Films vus en compagnie
The Duke de Roger Michell (2020)

Aussi étonnant que cela puisse paraître, The Duke est tiré d’une histoire vraie, celle du chauffeur de bus au chômage Kempton Bunton, qui « emprunta » le Portrait du duc de Wellington à la National Gallery. L’affaire fit grand bruit mais tomba dans l'oubli une fois le procès terminé, jusqu’à récemment. The Duke relate les faits plutôt fidèlement, excepté sur deux points. Premièrement, le tableau n’a été restitué qu’au bout de 4 ans, alors qu’on a l’impression dans le film que les évènements se déroulent sur quelques mois. Comme d’habitude dans le cinéma occidental, et à l’inverse de l’est-asiatique par exemple, le temps long est mal géré et tout est condensé. Deuxièmement, si Jim Broadbent et Helen Mirren semblent parfaits en tant que couple Bunton, ils sont trop vieux. Au moment du vol, Kempton Bunton avait 57 ans, 61 ans lors du procès, et sa femme avait à peu près le même âge. Jim Broadbent avait lui 70 ans lors du tournage, et Helen Mirren 74 ans. On apprend l’âge de Kempton Bunton seulement vers la fin, et j’ai passé mon temps à me demander pourquoi ces petits vieux devaient encore travailler à une époque où le système social anglais n’avait pas été détruit par Thatcher. Kempton Bunton était par ailleurs handicapé et pesait 110 kilos, d’où l’étonnement de la police et du procureur lors de l’affaire.
Passé ces remarques, The Duke est un feel-good movie à l’anglaise avec un léger vernis social, on n’est pas dans du Ken Loach. C’est agréable bien qu’un peu facile, exploitant le poncif du gentil marginal contre le système. Le personnage de l’épouse est mal écrit je trouve, le cliché de la protestante rigide fatiguée des excentricités de son mari et qui réalise tout compte fait qu’il avait raison. C’est en définitive une comédie sans prétention, qui a le bon goût de ne durer que 1h35, concision rare de nos jours.
We Have a Ghost de Christopher Landon (2023)

Réalisateur des sympathiques Happy Birthdead (2017 & 2019), Christopher Landon, également au scénario, porte à l’écran une courte nouvelle de Geoff Manaugh intitulée Ernest et publiée dans Vice en 2017. Il en fait un long métrage de 2h06 en ajoutant une voisine extravertie, un antagoniste caricatural et en étirant les situations au maximum. Les deux acteurs qui jouent Kevin et Ernest sont excellents et il aurait fallu se concentrer sur eux. En raccourcissant tout ce qui concerne les réseaux sociaux et le phénomène de mode autour d’Ernest, et en dégageant la sous-intrigue avec la CIA et le méchant, Christopher Landon aurait pu gagner une bonne demi-heure et se focaliser sur les scènes intimistes, qui sont les plus réussies.
ザ・ファブル [Za faburu] de Kan Eguchi (2019, The Fable)

The Fable est tiré d’un manga à la mode paru entre 2014 et 2019. Il reprend, apparemment fidèlement, les volumes 1 à 7 (sur 22). Un grand nombre de films japonais contemporains ont pour source un manga et il n’est parfois pas évident de le deviner. Ce n’est pas le cas de The Fable, dont l’origine se devine aisément, que ce soit dans les bad guys typiques du seinen ou dans le découpage qui évoque les cases et tics des mangas. L’histoire est cousue de fil blanc, les méchants en roue libre sont insupportables et les scènes d’action sont excessivement longues. Il y a une suite, The Fable: The Killer Who Doesn't Kill (2021) qui correspond aux volumes 7 à 13, pas sûr que je m’infligerais ça (quoique, le complétisme aidant…).
Doctor Strange in the Multiverse of Madness de Sam Raimi (2022)

J’ai toujours eu de l’affection pour Sam Raimi, guère aidé pourtant par la nullité de son précédent long métrage, Oz the Great and Powerful (2013). Il lui a fallu 9 ans pour se remettre à la réalisation et il aurait pu s’abstenir car Doctor Strange in the Multiverse of Madness est tout pourri. Benedict Cumberbatch a le charisme d’une huitre, le scénario est nase, il n’y a aucun souffle, aucun suspens, et on s'ennuie sévère. Je ne sais pas de quand date le dernier blockbuster américain de super-héros correct que j’ai vu, ça commence à remonter. Mieux vaut se tourner vers les Indiens.
Den store dag de Morten Arnfred (2005, The Big Day)

Apparemment, les Danois font régulièrement des comédies romantiques à l’eau de rose qui n’ont rien à envier dans les clichés à leurs comparses hollywoodiennes, et ils ont l’air d’aimer particulièrement les tromperies dans les couples mariés ou en passe de l’être. L’actrice spécialiste du genre était Sidse Babett Knudsen autour des années 2000, par exemple dans Den eneste ene (1999) ou Se til venstre, der er en svensker (2003), et c’est Louise Mieritz qui reprend ici le flambeau. Den store dag ne présente aucune surprise, il suit son chemin balisé tout du long, avec seulement un petit élément qui n’aurait pu avoir lieu dans un équivalent américain. Les deux amis gays qui travaillent avec Anne sont amusants et les prétendants d’Anne sont étonnamment quelconques, loin du glamour d’Hollywood. A part ça, rien à signaler, Den eneste ene ravira les fans de comédie romantique facile et gentille.
The Black Phone de Scott Derrickson (2021, Black Phone)

Black Phone provient d’une nouvelle de Joe Hill, une figure montante de la littérature fantastique américaine. Auteur de la célèbre série BD Locke & Key, plusieurs de ses écrits ont déjà été adaptés au cinéma, notamment Horns par Alexandre Aja en 2013, que je n’ai pas vu et qui m’intrigue. Son nom complet est Joseph Hillström King et c’est le fils de Stephen King. Quant à Scott Derrickson, il a été remarqué en 2012 avec Sinister, qui comportait de bonnes idées malgré des passages poussifs, puis a été monopolisé entre 2016 et 2021 par Doctor Strange (2016) et sa suite, qu’il a finalement abandonné pour différents artistiques.
Sans être révolutionnaire, on est dans un thriller paranormal Kingien rappelant un peu Ça (l’Attrapeur est d’ailleurs un clown dans le livre), The Black Phone est efficace. Les enfants sont au centre du récit, toutes les séquences à l’école entre Gwen et Finney sont crédibles et posent l’ambiance, aidées par une photographie très années 70. Ce n’est pas parfait, on s’attarde trop sur l’enquête de la police dans un montage alterné galvaudé, les situations dans la cave sont répétitives et l’Attrapeur aurait gagné à être plus mutique et inquiétant. Ça demeure néanmoins au-dessus de la moyenne grâce à l’excellente interprétation des enfants et au décor de banlieue résidentielle d’une banalité sinistre.
Films vus seuls
The Last Flight de William Dieterle (1931, Le dernier vol)

Dans The Last Flight, William Dieterle se penche sur la « génération perdue », expression désignant les jeunes adultes ayant perdu leurs repères durant la guerre et ne s’identifiant plus à la société américaine post-1918. Il met en vedette l’ancienne star du muet Richard Barthelmess, encore populaire à cette époque et qui disparaitra peu à peu des écrans, trop vieux pour les rôles de jeunes gars qui l’avaient rendu célèbre. Il est associé à Helen Chandler et David Manners, révélé·e·s par le Dracula de Tod Browning (1931) six mois auparavant. Le scénariste John Monk Saunders a transposé à l’écran son roman Single Lady, série de récits centrés sur Nikki.
The Last Flight débute mal, avec un médecin qui insiste lourdement sur l’impossibilité des invalides de guerre à retrouver une vie normale. Curieusement, on s’éloigne rapidement du drame annoncé qui devient une comédie screwballisante, avec des dialogues absurdes et enlevés, une riche héritière excentrique et des allusions sexuelles pas toujours subtiles. Heureusement d’ailleurs, car il ne se passe pas grand-chose, les saoulards se contentant d’aller boire d’un lieu à un autre pour masquer leur détresse. Le casting est solide, bien que je n’ai jamais été fan de Richard Barthelmess, éclipsé ici par un David Manners plus charismatique. Malgré un court 1h16, il y a un ventre mou avant que la troupe parte au Portugal (je note la séquence de tauromachie censée être à Lisbonne avec des panneaux en espagnol dans le stade…). La fin est poignante et aide à pardonner les imperfections précédentes, on aurait juste pu éviter l’ultime speech didactique de Cary. A noter que le jeune Archie Leach joua Cary au théâtre et décida d’utiliser ce prénom quand on lui expliqua qu’Archie était vraiment nul. Il se fit dès lors appeler Cary Grant.
五瓣の椿 [Goben no tsubaki] de Yoshitarô Nomura (1964, Le camélia à cinq pétales)

Shûgorô Yamamoto est un auteur populaire qui a navigué entre de nombreux genres, de la littérature pour enfants aux romans de samouraïs, en passant par le policier. Il a régulièrement été adapté au cinéma et à la télévision, notamment par Kurosawa pour Sanjuro (1962), Barberousse (1965) et Dodeskaden (1970). Goben no tsubaki, écrit en 1959, a engendré des téléfilms ainsi que le long métrage qui nous intéresse, scénarisé par Masato Ide, un autre habitué de Kurosawa qui a travaillé sur Barberousse, Kagemusha (1980) et Ran (1985). Si j’ajoute que ce que j’avais vu jusqu’à présent de Yoshitarô Nomura allait du sympathique (Zero no shôten (1961) et Yatsuhaka-mura (1978) au très bon (outre les fameux Le vase de sable (1974) et L'été du démon (1978) édités en France par Wild Side, j’avais beaucoup aimé Harikomi (1958)), et que le rôle principal était tenu par la toujours impeccable Shima Iwashita, ça s’annonçait bien.
Hélas, avec ce type de trame relativement basique, il faut soit une intrigue en béton, soit prendre la tangente et partir dans un délire graphique ou narratif. Yoshitarô Nomura ne fait ni l’un ni l’autre et étire en longueur toutes les scènes, jusqu’à une durée de 2h43 totalement injustifiée. Chaque meurtre est précédé de longs dialogues visant à prouver à quel point le coupable est vilain et abuse des femmes. Si ce sont objectivement des sales types, la vengeance de Shino est fondamentalement gratuite car sa mère était totalement consentante et son père laissait couler. Shino se voit comme le bras armé d’une justice informelle, elle a clairement des petits problèmes psychologiques et il y aurait eu moyen de basculer dans l’étrange ou l’onirique. C’est d’ailleurs ce qui se produit durant quelques minutes avec le dernier libidineux, trop court et trop tard toutefois. Il y a également une demi-heure policière au début de la deuxième partie, rapidement escamotée pour revenir sur Shino qui trucide des méchants. C’est donc un premier raté me concernant pour Yoshitarô Nomura.
Paranormal Activity d’Oren Peli (2007)

Je n’avais curieusement pas vu Paranormal Activity même si j’en avais souvent entendu parler, en particulier par Mad Movies qui le déteste. Considéré comme un des films les plus rentables du box-office américain, il a engendré six épisodes et le filon n’est probablement pas épuisé. Je ne peux juger que le premier, les suites ayant bénéficié d’un budget comparativement conséquent. Paranormal Activity est l’œuvre d’un homme, Oren Peli, qui s’est occupé de la production, de la réalisation, du montage, de la photographie, des décors et des costumes. Il s’est inspiré de son emménagement avec sa compagne, qui pensait être hantée par un esprit. Il a tourné dans leur maison avec essentiellement un acteur et une actrice débutant·e·s. Malheureusement, il arrive après Le projet Blair Witch (1999) ou la vague de la J-Horror de la fin des années 90/début 2000 et, pour tout habitué du genre, c’est soporifique. Il y a des passages un peu creepy et je comprends que ça ait pu fonctionner en salles chez un public adolescent. Le problème, outre qu’il ne se passe quasiment rien pendant 1h30, c’est surtout la prétention d’Oren Peli, le succès que ça a eu et le phénomène que ça a déclenché.
Oren Peli, un gars qui n’a jamais pu regarder S.O.S. Fantômes (1984) parce que c’est trop effrayant, explique dans les notes de production qu’il voulait marquer son époque, à l’image d’un Psychose (1960) ou des Dents de la mer (1975). Il espérait qu’avec Paranormal Activity les gens n’oseraient plus rester chez eux ou dormir dans leur lit. Paranormal Activity est supposé avoir traumatisé Steven Spielberg et son succès a été phénoménal. Il a engendré, indépendamment de sa propre franchise, une palanquée de copies et succédanés, et a pollué durablement le cinéma d’horreur, d’où son rejet par une revue comme Mad Movies. Pour ma part, je me suis fait mon avis, c’était nase comme prévu et j’arrêterai les frais à ce volet initial.
十五才 学校IV [Jûgo sai – Gakko IV] de Yôji Yamada (2000, A Class to Remember 4: Fifteen)

Après les cours du soir, une école pour handicapés et un centre de formation professionnelle dans les Gakko précédents, Yôji Yamada se penche cette fois sur l’école de la vie. Il prend comme point de départ l’augmentation de l’absentéisme et du rejet de l’école chez les jeunes Japonais, et s’inspire d’un lycéen qui n’était plus allé dans son établissement depuis 2 ans et parcourait le Japon en stop. Jûgo sai – Gakko IV a eu beaucoup de succès au Japon et a été le premier long métrage japonais projeté officiellement en Corée du Nord. Ce fut également le dernier tourné dans les studios d’Ôfuna, studios historiques de la Shôchiku qui ont fermé en 2000.
Excepté le thème de l’enseignement, les différents épisodes de la série Gakko n’ont aucun lien entre eux, si ce n’est Toshiyuki Nishida qui incarne un professeur dans les deux des épisodes. J’avais apprécié le premier et j’avais été moins emballé par les deux suivants. Ce quatrième volet s’éloigne d’avantage des trois autres, pas de classes ici, d’élèves ou de maître au sens strict, on est dans une sorte de road-movie initiatique bienveillant. Daisuke voit du pays et le spectateur avec lui, et ça m’a réjoui de revisiter les paysages de Yakushima, île où j’avais passé quelques nuits. Comme souvent avec Yôji Yamada, c’est optimiste voire naïf et ça se termine par un happy-end convenu. Et pourtant, son humanisme apaisant, ses héros touchants et la qualité de l’interprétation font de ce Jûgo sai – Gakko IV une agréable découverte.
Cabin Fever d’Eli Roth (2002)

Malgré sa piètre réputation, Cabin Fever est dans le top 100 du numéro 200 de Mad Movies. Ce top fait partie des listes que j’essaye de compléter et il fallait donc que j’en passe par là un jour ou l’autre. Ça y est et ce fut pénible. Je n’aime pas l’acteur Eli Roth, et j’avais un a priori sur son travail de réalisateur. Cet a priori est à présent confirmé et, par malheur, son Hostel (2005) est aussi dans le top Mad Movies. Le problème majeur de Cabin Fever est son scénario. Les acteur·ice·s sont corrects (excepté Eli Roth qui réussit à être énervant dans une courte apparition de 2 minutes), ce n’est pas leur faute si leurs personnages sont mal écrits. C’est filmé de façon à peu près sobre et les effets spéciaux tiennent la route. L’histoire, en revanche, n‘est même pas digne d’un Vendredi 13. Eli Roth use de clichés qui étaient déjà ringards dans les années 80, tout est extrêmement prévisible, y compris « l’hommage » à La nuit des morts-vivants (1968). L’humour est lourd, avec une blague finale de mauvais goût. A fuir.
Maléfique d’Eric Valette (2002)

Maléfique était un des cinq Bee Movies sortis en 2001-2002 et mentionnés dans le Mad Movies de février 2023. Les Bee Movies ont été une brève tentative de création d’un cinéma de genre français à petit budget, issus d’une collaboration entre Fidélité Productions et Canal + Ecriture. Entre un nombre d’entrées variable et les ventes à l’étranger, la rentabilité fut honorable. Ce ne fut pas suffisant pour continuer les Bee Movies, en raison de la fatigue des producteurs et du manque de reconnaissance des efforts entrepris. Éric Valette est un ancien metteur en scène des Guignols de l'info, qui s’est associé pour le scénario à deux auteurs des Guignols, Franck Magnier et Alexandre Charlot. Pour limiter le budget, ils ont pensé à une cellule de prison, lieu idéal pour construire un huis-clos centré sur une poignée d’individus.
Oui c’est fauché, ça repose essentiellement sur une ambiance et des dialogues, et tout ce beau monde est antipathique. Néanmoins, on sent une honnêteté et un amour du genre, avec un côté un peu Lovecraftien dans ce sombre manuscrit menant les taulards à leur perte, et les effets spéciaux sont convaincants. Compte tenu des moyens et du concept de l’entreprise, c’est assez réussi.
天狗黨 [Tengu-tô] de Satsuo Yamamoto (1969)

Tengu-tô est le dernier film de Satsuo Yamamoto pour la Daiei avant de reprendre son indépendance. Il décrit la rébellion de Mito à travers les yeux d’un homme du peuple. Cela permet au communiste Yamamoto de mettre en avant l’exploitation des masses paysannes par le gouvernement et par la classe des samouraïs qui, même lorsqu’elle dit vouloir aider les pauvres, les manipule et finit par les écraser. Dans le rôle tragique de Sentaro, un homme à la recherche de sa voie et qui détruit sans le vouloir tous ses proches en chemin, Tatsuya Nakadai est un peu trop charismatique et sûr de lui. Il aurait fallu un acteur plus en retrait et hésitant. Le cadre historique dessert également Tengu-tô d’après moi. Alors que l’objectif de Yamamoto est de montrer la déchéance du paysan dupé par les samouraïs, il s’empêtre dans les évènements et les nombreux personnages. Au moment où il tourne Tengu-tô, il travaillait déjà sur sa grande fresque historique en trois parties, Senso to nigen, et il n’a sans doute pas donné le meilleur de lui-même. Dommage. A noter que Tengu-tô a une origine théâtrale difficile à deviner, la pièce Kirare no Senta de 1934 écrite par Juro Miyoshi.
Anatomie de Stefan Ruzowitzky (2000)

Encore un titre du top 100 du Mad Movies numéro 200. Je ne sais pas ce qu’ils avaient fumé quand ils ont rédigé ce top mais il y a clairement des trucs qui n’ont guère leur place. Si Anatomie n’est heureusement pas aussi affreux que Cabin Fever, ça demeure sans intérêt, si ce n’est la singularité de regarder un thriller allemand mis en scène par l’autrichien Stefan Ruzowitzky. Ça démarre correctement, la photographie est sobre, l’actrice principale, Franka Potente vue dans Cours, Lola, cours (1998), est convaincante et l’intrigue sort de l’ordinaire. Petit à petit, le scénario s’enlise puis s’embourbe dans des pistes non exploitées. Le grand-père ancien chef de la loge, les nazis, le tribunal de la loge, le soutien des puissants, tout ça ne sert à rien. Le méchant est caricatural et la résolution complètement convenue. Il m’en reste encore 15 pour terminer le top 100, j’espère que la suite sera mieux.
Livres
Le monde inverti de Christopher Priest (J’ai lu, 1976), 320 p.

L’ouvrage le plus connu de Christopher Priest à l’heure actuelle est certainement Le Prestige, adapté avec succès par Christopher Nolan en 2006. Ce n’est cependant pas son plus coté dans le milieu littéraire, ce privilège revenant au Monde inverti. La phrase qui ouvre le roman, « J’avais atteint l’âge de mille kilomètres », est considérée comme une des meilleures entames de la SF, son emphase étant renforcée dans certaines traductions françaises par la suppression du prologue (ce n’est pas le cas de mon édition où le prologue est présent). La traduction française comporte pourtant une erreur majeure et incompréhensible à ce niveau : un problème de conversion. En anglais, l’auteur dit 650 miles, ce qui donne à peu près 1000 km (à 46 km près). Il est précisé ensuite qu’un kilomètre correspond à 10 jours, contre un mile (1,6 km) dans le texte d’origine. Helward Mann a donc 1000*10/365,25 = 27,4 ans en français et 650*10/365,25 = 17,8 ans en anglais. J’avais du mal à comprendre pourquoi il avait l’air si jeune dans les descriptions, du haut de ses 27 ans, avant que je réalise cette boulette. Ce n’est pas la seule valeur qui m’a paru curieuse, je pense qu’il y a d’autres fautes de ce type.
Le monde inverti est composé de cinq chapitres fort différents, qui alternent les points de vue entre la narration à la première personne de Helward et une narration à la troisième personne supposément objective. A la manière d’un K. Dick, Christopher Priest joue sur les perceptions et altérations de la réalité. J’ai apprécié la première partie, qui pose le décor et ses protagonistes. On y voit une société de type coloniale et paternaliste apparemment immuable. Helward ne saisit guère l’utilité des guildes mais n’est pas du genre contestataire, à l’inverse de sa future femme Victoria. Christopher Priest est né en 1945, a été jeune dans la Grande-Bretagne des années 60 et introduit ici un élément rare dans la SF de cette époque : un personnage féminin intéressant et cohérent. Victoria vient d’une famille de notables, elle est éduquée et refuse le carcan dans lequel on veut l’enfermer. Son seul moyen de changer les choses est de passer par l’entremise de son futur mari, les hommes étant les seuls à accéder à certaines informations clés. Elle discerne parfaitement les enjeux, pousse Helward à se poser les bonnes questions et à creuser les dessous du système. Malheureusement, elle disparait quasiment totalement dès la deuxième partie, toute la question coloniale et idéologique est mise de côté et on tombe dans de la SF classique. Le dernier chapitre reprend certains éléments du début et détruit intelligemment des certitudes construites précédemment. Néanmoins, à ce jeu-là, K. Dick est supérieur, c’était l’approche initiale qui faisait tout le sel du Monde inverti. Si Christopher Priest avait su creuser cette veine, j’aurais été d’accord pour le classer dans les œuvres majeures de la SF. En l’état, je préfère relire un vieux K. Dick.
Rien ne fera venir le jour de Yoshihiro Tatsumi (Cornélius, 2018), 336 p.

En cette année 1970, Yoshihiro Tatsumi repousse les limites du gekiga, obnubilé par son désir d’affirmer la maturité de son style et de se démarquer des mangas pour ados. Le démon, Tête de cobra et La mère de Ken’itchi Shirase sont centrés sur des enfants tueurs, Un bateau sans voile aborde la question de l’homosexualité, La femme dans le miroir celle du travestissement, et Qui es-tu ? tombe dans la zoophilie. Un bateau sans voile est la nouvelle la plus réussie malgré une vision du jazz caricaturale, avec un beau personnage de jazzman noir homosexuel. La femme dans le miroir est original, reprenant par contre ce lamentable cliché de l’homme qui vomit en découvrant que quelqu’un se travestit. Le reste est quelconque, beaucoup de sordide et de provocation facile. En fait, les meilleures histoires de Tatsumi sont celles où il crée des héros humains, qui essayent de comprendre leur prochain au lieu de se renfermer sur leur solitude.
Cornélius n’a pas effectué un travail éditorial aussi conséquent que pour Yoshiharu Tsuge, il manque notamment une contextualisation et des détails sur la parution et la réception des nouvelles. Cela m’aurait peut-être permis de mieux considérer le travail de Yoshihiro Tatsumi, ou du moins de mieux saisir son impact dans le milieu de la bande-dessinée japonaise. Claude Leblanc, auteur de l’excellent Le Japon vu par Yamada Yôji, est opportunément en train de préparer un ouvrage sur le magazine Garo pour la fin d’année. Cela devrait me permettre de combler mes lacunes.
L’oreiller magique de Tang Xianzu (MF, collection « Frictions », 2007), 185 p.

Tang Xianzu est un écrivain chinois du XVIe siècle. Son œuvre est relativement limitée, il est l’auteur d’un recueil de poèmes et de quatre pièces de théâtre, la plus célèbre étant Le pavillon aux pivoines. L’oreiller magique a probablement été rédigé en 1601. C’est une adaptation théâtrale du Rêve du millet jaune, un livre du VIIIe siècle de Shen Jiji, et Tang Xianzu s'est inspiré d'une première transposition sur les planches par Ma Zhiyuan au XIIIe siècle. Selon la préface du traducteur André Levy, Tang Xianzu transforme certains aspects et prend des libertés avec l’Histoire pour renforcer sa construction dramatique.
Je ne connais strictement rien au théâtre classique chinois, dont les pièces de Tang Xianzu marquent l’apogée. Il y a de nombreuses parties chantées, indiquées en italique et précédées de l’air à utiliser. Ces airs devaient être familiers du public, ils ont des noms assez folkloriques pour un lecteur moderne ignorant, comme « air des Oies sauvages arrivent magnifiques » ou « air de Ce n’est pas le chemin ». Une fois accoutumé à ces particularités, L’oreiller magique se lit aisément, rien de comparable avec les pavés des classiques de la littérature chinoise avec leur myriade de héros. On reste concentré sur Lu et sur son entourage durant quelques étapes clés de sa vie. Bien qu’ayant apprécié le texte, voir la pièce serait plus compliqué pour moi car les conventions visuelles ajouteraient une couche non négligeable d’altérité qui risquerait de me bloquer (sachant que j’ai déjà du mal avec le théâtre occidental…).
Revues
Les Cahiers du cinéma n°796 – Mars 2023

Côté patrimoine et livres, l’entretien avec le réalisateur indépendant Patrick Wang me donne envie de récupérer ses œuvres. Idem pour l’article sur Michael Roemer, dont je n’avais jamais entendu parler et dont les rares longs métrages semblent attrayants. Je note enfin les mémoires blasées de George Sanders, qui paraissent fort distrayantes et que je vais acheter en anglais pour mieux profiter de son style.
Olala, j'avais vu « Maléfique » au cinéma, ça ne me rajeunit pas ! J'en garde en effet le souvenir d'un petit film de genre plutôt sympathique.
RépondreSupprimerEh oui tu deviens vieux.
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