Films vus en compagnie
The Guernsey Literary and Potato Peel Pie Society de Mike Newell (2018, Le cercle littéraire de Guernesey)

Bien qu’assez prévisible, ce drame romantique anglais est plutôt agréable à regarder. Ça fait un peu penser à du Jane Austen version années 1940, avec son héroïne un peu naïve propulsée dans un autre milieu, son mélange de peines et de joies et son histoire d’amour qui finit bien. Les acteurs et actrices sont bien choisi·e·s, et les différents personnages sont tous crédibles et suffisamment développés. Petit détail amusant : alors que le récit se déroule en bonne partie sur l’île de Guernesey, aucune séquence n’y a été filmée.
私をくいとめて [Watashi wo kuitomete] de Akiko Ôku (2020, Tempura)

C’est le premier film que je vois d’Akiko Ôku, autre réalisatrice japonaise qui a déjà fait une dizaine de longs métrages. Watashi wo kuitomete est sorti en France en juillet 2022 sous le titre de Tempura parce qu’à deux moments l'héroïne prépare des tempuras… Le titre anglais, Hold me back, est lui une traduction littérale du japonais.
Watashi wo kuitomete est original dans son propos et dans sa réalisation. Alors qu’on prévoit une comédie romantique assez classique, le personnage de Mitsuko déjoue les attentes, à la fois satisfaite et insatisfaite de sa situation. Elle est tiraillée entre un désir de rentrer dans la norme, symbolisé par les conseils de « A », et son plaisir à faire des activités seules sans avoir à transiger avec un autre. Loin de lui apporter le bonheur, le début de sa relation avec Tada engendre une grande détresse, et sa meilleure amie lui avoue ne s’être jamais sentie aussi seule que depuis qu’elle est mariée et enceinte. Dans une société japonaise où le célibat est en forte augmentation, il est bon d’avoir un film qui ne dramatise pas ce genre de situation et qui montre qu’on peut même y trouver un confort.
Vivo de Kirk DeMicco & Brandon Jeffords (2021)

Après Encanto (2021) il y a quelques mois, c’est le second long métrage d’animation latinisant que je vois dont la bande originale est composée par Lin-Manuel Miranda. Encore plus que dans Encanto, j’ai eu l’impression que la production n’assumait pas jusqu’au bout leur concept : passé le début à Cuba et la fin, la musique ressemble essentiellement à de la pop US moderne très facile, évacuant complètement les sonorités plus exotiques. C’est d’autant plus dommage que le plus gros succès d’Encanto au hit-parade est un des titres les plus latinisés musicalement, We don’t talk about Bruno. Le blocage ne se situe donc pas au niveau du public. A part ça, Vivo est très classique dans son schéma narratif et je trouve que le film décline dès qu’il arrive en Floride. Si le passage dans les Everglades permet de mettre en avant quelques espèces originales, comme les Spatules rosées, la biodiversité présentée reste limitée. Il n’y a pas d’insectes (même pas un moustique), peu de chants d’oiseaux, tout cela a un côté artificiel loin de l’environnement naturel d’un WolfWalkers (2020).

Skeletons de Nick Whitfield (2010)

J’ai récupéré ce film par hasard en me baladant sur un énorme catalogue de titres. Le pitch m’intriguait et je pensais tomber sur une comédie anglaise à l’humour noir. Skeletons ne correspond pas à cette définition, il ne correspond en fait à aucune définition. Il réussit à créer un univers fantastique étrange et cohérent, et à y plonger le spectateur. Les acteur et actrices parlent très vite, on est parfois un peu paumé, mais ce n’est pas grave, ça fonctionne.
C’est le seul long métrage du scénariste réalisateur Nick Whitfield. Il a apparemment écrit Skeletons lors de la veillée funèbre de son père. Le film véhicule en effet une certaine mélancolie, une réflexion sur la perte et la difficulté de passer à autre chose. La musique de Simon Whitfield (le frère du réalisateur) est omniprésente et peut agacer, j’ai trouvé pour ma part qu’elle fonctionnait bien et ajoutait à l’ambiance étrange. Une belle réussite.
Bodies Bodies Bodies de Halina Reijn (2022)

A24 est un studio de production créé en 2012 et connu notamment pour ses films d’horreur intellos (high-brow horror ou elevated horror en anglais), comme Under the Skin (2014), The Witch (2016), Hereditary (2018), Under the Silver Lake (2019), Midsommar (2019) ou The Lighthouse (2019). Bien qu’utilisant les codes du slasher et des films pour ado, Bodies Bodies Bodies se rapproche de cette horreur intello par sa volonté de déconstruire les codes, de jouer avec les clichés et les idées reçues pour déstabiliser les attentes des spectateurs. Ça m’a fait penser à une version post-moderne de The Slumber Party Massacre (1982) ou de The House on Sorority Row (1982) (que je n’ai pas encore vu mais dont j’ai entendu parler), avec son groupe de jeunes femmes terrées dans une maison et unies contre un tueur mystérieux.
Bodies Bodies Bodies est toutefois un peu trop conscient de lui-même. A force de s’amuser avec des anciens clichés des années 1980-90, il finit par propager ceux des années 2000-2010. A quelques twists près, j’ai eu une grosse impression de déjà-vu en regardant ces jeunes riches américains dont la vanité et l’absence de morale va causer leur perte. Ils sont opposés à l’héroïne pauvre et pure qui a les pieds sur terre. Bien que tout ça soit mis à la sauce 2020 avec les réseaux sociaux et la présence permanente des smartphones, ça reste convenu et bien trop bavard, le dernier quart se perdant dans des tunnels de dialogues inutiles.
Films vus seuls
鶯 [Uguisu] de Shirô Toyoda (1938, Nightingale)

Shirô Toyoda est un réalisateur à tout faire de la Toho, dont la carrière s’étend de 1929 à 1976. Ses longs métrages les plus connus sont des adaptations d’œuvres littéraires. Uguisu, tiré du roman éponyme d’Einosuke Itô, est constitué de saynètes centrées sur les difficultés des pauvres à la campagne. Les personnages principaux ne sont toutefois pas ces pauvres, ce sont les notables qui les aident. Le réalisateur propage un regard paternaliste et moralisateur, avec une idéalisation du rôle des autorités, que ce soit les policiers sévères mais justes, le chef de gare au grand cœur, le professeur dévoué… Je préfère largement les films de la Shôchiku tournés à la même époque, où les pauvres sont souvent les vrais héros.
劍花煙雨江南 [Jian hua yan yu jiang nan] de Lo Wei (1977, Le vengeur)

Je continue dans mes adaptations des romans de Gu Long. Le vengeur est une production Lo Wei Motion Picture Company, la société du réalisateur Lo Wei. Lo Wei est connu en Occident pour avoir lancé la carrière de Bruce Lee, à l’époque où il travaillait pour la Golden Harvest. Il a également fait connaître Jackie Chan, en essayant d’en faire un nouveau Bruce Lee. Le vengeur fait partie de cette première période de la carrière de Jackie Chan, des films d’action avec un scénario plutôt dramatique où il joue des personnages sérieux.
Je ne suis pas un grand fan de Lo Wei. C’est un réalisateur assez brouillon d’après moi et, sorti de Big Boss (1971) et de La fureur de vaincre (1972) où les faiblesses sont compensées par le charisme de Bruce Lee, ses œuvres ne m’ont jamais laissé une bonne impression. Le vengeur confirme mes vues : le scénario est confus, Jackie Chan est mal dirigé, certaines scènes font tache (genre je vais voir mon bien-aimé en gambadant dans la prairie sur fond de musique sirupeuse) et les retournements scénaristiques sont absurdes. Dans son autobiographie I Am Jackie Chan, Jackie Chan explique (p.212) que Lo Wei lui avait juste dit de tirer la tronche en permanence et que personne, y compris peut-être Lo Wei, ne comprenait l’histoire. A oublier.
Damen i svart d’Arne Mattsson (1958, The Lady in Black)

Ce whodunit suédois a été un succès en Suède à l’époque et a donné lieu à quatre suites entre 1958 et 1963, toutes centrées sur les enquêtes du couple Hillman. Damen i svart est plutôt léger, bavard, avec un rythme assez lent malgré la multitude de meurtres. Le personnage masculin principal est accompagné d’un sidekick lourdaud franchement inutile. Comparé aux longs métrages américains de la même époque, l’originalité vient de l’importance du rôle de Kajsa. C’est elle qui fait avancer l’enquête tandis que le nonchalant John se consacre à ses vacances. Ça reste cependant un film des années 50, donc à la fin c’est John qui a tout compris et arrête le criminel. Damen i svart ne m’a pas emballé et je ne regarderai pas les suites.
秘録怪猫伝 [Hiroku kaibyô-den] de Tokuzô Tanaka (1969, The Haunted Castle)

Le chat a longtemps été mal vu au Japon, perçu comme un animal inutile et parasite. Il est montré comme maléfique dans de nombreuses légendes. Une des plus connues est l’histoire du chat-vampire de Nabeshima, source d’inspiration de nombreuses œuvres, la plus fameuse en Occident étant sans doute Kuroneko de Kaneto Shindô (1968). La plupart des films donnent toutefois un rôle moins négatif au chat, qui d’initiateur du mal devient instrument aveugle de la vengeance.
The Haunted Castle ressemble très fortement au flash-back médiéval de Black Cat Mansion de Nobuo Nakagawa (1958), en moins gore et baroque (Black Cat Mansion ayant lui-même des similitudes avec ses prédécesseurs, comme Legend of Ghost Cat in Nabeshima (1949)). J’avoue avoir préféré la version de Nakagawa et je considère que The Haunted Castle n’apportait pas grand-chose de neuf.
風前の灯 [Fûzen no tomoshibi] de Keisuke Kinoshita (1957, Danger Stalks Near)

On n’est plus habitué de la part de Kinoshita à des drames larmoyants qu’à des comédies désinvoltes. C’est pourtant lui qui a réalisé Carmen revient au pays (1951), premier film japonais en couleur et sympathique comédie musicale avec Hideko Takamine dans le rôle principal. On la retrouve dans Fûzen no tomoshibi. Elle cabotine gentiment, accompagnée de Keiji Sada. C’est le même casting que dans le plus classique Times of Joy and Sorrow (1957), récit fleuve sur la vie de famille d’un gardien de phare sorti un mois plus tôt et auquel Fûzen no tomoshibi fait un clin d’œil à un moment. Fûzen no tomoshibi est très rythmé et n’est pas désagréable. Néanmoins, le mélange suspens/humour ne marche pas très bien et je suis resté sur ma faim.
The Flight of Dragons de Jules Bass & Arthur Rankin Jr. (1982)

The Flight of Dragons est un téléfilm (d’où l’absence d’une affiche digne de ce nom) de Rankin/Bass, société de production américaine spécialisée dans le dessin animé entre 1962 et 1987. Elle est connue notamment pour Rudolph the Red-Nosed Reindeer (1964), La Dernière Licorne (1982) ou la série TV Cosmocats (1985-1986). La plupart des œuvres, souvent réalisées par les producteurs Jules Bass & Arthur Rankin Jr., ont été faites pour la télévision, ce qui explique la qualité parfois faible de l’animation. Leurs films sont souvent très naïfs, simples voir simplistes, et assez lents. Cela fonctionne bien je trouve dans leurs moyens métrages de fêtes en stop motion de marionnettes, comme Rudolph the Red-Nosed Reindeer, Santa Claus Is Comin' to Town (1970) ou The Easter Bunny Is Comin' to Town (1977). Ça marche beaucoup moins bien dans leurs longs métrages d’animation. The Flight of Dragons est mou et le scénario est une succession de clichés. J‘aurais peut-être aimé si j’avais vu ça enfant dans les années 80, à voir aujourd’hui c’était assez pénible.
ウルフガイ 燃えろ狼男 [Urufu gai: Moero ôkami-otoko] de Kazuhiko Yamaguchi (1975, Wolf Guy)

Produit à la gloire de Sonny Chiba, Wolf Guy correspond à l’archétype du film d’exploitation des années 70 : violence gratuite, drogue, yakuzas, personnages féminins ne servant qu’à se dénuder et à adorer le héros (les trois seules femmes qui ont une ligne de texte sont toutes amoureuses de Sonny Chiba), un scénario à la va-comme-je-te-pousse… Ça plait sans doute à des Tarantino, moi j’ai passé l’âge.
吸血蛾 [Kyûketsu-ga] de Nobuo Nakagawa (1956, Vampire Moth)

Kyûketsu-ga est un objet curieux, qui ne sait pas trop sur quel pied danser. On trouve d’un côté de l’horreur à la Nobuo Nakagawa, avec son tueur déformé, ses meurtres horribles et gratuits et son ambiance étrange. D’un autre côté, c’est tiré d’un livre de Seishi Yokomizo et le détective Kôsuke Kindaichi surgit soudain de nulle part vers la moitié du métrage. C’est toutefois un Kindaichi inhabituel, loin du personnage chevelu excentrique des romans ou des adaptations des années 70 de Kon Ichikawa. Les homicides se succèdent, on perd un peu le fil. Le maître-chanteur est assassiné et on apprend que c’est un personnage qui avait à peine été mentionné auparavant ; le journaliste enquêteur passe complètement au second plan après l’arrivée de Kindaichi ; on ne comprend pas vraiment pourquoi les modèles sont tuées… On a un peu l’impression que Nakagawa a fait ce qu’il voulait lors de la première moitié et qu’il a dû raccrocher les wagons dans la deuxième. Pas le film le plus intéressant de Nakagawa. Ah et aucun rapport avec un quelconque papillon de nuit suceur de sang, le méchant est appelé homme-loup tout du long.
Livres
La fin des temps d’Haruki Murakami (10/18, 2020), 688 p.

Je n’avais jamais rien lu de Murakami, je ne le situais pas bien et ça ne me tentait pas plus que ça. C’est la série Haibane renmei qui m’a donné envie de lire La fin des temps, dont elle s’est inspirée. Elle a en fait repris le concept de la cité fortifiée dans laquelle des amnésiques gérés par des gardiens effectuent des tâches limitées sans comprendre vraiment le monde qui les entoure. Elle s’en écarte par contre complètement sur les raisons d’être de cette ville étrange et de ses habitants, et j’ai préféré l’univers de Haibane renmei.
Il y a de bonnes idées dans La fin des temps, surtout dans la partie « Fin du monde ». L’autre partie, « Pays des merveilles sans merci » qui occupe les deux-tiers du livre, m’a moins convaincu : les digressions permanentes du narrateur m’ont vite fatigué, et les personnages secondaires, notamment féminins, sont mal exploités. Et je ne parle même pas de la façon dont la fille de 17 ans un peu grosse est perçue, le narrateur l’appelant la « grassouillette » et la ramenant en permanence à son physique. Certes, personne n’a de nom ou prénom, mais il y avait moyen de faire autrement. L’ouvrage fait presque 700 pages en poche, il aurait gagné à être plus condensé d’après moi, et l’auteur fait un peu trop le petit malin blindé de références. Ça ne m’a pas donné envie de lire d’autres trucs de Murakami.
Le maître des rêves de Roger Zelazny (Presses Pocket, 1981), 160 p.

J’avais payé 6 francs en bouquinerie à l’époque ce court roman de Zelazny, c’était le bon temps. L’idée de base est bonne et Zelazny pose bien son décor. Mais il s’embourbe rapidement dans des digressions, autour notamment de chiens mutants intelligents. Il aurait mieux fait de se concentrer sur son concept, quitte à condenser cela en une nouvelle plutôt qu’un court roman. Dommage.
L’homme sans talent de Yoshiharu Tsuge (ego comme x, 2004), 224 p.

C’est une des dernières œuvres de Yoshiharu Tsuge. A l’inverse des nouvelles publiées par Cornélius, L’homme sans talent est une longue histoire avec une progression scénaristique (dans le sens où les évènements à un instant t tiennent compte de ceux qui précèdent). Alors que je n’avais guère été enthousiasmé par les nouvelles, j’ai bien aimé L’homme sans talent. Le récit véhicule un nihilisme mélancolique et certaines parties sont très réussies, notamment le chapitre sur l’oiseleur. Bien que les personnages féminins soient plutôt négatifs, on est à des kilomètres de la misogynie des nouvelles. La dureté de l’épouse n’est ainsi qu’une conséquence de l’inutilité du héros, incapable de mener à bien un projet ou de reprendre le dessin, seul domaine dans lequel il est un peu doué. J’ai donc été agréablement surpris par ce dernier ouvrage de Tsuge, dont je n’attendais plus grand-chose.
Je note au passage qu’il existe un film de 1991 adapté du livre, Munô no hito, réalisé par l’acteur Naoto Takenaka qui y tient également le rôle principal. J’aime beaucoup cet acteur et je serais très curieux de voir ça, il faut que je regarde s’il y a moyen de le récupérer.
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