samedi 4 février 2023

Carnet de bord 21/01/2023-03/02/2023


Vacances obligent, peu de films vus ou de lectures durant les deux dernières semaines.

Films vus en compagnie
Petite Solange d’Axelle Ropert (2021)
Solange a 13 ans. Ses parents sont mariés depuis 20 ans, son grand frère s’apprête à partir en Espagne pour ses études et sa vie de collégienne se passe bien, toujours accompagnée de sa meilleure amie Lili. Tout va pour le mieux lorsque des tensions commencent à surgir entre ses parents. Les disputes se multiplient, son père devient plus distant, sa mère évite la discussion et son frère fuit. Même Lili, fille de divorcés, ne semble pas comprendre le drame qui se joue. Solange se retrouve seule sans personne vers qui exprimer ses craintes et ses doutes.

Bien que défendu par la critique, notamment par les Cahiers du cinéma, Petite Solange n’a pas trouvé son public. Son tournage déjà avait été compliqué : interrompu en mars 2020 à cause du Covid, il n’avait pu reprendre qu’en juin. Sa sortie avait été ensuite repoussée de novembre 2021 à février 2022 malgré sa bonne réception au festival de Locarno en septembre 2021. Ça n’aura pas suffi, il n’a été diffusé que dans 50 salles, les exploitants ne voulant pas de ce genre de petit film dans le contexte post-Covid.
Axelle Ropert dit avoir voulu revenir au genre du mélodrame en prenant le point de vue d’une adolescente. Elle ne filme jamais frontalement les disputes, captées indirectement par Solange, et évite le pathos. Cette retenue, qui a même amené les Cahiers à faire une comparaison franchement discutable avec Ozu, a été condamnée par certains critiques mais constitue pour moi un atout. Cette histoire de divorce ordinaire vu par les yeux d’une enfant en train de grandir n’est pas révolutionnaire, c'est simplement un long métrage sans prétention agréable à regarder. De façon amusante, l’impression de maturité acquise par Solange entre le début et la fin est renforcée par le vieillissement de plusieurs mois de l’actrice principale, Jade Springer, lié à l’interruption de tournage.


Films vus seuls
Incroyable mais vrai de Quentin Dupieux (2022)
Alain et Marie viennent d’emménager dans une nouvelle maison en banlieue. Elle possède un incroyable secret, un passage qui affecte l’organisme à chaque fois qu’on l’emprunte. Cela intéresse fortement Marie tandis qu’Alain n'est pas enthousiasmé. Peu après leur installation, ils invitent le patron d’Alain, Gérard, et sa compagne. Lors de la soirée, Gérard leur apprend qu’il s’est fait installer un pénis électronique, contrôlé par son smartphone. Sous le regard impuissant d’Alain, les obsessions de Gérard et Marie vont peu à peu les engloutir.

Quentin Dupieux continue à livrer son long métrage annuel de moins de 1h20, 2022 en comportant deux pour se rattraper du zéro pointé de 2021. On retrouve dans Incroyable mais vrai sa façon de faire habituelle, soit un scénario construit autour d’une ou deux idées surnaturelles qui font dérailler un morne quotidien. Il prend ici deux obsessions clichées, la maîtrise de son sexe pour l’homme et de son apparence pour la femme, et en montre la vanité. Ça ne marche pas très bien, le personnage de Marie est raté, pour que ça fonctionne il aurait dû être attachant alors qu'il est agaçant. Le montage est par contre assez réussi dans le premier et le dernier quart d’heure. Comme je le disais dans Fumer fait tousser (2022), Quentin Dupieux a souvent du mal à terminer. Plutôt que de s’enliser dans son concept, il décide ici qu’il est arrivé au bout de ce qu’il avait à dire et expédie tout le reste avec une conclusion sans parole d’une dizaine de minutes, dans ce qui aurait en temps normal constitué une grosse deuxième partie.


Black Adam de Jaume Collet-Serra (2022)
Le peuple de Kahndaq est opprimé par une méchante organisation de mercenaires qui exploitent leur ressource naturelle d’éternium, une pierre énergique exceptionnelle. Les habitants espèrent le retour de leur héros mythique, Teth-Adam, qui avait anéanti un tyran 5000 ans plus tôt. Grâce à une résistante archéologiste, il est ressuscité. Il s’avère néanmoins difficilement gérable et la Justice Society est envoyée pour l’emprisonner.

J’aime bien regarder des blockbusters bêtes dans l’avion, ça passe le temps et c’est pas bien grave si je rate quelques lignes de dialogues en raison du son pourri. Je ne suis plus trop à la page sur les Marvel et complètement à la ramasse sur les DC, j’ai donc visionné ce Black Adam essentiellement pour voir Dwayne Johnson botter des popotins. Et il en botte en effet beaucoup, au ralenti et avec une imagerie pompière extrêmement ridicule. Jaume Collet-Serra n’est pas un réalisateur franchement intéressant et son œuvre la plus connue, Esther (2009), est surcotée d’après moi. Mais au moins dans Jungle Cruise (2021), il exploitait correctement Dwayne Johnson. Dans Black Adam, c’est juste un super-héros cliché qui tire la tronche et serre la mâchoire. On sent aussi que DC rame derrière Marvel, ils font du sous-Avengers en reprenant pour Atom Smasher la personnalité du Ant-Man du Marvel Cinematic Universe et pour Hawkman celle de Falcon. Ça rendrait presque les Marvel distrayants, c’est dire. Seul point notable, la présence sobre et classe de Pierce Brosnan en Docteur Fate, une sorte de Docteur Strange, qui jette un œil amusé sur le reste du casting en savourant son gros chèque.


Livres
Dogra Magra de Kyûsaku Yumeno (Philippe Picquier, collection « Picquier poche », 2006), 803 p.
Un homme se réveille une nuit dans une chambre au décor minimaliste. Totalement amnésique, il ne connait même pas son nom. Une voix de femme provient de la pièce d’à côté. Elle l’appelle grand frère et semble aussi perdue que lui. Il finit par comprendre qu’il est dans un asile. Au bout d’un moment, la porte s’ouvre et un homme gigantesque se présente à lui. C’est le professeur de médecine Wakabayashi, qui se propose de lui expliquer pourquoi il est là et comment faire pour retrouver la mémoire.

Je ne sais plus où j’avais entendu parler de ce bouquin, traduit en français et pas en anglais au grand désespoir des nippophiles anglophones. C’est une œuvre assez inclassable, mélange de policier, de fantastique et de psychanalyse, alternant les styles entre récit à la première personne, articles pseudo-universitaires ou analytiques, pastiches d’histoires de samouraïs ou de films muets avec commentateur. Il y a sans doute des références qui m’ont échappées, que ce soit en raison d’une méconnaissance culturelle ou d’une impossibilité de traduction, certaines subtilités ne pouvant sans doute être retranscrites. Dogra Magra a été écrit dans les années 20/30 (le roman a été publié en 1935 après 10 ans d’écriture) et cela se sent. Il baigne dans l’ero guro nansensu et se situe dans un asile d’aliénés, lieu qui fascinait les auteurs japonais à l’époque. Le célèbre film avant-gardiste Une page folle de Teinosuke Kinugasa (1926), coécrit par Yasunari Kawabata, raconte ainsi la vie du concierge d’un asile dont la femme y est enfermée. C’est le seul roman de Kyûsaku Yumeno, décédé d’une hémorragie cérébrale à 47 ans l’année suivante. Lisant couramment l’anglais, passionné par la littérature policière et ayant été plusieurs années prêtre bouddhiste pour échapper à un internement par une belle-mère qui voulait l’écarter de l’héritage, il a eu une vie mouvementée et il a mis dans Dogra Magra toutes ses passions et obsessions. Le livre a été complètement ignoré à sa sortie et a été redécouvert en 1962. Il est depuis considéré comme un chef d’œuvre au Japon et Kyûsaku Yumeno est mis sur un pied d’égalité avec Kafka et Poe.
J’ai beaucoup de mal à avoir un avis définitif. Le début est très intrigant, on suit le réveil d’un amnésique et on découvre avec lui le monde qui l’entoure. Plus on avance, plus le mystère s’épaissit au lieu de s’éclaircir. Le docteur Wakabayashi surgit alors et se lance dans de fumeuses et longues analyses psychiatriques. Suivent des textes psychanalytico-mystiques assez laborieux, dans un style plus ou moins haché, tout ça sur plus de 200 pages. Je commençais à décrocher sérieusement quand survient la partie policière, qui permet de replonger dans l’histoire. On pense comprendre enfin quelque chose quand arrivent les 100 dernières pages. Elles enchaînent les conclusions et finissent par boucler le labyrinthe en revenant à la case départ. Le système est ingénieux et le lecteur se fait rouler dans la farine tout du long. Un peu comme avec Le pendule de Foucault, je me suis demandé si je devais crier au génie ou à l’imposture. Il y a tout de même 2/5 de Dogra Magra, soit plus de 300 pages, franchement pénibles et je ne peux donc que le conseiller avec prudence, les 3/5 restants valent le détour pour qui aime les trucs tortueux et retors.


Birds of the West Indies de Herbert Raffaele, James Wiley, Orlando Garrido, Allan Keith & Janis Raffaele (Christopher Helm, collection « Helm Field Guide », 2015), 216 p.
Ce guide des oiseaux des Antilles décrit 560 espèces présentes sur toutes les îles des Petites et Grandes Antilles. Pour chaque espèce, la description physique, les vocalisations, le statut, la localisation et l’habitat sont fournis sur la page de gauche, accompagnés d’un dessin sur la page de droite. Dans certains cas, une petite carte géographique apporte des précisions sur la distribution, et les dimorphismes sont traités par le biais d'un dessin supplémentaire pour la femelle et/ou le jeune. Enfin, pour les goélands, certains limicoles et les rapaces, une page présente les individus en vol.

J’ai utilisé ce guide pendant une dizaine de jours en Martinique et Dominique. Je l’avais déjà employé précédemment en Guadeloupe. Le livre que j’ai date de 2015 mais c’est une réédition de la version de 2003. Il n'est pas trop daté, toutes les informations géographiques fournies se sont avérées exactes. Il ne comporte par contre pas les derniers changements liés aux découvertes phylogénétiques récentes. La common gallinule, par exemple, est répertoriée sous son ancienne terminologie common moorhen (l’espèce a été séparée de la Gallinule poule-d'eau en 2011). Les dessins sont assez représentatifs dans l’ensemble et c’est un bon guide. Je reprocherai tout de même le côté non systématique des cartes de distribution, qui oblige à lire la description du statut pour savoir si l’espèce est présente ou pas sur l’île (un tableau récapitulatif des espèces par île à la fin aurait également pu être utile) ; et le fait que les dessins en cas de dimorphisme ne soient pas sur la même planche, les femelles et les jeunes étant relégués à la fin de la famille : ce n’est pas très pratique sur le terrain de devoir jongler entre les pages.


3 commentaires:

  1. Eh bien moi j'aime les trucs tortueux et retors, je vais donc m'embarquer dans ce Dogra Magra… Merci de la recommandation !

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    1. Ouais et t'aimes les trucs longs en plus donc tu seras ravi de te taper 800 pages.

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    2. Ah oui ça fait beaucoup quand même.

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