfléchissant, c’est bien dans l’esprit de Cent ans de solitude, je ne suis cependant pas sûr que ce soit volontaire de la part de l’éditeur.

P.S. : j’ai oublié de souligner à quel point le récent Encanto (2021) de Disney s’est inspiré de Cent ans de solitude. Il n’y a aujourd’hui pas d’adaptation de l'ouvrage, si ce n’est le non officiel Adieu l’arche (1984) de Shûji Terayama, que je n’ai pas encore vu et qui semble surtout être du Terayama barré. Une série Netflix est apparemment en cours de préparation. Encanto se déroule en Colombie et débute lors d’une guerre civile. La grand-mère Alma fonde le village autour de sa maison magique. La famille Madrigal, dominée par la grand-mère qui rappelle Ursula, possède des pouvoirs magiques : comme Aureliano Buendia, Bruno a des visions du futur ; la mère Julieta peut faire penser à Santa Sofia de la Piedad ; une des petites-filles possède une force digne de José Arcadio… La magie emplit la vie quotidienne et la maison menace de s’effondrer quand chacun se replie sur soi. C’est une vision Disney de Cent ans de solitude, il n’y a pas la noirceur, la profondeur ou le souffle du roman. Je remarque juste à la lecture du livre ce rapprochement non mentionné au générique d'Encanto (ce qu’on appelle de façon polie un hommage ou de façon crue un plagiat).


Anthologie Creepy – Volume 2 (Delirium, 2013), 248 p.
Deuxième recueil de l’anthologie Creepy, qui réunit les histoires parues dans les numéros 8 à 15. Comme la fois précédente, les scénarios sont très majoritairement confiés au rédacteur en chef Archie Goodwin, et le bestiaire reste assez classique. Les dessinateurs sont nombreux et je note la présence de Steve Ditko, cocréateur avec Stan Lee de Spider-Man et Docteur Strange. La préface est de Jean-Pierre Dionnet.

Je comprends que Creepy ait pu marquer lors de sa parution en France en 1969. A cette époque, les EC Comics n’étaient pas connus dans notre pays, la BD d’épouvante était inexistante et la littérature horrifique n’avait pas atteint le grand public. A lire aujourd’hui, ces récits de 6 à 8 pages sont terriblement prévisibles, bourrés de clichés et assez banals graphiquement. Je ne vais pas acheter le volume 3, je le lirai à l’occasion en bibliothèque ou ailleurs.


1 commentaire:

  1. cent ans de solitude lu il y a ? vingt ans tu retranscris bien l'atmosphère particulière avec maestria

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