samedi 4 mars 2023

Carnet de bord 25/02/2023-03/03/2023



Films vus seuls
எந்திரன் [Enthiran] de S. Shankar (2010)
Le chercheur Vaseegaran construit à son image un androïde révolutionnaire, Chitti, jumeau invincible capable de tout apprendre en quelques secondes. Souhaitant que sa création serve l’armée de son pays, il ne lui a pas intégré les lois de la robotique qui l’empêcheraient de porter atteinte à un être humain. Lors de la présentation de Chitti devant un panel d’experts, le professeur Bohra, son ancien mentor jaloux de son succès, réussit à démontrer la dangerosité de Chitti liée à son absence d’empathie. Afin de contourner ce problème, Vaseegaran décide d’enseigner à son robot les sentiments. Il n’y réussit que trop bien, Chitti tombant amoureux de la fiancée de son inventeur.

J’avais découvert Enthiran il y a une dizaine d’années via un court extrait dans Escale à Nanarland. Le nanar est un sujet complexe, que j’avais déjà abordé il y a longtemps de façon trop prolixe et moqueuse. En vieillissant, je me suis rendu compte de la subjectivité du concept, que certaines séquences nanardesques ne l’étaient qu’à cause de leur abstraction. Remises dans leur contexte et avec une meilleure connaissance de la cinématographie ciblée, elle perdait leur nanaritude. Il existe objectivement des mauvais films sympathiques, il faut cependant éviter de juger un long métrage juste par un passage apparemment ridicule. Enthiran est un exemple représentatif.
Plus gros budget du cinéma indien à son époque, il me semble typique du Tollywood des années 2000, mélange d’action, d’humour pas toujours très fin et de chansons n’ayant aucun rapport avec la choucroute. Pendant les deux premiers tiers, c’est une comédie romantique un peu pénible entre un homme, son double robot et sa fiancée. Ce n’est pas spécialement drôle et je ne suis pas fan de la superstar Rajinikanth qui joue Vaseegaran/Chitti. Ça part en vrille dans la dernière heure, dans des scènes d’action de plus en plus délirantes, desservies par des effets spéciaux à la qualité variable. Est-ce un nanar juste parce que les images de synthèse piquent les yeux ? A ce jeu-là, la première trilogie Spider-Man de Sam Raimi ou les épisodes 1 à 3 de Star Wars deviennent des nanars. Enthiran est complètement décomplexé dans sa réalisation, comme la plupart des blockbusters indiens. S'il n’est pas bon d’après moi, c’est en raison de son interprétation assez moyenne et de ses trop nombreuses chansons extradiégétiques, dans un style musical qui ne m’a pas plu. Même si l’action est pêchue, avec des idées que j’estime amusantes sans les qualifier de nanar, ça n’a pas suffi. Je récupèrerai malgré tout sa suite récente par curiosité, 2.0 (2018).


ダウンタウンヒーローズ [Dauntaun hirozu] de Yôji Yamada (1988, Hope and Pain)
Kosuke est étudiant en dernière année de la prestigieuse Matsuyama high school sur l’île de Shikoku. Il est amoureux d’une fille qu’il croise parfois sur le chemin de l’école. Dauntaun hirozu suit la vie de Kosuke durant l’année scolaire 1948-1949, en compagnie de ses camarades d’internat. Tiraillés par la faim dans un Japon encore soumis aux contraintes de l’après-guerre, ils vont aider une prostituée en fuite et organiser la pièce de théâtre de fin d’année, tout en révisant pour leurs examens.

Dauntaun hirozu est tiré d’un roman autobiographique réputé d’Akira Hayasaka, incarné à l'écran par Kosuke. Bien que central, Kosuke n’est qu’un élève parmi d’autres, et on suit aussi le destin de ses amis, notamment d’un catholique dont la famille est décédée à Hiroshima. Yôji Yamada a été étudiant à la même époque et Dauntaun hirozu est pour lui un retour nostalgique sur sa jeunesse. Pour cette raison sans doute, l’ambiance sonne particulièrement juste et permet de plonger dans une époque révolue. Les acteurs, trop vieux pour la plupart, sont bons, entraînés par Yôji Yamada à travers plusieurs sessions de groupe. Son humanisme imprègne l’œuvre, on y voit un Japon où les jeunes avaient toujours l’espoir naïf de pouvoir changer les choses et de créer une société égalitaire. On note les apparitions de Chieko Baisho en mère de Kosuke et de Kiyoshi Atsumi en cuisinier truculent. Dauntaun hirozu ne rencontra pas le succès, dans un Japon des années 80 en plein boom économique qui n’avait sans doute pas envie de repenser aux difficiles années de l’occupation américaine.


荷車の歌 [Niguruma no uta] de Satsuo Yamamoto (1959, Ballad of the Cart)
Moichi, postier pauvre d’un village de la préfecture d’Hiroshima, souhaite épouser Seki, domestique chez un grand propriétaire terrien. Elle accepte sans tenir compte de l’avis de ses parents. Ceux-ci ne veulent pas qu’elle se marie avec un homme sans le sou, et elle est déshéritée. Elle part vivre chez Moichi avec sa belle-mère, qui espérait un meilleur parti pour son fils et maltraite Seki dès son arrivée. Deux ans plus tard, Moichi a quitté son travail de postier et est maintenant charretier, transportant des marchandises entre les villages. Il est aidé par Seki, qui loue un chariot et l’accompagne dans ses déplacements. Ils arrivent tout juste à joindre les deux bouts et la naissance d’une fille compliquent leur situation.

Niguruma no uta est l’adaptation du roman éponyme de Tomoe Yamashiro paru en 1955. Activiste politique, elle a été membre du parti communiste, du mouvement anti-nucléaire et a prôné l’agrarisme, idéologie promouvant l’égalitarisme et le partage des terres. Comme Minna waga ko (1963), Niguruma no uta a été produit par l’association cinématographique de la communauté rurale nationale (Zenkoku nôson eiga kyôkai) et financé par une contribution de 3,2 millions de paysannes de l’association nationale des agricultrices, chacune donnant 10 yens. Réalisé par le communiste Satsuo Yamamoto, il a eu une large audience grâce à sa diffusion dans tout le Japon, en copie 16 mm dans les villages et pendant un mois dans les salles de la Shintôhô (cette concession a été nécessaire pour boucler le budget, les producteurs auraient préféré rester sur les réseaux locaux).
Niguruma no uta suit les destinées d’une famille durant quatre décennies. Seki est interprétée par Yûko Mochizoku, peu crédible durant les premières scènes où elle est censée être une jeune femme naïve du haut de ses 42 ans. Habituée aux mères dévouées qui se sacrifient pour leurs enfants, comme dans La tragédie du Japon (1953) ou Kome (1957), elle semble porter toute la misère du monde sur ses épaules. Rentarô Mikuni incarne un Moichi lâche et méprisable. On voit bien les dures conditions des femmes à la campagne, devant travailler tout en élevant les enfants, exploitées sans vergogne par leur mari et leur belle-famille. Niguruma no uta est cependant trop larmoyant à mon goût, le contexte est suffisamment difficile et il n’était pas besoin d’en faire un tel mélodrame. A noter que la fille ainée est jouée jeune par Tokie Hidari, dont c’est la première apparition au cinéma, et âgée par sa grande sœur Sachiko Hidari.


大佛普拉斯 [The Great Buddha+] de Hsin-yao Huang (2017)
Pour entretenir sa vieille mère malade, Pickle doit combiner des petits boulots en journée et un emploi de gardien de nuit dans la fabrique d’un riche sculpteur de bouddhas, Kevin. Son seul ami est Belly Button, un miséreux qui survit en vendant des détritus à une usine de recyclage. Ils passent régulièrement leur soirée ensemble dans la cabine de Pickle, à discuter, manger devant la télé ou feuilleter des revues érotiques. Un soir, la télé étant cassée, Belly Button suggère à Pickle de subtiliser la carte mémoire de la caméra embarquée de la voiture de son patron, qui filme la route en récupérant le son de l’habitacle. Ils se mettent à regarder les vidéos, fantasmant sur un univers luxueux hors d’atteinte tout en écoutant les conversations de Kevin.

The Great Buddha+ est le premier long métrage de fiction de Hsin-yao Huang, auteur de documentaires réputés. C’est une version étendue de son court métrage The Great Buddha (2014), le « + » étant une référence à l’iPhone 6+ vendu au moment du tournage, le genre de gadget cher hors de portée des loosers auxquels il s’intéresse. La photographie, majoritairement en noir et blanc, a été assurée par Mong-Hong Chung, autre metteur en scène taïwanais venu du documentaire. Les seuls passages en couleur, dans des teintes chaudes au néon dignes d’un Wong Kar-Wai ou d’un Nicolas Winding Refn, sont les vidéos de la caméra embarquée. Comme dans apparemment plusieurs de ses documentaires, Hsin-yao Huang commente ironiquement en voix-off son récit, en s’amusant à briser les attentes des spectateurs.
The Great Buddha+ est, par certains aspects, un archétype de la comédie noire post-moderne auteurisante. Dans la forme, il a recours à une voix-off ironique, fait contraster une réalité en noir et blanc à un rêve de richesse en couleurs, et déroule une quasi-absence d’intrigue et de résolution. Dans le fond, il critique un capitalisme débridé et corrompu opposé à des pauvres oppressés, qui en sont réduits à un vain voyeurisme et finissent par mieux connaître les riches que leurs propres camarades. Même si c’est peu cliché, cela fonctionne si on accepte le faux-rythme et l’humour noir véhiculé par la narration de Hsin-yao Huang.


大鱼海棠 [Dayu haitang] de Xuan Liang & Chun Zhang (2016, Big Fish & Begonia)
Les Autres vivent sous les fonds marins et contrôlent la nature, le temps et les saisons terrestres. Lorsqu’ils atteignent l’âge de 16 ans, ils effectuent, sous la forme de dauphins, un voyage d’une semaine dans le monde des humains afin de mieux appréhender l’univers sur lequel ils agissent. S’apprêtant à rentrer chez elle une fois sa semaine terminée, Chun est prise dans un filet de pêche et commence à se noyer. Elle est secourue in extremis par un garçon, qui périt en la libérant. Revenue dans son monde, elle passe un marché avec le gardien des âmes. Contre la moitié de sa vie, elle récupère l’âme de son sauveur sous la forme d’un minuscule dauphin, qu’elle devra protéger jusqu’à ce qu’il soit suffisamment grand pour rentrer chez lui.

Dayu haitang est le descendant d’un court métrage éponyme en flash de 7 minutes produit pour un concours. Bien que vainqueurs, Xuan Liang et Chun Zhang n’obtinrent pas la somme promise. Après un procès et des années passées à réunir les fonds, ils réussissent finalement, avec la collaboration du Studio Mir coréen (qui a notamment animé La légende de Korra), à transformer leur court en long. Pour étoffer leur essai initial, ils piochent dans des classiques de la littérature chinoise comme le Zhuangzi ou le Shanhaijing. Cela leur permet de peupler leur univers d’un riche bestiaire proche visuellement de certaines œuvres du studio Ghibli. L’animation est un mélange de 2D et d’une 3D pas toujours heureuse. Gros succès en Chine, une suite est prévue.
Techniquement imparfait, le principal problème de Dayu haitang est son histoire faite de bric et de broc, lançant plein d’idées abandonnées en cours de route et se focalisant en définitive sur une romance fadasse entre une héroïne obstinée et son gentil dauphin. Ça évoque un sous-Chihiro, sans sa richesse thématique et ses qualités narratives. C’est dommage car il y avait sans doute moyen de faire mieux avec un tel matériel. Ça reste néanmoins de bon augure pour l’animation chinoise en général, qui n’avait guère brillée jusqu’à présent face à ses voisins.


散歩する霊柩車 [Sanpo suru reikyusha] de Hajime Satô (1964, The Glamorous Ghost)
Confrontée aux preuves de ses multiples liaisons, une femme adultère menace de quitter son mari. Celui-ci l’étrangle, fait passer sa mort pour un suicide puis extorque de l’argent à deux de ses amants, un riche homme d’affaire qui veut se lancer en politique et un médecin. Les apparences sont toutefois trompeuses, tout n’est pas aussi simple qu’il y paraît, chacun jouant un double voire triple jeu.

Hajime Sato eut une courte carrière sur grand écran de moins d’une dizaine de longs métrages dans les années 60, avant de se tourner vers le petit écran. Son titre le plus réputé est Goke, Bodysnatcher from Hell (1968) et il a surtout œuvré dans l’horreur et la science-fiction. Sanpo suru reikyusha est une comédie cynique baignée d’une ambiance macabre et d’un scénario noirisant, où tout le monde essaye de s’enrichir aux dépends de son prochain. Kô Nishimura, second couteau omniprésent dans les années 60 spécialisé dans les sales types, s’en donne à cœur joie en mari ignoble et veule. Tandis que le nombre d’entrées commence à chuter drastiquement au Japon face à la concurrence de la télévision, les studios cherchent de nouvelles formules pour ramener le public dans les salles. Certains se penchent vers un cinéma d’exploitation porté sur le sexe, le meurtre et le sensationnalisme. La Toei se met à explorer cette piste dès les années 60, avant s’y succomber totalement dans les années 70. Sanpo suru reikyusha se situe dans les débuts de cette veine, avec ses plans de quasi-nudité et ses personnages sans foi ni loi. Je n’ai pour ma part pas été convaincu par ce jeu de massacre assez vain et à la provocation facile. A noter la présence de Kiyoshi Atsumi dans un rôle fort éloigné du Tora-san qu’il incarnera cinq ans plus tard.


殿さま弥次喜多 [Tonosama Yaji kita] de Tadashi Sawashima (1960, Samurai Vagabonds)
En 1716, Munenaga d’Owari et Yoshinao de Kii sont désignés candidats à la succession du septième shogun, qui vient de décéder. Aucun d’eux ne souhaite prendre la place vacante, préférant vagabonder librement. En route vers Edo, ils réussissent à s’éclipser et se font engager comme assistants journalistes sous les pseudonymes de Yaji et Kita. Alors que tout le monde les recherche, ils attirent involontairement l’attention en entrant en conflit avec les hommes d’un journal concurrent.

Tonosama Yaji kita est le troisième volet d’une obscure trilogie, et je n’ai pas réussi à mettre la main sur les deux premiers. Il est sorti trois ans avant Hibari Chiemi no Yaji Kita Dochu (1962) du même Tadashi Sawashima. Hibari Misora n’est ici qu’au second plan, ce qui ne l’empêche pas de chanter un petit enka. Yaji et Kita sont encore une fois évoqués, bien que les seigneurs Munenaga et Yoshinao n’aient pas grand-chose à voir avec les rustres roturiers du Tôkaidôchû hizakurige. Ils sont interprétés par les frères Nakamura, deux acteurs célèbres dans les années 50-60. C’est une nouvelle comédie peu raffinée de Tadashi Sawashima, remplie de courses-poursuites et de quiproquos, avec deux chansons pour faire passer le temps. La seule originalité est la transposition du journalisme des années 50 dans l'ère Edo. Pas très étonnant de ne trouver aucune critique sur internet, plus personne ne doit regarder ce genre de truc.


福福荘の福ちゃん [Fukufukusou no Fukuchan] de Yosuke Fujita (2014, Fuku-chan of FukuFuku Flats)
Tatsuo Fukuda est un homme apprécié de tous, capable d’apaiser les conflits entre collègues ou voisins, et de mettre à l’aise n’importe qui. Malgré l’insistance de son ami Shimachi, il préfère rester célibataire et n’est pas à l’aise en présence de femmes qu’il ne connait pas. Quand Shimachi organise un pique-nique avec une jolie prétendante, intéressée par Fukuda en dépit de son physique ingrat, ce dernier préfère s’amuser avec ses voisins. Tout change le jour où frappe à sa porte Chiho, une aspirante photographe qui l’a traumatisé lorsqu’il était jeune.

Je n’avais jamais entendu parler de Yosuke Fujita, qui s’est construit en seulement cinq films un univers personnel. Son œuvre est centrée sur des excentriques qui musardent sans arriver à vraiment passer à l’âge adulte, et il a été comparé au Linklater des débuts. La première chose qui étonne dans Fukufukusou no Fukuchan, c’est que le rôle masculin principal est tenu par l’actrice Miyuki Ohshima. Yosuke Fujita explique qu’il imaginait Miyuki Ohshima en ouvrier manuel et qu’il a construit son scénario en partant de cette idée. Il a également estimé qu’elle serait parfaite pour jouer un homme moche en apparence mais dont pouvait jaillir une beauté particulière. Et en effet, elle réussit à donner une candeur touchante à Fukuda.
Fukufukusou no Fukuchan entre dans la catégorie des comédies gentilles dont les Japonais sont spécialistes, peuplées de situations un peu farfelues et où tout finit bien. Même le pote un peu relou est au fond bourré de bonnes intentions et est moins pénible que son cliché hollywoodien équivalent. Je vais creuser du coup la carrière de Yosuke Fujita, qui n’a apparemment rien fait depuis 2015 (il est peut-être retourné vers le théâtre, où il a travaillé des années avant ses débuts au cinéma).


第三の影武者 [Daisan no kagemusha] d’Umetsugu Inoue (1963, The Third Shadow)
Kyônosuke Ninomiya est un paysan qui rêve de devenir samouraï. Durant l’époque Sengoku, les guerres étaient incessantes, les structures sociales moins figées, et un homme audacieux et belliqueux de basse extraction pouvait espérer monter dans la hiérarchie. Aussi, quand un samouraï vient un jour le voir chez son père pour l’enrôler à des conditions étrangement favorables, Kyônosuke ne se pose pas de question et accepte aussitôt. Une fois arrivé au château, il apprend qu’il a été engagé pour être la troisième doublure (ou kagemusha) du seigneur, dont il est physiquement le jumeau. Il découvre rapidement les désavantages de cette mission, devant vivre dans l’ombre et perdre son identité.

Umetsugu Inoue est une curiosité dans le paysage cinématographique japonais, plus fameux pour ses sympathiques comédies musicales hongkongaises que pour la carrière qu’il a eu dans son pays. Il fait partie des quatre réalisateurs japonais engagés durant la deuxième moitié des années 60 par la Shaw Brothers, et il tourna une quinzaine de fois pour ce studio. Au Japon, il a travaillé comme indépendant et a mis en scène plusieurs films d’action pour la Nikkatsu. Daisan no kagemusha est tiré d’un livre de l’écrivain Norio Nanjo, adapté en manga dans les années 2000. Norio Nanjo était célèbre pour ses romans dénonçant la cruauté des samouraïs, et un de ses ouvrages a inspiré le remarquable Contes cruels du Bushido (1963) de Tadashi Imai. On retrouve un esprit similaire dans Daisan no kagemusha, où les samouraïs sont présentés comme des êtres impitoyables. La superstar Raizô Ichikawa incarne à la fois Kyônosuke et le seigneur d’une façon pas toujours subtile, notamment vers la fin.
Daisan no kagemusha s’est révélé être une excellente surprise. Je connais mal Umetsugu Inoue, dont je n’ai vu qu’un autre film japonais (et deux hongkongais). J’ai été assez impressionné par cette condamnation impitoyable du pouvoir et par la noirceur des personnages, qui contaminent jusqu’aux images. La photographie donne la part belle aux ombres, dans un noir et blanc granuleux qui a bénéficié d’une bonne restauration. Si le dernier tiers est un peu inférieur et si la fin aurait gagné à être un peu écourtée, Daisan no kagemusha demeure une excellente critique des puissants. Il dénonce la manipulation des classes inférieures, et tutoie les meilleurs réquisitoires contre la féodalité que sont Contes cruels du Bushido (1963) déjà cité ou Harakiri (1962).


Il caso Moro de Giuseppe Ferrara (1986, L'affaire Aldo Moro)
Il caso Moro suit l’enlèvement d’Aldo Moro le 16 mars 1978 par les Brigades rouges, puis ses 55 jours de détention suivis de son assassinat le 9 mai 1978. Président du parti Démocratie chrétienne, il fut enlevé alors qu’il se rendait à la chambre des députés pour valider la formation d’un gouvernement qui aurait eu, pour la première fois, le soutien officiel des communistes. Il caso Moro est principalement centré sur les discussions entre Aldo Moro et ses ravisseurs, ainsi que sur les réactions suscitées par les lettres qu’il faisait parvenir à l’extérieur par l’entremise de ses kidnappeurs. On y voit également l’opposition entre sa famille, soutenue par quelques responsables politiques minoritaires partisans de la négociation, et la majorité du paysage politique italien refusant de traiter avec des terroristes.

Il caso Moro est inspiré du livre-enquête de l’écrivain Robert Katz, Days of Wrath: The Ordeal of Aldo Moro, the Kidnapping, the Execution, the Aftermath, actualisé par les informations révélées durant le procès des kidnappeurs en 1982-1983. Il existe encore aujourd’hui des débats en Italie sur les implications de différentes organisations italiennes ou étrangères dans l’enlèvement. A l’image de l’ouvrage de Robert Katz, Giuseppe Ferrara exclue toute conspiration, les Brigades rouges sont montrées comme seules responsables. Il juge en revanche qu’il aurait été possible de négocier et que le gouvernement n’a pas tout tenté pour faire libérer Aldo Moro, sans montrer clairement si c’est par raison d’état ou par opportunisme.
En 1986, quand Il caso Moro est sorti, toute l’affaire était fraiche dans les esprits du public italien. Pour un spectateur non italien de nos jours, les subtilités au sein des discussions entre les acteurs politiques sont un peu dures à suivre. L’ensemble a l’air juste historiquement, le peu d’empressement à sauver Aldo Moro ayant été confirmé ces dernières décennies, notamment par le documentaire Les derniers jours d'Aldo Moro (2006). La figure d’Aldo Moro est probablement idéalisée. Magistralement interprété par Gian Maria Volontè, qui lui ressemblait physiquement et l’avait déjà incarné officieusement dans Todo Modo en 1976, Giuseppe Ferrara en fait une victime consciente de sa situation et totalement lucide, à l’inverse du discours officiel de l’époque qui estimait que ses lettres étaient influencées par ses ravisseurs. Il reste calme face à des Brigades rouges aveuglées par leur idéologie, ne s’énervant que contre le cynisme et les non-dits du gouvernement. Aldo Moro devient une figure tragique, qui retarde comme il peut une mort inévitable. Plus que comme reconstitution des évènements, où il est surpassé par le documentaire Les derniers jours d'Aldo Moro, c’est son côté dramatique et sa réflexion sur la vanité du pouvoir qui donne sa force à Il caso Moro 45 ans après les faits.


ブラム [BLAME!] de Hiroyuki Seshita (2017)
Dans une mégalopole contrôlée par des machines, un village d’humains tente de survivre dans une zone inaccessible aux robots. Une escouade d’adolescents, menée par l’énergique Zuru, s'éclipse pour récupérer de la nourriture. Ils se font repérer par le système de surveillance de l’ordinateur central et des exterminateurs sont envoyés à leur trousse. Alors que tout semble perdu, Killy, un homme étrange pourvu d’un armement surpuissant, les sauve. Il est à la recherche d’humains porteurs du terminal génétique. Ne pouvant le renseigner, Zuru propose à Killy de les accompagner afin qu’il demande aux anciens s’ils en ont déjà entendu parler.

J’avais lu le manga Blame! il y a une dizaine d’années et j’avais été déçu compte tenu de sa réputation. Graphiquement époustouflant, l’histoire était bateau et il ne se passait pas grand-chose en 10 tomes. Le film d’animation aborde l’univers non sous l’angle de Killy, le héros ténébreux et mutique du manga, mais à travers un groupe d’humains perdus dans une cité dangereuse. Cela permet d’accroitre le côté mystérieux et classe de Killy, et d’introduire une vague romance unilatérale avec Zuru, fascinée par Killy le beau gosse distant.
Techniquement, la 3D à base de cell-shading est variable, avec quelques effets très moches, surtout au début, et des visages trop lisses et statiques. Le délire architectural du manga ne ressort que peu, le style de dessin et d’animation adoptés ne s’y prêtant pas vraiment. La noirceur de l’univers est également évacuée et on a le droit à un gentil happy-end. C’est flemmard scénaristiquement, des gens en difficulté, un protecteur surgi de nulle part, une résolution et voilà. Les personnages n’ont aucune profondeur, on ne s’y attache aucunement et leur disparition nous laisse froid (qui c’était déjà celui qui est mort ? Ah oui mec châtain numéro 2). Cette première production Netflix japonaise est donc globalement ratée.


¡A.T.M! (¡A toda máquina!) d’Ismael Rodríguez (1951, A toda máquina)
Luis passe le concours pour être membre de l’équipe acrobatique des agents de circulation. Il est repéré par Pedro, un vagabond qui le suit une fois les épreuves terminées. Luis cherche depuis longtemps un ami fidèle et il décide de donner sa chance à ce sans-abri collant et impertinent. Mal lui en a pris, Pedro va lui pourrir la vie, lui volant ses affaires, le concurrençant dans l’équipe acrobatique et lui compliquant la réconciliation avec sa fiancée.

A toda máquina est une comédie musicale appréciée au Mexique, avec en tête d’affiche deux fameux acteurs/chanteurs, Pedro Infante et Luis Aguilar. Une suite est sortie dans la foulée, ¿Qué te ha dado esa mujer? (1951). L’humour est un concept relatif dans l’espace et dans le temps. Je ne suis pas habitué à la comédie mexicaine et A toda máquina ne m’a pas fait sourire. Les quelques chansons ne sont pas remarquables et le duo Pedro Infante/Luis Aguilar est fatiguant à la longue. En cinéma mexicain de cette époque, je vais plutôt rester dans le drame ou l’horreur.


ビブリア古書堂の事件手帖 [Biblia Koshodô no Jiken Techô] de Yukiko Mishima (2018, The Antique: Secret of the Old Books)
En rangeant l’appartement de Kinuko, sa grand-mère récemment décédée, Daisuke tombe sur une première édition de l’intégrale des œuvres de Natsume Sôseki, dont le huitième volume est dédicacé par l’auteur pour un certain Yoshio Tanaka. Quand il va les faire évaluer dans une bouquinerie, la propriétaire Shioriko lui explique que c’est une belle collection, néanmoins la dédicace est fausse. Elle pense qu’elle a été ajoutée par Kinuko pour masquer le don de l’ouvrage par le mystérieux Yoshio Tanaka, peut-être son amant secret. Tout en continuant sur la relation entre Shioriko et Daisuke, qui est engagé à mi-temps dans la bouquinerie, un flash-back suit en parallèle la romance entre Kinuko et Yoshio.

Shiawase no pan de Yukiko Mishima m’avait laissé une impression mitigée et les critiques de Biblia Koshodô no Jiken Techô me laissait craindre une deuxième déception. Gagné, et c’est malheureusement pire que ma première tentative. Biblia Koshodô no Jiken Techô est au départ un light novel très connu d’En Mikami, un auteur plutôt spécialisé dans l’horreur et la fantasy. Les light novels sont de courts romans généralement légers, destinés à un public de jeunes adultes. Avant le long métrage de 2018, Biblia Koshodô no Jiken Techô a déjà été adapté en manga et en série télévisée. Des résumés que j’ai pu trouver, la trame centrale semble similaire entres les différentes versions, ce qui n’est pas vraiment une bonne chose car elle est franchement convenue. Le film ajoute une histoire secondaire avec un antagoniste complètement raté, qui veut voler un livre à Shioriko. La résolution de cette sous-intrigue est ridicule : trois adultes fuient comme si leur vie en dépendait un méchant armé d’un petit taser et finissent, après une course poursuite lymphatique en voiture, par se faire rattraper au bout d’une digue… Le flash-back est un peu mieux, avec une musique ressemblant à du sous-Philip Glass, il reste toutefois affreusement banal. Espérons qu’un éventuel troisième essai sera plus intéressant.


Kameradschaft de Georg Wilhelm Pabst (1931, La tragédie de la mine)
Un accident se produit dans une mine Lorraine où un incendie provoque une explosion qui ensevelit 600 mineurs. Lorsque les équipes de secours arrivent, l’ascenseur permettant de descendre dans la mine est bloqué. Apprenant la situation, les secouristes de la mine allemande de l’autre côté de la frontière décident de venir aider leurs collègues français, malgré les tensions entre les deux communautés.

S’inspirant de la catastrophe de Courrières en 1906, où une équipe de 25 mineurs allemands volontaires étaient venus secourir les Français, Georg Wilhelm Pabst se livre avec Kameradschaft à une ode à la solidarité et à l’union des travailleurs, kameradschaft signifiant littéralement camaraderie. Il positionne son récit après la première guerre mondiale, pour renforcer son discours et montrer que les haines doivent être surmontées. Kameradschaft est une production franco-allemande comportant un montage légèrement différent pour chaque pays, j’ai vu l’allemand dans sa superbe restauration par la Deutsche Kinemathek. A noter qu’il manquait la dernière scène, que les restaurateurs ont dû aller chercher dans la copie française. Cette fin, à laquelle tenait Pabst, est fondamentale. Elle montre, outre la solidarité des travailleurs, la solidarité des administrations, bien décidées à maintenir les frontières.
Kameradschaft débute sur la vie quotidienne des mineurs et les frictions entre Français et Allemands, ces passages servant à poser le contexte et à renforcer la beauté du geste ultérieur des volontaires allemands. Malheureusement, ils sonnent faux et manquent de rythme, pas aidés par le mauvais jeu de l’actrice principale et des acteurs français de façon générale. L’accident de la mine survient au bout d’une vingtaine de minutes, et Kameradschaft déploie enfin ses qualités. Toutes les séquences dans la mine, filmées en studio dans un style réaliste avec un éclairage minimal, sont impressionnantes. Le son, technologie nouvelle en Allemagne à l’époque, est employé de façon intelligente, Pabst ayant choisi un système qui lui permettait de conserver la mobilité de sa caméra. Même dans la version allemande, il laisse chacun parler dans sa langue afin de souligner les barrières que les incompréhensions génèrent. Il a recours aux bruitages pour renforcer la véracité, les mineurs bloqués utilisant le son pour essayer de communiquer avec l’extérieur. Les discours des travailleurs vers la fin insistent un peu lourdement sur le message, d’où l’importance de la dernière scène qui relativise l’optimisme à un moment où l’Europe est plongée dans la crise et qui clôt habilement cette camaraderie.


Ins Blaue hinein… d’Eugen Schüfftan (1931)
Un bureau de gestion de crise comprenant trois employés, le directeur, le comptable et le garçon de courses, vient de faire faillite. Le directeur commence à partir dans sa voiture, s’arrête, et propose à ses deux anciens salariés de l’accompagner faire un tour. Ils font un crochet pour prendre la petite amie du garçon de courses puis partent se balader dans la campagne. Après un accident, ils se retrouvent chez le comptable et se demandent comment ils pourraient gagner leur vie.

Ins Blaue hinein… est un court métrage tourné en 1929, 1930 ou 1931. On dispose de peu d’informations, il n’y a pas de référence dans la presse de l’époque et pas de visa de censure. Il a été découvert par hasard au début des années 90 dans une collection donnée aux archives du CNC. C’est sans doute un des premiers parlants allemands, et le son est clairement postsynchronisé. L’ambiance est légère, il n’y a pas vraiment d’histoire dans la première moitié, qui rappelle fortement Les hommes le dimanche dont Eugen Schüfftan a été le directeur de la photographie. La deuxième moitié a un peu plus de consistance, une entreprise de toilettage pour chiens servant de prétexte à quelques gags. Cela reste anecdotique sans être désagréable.


Rosen für den Staatsanwalt de Wolfgang Staudte (1959, Des roses pour le procureur)
Pendant la seconde guerre mondiale en Allemagne, le soldat Rudi Kleinschmidt est condamné à la peine de mort par l'impitoyable procureur du conseil de guerre, Schramm, pour avoir acheté au marché noir deux boîtes de chocolat. Alors qu’il s’apprête à être exécuté, un bombardement permet à Rudi de s’échapper. Une quinzaine d’années plus tard, Schramm est un procureur respecté qui a réussi à dissimuler son passé et continue d’aider les néo-nazis et antisémites de tout poil. De son côté, Rudi est devenu camelot et se balade de ville en ville pour vendre sa marchandise. Un jour, il tombe par hasard sur Schramm, qui reconnaît Rudi et craint qu’il ne vienne briser sa carrière.

Le réalisateur allemand Wolfgang Staudte est célèbre pour ses œuvres antinazies portant sur les questions de culpabilité, produites durant la deuxième moitié des années 40 et pendant les années 50. La plus notoire est Les assassins sont parmi nous (1946), qui comportait déjà un ancien nazi devenu un estimable bourgeois. Bien qu’abordant certains thèmes similaires, Rosen für den Staatsanwalt est une satire et se moque allègrement de la société allemande de la fin des années 50. Wolfgang Staudte y dénonce non seulement un oubli commode du passé, mais également la corruption, l'hypocrisie, l’opportunisme et la lâcheté. A une époque où la mode était aux Heimatfilm, inoffensifs récits de terroir, l’humour mordant de Rosen für den Staatsanwalt plut au public et il eut un grand succès.
Outre Les assassins sont parmi nous, le seul autre film que j’ai vu de Wolfgang Staudte était Der Untertan (1951), satire pareillement dont j'avais trouvé la caricature de la petite bourgeoisie trop facile et l’humour lourd. A l’inverse, Rosen für den Staatsanwalt m’a amusé, entre son personnage principal bringuebalé par les évènements et qui veut juste qu’on le laisse bosser, et son ancien nazi faux bon père de famille. La romance entre Rudi et une de ses anciennes amies n’est pas franchement dans l’esprit, le couple est toutefois sympathique et ça ne m’a pas gêné. Au final, c’est une petite comédie distrayante, bien interprétée et pourvue d’une critique bien sentie sur son époque.


Livres
Un pont de cendres de Roger Zelazny (Presses Pocket, collection « SF », 1981), 192 p.
Richard et Vicky Guise sont régulièrement obligés de déménager pour protéger leur enfant Dennis des ondes alentours. C’est un super-télépathe, capable de distinguer les pensées des gens à des dizaines de kilomètres. Trop jeune pour se forger des protections mentales, son esprit a été complètement détruit par ces contacts, il est incapable de parler, de se déplacer ou même de se nourrir seul. Aidée par une spécialiste, Lydia, il se réveille un matin avec les pensées d’un écologiste extrémiste recherché pour meurtre, en fuite à plus de 100 kilomètres de chez lui. Lydia réussit à couper la connexion et Dennis retombe dans sa torpeur. Après s’être remis du choc, il se met à récupérer les pensées d’autres écologistes, situés de plus en plus loin de sa maison.

Malgré quelques bons passages, comme Dennis assumant la personnalité de Léonard de Vinci, Un pont de cendres ne réussit pas, d’après moi, à dépasser son concept de départ, soit un enfant éponge qui récupère l’esprit d’adultes d’un autre espace ou d’un autre temps. L’auteur essaye d’y intégrer des réflexions écologiques et de créer une mythologie à travers la figure d’une mystérieuse puissance manipulatrice, ça ne fonctionne malheureusement pas. Il complexifie par ailleurs artificiellement sa narration en éclatant les points de vue et en débutant son livre de façon volontairement absconse. C’est sans doute le Zelazny le plus faible que j’ai lu ces derniers mois.


Cette ville te tuera de Yoshihiro Tatsumi (Cornélius, 2015), 352 p.
Deuxième recueil de nouvelles de Yoshihiro Tatsumi édité par Cornélius après L’enfer, Cette ville te tuera est d’avantage ramassé chronologiquement, regroupant 23 nouvelles publiées de 1968 à 1970 dans les magazines Gekiga Young et Garo (et une dans Weekly Sunday Mainichi). Ce sont de courts récits ne dépassant jamais les trente pages, centrés sur des hommes taiseux souvent mal dans leur peau dans le Japon de la fin des années 60. Le cadre est essentiellement urbain, ancré dans un quotidien sordide, et il y a généralement une scène de sexe et/ou de violence.

Bon, ce deuxième volume est globalement pire que le précédent. Si j’estimais L’enfer schématique, Cette ville te tuera est encore plus répétitif et banal. En outre, alors que L’enfer donnait une place à des personnages féminins un peu développés, elles sont ici uniquement des objets de désir. Une des seules exceptions est Le piège, sans doute la meilleure nouvelle du bouquin. Tatsumi inverse sa logique habituelle, une femme seule piégeant un homme égaré dans un environnement sauvage et hostile. Il agrémente le tout d’un retournement scénaristique bien amené et d’une touche d’humour noir. A part ça, je me suis ennuyé et je lirai le troisième recueil sans grand espoir.


Européens & Japonais – Traité sur les contradictions & différences de mœurs de Luis Frois (Chandeigne, collection « Série lusitane », 2015), 96 p.
Ce court traité a été écrit en 1585 par un prêtre jésuite portugais ayant vécu au Japon de 1563 à sa mort en 1597, après un séjour de 15 ans en Inde. Il décrit les différences entre Européens (surtout les Ibériques) et Japonais sur tout un tas de faits quotidiens, chacun étant énoncé en une phrase et regroupé de façon logique avec ses semblables en 14 chapitres. Cela va du comportement des hommes et des femmes, aux vêtements et à la nourriture en passant le traitement des maladies, l’éducation des enfants ou la façon de faire la guerre.
Cette édition de Chandeigne ne comporte que le texte d’origine. Il existe aussi apparemment une traduction annotée que je serais curieux de me procurer tant ce livre pose de questions au lecteur contemporain. J’ai noté quatre types de comparaisons :
• Celles dont les éléments sont toujours valables pour les deux populations ne me posent aucun problème : « La plupart des Européens sont de haute stature et bien bâtis ; les Japonais sont ordinairement plus petits que nous de corps et de stature ».
• Celles qui s’appliquent aux Japonais et plus aux Occidentaux sont parfois amusantes, et m’ont appris sur les habitudes en Europe au XVIe siècle : « Nous crachons tout le temps et n’importe où ; les Japonais ravalent d’ordinaire leurs crachats ».
• Les deux derniers cas sont plus problématiques, j’expliquerai ensuite pourquoi. En premier, celles qui sont encore adaptées aux Européens et plus aux Japonais : « Chez nous, il est rare que les hommes ou les femmes soient tavelés par la variole ; chez les Japonais, c’est une chose très commune et beaucoup deviennent aveugles à cause de cette maladie ».
• En second, celles qui n’existent plus nulle part : « Pour la santé de nos enfants, nous les saignons régulièrement aux veines ; au Japon, on ne leur fait pas de saignées, on les soigne plutôt avec des boutons de feu ».
Sur celles où la partie japonaise n’est plus pertinente, lorsque cela porte sur un trait vu et revu dans les œuvres se déroulant à cette époque, ça me va. Mais cela va parfois à l’encontre de la vision habituelle de cette période. J’ai alors du mal à savoir la constatation de Luis Frois était extrêmement localisée dans l’espace et/ou dans le temps, ou si c’était un phénomène généralisé sur lequel la représentation japonaise moderne du passé est erronée. Cela arrive fréquemment, il n’y a qu’à voir la façon dont nous dépeignons notre Moyen-Âge dans le cinéma occidental. Je prends par exemple cette phrase de Luis Frois : « En Europe, les hommes vont devant et les femmes derrière ; au Japon, les hommes vont derrière et les femmes devant ». Cela est totalement contraire à ce que l’on voit dans les films, ou au protocole impérial ou officiel contemporain. Est-ce que Luis Frois, qui vivait au Japon depuis plus de 20 ans quand il a écrit cet ouvrage, se trompe sur ce fait banal de la vie quotidienne ? Ou est-ce que les habitudes ont changé au Japon à un moment, peut-être durant l’ère Meiji, et cette nouvelle norme s’est ensuite imposé à la relecture du passé ? Je recommande en tout cas ce petit traité stimulant, qui amène à réfléchir sur nos différences passées et actuelles.


Revues
L'oiseau Magazine n°149 – Hiver 2022
Un numéro assez léger de mon point de vue pour ce trimestre. Etant adhérent à la LPO depuis pas mal d’années et abonné à la newsletter, je n’ai rien appris dans leur dossier sur les combats juridiques pour la nature. Leur focus sur la région de Kuusamo en Finlande ne m’a pas non plus passionné, y étant passé moi-même lors d’un séjour ornitho il y a moins d’un an. J’ai en revanche trouvé intéressant leur reportage sur les gorilles du Rwanda. C’est une espèce que je connais peu, n’ayant jamais lu de livre de Dian Fossey ni vu Gorilles dans la brume (1988), d’une véracité probablement discutable. Cela fait en tout cas plaisir de savoir qu’ils s’en sortent et qu’ils commencent même à être à l’étroit dans leur parc national. J’ai bien aimé, comme d’habitude, l’article de Samara Banel, qui porte cette fois sur la réaction des oiseaux aux surfaces réfléchissantes. Je note enfin la sortie de la nouvelle édition de L’étymologie des noms d’oiseaux de Pierre Cabard, j’ai dans ma bibliothèque la version de 1995 que je n’ai toujours pas lue…


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