samedi 11 mars 2023

Carnet de bord 04/03/2023-10/03/2023



Films vus en compagnie
The Duke de Roger Michell (2020)
En 1961, Kempton Bunton est un sexagénaire au chômage, qui passe son temps à écrire des pièces de théâtre dont personne ne veut et à mener des combats dont personne ne se préoccupe. Il milite notamment pour la gratuité de la redevance pour les seniors, estimant que la télévision est leur seul contact avec le monde extérieur et que nombre d’entre eux ne sont pas en mesure de la payer. Il est en outre excédé par le rachat par le gouvernement britannique à un collectionneur américain du Portrait du duc de Wellington peint par Francisco Goya pour la somme de 140 000 livres, somme qui aurait pu servir sa cause. N’obtenant aucun écho à ses doléances, il vole le tableau.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, The Duke est tiré d’une histoire vraie, celle du chauffeur de bus au chômage Kempton Bunton, qui « emprunta » le Portrait du duc de Wellington à la National Gallery. L’affaire fit grand bruit mais tomba dans l'oubli une fois le procès terminé, jusqu’à récemment. The Duke relate les faits plutôt fidèlement, excepté sur deux points. Premièrement, le tableau n’a été restitué qu’au bout de 4 ans, alors qu’on a l’impression dans le film que les évènements se déroulent sur quelques mois. Comme d’habitude dans le cinéma occidental, et à l’inverse de l’est-asiatique par exemple, le temps long est mal géré et tout est condensé. Deuxièmement, si Jim Broadbent et Helen Mirren semblent parfaits en tant que couple Bunton, ils sont trop vieux. Au moment du vol, Kempton Bunton avait 57 ans, 61 ans lors du procès, et sa femme avait à peu près le même âge. Jim Broadbent avait lui 70 ans lors du tournage, et Helen Mirren 74 ans. On apprend l’âge de Kempton Bunton seulement vers la fin, et j’ai passé mon temps à me demander pourquoi ces petits vieux devaient encore travailler à une époque où le système social anglais n’avait pas été détruit par Thatcher. Kempton Bunton était par ailleurs handicapé et pesait 110 kilos, d’où l’étonnement de la police et du procureur lors de l’affaire.
Passé ces remarques, The Duke est un feel-good movie à l’anglaise avec un léger vernis social, on n’est pas dans du Ken Loach. C’est agréable bien qu’un peu facile, exploitant le poncif du gentil marginal contre le système. Le personnage de l’épouse est mal écrit je trouve, le cliché de la protestante rigide fatiguée des excentricités de son mari et qui réalise tout compte fait qu’il avait raison. C’est en définitive une comédie sans prétention, qui a le bon goût de ne durer que 1h35, concision rare de nos jours.


We Have a Ghost de Christopher Landon (2023)
Les Presley, un couple et leurs deux garçons bientôt adultes, emménagent dans une maison vendue à un prix étonnamment bas. Kevin, le plus jeune des deux fils, est fatigué de l’instabilité de leur situation, son père changeant constamment d’emploi et la famille devant en permanence se déplacer avec lui. Il monte au grenier après avoir entendu un bruit et tombe sur un fantôme qui essaye de l’effrayer. Au lieu de s’enfuir, il tente de discuter et finit par l’amadouer. Muet et amnésique, le revenant porte une tenue de bowling sur laquelle est inscrite le prénom Ernest. Kevin décide de l’aider.

Réalisateur des sympathiques Happy Birthdead (2017 & 2019), Christopher Landon, également au scénario, porte à l’écran une courte nouvelle de Geoff Manaugh intitulée Ernest et publiée dans Vice en 2017. Il en fait un long métrage de 2h06 en ajoutant une voisine extravertie, un antagoniste caricatural et en étirant les situations au maximum. Les deux acteurs qui jouent Kevin et Ernest sont excellents et il aurait fallu se concentrer sur eux. En raccourcissant tout ce qui concerne les réseaux sociaux et le phénomène de mode autour d’Ernest, et en dégageant la sous-intrigue avec la CIA et le méchant, Christopher Landon aurait pu gagner une bonne demi-heure et se focaliser sur les scènes intimistes, qui sont les plus réussies.


ザ・ファブル [Za faburu] de Kan Eguchi (2019, The Fable)
Fable est un tueur légendaire, qui exécute ses contrats sans laisser de trace ou de témoin, et qui fascine les autres assassins du milieu. Après une opération rondement menée, son patron lui demander d’aller se mettre au vert pendant un an à Osaka sous le nom d’Akira Sato. Il exige que Fable mène une vie normale et ne tue absolument personne, faute de quoi il devra l’éliminer. Il sera accompagné de son assistante habituelle, qui se fera passer pour sa petite sœur. Une fois arrivée à Osaka, son contact local, le bras droit d’un chef yakuza, installe Akira dans un appartement tranquille. Celui-ci se met à chercher du travail, ignorant des ennuis qui ne vont pas tarder à surgir.

The Fable est tiré d’un manga à la mode paru entre 2014 et 2019. Il reprend, apparemment fidèlement, les volumes 1 à 7 (sur 22). Un grand nombre de films japonais contemporains ont pour source un manga et il n’est parfois pas évident de le deviner. Ce n’est pas le cas de The Fable, dont l’origine se devine aisément, que ce soit dans les bad guys typiques du seinen ou dans le découpage qui évoque les cases et tics des mangas. L’histoire est cousue de fil blanc, les méchants en roue libre sont insupportables et les scènes d’action sont excessivement longues. Il y a une suite, The Fable: The Killer Who Doesn't Kill (2021) qui correspond aux volumes 7 à 13, pas sûr que je m’infligerais ça (quoique, le complétisme aidant…).


Doctor Strange in the Multiverse of Madness de Sam Raimi (2022)
Le Docteur Strange sauve une ado, America Chavez, des griffes d’un monstre extra-terrestre à l’aide de son ami Wong. Elle lui explique qu’elle est poursuivie car elle peut voyager entre les univers multiples, et qu’une mystérieuse entité pratiquant la magie noire veut lui voler son pouvoir. Pour la vaincre, il faut récupérer le livre des Vishanti. Lorsque Strange se rend chez Wanda Maximoff pour lui demander de leur prêter main-forte, il comprend qu’elle est devenue la Sorcière rouge et qu’elle est derrière les attaques contre America.

J’ai toujours eu de l’affection pour Sam Raimi, guère aidé pourtant par la nullité de son précédent long métrage, Oz the Great and Powerful (2013). Il lui a fallu 9 ans pour se remettre à la réalisation et il aurait pu s’abstenir car Doctor Strange in the Multiverse of Madness est tout pourri. Benedict Cumberbatch a le charisme d’une huitre, le scénario est nase, il n’y a aucun souffle, aucun suspens, et on s'ennuie sévère. Je ne sais pas de quand date le dernier blockbuster américain de super-héros correct que j’ai vu, ça commence à remonter. Mieux vaut se tourner vers les Indiens.


Den store dag de Morten Arnfred (2005, The Big Day)
Anne vient d’ouvrir une entreprise d’organisation de mariage avec ses deux amis gays. Lors de leur premier contrat, elle a le coup de foudre pour Anders, un présentateur d’une émission de télévision matinale. Le problème, c’est qu’Anne est censée se marier dans deux mois avec le fiable et falot Steen, avec qui elle est fiancée depuis 5 ans, et qu’Anders va épouser une journaliste de guerre. De plus, Anne ne croit pas aux coups de foudre, elle estime que les relations doivent se construire progressivement. Lorsqu’elle recroise par hasard Anders et qu’il lui demande d’organiser son mariage, il devient difficile pour Anne de résister et de suivre ses principes.

Apparemment, les Danois font régulièrement des comédies romantiques à l’eau de rose qui n’ont rien à envier dans les clichés à leurs comparses hollywoodiennes, et ils ont l’air d’aimer particulièrement les tromperies dans les couples mariés ou en passe de l’être. L’actrice spécialiste du genre était Sidse Babett Knudsen autour des années 2000, par exemple dans Den eneste ene (1999) ou Se til venstre, der er en svensker (2003), et c’est Louise Mieritz qui reprend ici le flambeau. Den store dag ne présente aucune surprise, il suit son chemin balisé tout du long, avec seulement un petit élément qui n’aurait pu avoir lieu dans un équivalent américain. Les deux amis gays qui travaillent avec Anne sont amusants et les prétendants d’Anne sont étonnamment quelconques, loin du glamour d’Hollywood. A part ça, rien à signaler, Den eneste ene ravira les fans de comédie romantique facile et gentille.


The Black Phone de Scott Derrickson (2021, Black Phone)
En 1978 dans la banlieue de Denver, des enfants sont régulièrement kidnappés par un homme mystérieux surnommé l’Attrapeur. Finney est un garçon timide, souffre-douleur de son école. Il est protégé par sa petite sœur Gwen et par un ami bagarreur. Lorsque ce dernier disparait, Finney espère que Gwen pourra aider la police à le retrouver. Elle a en effet régulièrement des rêves clairvoyants dans lesquels elle perçoit par bribes des évènements du passé. Mais avant qu’elle puisse détecter quoi que ce soit, Finney est enlevé à son tour.

Black Phone provient d’une nouvelle de Joe Hill, une figure montante de la littérature fantastique américaine. Auteur de la célèbre série BD Locke & Key, plusieurs de ses écrits ont déjà été adaptés au cinéma, notamment Horns par Alexandre Aja en 2013, que je n’ai pas vu et qui m’intrigue. Son nom complet est Joseph Hillström King et c’est le fils de Stephen King. Quant à Scott Derrickson, il a été remarqué en 2012 avec Sinister, qui comportait de bonnes idées malgré des passages poussifs, puis a été monopolisé entre 2016 et 2021 par Doctor Strange (2016) et sa suite, qu’il a finalement abandonné pour différents artistiques.
Sans être révolutionnaire, on est dans un thriller paranormal Kingien rappelant un peu Ça (l’Attrapeur est d’ailleurs un clown dans le livre), The Black Phone est efficace. Les enfants sont au centre du récit, toutes les séquences à l’école entre Gwen et Finney sont crédibles et posent l’ambiance, aidées par une photographie très années 70. Ce n’est pas parfait, on s’attarde trop sur l’enquête de la police dans un montage alterné galvaudé, les situations dans la cave sont répétitives et l’Attrapeur aurait gagné à être plus mutique et inquiétant. Ça demeure néanmoins au-dessus de la moyenne grâce à l’excellente interprétation des enfants et au décor de banlieue résidentielle d’une banalité sinistre.


Films vus seuls
The Last Flight de William Dieterle (1931, Le dernier vol)
A la fin de la première guerre mondiale, un groupe de quatre anciens soldats de l’US Air Force blessés durant les combats va à Paris pour prendre du bon temps. Un an après, ils continuent à trainer dans les bars, perpétuellement saouls. Il y a Cary brûlés aux mains, Shep affublé d’un tic aux yeux, Francis le dépressif et Bill le casse-cou. Un soir, ils rencontrent Nikki, une riche américaine qui s’ennuie et se joint à la bande.

Dans The Last Flight, William Dieterle se penche sur la « génération perdue », expression désignant les jeunes adultes ayant perdu leurs repères durant la guerre et ne s’identifiant plus à la société américaine post-1918. Il met en vedette l’ancienne star du muet Richard Barthelmess, encore populaire à cette époque et qui disparaitra peu à peu des écrans, trop vieux pour les rôles de jeunes gars qui l’avaient rendu célèbre. Il est associé à Helen Chandler et David Manners, révélé·e·s par le Dracula de Tod Browning (1931) six mois auparavant. Le scénariste John Monk Saunders a transposé à l’écran son roman Single Lady, série de récits centrés sur Nikki.
The Last Flight débute mal, avec un médecin qui insiste lourdement sur l’impossibilité des invalides de guerre à retrouver une vie normale. Curieusement, on s’éloigne rapidement du drame annoncé qui devient une comédie screwballisante, avec des dialogues absurdes et enlevés, une riche héritière excentrique et des allusions sexuelles pas toujours subtiles. Heureusement d’ailleurs, car il ne se passe pas grand-chose, les saoulards se contentant d’aller boire d’un lieu à un autre pour masquer leur détresse. Le casting est solide, bien que je n’ai jamais été fan de Richard Barthelmess, éclipsé ici par un David Manners plus charismatique. Malgré un court 1h16, il y a un ventre mou avant que la troupe parte au Portugal (je note la séquence de tauromachie censée être à Lisbonne avec des panneaux en espagnol dans le stade…). La fin est poignante et aide à pardonner les imperfections précédentes, on aurait juste pu éviter l’ultime speech didactique de Cary. A noter que le jeune Archie Leach joua Cary au théâtre et décida d’utiliser ce prénom quand on lui expliqua qu’Archie était vraiment nul. Il se fit dès lors appeler Cary Grant.


五瓣の椿 [Goben no tsubaki] de Yoshitarô Nomura (1964, Le camélia à cinq pétales)
Pour venger son père mort de la tuberculose après avoir géré toute sa vie la boutique de son épouse volage, Shino décide de tuer tous les anciens amants de sa mère. Elle séduit facilement ces débauchés puis les assassine avec une épingle en argent qu’elle laisse sur les lieux du crime, convaincue qu’elle accomplit la justice. Les autorités ne sont pas de cet avis et lancent une enquête.

Shûgorô Yamamoto est un auteur populaire qui a navigué entre de nombreux genres, de la littérature pour enfants aux romans de samouraïs, en passant par le policier. Il a régulièrement été adapté au cinéma et à la télévision, notamment par Kurosawa pour Sanjuro (1962), Barberousse (1965) et Dodeskaden (1970). Goben no tsubaki, écrit en 1959, a engendré des téléfilms ainsi que le long métrage qui nous intéresse, scénarisé par Masato Ide, un autre habitué de Kurosawa qui a travaillé sur Barberousse, Kagemusha (1980) et Ran (1985). Si j’ajoute que ce que j’avais vu jusqu’à présent de Yoshitarô Nomura allait du sympathique (Zero no shôten (1961) et Yatsuhaka-mura (1978) au très bon (outre les fameux Le vase de sable (1974) et L'été du démon (1978) édités en France par Wild Side, j’avais beaucoup aimé Harikomi (1958)), et que le rôle principal était tenu par la toujours impeccable Shima Iwashita, ça s’annonçait bien.
Hélas, avec ce type de trame relativement basique, il faut soit une intrigue en béton, soit prendre la tangente et partir dans un délire graphique ou narratif. Yoshitarô Nomura ne fait ni l’un ni l’autre et étire en longueur toutes les scènes, jusqu’à une durée de 2h43 totalement injustifiée. Chaque meurtre est précédé de longs dialogues visant à prouver à quel point le coupable est vilain et abuse des femmes. Si ce sont objectivement des sales types, la vengeance de Shino est fondamentalement gratuite car sa mère était totalement consentante et son père laissait couler. Shino se voit comme le bras armé d’une justice informelle, elle a clairement des petits problèmes psychologiques et il y aurait eu moyen de basculer dans l’étrange ou l’onirique. C’est d’ailleurs ce qui se produit durant quelques minutes avec le dernier libidineux, trop court et trop tard toutefois. Il y a également une demi-heure policière au début de la deuxième partie, rapidement escamotée pour revenir sur Shino qui trucide des méchants. C’est donc un premier raté me concernant pour Yoshitarô Nomura.


Paranormal Activity d’Oren Peli (2007)
Depuis son enfance, Katie se sent hantée par une présence maléfique. Son conjoint avec qui elle vient d’emménager, Micah, est sceptique et achète une caméra afin de surveiller leur sommeil et capter d’éventuels évènements étranges. En parallèle, Katie appelle un spécialiste des fantômes, qui estime que ce n’est pas de son ressort et qu’il faudrait contacter un démonologiste. Assez rapidement, la caméra de Micah enregistre des phénomènes inquiétants. Si cela commence par une simple porte qui bouge toute seule, cela se renforce avec le temps et l’inquiétude de Katie s’accroit.

Je n’avais curieusement pas vu Paranormal Activity même si j’en avais souvent entendu parler, en particulier par Mad Movies qui le déteste. Considéré comme un des films les plus rentables du box-office américain, il a engendré six épisodes et le filon n’est probablement pas épuisé. Je ne peux juger que le premier, les suites ayant bénéficié d’un budget comparativement conséquent. Paranormal Activity est l’œuvre d’un homme, Oren Peli, qui s’est occupé de la production, de la réalisation, du montage, de la photographie, des décors et des costumes. Il s’est inspiré de son emménagement avec sa compagne, qui pensait être hantée par un esprit. Il a tourné dans leur maison avec essentiellement un acteur et une actrice débutant·e·s. Malheureusement, il arrive après Le projet Blair Witch (1999) ou la vague de la J-Horror de la fin des années 90/début 2000 et, pour tout habitué du genre, c’est soporifique. Il y a des passages un peu creepy et je comprends que ça ait pu fonctionner en salles chez un public adolescent. Le problème, outre qu’il ne se passe quasiment rien pendant 1h30, c’est surtout la prétention d’Oren Peli, le succès que ça a eu et le phénomène que ça a déclenché.
Oren Peli, un gars qui n’a jamais pu regarder S.O.S. Fantômes (1984) parce que c’est trop effrayant, explique dans les notes de production qu’il voulait marquer son époque, à l’image d’un Psychose (1960) ou des Dents de la mer (1975). Il espérait qu’avec Paranormal Activity les gens n’oseraient plus rester chez eux ou dormir dans leur lit. Paranormal Activity est supposé avoir traumatisé Steven Spielberg et son succès a été phénoménal. Il a engendré, indépendamment de sa propre franchise, une palanquée de copies et succédanés, et a pollué durablement le cinéma d’horreur, d’où son rejet par une revue comme Mad Movies. Pour ma part, je me suis fait mon avis, c’était nase comme prévu et j’arrêterai les frais à ce volet initial.


十五才 学校IV [Jûgo sai – Gakko IV] de Yôji Yamada (2000, A Class to Remember 4: Fifteen)
Daisuke a 15 ans, il habite Yokohama et ne va plus à l’école depuis 6 mois. Il décide de fuguer et de se rendre sur l’île de Yakushima en stop pour y admirer un vieux cèdre de 7000 ans dont il avait entendu parler dans un poème. Il va rencontrer sur son chemin des routiers sympathiques, une randonneuse et un vieux vétéran, qui vont lui permettre de grandir et de mieux appréhender la société dans laquelle on lui demande de d’intégrer.

Après les cours du soir, une école pour handicapés et un centre de formation professionnelle dans les Gakko précédents, Yôji Yamada se penche cette fois sur l’école de la vie. Il prend comme point de départ l’augmentation de l’absentéisme et du rejet de l’école chez les jeunes Japonais, et s’inspire d’un lycéen qui n’était plus allé dans son établissement depuis 2 ans et parcourait le Japon en stop. Jûgo sai – Gakko IV a eu beaucoup de succès au Japon et a été le premier long métrage japonais projeté officiellement en Corée du Nord. Ce fut également le dernier tourné dans les studios d’Ôfuna, studios historiques de la Shôchiku qui ont fermé en 2000.
Excepté le thème de l’enseignement, les différents épisodes de la série Gakko n’ont aucun lien entre eux, si ce n’est Toshiyuki Nishida qui incarne un professeur dans les deux des épisodes. J’avais apprécié le premier et j’avais été moins emballé par les deux suivants. Ce quatrième volet s’éloigne d’avantage des trois autres, pas de classes ici, d’élèves ou de maître au sens strict, on est dans une sorte de road-movie initiatique bienveillant. Daisuke voit du pays et le spectateur avec lui, et ça m’a réjoui de revisiter les paysages de Yakushima, île où j’avais passé quelques nuits. Comme souvent avec Yôji Yamada, c’est optimiste voire naïf et ça se termine par un happy-end convenu. Et pourtant, son humanisme apaisant, ses héros touchants et la qualité de l’interprétation font de ce Jûgo sai – Gakko IV une agréable découverte.


Cabin Fever d’Eli Roth (2002)
Cinq étudiant·e·s ont loué une cabane dans les bois dans un coin reculé de la campagne profonde américaine pour faire la fête durant une semaine. Le soir de leur arrivée, un homme frappe à leur porte. Il est en sang et est très malade. Les jeunes refusant de le laisser entrer, il essaye de s’enfuir avec leur voiture. Ils l’en empêchent et, dans la panique, l’enflamment. Le lendemain matin, le corps est introuvable. La voiture est inutilisable, ils ont besoin d’aide et craignent d’avoir été contaminés.

Malgré sa piètre réputation, Cabin Fever est dans le top 100 du numéro 200 de Mad Movies. Ce top fait partie des listes que j’essaye de compléter et il fallait donc que j’en passe par là un jour ou l’autre. Ça y est et ce fut pénible. Je n’aime pas l’acteur Eli Roth, et j’avais un a priori sur son travail de réalisateur. Cet a priori est à présent confirmé et, par malheur, son Hostel (2005) est aussi dans le top Mad Movies. Le problème majeur de Cabin Fever est son scénario. Les acteur·ice·s sont corrects (excepté Eli Roth qui réussit à être énervant dans une courte apparition de 2 minutes), ce n’est pas leur faute si leurs personnages sont mal écrits. C’est filmé de façon à peu près sobre et les effets spéciaux tiennent la route. L’histoire, en revanche, n‘est même pas digne d’un Vendredi 13. Eli Roth use de clichés qui étaient déjà ringards dans les années 80, tout est extrêmement prévisible, y compris « l’hommage » à La nuit des morts-vivants (1968). L’humour est lourd, avec une blague finale de mauvais goût. A fuir.


Maléfique d’Eric Valette (2002)
Carrère est un chef d’entreprise envoyé en prison pour détournement de fonds. Sa cellule comporte trois autres prisonniers : Marcus, un culturiste trans ; Lasalle, un bibliothécaire philosophe ; et Pâquerette, un simple d’esprit qui mange tout ce qui lui passe sous la main. Un matin, ils découvrent une pierre disjointe derrière laquelle était caché un vieux livre. Il appartenait au tueur en série Danvers et contient des formules magiques qui pourraient aider les détenus à s’échapper.

Maléfique était un des cinq Bee Movies sortis en 2001-2002 et mentionnés dans le Mad Movies de février 2023. Les Bee Movies ont été une brève tentative de création d’un cinéma de genre français à petit budget, issus d’une collaboration entre Fidélité Productions et Canal + Ecriture. Entre un nombre d’entrées variable et les ventes à l’étranger, la rentabilité fut honorable. Ce ne fut pas suffisant pour continuer les Bee Movies, en raison de la fatigue des producteurs et du manque de reconnaissance des efforts entrepris. Éric Valette est un ancien metteur en scène des Guignols de l'info, qui s’est associé pour le scénario à deux auteurs des Guignols, Franck Magnier et Alexandre Charlot. Pour limiter le budget, ils ont pensé à une cellule de prison, lieu idéal pour construire un huis-clos centré sur une poignée d’individus.
Oui c’est fauché, ça repose essentiellement sur une ambiance et des dialogues, et tout ce beau monde est antipathique. Néanmoins, on sent une honnêteté et un amour du genre, avec un côté un peu Lovecraftien dans ce sombre manuscrit menant les taulards à leur perte, et les effets spéciaux sont convaincants. Compte tenu des moyens et du concept de l’entreprise, c’est assez réussi.


天狗黨 [Tengu-tô] de Satsuo Yamamoto (1969)
Pour avoir protesté contre des taxes excessives, le paysan Sentaro reçoit 100 coups de bâton par les autorités et est banni de son village. Quatre ans plus tard, devenu yakuza et ayant appris à se servir d’un sabre, il revient dans sa région pour se venger. Il croise en chemin des hommes du Tengu-to, une faction anti-shogunat dont deux membres l’avaient aidé quand il avait été bastonné. Admirant leur chef, le samouraï Kada, Sentaro les suit et se retrouve mêlé à des luttes politiques qu’il ne comprend pas, pris en tenaille entre le discours pro-paysan du Tengu-to et les actes discutables de ses dirigeants.

Tengu-tô est le dernier film de Satsuo Yamamoto pour la Daiei avant de reprendre son indépendance. Il décrit la rébellion de Mito à travers les yeux d’un homme du peuple. Cela permet au communiste Yamamoto de mettre en avant l’exploitation des masses paysannes par le gouvernement et par la classe des samouraïs qui, même lorsqu’elle dit vouloir aider les pauvres, les manipule et finit par les écraser. Dans le rôle tragique de Sentaro, un homme à la recherche de sa voie et qui détruit sans le vouloir tous ses proches en chemin, Tatsuya Nakadai est un peu trop charismatique et sûr de lui. Il aurait fallu un acteur plus en retrait et hésitant. Le cadre historique dessert également Tengu-tô d’après moi. Alors que l’objectif de Yamamoto est de montrer la déchéance du paysan dupé par les samouraïs, il s’empêtre dans les évènements et les nombreux personnages. Au moment où il tourne Tengu-tô, il travaillait déjà sur sa grande fresque historique en trois parties, Senso to nigen, et il n’a sans doute pas donné le meilleur de lui-même. Dommage. A noter que Tengu-tô a une origine théâtrale difficile à deviner, la pièce Kirare no Senta de 1934 écrite par Juro Miyoshi.


Anatomie de Stefan Ruzowitzky (2000)
Paula est une étudiante en médecine de Munich qui, après avoir brillamment réussi un concours, va poursuivre ses études dans le département d’anatomie de l’université d’Heidelberg, le meilleur du pays. Dans le train qui l’amène à Heidelberg, elle sauve un jeune homme qui faisait une crise cardiaque. Quelques jours plus tard, elle le retrouve sur la table de dissection du labo de l’université, avec des marques étranges sur le corps. Perplexe, elle décide de réaliser des analyses poussées et de mener une enquête, contre l’avis de son professeur et de ses camarades de classe.

Encore un titre du top 100 du Mad Movies numéro 200. Je ne sais pas ce qu’ils avaient fumé quand ils ont rédigé ce top mais il y a clairement des trucs qui n’ont guère leur place. Si Anatomie n’est heureusement pas aussi affreux que Cabin Fever, ça demeure sans intérêt, si ce n’est la singularité de regarder un thriller allemand mis en scène par l’autrichien Stefan Ruzowitzky. Ça démarre correctement, la photographie est sobre, l’actrice principale, Franka Potente vue dans Cours, Lola, cours (1998), est convaincante et l’intrigue sort de l’ordinaire. Petit à petit, le scénario s’enlise puis s’embourbe dans des pistes non exploitées. Le grand-père ancien chef de la loge, les nazis, le tribunal de la loge, le soutien des puissants, tout ça ne sert à rien. Le méchant est caricatural et la résolution complètement convenue. Il m’en reste encore 15 pour terminer le top 100, j’espère que la suite sera mieux.


Livres
Le monde inverti de Christopher Priest (J’ai lu, 1976), 320 p.
La Terre est une ville se déplaçant lentement sur des rails et régie par des guildes. La majorité de ses habitants sont confinés à l’intérieur, ne voyant jamais le soleil, et sont chargés de la gestion quotidienne. Ayant atteint l’âge adulte, Helward Mann choisit d’entrer dans la guilde des topographes du futur, comme son père. Il n’a pas la moindre idée de ce qu’il va devoir faire, le système éducatif reposant sur un apprentissage par la pratique. Avant d’être admis, il doit travailler des dizaines de jours pour chacune des autres guildes, étape nécessaire pour appréhender l’organisation dans son ensemble. Il commence par celle des voies et se rend pour la première fois à l’extérieur de la cité.

L’ouvrage le plus connu de Christopher Priest à l’heure actuelle est certainement Le Prestige, adapté avec succès par Christopher Nolan en 2006. Ce n’est cependant pas son plus coté dans le milieu littéraire, ce privilège revenant au Monde inverti. La phrase qui ouvre le roman, « J’avais atteint l’âge de mille kilomètres », est considérée comme une des meilleures entames de la SF, son emphase étant renforcée dans certaines traductions françaises par la suppression du prologue (ce n’est pas le cas de mon édition où le prologue est présent). La traduction française comporte pourtant une erreur majeure et incompréhensible à ce niveau : un problème de conversion. En anglais, l’auteur dit 650 miles, ce qui donne à peu près 1000 km (à 46 km près). Il est précisé ensuite qu’un kilomètre correspond à 10 jours, contre un mile (1,6 km) dans le texte d’origine. Helward Mann a donc 1000*10/365,25 = 27,4 ans en français et 650*10/365,25 = 17,8 ans en anglais. J’avais du mal à comprendre pourquoi il avait l’air si jeune dans les descriptions, du haut de ses 27 ans, avant que je réalise cette boulette. Ce n’est pas la seule valeur qui m’a paru curieuse, je pense qu’il y a d’autres fautes de ce type.
Le monde inverti est composé de cinq chapitres fort différents, qui alternent les points de vue entre la narration à la première personne de Helward et une narration à la troisième personne supposément objective. A la manière d’un K. Dick, Christopher Priest joue sur les perceptions et altérations de la réalité. J’ai apprécié la première partie, qui pose le décor et ses protagonistes. On y voit une société de type coloniale et paternaliste apparemment immuable. Helward ne saisit guère l’utilité des guildes mais n’est pas du genre contestataire, à l’inverse de sa future femme Victoria. Christopher Priest est né en 1945, a été jeune dans la Grande-Bretagne des années 60 et introduit ici un élément rare dans la SF de cette époque : un personnage féminin intéressant et cohérent. Victoria vient d’une famille de notables, elle est éduquée et refuse le carcan dans lequel on veut l’enfermer. Son seul moyen de changer les choses est de passer par l’entremise de son futur mari, les hommes étant les seuls à accéder à certaines informations clés. Elle discerne parfaitement les enjeux, pousse Helward à se poser les bonnes questions et à creuser les dessous du système. Malheureusement, elle disparait quasiment totalement dès la deuxième partie, toute la question coloniale et idéologique est mise de côté et on tombe dans de la SF classique. Le dernier chapitre reprend certains éléments du début et détruit intelligemment des certitudes construites précédemment. Néanmoins, à ce jeu-là, K. Dick est supérieur, c’était l’approche initiale qui faisait tout le sel du Monde inverti. Si Christopher Priest avait su creuser cette veine, j’aurais été d’accord pour le classer dans les œuvres majeures de la SF. En l’état, je préfère relire un vieux K. Dick.


Rien ne fera venir le jour de Yoshihiro Tatsumi (Cornélius, 2018), 336 p.
Rien ne fera venir le jour est pour l’instant le dernier recueil de l’anthologie Yoshihiro Tatsumi éditée par Cornélius, bien que l’introduction laisse supposer qu’il y en aura d’autres. Il regroupe treize nouvelles parues en 1970 dans divers magazines. Elles sont en moyenne plus longues et variées que celles du volume précédent. Elles sont toujours majoritairement ancrées dans un cadre urbain et traitent du malaise des pauvres et des marginaux dans le Japon de la fin des années 60.

En cette année 1970, Yoshihiro Tatsumi repousse les limites du gekiga, obnubilé par son désir d’affirmer la maturité de son style et de se démarquer des mangas pour ados. Le démon, Tête de cobra et La mère de Ken’itchi Shirase sont centrés sur des enfants tueurs, Un bateau sans voile aborde la question de l’homosexualité, La femme dans le miroir celle du travestissement, et Qui es-tu ? tombe dans la zoophilie. Un bateau sans voile est la nouvelle la plus réussie malgré une vision du jazz caricaturale, avec un beau personnage de jazzman noir homosexuel. La femme dans le miroir est original, reprenant par contre ce lamentable cliché de l’homme qui vomit en découvrant que quelqu’un se travestit. Le reste est quelconque, beaucoup de sordide et de provocation facile. En fait, les meilleures histoires de Tatsumi sont celles où il crée des héros humains, qui essayent de comprendre leur prochain au lieu de se renfermer sur leur solitude.
Cornélius n’a pas effectué un travail éditorial aussi conséquent que pour Yoshiharu Tsuge, il manque notamment une contextualisation et des détails sur la parution et la réception des nouvelles. Cela m’aurait peut-être permis de mieux considérer le travail de Yoshihiro Tatsumi, ou du moins de mieux saisir son impact dans le milieu de la bande-dessinée japonaise. Claude Leblanc, auteur de l’excellent Le Japon vu par Yamada Yôji, est opportunément en train de préparer un ouvrage sur le magazine Garo pour la fin d’année. Cela devrait me permettre de combler mes lacunes.


L’oreiller magique de Tang Xianzu (MF, collection « Frictions », 2007), 185 p.
Lu est un étudiant ambitieux né dans une famille nombreuse et prestigieuse, qui se désole de sa vie anonyme à la campagne. Sur la route de Haidan, il s’arrête dans une auberge pour manger un bol de millet jaune. Fatigué par son voyage, il décide de faire un somme avant son repas. Un vieil homme lui propose un oreiller pour poser sa tête. C’est en réalité un immortel déguisé, en quête d’un brave à promouvoir pour devenir balayeur sur l’île des Immortels. Après un sommeil agité, Lu se réveille dans une magnifique résidence et tombe sur une belle et riche jeune femme souhaitant se marier avec lui.

Tang Xianzu est un écrivain chinois du XVIe siècle. Son œuvre est relativement limitée, il est l’auteur d’un recueil de poèmes et de quatre pièces de théâtre, la plus célèbre étant Le pavillon aux pivoines. L’oreiller magique a probablement été rédigé en 1601. C’est une adaptation théâtrale du Rêve du millet jaune, un livre du VIIIe siècle de Shen Jiji, et Tang Xianzu s'est inspiré d'une première transposition sur les planches par Ma Zhiyuan au XIIIe siècle. Selon la préface du traducteur André Levy, Tang Xianzu transforme certains aspects et prend des libertés avec l’Histoire pour renforcer sa construction dramatique.
Je ne connais strictement rien au théâtre classique chinois, dont les pièces de Tang Xianzu marquent l’apogée. Il y a de nombreuses parties chantées, indiquées en italique et précédées de l’air à utiliser. Ces airs devaient être familiers du public, ils ont des noms assez folkloriques pour un lecteur moderne ignorant, comme « air des Oies sauvages arrivent magnifiques » ou « air de Ce n’est pas le chemin ». Une fois accoutumé à ces particularités, L’oreiller magique se lit aisément, rien de comparable avec les pavés des classiques de la littérature chinoise avec leur myriade de héros. On reste concentré sur Lu et sur son entourage durant quelques étapes clés de sa vie. Bien qu’ayant apprécié le texte, voir la pièce serait plus compliqué pour moi car les conventions visuelles ajouteraient une couche non négligeable d’altérité qui risquerait de me bloquer (sachant que j’ai déjà du mal avec le théâtre occidental…).


Revues
Les Cahiers du cinéma n°796 – Mars 2023
Le numéro de ce mois consacre une vingtaine de pages aux cinéastes au travail, le genre de dossier que je ne lis pas. J’ai déjà suffisamment à faire avec les films existants pour ne pas perdre de temps sur ceux qui sont encore en cours de tournage. Du côté des sorties, la série de Marco Bellocchio sur l’enlèvement d’Aldo Moro ne m’intéresse pas, ne regardant pas les séries non animées et le seul Bellocchio que j’ai vu, Vincere (2009), m’ayant laissé circonspect. Ça m’a par contre incité à me pencher sur le sujet et c’est à cette occasion que j’ai récupéré Il caso Moro (1986). Le documentaire Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras sur la photographe Nan Goldin est intrigant, je ne connais pas du tout Nan Goldin, une femme apparemment importante dans le milieu artistique américain. Rien de notable à part ça. Il y a bien The Nocebo Effect mais il a une aussi mauvaise note sur imdb que le boursoufflé Vivarium (2019) du même metteur en scène.

Côté patrimoine et livres, l’entretien avec le réalisateur indépendant Patrick Wang me donne envie de récupérer ses œuvres. Idem pour l’article sur Michael Roemer, dont je n’avais jamais entendu parler et dont les rares longs métrages semblent attrayants. Je note enfin les mémoires blasées de George Sanders, qui paraissent fort distrayantes et que je vais acheter en anglais pour mieux profiter de son style.


2 commentaires:

  1. Olala, j'avais vu « Maléfique » au cinéma, ça ne me rajeunit pas ! J'en garde en effet le souvenir d'un petit film de genre plutôt sympathique.

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