samedi 18 mars 2023

Carnet de bord 11/03/2023-17/03/2023



Films vus en compagnie
The Pale Blue Eye de Scott Cooper (2022)
En 1830, l’inspecteur à la retraite Augustus Landor est chargé par le chef de l’académie militaire de West Point d’enquêter sur la mort d’un élève-officier qui a été retrouvé pendu dans la forêt puis dont le cœur a été subtilisé dans la morgue. Landor réalise vite que c’est un meurtre et non un suicide, et commence à interroger les camarades du défunt. Afin d’avoir une taupe dans l'école et pour lui donner un coup de main, il enrôle un cadet, un poète farfelu du nom d’Edgar Allan Poe.

The Pale Blue Eye est tiré du roman éponyme de l’américain Louis Bayard publié en 2003. Je ne sais pas dans quelle mesure la trame du film est fidèle au texte, elle est en tout cas d’un faible niveau. N’osant franchir le pas du fantastique en dépit de son thème occulte, elle traine en longueur, peu aidée par un Edgar Allan Poe agaçant, caricature du poète incompris. Je ne divulguerai pas la chute, je précise seulement qu’elle comporte un twist artificiel et inutile, au moins ce n’est pas un orang-outan qui a fait le coup. Il y a une jolie photographie et Christian Bale a une belle barbe, c’est tout ce qu’il y a à sauver.


カラダ探し [Karada Sagashi] d’Eiichirô Hasumi (2022, Re/Member)
Asuka est une adolescente solitaire, ignorée par ses camarades de classe et sans ami. Le soir du 5 juillet, juste avant de se coucher, elle reçoit des SMS inquiétants et part se réfugier sous sa couverture. Elle se réveille dans les minutes qui suivent en pleine nuit dans son établissement avec cinq lycéens qu’elle connait à peine. Les uns après les autres, ils se font massacrer par une petite fille ensanglantée. Heureusement, ce n’était qu’un affreux cauchemar. Lorsqu’Asuka retourne à l’école le lendemain, tout est identique à la veille et les jeunes se souviennent de leur mésaventure nocturne. L’un d’entre eux explique qu’ils sont bloqués dans une boucle temporelle et qu’ils doivent rassembler les morceaux du corps de la fillette, assassinée et démembrée 30 ans auparavant. Tant qu’ils n’auront pas réussi, ils se feront tuer toutes les nuits puis revivront ce 5 juillet.

Dès que j’ai appris l’existence de Karada Sagashi, disponible sur Netflix, je me suis précipité pour arriver avant M. Martin. Je me doutais que ce ne serait pas terrible, c’était pour le principe. Karada Sagashi était au départ une publication feuilletonesque pour smartphone écrite par un dénommé Welzard entre décembre 2011 et mai 2014. Ce format particulier engendra un ton simple, centré sur l’action, avec de nombreux cliffhangers et changement de points de vue. Les épisodes furent regroupés en livres et générèrent une série de mangas, un court animé pour smartphone et le long métrage chroniqué en ces lieux. Plus simple et positif que les ouvrages d’origine, les mangas constituent le matériel principal des adaptations ultérieures. L’univers est composé de quatre parties et le film se centre sur la première. Il gomme apparemment pas mal d’éléments mystérieux et les aspects négatifs des personnages, simplifie grandement les règles des nuits et laisse la porte ouverte à des suites.
Je n’ai pas lu le manga, qui m’intrigue et a l’air plus intéressant que cette version live. Cette dernière s’attarde de façon excessive sur les journées tranquilles entre les nuits, elle ne comporte aucun suspens et, surtout, évacue complètement le traumatisme qui devrait accompagner les adolescents. Se faire tuer horriblement chaque nuit ne les préoccupent pas outre mesure, ils sont contents d’être ami·e·s, vont courir sur la plage en rigolant ou discutent entre copines en attendant de se faire trucider. Le spectateur n’a jamais peur pour eux et cette décontraction tue tout enjeu. Un élément arrive sur la fin pour leur mettre un coup de pression, c’était cependant trop tard, j’avais déjà décroché. A noter que, dans un genre différent, Eiichirô Hasumi avait précédemment réalisé le gentillet Oppai bare (2009) chroniqué sur ce blog.


Zombi Child de Bertrand Bonello (2019)
En 1962 à Haïti, Clairvius Narcisse, marié 40 ans, est transformé en zombie. Sans mémoire, incapable de parler, il est contraint de travailler comme un esclave dans un champ de canne à sucre. De nos jours, une adolescente haïtienne, Melissa, est entrée récemment dans le prestigieux pensionnat de la Légion d’honneur à Saint-Denis. Seule fille noire, elle sympathise avec Fanny puis est admise dans sa sonorité littéraire en citant le poème Cap’tain Zombi de René Depestre. Elle va dès lors exercer une fascination mêlée de répulsion sur les autres membres du groupe.

Zombi Child allie l’histoire de Clairvius Narcisse, un homme ayant déclaré avoir été zombifié, à une peinture de l’adolescence dans un pensionnat de la bourgeoisie parisienne. J’ai préféré les chapitres sur Clairvius Narcisse, tournés à Haïti, sa vie ayant aussi inspiré dans un style différent L'emprise des ténèbres (1988) dont je garde un souvenir plaisant. Les discussions entre les adolescentes ne m’ont pas convaincu, pourtant révisées par la fille de Bertrand Bonello afin de les rendre moins ringardes. Le jeu des jeunes actrices est assez figé, leur phrasé théâtral, et certaines séquences m’ont laissé dubitatif (comme la chanson de Damso ou le vaudou final). Les liens entre les deux parties sont très légers et le montage trop alterné. Il aurait fallu, je pense, construire de gros blocs narratifs au lieu de changer constamment de segment. Je ressors donc avec une impression mitigée, malgré de bonnes idées et une ambiance éthérée singulière.


Death on the Nile de Kenneth Branagh (2022, Mort sur le Nil)
Hercule Poirot croise son ami Bouc durant des vacances en Egypte. Il propose à Poirot de se joindre au voyage organisé pour la lune de miel d’une de ses amies, la riche Linnet Ridgeway, qui vient d’épouser le pauvre Simon Doyle. L’ancienne promise de Simon, Jacqueline de Bellefort, déboule dans l’hôtel et menace le couple. Ils décident, avec leurs invités, d’embarquer sur une croisière sur le Nil pour s’éloigner de Jacqueline. Celle-ci les rejoint et Linnet est assassinée peu après son arrivée sur le bateau.

J’avais eu le secret espoir que Mort sur le Nil serait moins lourdaud que le Murder on the Orient Express commis par Kenneth cinq ans auparavant. Naïf que j’étais. Dès le départ, Kenneth y va à fond en inventant une origine totalement farfelue à la moustache de Poirot, sur fond de tranchées et de musique grandiloquente. La suite est du même acabit, bourrée de plans prétentieux sur fond d’images de synthèse moches, de mouvements de caméra inutiles, de ralentis et de bande originale digne d’un film de super-héros. L’intrigue est mal menée et est rendue terriblement prévisible, point qui ne m’avait pas choqué dans l’excellente version de 1978. Confronter le John Guillermin de 1978, où Peter Ustinov excellait en Poirot, au Kenneth Branagh de 2022 est d’ailleurs extrêmement dommageable pour ce dernier. Kenneth prépare un troisième Poirot, tiré d’un roman moins connu d’Agatha Christie. Il pourra s’éviter ainsi une comparaison douloureuse.


Mixtape de Valerie Weiss (2021, La cassette)
Beverly est une pré-adolescente qui vit seule avec sa grand-mère, ses parents étant décédés dans un accident de voiture quand elle avait deux ans. En apparence joyeuse, elle est régulièrement chahutée à l’école et n’a pas d’amies. En heurtant un carton dans la cave, elle tombe par hasard sur une cassette audio qui appartenait à sa mère et qui contient une compilation de chansons. Malheureusement, la cassette rend l’âme quand elle essaye de l’écouter sur son baladeur. Beverly dispose uniquement de la liste des titres, écrits sur la jaquette du boitier. En cette année 1999, où internet est encore limité et où les ordinateurs personnels sont rares, trouver des musiques obscures n’est pas facile. Il lui faudra l’aide d’un disquaire faussement bourru, de sa voisine taïwanaise et d’une camarade de classe effrayante pour espérer compléter sa quête.

Réalisé par une illustre inconnue et scénarisé par l’auteur du décevant The Boy (2016), Mixtape est un feel-good movie plein de bons sentiments. Dis comme cela, ça ne fait guère envie, c’est en réalité un long métrage sympathique et gentil, devant lequel on passe un agréable moment, même si j’aurai probablement tout oublié d’ici peu. Les jeunes actrices sont excellentes et donnent vie et énergie à cette histoire très prévisible. Les seconds rôles ne s’en laissent pas compter et la bande originale est plaisante, du rock années 80 globalement oublié de nos jours. De façon amusante, la chanson que je connaissais le mieux était la japonaise Linda Linda de The Blue Hearts, grâce à l’épatant Linda Linda Linda de Nobuhiro Yamashita (2005).


Films vus seuls
プーサン [Pû-san] de Kon Ichikawa (1953, Monsieur Pû)
Yonekichi Noro est un professeur de mathématiques de 39 ans, veuf, qui loue une chambre dans la maison d’un vieux couple à Tokyo. Il économise dans l’espoir de s’acheter un logement et convoite la fille encore célibataire de ses logeurs. Introverti, craintif, il n’est guère adapté à l’impitoyable société d’après-guerre, où les idéologies changent selon les intérêts personnels et où s’imposent ceux qui crient le plus fort. Il enchaîne les mésaventures et sombre progressivement dans la misère.

Difficile de deviner en lisant ce résumé que Pû-san est une joyeuse satire. Elle provient du populaire comic-strip éponyme de Taizô Yokoyama, publié dans le quotidien Mainichi Shimbun entre 1950 et 1953, puis dans le quotidien Asahi Shimbun et enfin dans l’hebdomadaire Shûkan Shinchô entre 1965 et 1989. Surtout réputé en Occident pour ses drames anti-guerre La harpe de Birmanie (1956) et Les feux dans la plaine (1959), Kon Ichikawa a percé grâce à une succession de comédies pour la Toho au début des années 50, généralement scénarisées ou coscénarisées par sa femme Natto Wada. Pour Pû-san, il confie le premier rôle à un acteur avec qui il a déjà tourné une dizaine de fois, Yûnosuke Itô, parfait pour incarner un Yonekichi Noro pleutre et indécis.
Pû-san est une œuvre curieuse, à la fois drame quasi néo-réaliste, dénonciation du retour du militarisme avec la guerre froide et comédie absurde se moquant du cynisme ambiant. Même si ce mélange ne fonctionne pas complètement, c’est rythmé, parfois amusant et cela donne une image insolite de cette période trouble.


King of the Ants de Stuart Gordon (2003)
Sean Crawley vit de petits boulots occasionnels. Il discute un jour avec un inconnu sur un chantier, qui le met en contact avec Ray, un riche entrepreneur louche. Celui-ci demande à Sean d’espionner un comptable de la mairie, Eric Gatley, et de le prévenir s’il note quoi que ce soit d’inhabituel. Face aux photos prises par Sean montrant l’employé municipal en train de discuter avec une journaliste d’investigation, Ray demande à Sean de tuer Eric Gatley moyennant une somme importante. Une fois le contrat accompli, Sean ne reçoit pas la récompense promise et la situation dégénère.

Stuart Gordon s’est fait un nom dans le milieu de l’horreur via ses adaptations funs et gores de Lovecraft, en particulier le crétin et distrayant Re-Animator (1985). Toujours en galère pour financer ses projets malgré des budgets réduits, King of the Ants ne roule pas sur l’or et Stuart Gordon a engagé le moins cher des Baldwin (Daniel) pour jouer le méchant Ray. En dépit du titre et de l’affiche, pas de fourmis ici, on est dans un thriller qui ne sait pas où se positionner. Il y a du gore, des visions horrifiques totalement gratuites, un peu de sexe, une romance invraisemblable, et une espèce de faux-rythme qui plombe l’ensemble. C’est globalement raté et je préfère quand Stuart Gordon assume la stupidité de son script et part dans des délires fantastiques.


Terror Toons de Joe Castro (2002)
Leurs parents étant absents pour le week-end, Candy et Cindy ont la maison pour elles. Candy passe la soirée à regarder un DVD de Terror Toons dans sa chambre pendant que Cindy invite des amis à faire un strip Ouija (appelé Weegee pour éviter des problèmes de copyright). Candy ne sait pas que son DVD a été fabriqué par le diable et que les horribles toons sont capables de sortir de l’écran pour massacrer les occupants de la demeure.

Je disais récemment espérer que les trous qu’il me reste à combler dans le top 100 du numéro 200 de Mad Movies seraient mieux que les précédents, notamment que Cabin Fever (2002). C’est raté, la seule consolation étant que ça va être dur de faire pire que Terror Toons. Je suis allé relire ce qu’ils en disaient dans Mad Movies parce qu’à ce niveau-là, il fallait que je sache. Le chroniqueur admet qu’ils doivent être trois au monde à délirer sur ce truc, et finit par « Un must à découvrir de toute urgence si ce n’est déjà fait ! ». Je sais qu’il y a une part de subjectivité dans toute critique et qu’on peut, par exemple, adopter un point de vue nanar qui transforme le ressenti. Il y a néanmoins des limites, et ce Terror Toons ferait passer un Trauma pour un chef d’œuvre du septième art.
Le scénario est indigent, prétexte à faire trucider des jeunes par des gars en costumes moches ; les interprètes sont mauvais, les deux actrices principales venant du milieu pornographique ; la musique heurte les oreilles et les décors piquent les yeux ; et même les effets spéciaux sont nases. Joe Castro est maquilleur et concepteur d’effets spéciaux, et traine depuis longtemps dans le milieu de la série Z. Mais avec un budget de 2300$ et 3 jours de tournage, il ne faut pas attendre de miracle. Rien à sauver. Et il y a trois suites en plus…


にっぽん泥棒物語 [Nippon dorobô monogatari] de Satsuo Yamamoto (1965, Tale of Japanese Burglars)
Gisuke est un dentiste sans diplôme, qui exerce clandestinement dans son village. Pour soutenir sa famille, il complète ses revenus avec des cambriolages. Une nuit, à la suite d’un casse raté, il croise neuf hommes près d’une ligne de chemin de fer. Il apprend le lendemain qu’il y a eu un acte de sabotage près de là où il se trouvait, qu’un train a déraillé et que trois cheminots sont décédés. Envoyé en prison à cause d'une vieille affaire, il remarque les communistes accusés d’avoir perpétré l’attentat et se rend compte que ce ne sont pas les individus qu’il a aperçus. L’avouer serait toutefois reconnaitre qu’il était en train de commettre un délit le soir en question.

Nippon dorobô monogatari est inspiré de l’accident de Matsukawa, lors duquel un train de passagers a déraillé et s’est renversé le 17 août 1949. La police, incitée par le gouvernement, a rapidement obtenu des aveux forcés de plusieurs membres du parti communiste japonais. Après dix ans de procédure, ils ont finalement été déclarés innocent, la défense montrant que la police avait falsifié des preuves. Les vrais coupables n’ont jamais été découverts. En 1961, Satsuo Yamamoto avait déjà réalisé un drame centré sur un des accusés, qui retraçait fidèlement l’enquête et le procès. Dans Nippon dorobô monogatari, il adopte un autre angle. Il se focalise sur un personnage externe aux évènements et se questionne sur la notion de responsabilité dans une comédie grinçante.
Dans le rôle de Gisuke, Rentarô Mikuni est pour une fois un filou sympathique, poussé à voler par les circonstances. Yûnosuke Itô est aussi bon en policier retors qu’il l’était en froussard timide dans Pû-san. Nippon dorobô monogatari tire à boulets rouges sur les institutions japonaises, que ce soit la police qui n’hésite pas à truquer les preuves ; la prison qui ne fait preuve d’aucune humanité et renforce les aptitudes des criminels au lieu de les réformer ; la société qui rejette les anciens détenus et les condamne à récidiver ; ou les politiciens au sein desquels se dissimulent sans problème les truands. Seuls les communistes et les petites gens font preuve d’humanité. Tout cela est exposé dans un cadre léger, narré par un Rentarô Mikuni nonchalant qui présente ses pires ennuis sous la forme de légères anecdotes. A l’inverse de beaucoup de Satsuo Yamamoto où la thèse est appuyée et enrobée dans une trame trop dramatique, Nippon dorobô monogatari n’apparait pas moraliste. Une excellente découverte et un des meilleurs Satsuo Yamamoto que j’ai vu.


Calvaire de Fabrice du Welz (2004)
Marc Stevens est un chanteur ambulant, qui exerce dans des galas, des cliniques et divers lieux où il peut gagner de l’argent. Après une représentation dans un hospice en Belgique et alors qu’il descend dans le Sud de la France, sa camionnette tombe en panne sur une route isolée. Il croise un homme simplet qui cherche son chien et qui lui indique une auberge pour la nuit. A son réveil, le propriétaire, Bartel, propose à Marc de réparer sa voiture, malgré les réticences de ce dernier qui préfèrerait appeler un garagiste. Il commence par ailleurs à s’inquiéter des sollicitudes de Bartel, qui ne semble pas vouloir le laisser repartir.

Pour ces débuts sur grand écran, Fabrice du Welz utilise de multiples références pour construire une sorte de survival redneck à la belge. On pense aux Chiens de paille (1971), à Délivrance (1972) et surtout à Massacre à la tronçonneuse (1974), auquel il emprunte la fameuse scène du repas ; côté français, Calvaire évoque La traque (1975) et, apparemment, Un soir, un train (1968) que je n’ai pas vu. La première moitié fonctionne bien, excepté un passage zoophile dispensable. Fabrice du Welz instaure une ambiance pesante, un climat inquiétant dans le paysage gris des Ardennes, avec un Jackie Berroyer à contre-emploi. La deuxième moitié bascule dans un surréalisme craspec, dont l’excès tourne au grotesque. La surenchère gratuite de violence et de sordide nuit au propos et j’ai complètement décroché. Certains fans de cinéma de genre ont adoré, j’ai pour ma part peiné pour tenir jusqu’à la conclusion.


グレイトフルデッド [Gureitofuru deddo] de Eiji Uchida (2013, Greatful Dead)
Lorsqu’elle était petite, Nami était ignorée par ses parents. Sa mère se préoccupait uniquement des enfants du Tiers-Monde, et son père ne se consacrait qu’au bien-être de son épouse. Nami avait beau multiplier les bêtises, elle ne captait pas leur attention. Devenue adulte, elle hérite de la fortune de son père, qui s’est suicidé des années auparavant après le départ de sa femme. Plutôt que de travailler, elle passe son temps à surveiller les solitaires. Elle les catégorise selon leur profil, sa joie suprême étant de dénicher des gens susceptibles de mourir de solitude et, une fois décédés, de se photographier avec leur cadavre avant d’appeler la police. Tandis qu’elle tombe sur une nouvelle cible de choix, Shiomi, un vieux qui se laisse dépérir, l’arrivée d’une missionnaire perturbe les attentes de Nami et elle décide d’agir.

Le début sur l’enfance de Nami est intrigant, ainsi que son curieux passe-temps. La solitude est un problème de société régulièrement traité dans le cinéma japonais et Gureitofuru deddo propose une approche originale de ce sujet. Eiji Uchida ne fait malheureusement pas grand-chose de son concept, qui lui sert juste à transformer une comédie malaisante en home invasion bourrin. Nami, que l’on sentait psychologiquement fragile, se transforme en psychopathe sanguinaire. Les quarante dernières minutes enchaînent les meurtres gore et Eiji Uchida balance par la fenêtre ce qu’il a installé précédemment. La relation de Nami avec sa sœur, de Shiomi avec sa famille, les doutes de la missionnaire coréenne, tout est évacué au profit de giclées de sang et de séquences glauques. Il y avait sans doute mieux à faire avec ce matériel.


Livres
Mission Stellaire de A.E. Van Vogt (Presses Pocket, collection « SF », 1977), 192 p.
Dame Gloria Laurr est la capitaine du puissant vaisseau d’exploration géographique Star Cluster, envoyé durant 10 ans avec un vaste équipage pour faire le relevé cartographique du Grand Nuage de Magellan. Tandis que la mission s’achève et qu’ils s’apprêtent à retourner sur Terre, ils croisent une météorite habitée. A leur passage, son unique occupant se suicide mais les Terriens le ressuscitent pour apprendre d’où il vient. Il leur révèle contre son gré que la galaxie abrite un réseau de 70 planètes peuplées d’êtres humains, qui n’ont a priori guère envie de rejoindre l’Union Galactique Terrienne. Dame Gloria Laurr est résolue à les dénicher, à l’inverse du reste de son équipage qui souhaite rentrer sur Terre.

Mission Stellaire est la combinaison de plusieurs nouvelles préexistantes remaniées. Le prologue provient de Concealment (1943), les chapitres 8 à 15 de The Storm (1943), 16 à 23 de The Mixed Men (1945), et les chapitres 1 à 8 ont été écrits en 1952 pour lier le tout. Van Vogt est un habitué de ce genre d’exercice, qu’il exécute de façon plus ou moins convaincante. Dans La bête, la combinaison était bancale, elle fonctionne correctement ici. Surprise chez cet auteur habituellement sexiste, il y a une héroïne volontaire et complexe, bien qu’à tendance autoritaire et ne supportant pas la contradiction. Elle est malheureusement peu à peu éclipsée par le héros, surhomme beau et intelligent, et finit par servir de potiche juste bonne à marier. Van Vogt ne se refait pas. Cette évolution narrative est à l’image du roman, qui débute agréablement puis s’enlise doucement et se termine d’une manière très traditionnelle. Ça s’améliore, la prochaine fois il y aura peut-être un Van Vogt qui gagnera sa place dans ma bibliothèque.


Anjin-San de Georges Akiyama (Le Lézard Noir, 2012), 464 p.
Anjin est un petit bonhomme qui se promène sans but et aide les gens sur son parcours. Il ne s’intéresse ni à l’argent, ni aux femmes, il dit être banal et parle comme un moine bouddhiste. Il croise Kirihito, un voyageur désœuvré qui ère sur les chemins depuis qu’il a été abandonné par son épouse, partie avec un autre. Anjin décide soudainement de rentrer chez lui, accompagné par Kirihito, et ils s’installent dans la demeure de son grand-père. Peu après leur arrivée, une geisha amie d’Anjin, Hinagiku, emménage avec eux, à la grande joie de Kirihito qu’elle ne laisse pas insensible.

Décédé en 2020, George Akiyama avait débuté à l’époque des librairies de location (kashihonya) dans les années 60 en se spécialisant dans des mangas comiques à base de gags. En 1970, il change son fusil d’épaule en écrivant Ashura, où il dessine une scène de cannibalisme entrainant l’interdiction de la publication dans plusieurs préfectures. Puis il livre dans Kokuhaku de fausses confessions provocatrices, démenties la semaine suivante. Après une brève retraite, il revient dans un style plus apaisé et entame en 1973 la série Haguregumo, achevée en 2017, sur un homme volage durant l’ère Edo. Sorti en 1982-1983, Anjin-San est un ouvrage considéré mineur et n’est pas mentionné sur la page wikipedia japonaise de George Akiyama.
Anjin-San comporte deux pans distincts. Le premier se concentre sur les pérégrinations d’Anjin, c’est un conte philosophique pour adultes où une espèce de moine itinérant sauve les âmes par sa simplicité et sa gentillesse. Il y a des aspects magiques, Anjin se met soudain à voler dans les airs sans que cela choque son entourage. Le deuxième volet tourne autour de la romance entre Kirihito et Hinagiku. Anjin passe au second plan et le récit devient banal. Même si Kirihito et Hinagiku sont des personnages humains et paisibles et que leur amour est sincère, j’ai préféré le début, lorsqu’Anjin flâne tranquillement. L’entretien avec George Akiyama qui clôt cette édition, traduction d’une interview effectuée pour la réédition d’Anjin-San au Japon en 2010, dévoile un provocateur peu coopératif, qui refuse d’analyser son œuvre ou de lui donner un sens. Il explique que c’était une commande écrite au fil de l’eau, et que le changement de perspective en cours de route ne vient que d’une lassitude de sa part et d’une volonté de basculer vers une histoire d’amour facile. Il me fait un peu penser à Buñuel, qui baladait les journalistes en jouant les naïfs. J’ai apprécié Anjin-San, je n’achèterai pas cependant Jintarô - Le caïd de Shinjuku, qui correspond au côté trash et violent de l’auteur.


Revues
Mad Movies n°369 – Mars 2023
Côté sorties, je note Watcher (2022), premier long métrage de Chloe Okuno, sur une femme qui se demande si son voisin voyeur n’est pas un tueur en série ; le film d’animation Nayola (2022) du portugais José Miguel Ribeiro, qui se déroule en Angola ; The Nocebo Effect (2022), apprécié par un critique qui, comme moi, n’avait pas aimé Vivarium ; Viking Wolf (2022), une série B de loups-garous apparemment distrayante ; et le probablement un peu nul Re/Member (2022) parce que c’est de la boucle temporelle (c’était en effet un peu nul, cf. ma critique).

J’ai appris pas mal de choses dans ce numéro, bien que ça ne m’ait pas donné beaucoup d’envies. Je ne connaissais par exemple pas Edward R. Pressman, décédé récemment et à qui Mad Movies rend hommage. Il fut pourtant producteur de nombreux titres audacieux, notamment La balade sauvage (1973) de Terrence Malick, Sœurs de sang (1972) et Phantom of the Paradise (1974) de Brian de Palma ou Conan le barbare (1982) de John Milius. Pour la sortie de Scream VI qui se déroulera à New York, un article détaille la façon dont la ville a été présentée selon les époques. En hommage à The Whale (2022), Mad Movies propose également un dossier sur le maquillage réaliste, technique qui habituellement ne m’intéresse pas et qui s’avère passionnant. Enfin, l’entretien avec Jaume Balaguero me donne envie d’explorer sa filmographie, j’ai juste vu pour l’instant le surcôté La secte sans nom (1999), [Rec] (2007) et peut-être [Rec]² (2009).


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