samedi 25 février 2023

Carnet de bord 18/02/2023-24/02/2023



Films vus en compagnie
L’été nucléaire de Gaël Lépingle (2020)
Lorsque retentit l’alarme de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, Victor est en train de faire son jogging dans la campagne. En rentrant chez lui, il tombe sur quatre ancien·ne·s ami·e·s du lycée dont la voiture est plantée dans le fossé. Craignant une contamination, ils partent se réfugier dans la maison la plus proche, déjà évacuée par ses occupants. Ils n’ont d’autre choix que de se calfeutrer en attendant d’éventuels secours, la situation s’aggravant du côté de la centrale.

Ce petit ovni français attisait ma curiosité malgré une critique assez négative de Mad Movies, qui lui avait reproché « d'être autant une caricature de film de genre qu'une parodie de cinéma d'auteur à la française ». Je comprends leurs reproches et j’y adhère en partie, tant il est vrai que Gaël Lépingle s’enlise dans son huis-clos où il ne se passe rien, le plus farouche opposant étant une bande de poules. Tout n’est toutefois pas à jeter, cette façon de dépeindre comment l’ordinaire reprend rapidement le dessus en cas d’évènement extraordinaire est assez pertinente, anticipant les confinements des dernières années (sorti en salles en 2022, L’été nucléaire avait été tourné en 2019). Gaël Lépingle évacue les interactions avec le monde extérieur, ne montrant pas une invasion de pillards ou la plupart des coups de fil, pour se concentrer sur les relations au sein du groupe. L’idée est intéressante, c’est malheureusement là que le bât blesse. On cerne vite ces jeunes adultes sans surprise et aux mornes dialogues, et on finit par attendre avec impatience une péripétie qui ne vient jamais.


The Last of Sheila de Herbert Ross (1973, Les invitations dangereuses)
Un an après la mort de sa femme Sheila, écrasée par un chauffard non identifié lors d’une soirée, le riche producteur Clinton Greene invite toutes les personnes présentes lors de cette fatale nuit à venir passer une semaine de vacances sur son yacht dans le Sud de la France. Dès leur arrivée, il les convie au « Jeu des ragots à la mémoire de Sheila Greene ». Chaque participant détient une carte sur laquelle est marqué un secret. Chaque jour, le bateau fera une escale dans une ville, où il faudra tenter de découvrir ce qui est marqué sur l'une des cartes afin de gagner un point. Une fois passée la première épreuve, les compétiteurs se rendent compte que les secrets sont des évènements gênants de leur passé et commencent à craindre les révélations à venir.

Dans le Mad Movies de décembre 2022, Rian Johnson expliquait qu’il avait piqué pour Glass Onion (2022) l’argument de départ et un personnage de The Last of Sheila, et que ce petit whodunit méritait d’être redécouvert. Son scénario est écrit par le célèbre auteur de comédies musicales Stephen Sondheim et par l’acteur Anthony Perkins, qui s’amusaient à concocter régulièrement pour leurs amis des chasses au trésor ou des soirées enquêtes. Stephen Sondheim a d’ailleurs servi d’inspiration pour la pièce Sleuth, adaptée ensuite à l’écran par Joseph L. Mankiewicz en 1972. The Last of Sheila est loin de la qualité du Mankiewicz, il n’y a pas de suspens, les retournements de situation ne sont pas correctement préparés en amont, et la réalisation est quelconque, en particulier dans la première moitié un peu longuette. Pourtant, grâce à un beau casting et à une intrigue pas trop prévisible, où les invités se chargent eux-mêmes de l’investigation sans l’aide d’un détective super intelligent, j’ai passé un bon moment.


Ni juge, ni soumise de Jean Libon et Yves Hinant (2017)
Ni juge, ni soumise suit la juge Anne Gruwez dans son travail quotidien, de la réouverture d’une enquête vieille de 20 ans sur le meurtre de deux prostituées à sa conclusion partielle. En parallèle, plusieurs inculpé·e·s défilent dans le bureau de la juge, allant d’une prostituée à une meurtrière, en passant par un harceleur ou un voleur. Le tout est tourné comme un épisode de Strip Tease, dont Ni juge, ni soumise constitue une continuation sur grand écran.

Strip Tease reposait sur un règle fondamentale : concevoir des documentaires selon les principes de la fiction. Il fallait raconter une histoire distrayante de façon fluide, sans commentaire ni voix-off. Plus qu’une fenêtre sur le réel, chaque numéro proposait la vision subjective d’un metteur en scène sur une situation donnée. Les émissions fleurtaient avec le voyeurisme, et on ne savait jamais dans quelle mesure le spectateur était censé compatir ou se moquer. J’ai retrouvé dans Ni juge, ni soumise certains des éléments qui me posaient un problème dans Strip Tease comme le goût du sordide (est-ce vraiment utile de nous montrer plusieurs fois les photos des femmes assassinées il y a 20 ans ou le cadavre fraichement exhumé d’un homme ?), une absence de contextualisation ou de mise en perspective, ou le point de vue unique d’un intervenant central ambigu et malaisant.
La juge Anne Gruwez est une habituée de Strip Tease, ayant déjà participée à deux épisodes, Le Flic, la Juge et l'Assassin en 2008 et Madame la juge en 2012. C’est une bonne cliente, elle a un discours sans filtre, clivant, et baigne dans des affaires de mœurs, de vols et de meurtres. Dotée d’un humour noir souvent cynique, elle édicte ses vérités, discutables dès lors qu’elle n’hésite pas à sortir du domaine légal et à dispenser son opinion sur tout, à des accusé·e·s qui ne sont pas en position de contester. On voit un peu le fonctionnement du système judiciaire belge mais le but est clairement de présenter une femme rigolote, puissante et parfois choquante. De façon assez prévisible, Ni juge, ni soumise m’a laissé la même impression mitigée que la plupart des émissions de Strip Tease.


Mystic Pizza de Donald Petrie (1988)
Les sœurs Daisy et Kat travaillent avec leur amie Jojo comme serveuses dans la pizzeria Mystic Pizza, au sein de la communauté portugaise du port de pêche de Mystic dans le Connecticut. Kat, jeune femme sérieuse, va partir prochainement continuer ses études à Yale, alors que sa sœur Daisy ne pense qu’à s’amuser et à passer du bon temps avec des garçons. Jojo voudrait également profiter de sa jeunesse, hésitant à accepter la demande en mariage de son petit ami Bill. Un jour, Daisy rencontre le riche Charles, d’un milieu totalement différent du sien, pendant que Kat tombe amoureuse d’un homme marié, dont l’épouse est en voyage à l’étranger.

Je connaissais depuis longtemps de réputation Mystic Pizza, un des rares films hollywoodiens portant sur des luso-américains. Je savais que la fort peu méditerranéenne Julia Roberts incarnait Daisy, je ne pensais pas par contre qu’il n’y aurait aucun luso-américain dans des rôles secondaires voire tertiaires. Je n’ai pas vu un seul nom portugais au casting et personne n’est typé portugais, si ce n’est peut-être le chanteur vers la fin. Les noms de famille sont mal orthographiés (Ferriera, Arujo, Barboza au lieu de Ferreira, Araújo, Barbosa), la déco du restaurant n’est absolument pas typique (d’autant plus étonnant aux Etats-Unis où une forte partie de la communauté est açorienne, les Açoriens ayant en général la main lourde sur la déco) et la pizza traditionnelle aux épices de l’Algarve, comment dire… L’autrice du roman original s’était inspirée de la Mystic Pizza Shack à Mystic dans le Connecticut, tenue par des Grecs. La ville de Mystic n’a pas de communauté étrangère particulièrement importante, et ses habitants sont majoritairement d’origine anglaise, irlandaise, allemande et italienne. Pourquoi transformer les Grecs en Portugais et inventer une communauté portugaise locale ? Sans doute un désir d’exotisme, les Portugais étant très rares dans la fiction américaine. Au moins, on ne peut pas dire que leur représentation est clichée, l’origine ou les habitudes culturelles des protagonistes n’exerçant aucune influence sur le récit, du moins dans le long métrage, seul le catholicisme de Jojo et Bill ayant un impact.
Excepté cet aspect, c’est une comédie romantique assez classique sur le passage à l’âge adulte de trois jeunes femmes, qui explore leurs joies, leurs hésitations et leurs déboires. Le trio d’actrices possède une bonne synergie, qui compense la fadeur des prétendants masculins. Mystic Pizza a d’ailleurs lancé la carrière de Julia Roberts, Annabeth Gish et Lili Taylor, qui n’avaient pas fait grand-chose avant cela. C’est en outre la première apparition de Matt Damon à l’écran dans un tout petit rôle.


The VelociPastor de Brendan Steere (2018)
Le prêtre Doug voit ses parents assassinés sous ses yeux. Perdu et ébranlé dans sa foi, il décide d’aller se ressourcer en Chine. Alors qu’il se promène dans la forêt, une femme en kimono blessée par une flèche vient mourir dans ses bras. Elle lui demande dans son dernier souffle de détruire l’artefact qu’elle a dans les mains mais Doug ne comprend pas le mandarin. Il se coupe involontairement sur une branche et l’artefact entre en contact avec son sang. De retour aux Etats-Unis, il fait régulièrement des cauchemars et est assailli par une faim insoutenable. Une nuit, il se transforme en vélociraptor et sauve une prostituée qui était en train de se faire agresser. Il va trouver auprès d’elle une alliée, qui va l’aider à se reconstruire et à donner un sens à sa vie.

Il n’y a encore pas si longtemps, j’étais fan de nanars, les débuts de ce blog en portent les traces. Je cherchais régulièrement des clients potentiels, le risque étant de tomber sur un navet mou du genou plutôt que sur un mauvais film sympathique. Si je suis devenu un peu trop vieux pour ces conneries, ce n’est pas le cas de mon entourage et j’ai cédé à la pression sociale en regardant ce VelociPastor dont je n’attendais rien. J’en avais entendu parler quelques mois plus tôt, peut-être dans Mad Movies, et je craignais un navet fauché post-moderne trop conscient de son statut.
The VelociPastor est au départ une bande-annonce de fin d’études. Le concept provient du correcteur orthographique du téléphone de Brendan Steere, qui avait transformé velociraptor en veloci pastor. La bande-annonce s’inspire de celles du cinéma d’exploitation des années 70, à la manière du Grindhouse (2007) de Tarantino et Rodriguez. Elle devint rapidement virale sur YouTube et Brendan Steere décida d’en faire un long métrage. Il mit plus de 5 ans à réunir les fonds et reprit son canevas en y ajoutant des ninjas. Le résultat est conforme aux attentes : c’est très fauché, mauvais dans l’ensemble, oscillant entre la parodie et la sincérité. Ce n’est pas une exploitation commerciale du porte-nawak façon Asylum, Brendan Steere croit en son concept, un peu trop peut-être pour son propre bien. Il tente d’étoffer sa fiction, via notamment de nombreuses scènes de dialogues trop longues et trop sérieuses, peu aidées par la faible qualité de l’interprétation et de la réalisation. Mieux vaut se contenter d’après moi de la bande-annonce et s’éviter la pénible version longue.


Films vus seuls
బాహుబలి:ద బిగినింగ్ [Baahubali: The Beginning] de S.S. Rajamouli (2015, La légende de Baahubali : 1ère partie)
Une femme portant un bébé débouche d’une grotte au pied d’une immense chute d’eau. Elle est blessée d’une flèche dans le dos et est poursuivie par des soldats. Elle se sacrifie pour sauver le nourrisson, qui est récupéré par une famille d’une tribu locale. La mère adoptive appelle l’enfant Shiva, en hommage à la déesse. Réalisant qu’il vient d’un pays éloigné, elle fait boucher la grotte afin de le garder auprès d’eux. Shiva grandit, obsédé par l’idée de gravir la cascade. Arrivé à l’âge adulte, il y parvient enfin puis rencontre des rebelles qui luttent contre un roi tyrannique. Il tombe rapidement amoureux d’une belle guerrière et lui promet d’aller délivrer leur reine prisonnière.

Enorme blockbuster, le plus cher du cinéma indien au moment où il a été produit (il a depuis été largement battu par la deuxième partie de Baahubali et surtout par RRR (2022) du même S. S. Rajamouli), La Légende de Baahubali a été tourné en télougou et tamoul. Netflix ne propose que les doublages hindi et malayalam (plus un doublage anglais dans un montage international charcuté) et j’ai choisi l’hindi. Il a été bien accueilli lors de sa sortie, à la fois par le public, pulvérisant les records au box-office, et par la critique. De façon amusante, alors que je suis nul en cinéma de Tollywood, j’ai vu le long métrage précédent de S. S. Rajamouli, Eega (2012), où un homme réincarné en mouche se venge de son assassin. C’était une expérience et Baahubali: The Beginning apparaît presque sobre en comparaison. Presque car on est dans une mise en scène over the top avec moults ralentis ou ralentis/accélérés, héros classe en toutes circonstances, poses prétentieuses et regards de braise, le blockbuster indien dans toute sa splendeur qui ferait passer un concurrent américain pour un exemple de subtilité. Comme dans quasiment tous les S. S. Rajamouli, son père Vijayendra Prasad a écrit l’histoire. Il s’est inspiré du Mahabharata, épopée hindoue qui relate une lutte dynastique entre deux branches d’une famille.
Baahubali: The Beginning est spectaculaire, les acteur·ice·s sont charismatiques et les combats sont à peu près lisibles et impressionnants. Est-ce qu’il mérite sa note de 8 sur imdb et ses critiques unanimement dithyrambiques ? C’est discutable. J’ai pour ma part toujours été allergique aux ralentis/accélérés depuis ma découverte de ce procédé chez Zack Snyder, j’estime qu’ils coupent l’élan et gâchent l’action. Dans Baahubali, ils sont omniprésents, couplés à un abus de ralentis plus traditionnels. Les images de synthèse piquent un peu les yeux et le scénario est extrêmement classique et prévisible. D’un autre côté, il n’a pas la prétention d’être plus qu’un gros divertissement, et il n’a pas à rougir face à un Marvel ou autre truc du même style. C’est plus bourrin et décomplexé, assumant totalement de se vautrer dans les clichés. Je me suis beaucoup moins ennuyé que devant Black Adam (2022) ou la trilogie Jurassic World par exemple, et je regarderai la suite avec plaisir.


బాహుబలి 2: ది కన్ క్లూజన్ [Baahubali: The Conclusion] de S.S. Rajamouli (2017, La légende de Baahubali : 2ème partie)
Après avoir vaincu les Kalakeyas, Amarendra Baahubali est envoyé par la reine-mère faire le tour du royaume afin de comprendre le peuple et savoir s’ils sont heureux. Accompagné du fidèle Kattappa, ils croisent sur leur chemin une princesse et son escorte. Attaquée par des bandits, elle se révèle être une redoutable guerrière. Amarendra tombe amoureux d’elle, décide de se faire passer pour un pauvre hère et demande à l’accompagner. Arrivé dans le palais, il continue son numéro afin de doucement gagner son cœur. En parallèle, le frère d’Amarendra, dépité d’avoir été écarté du trône, prépare sa revanche.

Le premier Baahubali se terminait sur un cliffhanger, qui révélait qui avait tué Amarendra Baahubali sans expliquer le pourquoi. Ce second volet consacre l’essentiel de sa durée à répondre à cette question, le dernier quart revenant au présent et concluant les aventures de Shiva. Baahubali: The Conclusion est mieux équilibré que Baahubali: The Beginning, on se concentre sur un plus petit nombre de protagonistes, ce qui les rend plus humains et attachants. Les scènes d’action sont plus dynamiques et resserrées, et les ralentis-accélérés ont quasiment disparu, sans doute passés de mode. Les acteur·ice·s sont ultra charismatiques et S.S. Rajamouli réussit à donner un vrai souffle épique, le genre de chose qu’Hollywood ne sait plus faire. Ce chapitre 2 est probablement un des meilleurs blockbusters d’action que j’ai vu depuis longtemps, l’Inde a à présent surpassé les Etats-Unis sur ce créneau et c’est dommage que les distributeurs et le public ne s’en soient pas encore rendus compte.


O Primo Bazilio de George Pallu (1923)
Luiza et Jorge sont mariés depuis trois ans et sont toujours amoureux comme au premier jour. Jorge part en voyage d’affaires pendant plusieurs semaines dans l’Alentejo, laissant sa femme seule dans leur grande maison à Lisbonne, avec leur domestique Juliana que Luiza déteste. Elle reçoit peu après le départ de son mari la visite de son cousin Bazilio, son amour de jeunesse qui était parti faire fortune au Brésil. Luiza s’ennuyant profondément, elle est ravie d’accueillir cet aventurier qui lui rappelle les héros des romans qu’elle dévore. Bazilio vient quotidiennement et elle finit par céder à ses avances, épiée par Juliana.
(N.B. : j’ai retranscrit les prénoms tels qu’ils étaient dans les intertitres, on ne les écrirait pas comme ça en portugais de nos jours)

O Primo Basílio est le livre le plus célèbre de l’écrivain naturaliste portugais Eça de Queiroz, publié en 1878. Il y dresse une critique sarcastique de la petite bourgeoisie lisboète de l’époque et se moque de l’institution du mariage. Il a été porté plusieurs fois à l'écran, dont deux fois au Portugal. Celle de 1923, réalisée par l’incontournable George Pallu, est la plus ancienne. La compagnie de production Invicta Film hésita longuement avant de valider le projet, refroidie par les résultats décevants de leur adaptation littéraire précédente, Amor de Perdição (1921). O Primo Basílio réunit plusieurs acteurs et actrices majeur·e·s du théâtre portugais, dont c’est pour la plupart la première apparition au cinéma. Ce n’était sans doute pas une bonne idée d’utiliser le roman très verbeux d’Eça de Queiroz pour du muet, d’autant plus avec des acteurs de théâtre et sans retravail conséquent du scénario. L'affiche précise d'ailleurs que "vous devez lire [l]e livre pour mieux comprendre le film". Le nombre de cartons est impressionnant, certains nécessitent plusieurs intertitres et on passe son temps à lire. La mise en scène est extrêmement conventionnelle et on a l’impression de regarder du théâtre filmé sans le son. J’attends de voir la version de 1959, celle de 1923 est dispensable.


ひばり・チエミの弥次喜多道中 [Hibari Chiemi no Yaji Kita Dochu] de Tadashi Sawashima (1962, Travels of Hibari and Chiemi: The Tumultuous Journey)
Okimi et Otoshi sont deux amies qui tiennent le vestiaire d’un théâtre de kabuki. Elles rêvent de monter sur scène sans avoir le talent suffisant, la mauvaise vue de l’une et l’étourderie de l’autre n’aidant pas. Elles tombent un soir sur des trafiquants de drogue planqués sous le théâtre et crient pour alerter les autorités. Prises dans la mêlée, elles sont envoyées en prison. A leur sortie, leur employeur les licencient et elles se retrouvent sur les routes, déguisées en homme parce que pourquoi pas.

Hibari Misora était une superstar de la chanson, qui a joué dans plus d’une centaine de films, principalement dans les années 50 et la première moitié des années 60. Probablement lesbienne, elle affectionnait les rôles d’homme ou de femme déguisée en homme, élément présent dans Hibari Chiemi no Yaji Kita Dochu. Elle est ici accompagnée de Chiemi Eri, autre vedette à la mode avec qui elle avait déjà tourné une trilogie à succès dans les années 50, Sannin Musume (littéralement les trois filles, la troisième étant la chanteuse Izumi Yukimura). Comme l’indique le titre VO, Hibari Chiemi no Yaji Kita Dochu est inspiré du roman picaresque Tôkaidôchû hizakurige, où deux malotrus, Yaji et Kita, voyagent sur la route reliant Kyoto à Edo. Yaji et Kita, connus du public japonais et utilisés dans de nombreuses œuvres, sont ici féminisés et rendus moins grossiers.
Hibari Chiemi no Yaji Kita Dochu est une comédie dotée d’un humour très porté sur le slapstick et les grimaces, agrémentée de quelques chansons entrainantes bien qu’assez courtes et en nombre limité. La plupart du temps, Hibari Misora et Chiemi Eri courent en accéléré en surjouant horriblement. Ça fonctionne probablement auprès d’un certain public qui le découvre enfant, comme le pénible Un monde fou, fou, fou, fou (1963) qui est culte pour les spectateurs américain d’un certain âge. Ce type de comédie me laisse pour ma part perplexe.


ひばり・チエミのおしどり千両傘 [Hibari Chiemi no oshidori senryô gasa] de Tadashi Sawashima (1963, Travels of Hibari and Chiemi 2: The Lovebird's 1000 Ryo Umbrella)
La princesse Kimi va devoir sous peu partir de chez elle pour aller se marier à Edo dans une riche famille. Ce mariage de convenance et non d’amour l’attriste. Elle ne connaît le monde extérieur que par l’entremise de sa servante Toshi, une jeune femme pleine d’entrain amoureuse du chef cuisinier. Lorsque la princesse se rend avec sa suite à Edo, elle s’échappe pour découvrir le monde. Afin de maintenir les apparences en attendant de retrouver Kimi, Toshi doit prendre sa place, bien que ses manières populaires ne siéent guère à une noble dame.

Hibari Chiemi no oshidori senryô gasa est une fausse suite de Hibari Chiemi no Yaji Kita Dochu (1962). Hibari Misora et Chiemi Eri interprètent à nouveau des femmes nommées Kimi et Toshi, qui n’ont strictement rien à voir avec celles de l’épisode précédent. Le style est également très différent : Hibari Chiemi no oshidori senryô gasa est une comédie romantique classique, Hibari Misora joue une femme soumise aux traditions qui veut découvrir le monde. Elle demeure cantonnée dans un rôle genré propret, tout le volet comique est assuré par Chiemi Eri. Ce n’est pas désagréable, on évite l’humour lourd du précédent et les quelques chansons sont enlevées. Cela reste néanmoins très banal, on y perd le bagout et la force de caractère habituellement associés à Hibari Misora.


修羅八荒 [Shura hakko] de Yasushi Sasaki (1958, The Lost Public Funds)
4000 pièces d’or sont dérobées dans le château de Nijô à Kyoto. Un étui portant l’emblème d’un ennemi du seigneur est découvert sur les lieux. L’intendant du château charge son neveu, le garde Asaka Keinosuke, d’investiguer. Il se déguise en moine itinérant et part en direction d’Edo. Il est poursuivi par sa compagne, qui ne veut pas le laisser aller risquer seul sa vie, et par un homme qui croit qu’Asaka a tué son frère.

Utaemon Ichikawa est une star du chanbara de la fin des années 20 au début des années 60, crédité dans plus de 200 titres. Il a notamment incarné Mondonosuke Saotome, un hatamoto (garde officiel d’un daimyo ou du shogun) qui mène des enquêtes, dans une trentaine d’épisodes de la série Bored Hatamoto entre 1930 et 1963. Il se retire pour se consacrer au théâtre en 1963, alors que le chanbara commence à perdre en popularité au profit des films de yakuzas. Shura hakko est adapté d’un roman-feuilleton très célèbre de Rifû Yukitomo, paru dans le Asahi Shimbun en 250 parties entre 1925 et 1926, et qui a été transposé de nombreuses fois sur grand écran.
Utaemon Ichikawa n’est pas dépaysé, son Asaka Keinosuke rappelle fortement le Mondonosuke Saotome qui a fait sa réputation, en un peu moins moqueur et impertinent. Asaka Keinosuke est un banshi, statut très proche d’un hatamoto, qui doit également enquêter pour son seigneur. Je serai curieux de savoir dans quelle mesure le scénario a été modifié pour se rapprocher des Bored Hatamoto. Utaemon Ichikawa était à l’époque un des acteurs phare de la Toei, membre de son conseil d’administration, et il avait sans doute un droit de regard sur ce qu’on lui proposait. Shura hakko est au final un peu inférieur aux Bored Hatamoto que j’ai pu voir et il vaut mieux se tourner vers cette série.


[Utage] de Heinosuke Gosho (1967, Rebellion of Japan)
Le frère de Suzuko décide d’abandonner l’école militaire dans laquelle il avait été admis, au grand dam de son ami Tate. Les années passent, Suzuko revoit Tate périodiquement. Elle est amoureuse de lui mais il a juré avec ses collègues lors de sa remise de diplôme de ne jamais se marier. Il estime que cela risquerait de le dérouter de ses idéaux, qu’avoir des attaches le rendrait faible. Par dépit, Suzuko accepte une demande en mariage avec un célèbre acteur de Nô. Elle ne réussit toutefois pas à oublier Tate, qui de son côté se retrouve mêlé aux intrigues politico-militaires des années 30.

Utage est la dernière production prestigieuse de Heinosuke Gosho, grand réalisateur humaniste des années 30 à 50. Il prendra sa retraite peu après, n’étant plus en phase avec son époque. Utage porte sur l’incident du 26 février, où des jeunes officiers tentèrent de renverser le gouvernement afin de redonner à l’empereur sa juste place, supprimer la démocratie, éliminer la corruption et effectuer une grande réforme agraire. Cet évènement a inspiré plusieurs œuvres littéraires ou cinématographiques, qui donnent généralement le beau rôle aux rebelles, mettant en avant leur sens de l’honneur et leur romantisme. L’importance de cet incident dans la mise en place d’un régime militariste est souvent passé sous silence. C’est le cas dans Utage, centré sur l’amour de deux êtres pris dans la tourmente d’une époque. Heinosuke Gosho est excellent quand il s’agit de dépeindre la vie des petites gens et de montrer leur quotidien. Les faits historiques ne le passionnent clairement pas et j’ai un peu du mal à comprendre pourquoi il a tourné ce scénario tiré d’un livre de l’écrivain Yutaka Tonegawa. Cela donne un long métrage bancal, surtout dans le dernier tiers où Suzuko passe au second plan, loin des chefs d’œuvres des années 50 comme Là d'où l'on voit les cheminées (1953) ou Une auberge à Osaka (1954).


Livres
La petite fille et le doberman de Serge Brussolo (Denoël, collection « Présence du futur », 1995), 272 p.
La planète Santäl dépérit, elle se refroidit et est battue par des vents violents qui enlèvent les hommes, les arbres et les constructions les plus fragiles pour les précipiter au cœur d’un immense volcan. Nathalie est une jeune adolescente qui a fugué de chez elle avec son doberman Cédric pour aller à Almoha, grande ville régie par des confréries religieuses. Une fois arrivée sur place, elle se rend compte que la cité est surpeuplée et que les pauvres luttent pour le moindre abri protégé des vents. Seul le muséum d’histoire naturelle et son jardin zoologique constitue un ilot de tranquillité, entouré d’un champ de mines que personne n’ose franchir. Aidée par le flair de Cédric, Nathalie réussit à y entrer et en fait son quartier général, base pour découvrir Almoha et ses secrets.

Je ne sais pas ce qui a pris à Denoël sur son quatrième de couverture, où ils annoncent fièrement que Serge Brussolo pratique toutes les formes narratives : « Science-fiction, roman à suspense, historique, fantastique, littérature avec un grand L ». La collection « Présence du futur » de cet éditeur est une collection mythique, qui a permis de faire découvrir de nombreux auteurs et de donner une certaine respectabilité à la SF en France. Cette dépréciation de certains genres, opposés à une prétendue « littérature avec un grand L », est regrettable.
Je ne savais pas que La petite fille et le doberman était le deuxième volume d’une trilogie. Je n’ai cependant pas été perdu, le roman m’a semblé autonome, présentant dans le détail le monde et les protagonistes sans que l’on ait l’impression d’avoir manqué un épisode. Je n’ai pas du tout accroché au style de Brussolo, que j’ai trouvé pompeux et verbeux. Un autre auteur aurait aisément rédigé le même ouvrage en deux fois moins de pages et d’une manière plus modeste. Je ne suis en outre pas entré dans le récit, les personnages manquent de relief, d’humanité, et on ne se sent pas concerné par ce qui leur arrive. Je ne lirai pas les deux autres volumes de la trilogie.


L’enfer de Yoshihiro Tatsumi (Cornélius, 2008), 312 p.
L’enfer est la traduction d’un recueil de nouvelles parues au Japon en 2003 sous le titre Les grandes fouilles, regroupant des textes qui n’ont quasiment pas été édités en format livre. Ils proviennent initialement de différents magazines publiés entre 1971 et 2003, l’essentiel datant de 1971 à 1975. Ce sont tous des drames situés dans le Japon des années 60-70 centrés sur le sexe et la violence, volonté de Tatsumi de différencier son gekiga des mangas pour enfants et adolescents qui constituaient la norme à l’époque.

J’ai découvert Yoshihiro Tatsumi assez tardivement, par le long métrage d’animation Tatsumi (2011) consacré à sa vie. C’est une adaptation libre de son manga autobiographique Une vie dans les marges, que j’ai ensuite acheté et lu avec beaucoup d’intérêt. Il y décrit sa carrière et le milieu de la bande dessinée au Japon après la guerre. Dans Tatsumi, le réalisateur Eric Khoo a mélangé au pan biographique des nouvelles de Tatsumi écrites à différentes époques. Ces récits étaient un peu sordides et j’hésitais à me lancer dans la lecture de son œuvre (si ce n'est Une vie dans les marges, qui n'est pas du tout représentatif). Créateur du gekiga, Tatsumi est incontournable dans l’histoire du manga et je ne pouvais indéfiniment l’ignorer. Je me suis enfin décidé en commençant par L’enfer, premier recueil d’une trilogie éditée par Cornélius.
La première nouvelle éponyme était présente dans Tatsumi, c’était la meilleure du film et c’est aussi le cas pour le livre. Elle tourne en dérision un sujet rarement abordé, la façon dont certains individus ont utilisé à leur profit le drame de la bombe atomique, avec une touche d’humour noir. La suite est plus anecdotique, on sent que l’auteur suit un schéma assez classique avec toujours une scène de sexe et généralement un·e amant·e déçu·e. Comme le reconnaissait Yoshiharu Tsuge, le lecteur masculin était demandeur et souhaitait de la nudité. Au moins, on ne retrouve pas chez Tatsumi la misogynie de Tsuge : si le personnage masculin est souvent central, le féminin n’est pas dévalorisé ou accusé de tous les maux. Tout ceci n’est pas passionnant, cela manque d’ampleur ou de folie, ce sont des faits-divers assez banals et je crains que la suite soit du même acabit.


Revues
Mammifères sauvages n°84 – Novembre 2022
Ce numéro 84 fut fort enrichissant. Le président de l’association, Christian Arthur, démissionne. C’est dommage car il n’avait pas la langue dans sa poche. Il fournit une longue explication de son retrait, qui montre toutes les difficultés à être bénévole actif dans une association de protection de la nature, entre manque de moyens, d’effectifs, de temps, rivalités entre associations et absence de considération des politiques. Il dresse aussi un bilan un peu désabusé du dernier colloque français de mammologie, n’y voyant pas vraiment d’avancées ou de perspectives pour l’avenir. Ce n’est guère réjouissant mais cela expose clairement les réalités du terrain.

A part ça, pas mal de pages sur les loutres, entre le 15e congrès international de la loutre et un webinar sur les données en Allemagne, Belgique et Pays-Bas. Si la situation de la loutre en Europe s’améliore, ce n’est malheureusement pas le cas partout dans le monde. Un court dossier sur le blaireau rappelle les informations de base sur cet animal. Le compte-rendu du 34e colloque européen sur les mustélidés aborde ensuite brièvement les recherches récentes sur le phénotypage des putois (plus fortement hybridés avec les furets qu’on ne le pensait, même chez les individus supposément purs) ou les différentes techniques de repérage et d’identification.
Sur ce sujet de l’identification, un intéressant article sur la structure des poils de loups présente les limites de cette technique, ceux-ci se révélant souvent impossible à distinguer des poils de chiens. Par ailleurs, l’Etat français est toujours aussi affligeant, que ce soit par son refus de démanteler la cellule Demeter, jugée illégale par le tribunal administratif de Paris ; l’énorme écocontribution de l’Office Français de la Biodiversité aux fédérations de chasse ; la non prise en compte des études d’impact visant à minimiser les dégâts des éoliennes sur les espèces animales ; ou l’extermination illégale et inutile de bouquetins par arrêté préfectoral. Du côté des livres enfin, j’ai noté quelques titres, notamment Les manchots de Mandela et autres récits océaniques.


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