Films vus en compagnie
Princezna zakletá v čase de Petr Kubik (2020, La princesse enchantée)

Après le film de boucle hongrois, le tchèque. Malgré le manque d’enthousiasme de certains, j’avais apprécié Zanox, avec ses quelques idées originales renouvelant un peu le concept. Ce n’est pas le cas de La princesse enchantée, qui se contente de mélanger les clichés du genre boucle temporelle aux clichés des contes de fées. Or, cliché+cliché n’est pas égal à originalité. C’est par ailleurs très fauché et on se demande bien pourquoi l’héroïne finit par tomber amoureuse du prince Playmobil. Si on ajoute une musique ridiculement grandiloquente et des effets spéciaux pas tops, on obtient un truc vaguement passable dont on peut surtout se passer.
Pride & Prejudice de Joe Wright (2005, Orgueil et préjugés)

C’est la troisième adaptation que je vois de Pride and Prejudice de Jane Austen, après celle de 1940 et Orgueil et préjugés et zombies (2016). Pas trop de surprise donc au niveau de l’histoire, surtout que je commence à avoir vu un paquet de longs métrages tirés de Jane Austen. L’intérêt réside dans les variations des interprétations, dans le rythme et dans la mise en scène. Cet Orgueil et préjugés de 2005 est globalement bien joué, si ce n’est le très falot Matthew Macfadyen en M. Darcy. C’est tout de même embêtant car c’est le rôle masculin principal et le pauvre supporte difficilement la comparaison avec le Laurence Olivier de 1940. J’ai également trouvé la Lady Catherine de Bourg de Judi Dench un peu trop émotive. C’est assez mal réalisé, Joe Wright n’ayant apparemment pas voulu adopter le style discret qui sied au genre : il a mis de la musique pompeuse, des ralentis, des plans séquences, de la caméra à l’épaule… La version de 1940 reste pour moi de loin la meilleure, suivie de l’amusant Orgueil et préjugés et zombies, variation au concept délirant mais qui dégage un amour sincère du livre original.
おっぱいバレー [Oppai bare] de Eiichirô Hasumi (2009, Oppai Volleyball)

Le cinéma japonais comporte un genre que j’aime beaucoup et dont je ne connais pas le nom s’il en a un : les films de loosers qui se mettent à pratiquer une activité saugrenue à contrecœur et finissent par l’apprécier. Ça peut être un sport, comme la natation synchronisée dans Waterboys (2001) ou l’aviron dans Give It All (1998) ; la musique, comme dans Swing Girls (2004) ou Linda Linda Linda (2005) ; voire un truc sorti de nulle part, comme les haïkus dans Koi Wa Go-Shichi-Go! (2005). Dans Oppai bare, c’est le volley-ball. Le schéma est classique. Au début, les héros sont nuls et ne s’intéressent pas à l’activité en question. Arrive un individu extérieur et un élément de motivation qui va pousser les jeunes donner le meilleur d'eux-mêmes. Et à la fin, tout le monde est content, victoire ou pas, car le plus important est le chemin parcouru.
Oppai bare n’est pas le meilleur dans sa catégorie, bien qu’un des plus stupides. Les adolescents sont obsédés de bout en bout et, jusqu’à la fin, ne sont motivés que par les seins. Le récit se concentre en fait plus sur l'enseignante, dont la storyline est assez fade. C’est très gentil et pas désagréable, il a y toutefois bien mieux dans le style.
A noter que l’actrice principale, Haruka Ayase, était d’abord célèbre comme gravure idol, mannequin au physique avantageux posant en général en maillot de bains. Bien qu’en 2009 sa carrière d’actrice avait pris le dessus depuis longtemps, le spectateur japonais masculin s’attendait probablement, vu le titre, à la voir en petite tenue à un moment ou à un autre, ce que le réalisateur évite malicieusement de faire.
Happiest Season de Clea DuVall (2020, Ma belle-famille, Noël, et moi)

Les films de Noël avec des personnages principaux gays et lesbiens sont devenus relativement courants depuis 2-3 ans, comme le gentil Single All the Way (2021) qui doit encore traîner sur Netflix. Happiest Season est écrit et réalisé par l’actrice lesbienne Clea DuVall, dont c’est le deuxième long métrage, et il est en partie autobiographique. Quand on voit ce type de comédie romantique, on sait que tout va bien se terminer. Le scénario suit le schéma assez prévisible d’une situation de plus en plus inextricable qui se résout quasi-miraculeusement dans les 10 dernières minutes parce que c’est pas tout ça il faut finir. Le problème ici, c’est que Harper finit par devenir antipathique, le happy end arrive un peu tard et on se dit qu’Abby ferait mieux d’aller voir ailleurs. Dommage.
Variety de Bette Gordon (1983)

Avec Variety, la réalisatrice féministe Bette Gordon a voulu inverser les codes du film noir en faisant de la femme l’enquêtrice voyeuriste, porteuse du désir, et de l’homme la figure passive et mystérieuse. Ce dernier n’est qu’un support servant à Christine à explorer ses fantasmes et à se découvrir. Quand elle a enfin la possibilité de récupérer des informations sur lui, elle préfère prendre le magazine porno plutôt que l’agenda de Louie. La fin arrive abruptement, alors que Christine s’apprête à obtenir des réponses à ses interrogations. Bette Gordon explore le désir féminin en renversant les codes patriarcaux, Christine s’insérant sans pudeur dans des lieux réservés aux hommes ou narrant des histoires érotiques à son petit ami. A chaque fois, ce sont les hommes qui sont mal à l’aise devant son non-respect des conventions.
Ne critiquant pas ouvertement la pornographie, faux film-noir, Variety est difficilement classable et n’a pas plu à sa sortie. Il a été redécouvert vers la fin des années 2000. Le rythme est lent, il ne se passe pas grand-chose et le personnage de Christine est assez déstabilisant. Bien qu’ayant apprécié l’ambiance et les questionnements soulevés, j’avoue m’être un peu ennuyé, un peu trompé par la fausse ambiance film-noir qui n’amène finalement nulle part. A noter la présence de Luis Guzman dans son premier rôle un peu important.
Unicorn Store de Brie Larson (2017)

Unicorn Store est le premier, et pour l’instant unique, long métrage de l’actrice Brie Larson, la Captain Marvel de l’univers cinématographique Marvel, qui a toujours alterné blockbusters et cinéma indépendant. Kit est assez agaçante, un peu Calimero et complètement égocentrique, et j’ai eu du mal à m’intéresser à ses aventures. J’ai trouvé ça assez mal écrit, avec des éléments qui ne s’imbriquent pas bien et un aspect féérique qui tombe à plat. Les seconds rôles sont globalement sous-exploités, chacun n’ayant qu’une scène forte avant que le scénario ne passe à autre chose. La seule exception est Virgil, le vendeur du magasin d’outillage qui devient l’ami de Kit. C’est le seul personnage crédible, aidé par la performance de Mamoudou Athie qui crève l’écran et éclipse le reste du casting.
Films vus seuls
牡丹燈籠 [Botan-dôrô] de Satsuo Yamamoto (1968, Peony Lantern)

Botan Dôrô est une histoire de fantômes très célèbre au Japon. Elle vient de Chine et a été popularisée en Occident par la traduction de Lafcadio Hearn. Elle connaît de nombreuses variations, déclinées dans le kabuki puis au cinéma. Celle de Satsuo Yamamoto est sans doute la plus réputée au Japon. Satsuo Yamamoto est un réalisateur membre du parti communiste, auteur de nombreux films sociaux et engagés. Il faut toutefois bien manger, même quand on est communiste, et il a aussi travaillé sur des projets plus consensuels pour de grands studios, dont ce Botan-dôrô de la Daiei. Il réussit néanmoins à glisser quelques touches critiques, comme le mépris des familles de samouraïs pour les pauvres ou l’appât du gain généré par la misère.
La distribution est un peu curieuse, le couple principal se faisant éclipser par une belle galerie de seconds couteaux : Kô Nishimura, sale type récurrent du cinéma des années 60, est excellent en serviteur cupide ; Mayumi Ogawa, vue récemment dans Adieu l’arche (1984), surpasse en charisme sa maîtresse fantôme ; et l’éternel Takashi Shimura complète la distribution. Les aspects horrifiques sont légers, ils donnent une ambiance sombre et surnaturelle à ce drame romantique rondement mené.
圓月彎刀 [Yuan yue wan dao] de Yuen Chor (1979, Full Moon Scimitar)

Réalisé 6 mois avant Murder Plot (1979), Full Moon Scimitar est pourtant bien inférieur et fait plus penser à la Shaw Brothers déclinante des années 80 qu’à l’âge d’or des années 60-70. Les décors et costumes sont moins fastueux, l’intrigue est étonnamment simple et linéaire pour du Gu Long, l’acteur principal Derek Yee n’a pas le charisme d’un Ti Lung ou d’un David Chiang et son personnage est assez détestable. Seul se démarque l’héroïne et ses capacités martiales surnaturelles, interprétée par Ming-Chuen Wang, que je ne connaissais pas et qui n’a pas eu une grande carrière alors qu’elle est ici fort convaincante.
ポテチ [Potechi] de Yoshihiro Nakamura (2012, Chips)

Comme l’intéressant Fish Story (2009) et le je-ne-m’en-souviens-plus-je-crois-que-c’était-un-peu-bizarre Golden Slumber (2010), Potechi est une adaptation de l’auteur Kôtarô Isaka par le réalisateur Yoshihiro Nakamura. Gaku Hamada a encore le rôle principal, comme dans The Foreign Duck, the Native Duck and God in a Coin Locker (2007). Bien malgré moi, cet acteur me fait toujours penser à un Jonathan Lambert japonais apathique.
Encore une fois, je suis un peu perplexe et ne sais trop quoi penser. C’est moins manipulateur et plus gentil que The Foreign Duck, the Native Duck and God in a Coin Locker, c’est juste que j’ai eu l’impression qu’il y avait plein d’idées à peine esquissées et que ça se termine sans être allé quelque part.
吹けば飛ぶよな男だが [Fukeba tobuyona otokodaga] de Yôji Yamada (1968, The Shy Deceiver)

Ça faisait longtemps que je n’avais pas regardé un Yôji Yamada, le réalisateur japonais dont j’ai vu le plus de longs métrages. The Shy Deceiver est sorti un an avant le premier Tora-san et se situe dans le milieu de la pègre d’Osaka et de Kobe. Pas de chef yakuza, d’honneur ou de complot, on est chez les pauvres, chez les petits qui vivent de magouilles et dorment dans des taudis. Le personnage principal a un peu la dégaine de Tora-san et est accompagné comme lui d’un fidèle ami joué par Gajirô Satô. Il est cependant bien plus violent, malhonnête et pleurnichard. J’ai décroché rapidement en raison de ce héros assez insupportable et d’une héroïne d’une niaiserie irréaliste. Le cadre était pourtant assez original, un milieu de truands survivant péniblement au jour le jour, et ça aurait pu donner un bon drame si ça avait été interprété de façon plus subtile.
Les cousins d'Amérique de Philippe Costantini (1980)

J’avais appris l'existence de la trilogie documentaire de Philippe Costantini par un collègue il y a quelques années. On discutait de documentaires sur le Portugal et il m’a parlé de ces films, me disant que son père apparaissait dans le premier et le troisième de la série. Le Trás-os-Montes rappelant un peu la région de Beira Alta d’où vient ma grand-mère, j’avais regardé le premier volet avec ma mère il y a quelques mois. J'escomptais quelque chose portant sur l’immigration alors que c’était plus une étude ethnographique. Disciple de Jean Rouch, Philippe Costantini filme le quotidien dans le temps long dans la logique du cinéma direct, sans scénarisation apparente ou narration, avec juste une légère trame.
Je savais mieux à quoi m’attendre avec Les cousins d'Amérique. Le fil conducteur est le mariage de Joaquim, qui conclut le documentaire. La question de l’immigration est cette fois bien présente par le statut des personnes suivies : des Portugais aux Etats-Unis. Ils y vivent le rêve américain, avec leurs maisons suréquipées et leurs nombreuses voitures. Sans doute à cause de la longue dictature, les Portugais ont longtemps été très matérialistes, la richesse se mesurant à la possession ostentatoire. Le summum ici est la télévision-téléphone, je ne savais même pas que ce truc avait existé, une télé en apparence classique qui pouvait passer des coups de fil, le son de la télé se coupant automatiquement quand on téléphonait. J’ai bien aimé la discussion entre les hommes sur l’impossibilité du retour au pays à cause des femmes, celles-ci étant devenues « douillettes » parce qu’elles ne travaillent plus du matin au soir et qu’elles peuvent avoir des loisirs et une autonomie. Au village, il n’y avait rien à faire excepté travailler et elles étaient bloquées à la maison, sans voiture et avec le risque du qu’en dira-t-on. En fait, même les hommes préfèrent leur vie aux Etats-Unis, où ils ont accès à tout ce qu’ils souhaitent et gagnent bien leur vie. La réticence des femmes est bien pratique et leur permet de rejeter la faute sur elles, pouvant à loisir continuer à idéaliser le pays de loin.
Je préfère dans l’ensemble les documentaires plus didactiques, où le réalisateur cherche à illustrer un propos. Sur l’immigration portugaise, rien n’égale pour moi le travail de José Vieira. J’ai malgré tout apprécié Les cousins d'Amérique, qui présente la vie d’une population luso-américaine que je connais mal (et ce n’est pas Hollywood qui peut nous aider là-dessus, cf. mon vieil article sur la représentation des Portugais dans le cinéma américain). Il ne me reste plus qu’à visionner L’horloge du village (1989), où Philippe Costantini revient au village de Vilar de Perdizes 12 ans après Terra de Abril. La trilogie est disponible sur Vimeo à deux euros par épisode.
Idiot's Delight de Clarence Brown (1939, La ronde des pantins)

Idiot's Delight est le degré zéro du film anti-guerre : sorti en janvier 1939, au moment où les tensions s’accumulent au niveau international, la MGM prend bien soin de produire un truc inoffensif en gommant les références de la pièce d’origine à l’Italie ou à l’Allemagne. Les militaires sont contraints de partir à la guerre, le pacifiste forcené est intolérant et ridicule, et personne n’est vraiment responsable excepté peut-être quelques vils chefs d’entreprise. Clark Gable, à son apogée en cette fin des années 30, réussit par son charisme à tirer son épingle du jeu. C’est moins le cas de Norma Shearer, star déclinante handicapée pendant plus de la moitié du métrage par un accent russe pénible et ridicule. Pas grand-chose à sauver donc, si ce n’est une petite curiosité : pour la seule fois de sa carrière, Clark Gable chante et danse sur Puttin' On the Ritz, performance amusante qui fait cependant pâle figure face au Fred Astaire de La mélodie du bonheur (1946).
丹下左膳 剣風!百万両の壺 [Tange Sazen Kenfû! Hyakuman ryô no tsubo] de Hideo Gosha (1982, Sazen Tange and the Pot Worth a Million Ryo)

Sazen Tange and the Pot Worth a Million Ryo est une sorte de remake pour la télévision de Samourai sans honneur, réalisé par Hideo Gosha en 1966. Le personnage de Tange Sazen a été créé à la fin des années 20 par l’écrivain Kaitarô Hasegawa et a rapidement été utilisé au cinéma. C’est au départ un anti-héros sombre et nihiliste mais le film Le Pot d'un million de ryô de Sadao Yamanaka (1935) lui donne un côté léger qui va généralement persister par la suite. Cette version de 1982 n’apporte rien par rapport à celle de 1966, à laquelle je n’avais déjà pas accroché. Elle est de plus desservie par un budget étriqué, télévision oblige, une musique inadaptée et un Tatsuya Nakadai cabotin. C’est mon cinquième Tange Sazen, le Sadao Yamanaka demeure pour moi largement le meilleur.
Malmequer de José Leitão de Barros (1918)

Malmequer est le second court métrage de José Leitão de Barros, qui deviendra un réalisateur réputé au début des années 30 avec des titres comme Lisboa, Crónica Anedótica (1930), Maria do Mar (1930) ou A Severa (1931), le premier long métrage parlant portugais (dont je parle rapidement dans ma critique de La chanson de Lisbonne). Malmequer a été tourné dans le palais royal de Queluz au Nord-Ouest de Lisbonne. C’est apparemment le premier film portugais utilisant des bobines teintées, afin de mieux exprimer les sentiments du personnage principal. Il a été restauré en 2005 et la copie que j’ai vu était correcte. Ça n’a par contre qu’un intérêt historique, c’est mou, platement photographié et l’histoire tient sur deux lignes (littéralement, mon introduction décrit l’intégralité du récit).
- Livres
Le quark et le jaguar de Murray Gell-Mann (Flammarion, collection « Champs », 1997), 441 p.Le quark et le jaguar est composé de quatre parties : Murray Gell-Mann définit tout d’abord les systèmes adaptatifs complexes et, de façon plus générale, les notions de simplicité et de complexité ; il décrit ensuite les lois fondamentales de la physique quantique ; puis il se penche sur les questions de sélection des systèmes adaptatifs complexes dans diverses disciplines ; il termine en soulignant l’importance de la sauvegarde de la biodiversité et propose des pistes pour une politique plus durable.
J’avais entendu parler de ce bouquin dans une liste de classiques de vulgarisation scientifique. Ce n’est pas mon premier ouvrage sur la mécanique quantique mais le sujet est vaste, n’est guère aisé et j’oublie régulièrement une partie des explications. Il est donc bon de me repencher régulièrement dessus. Le quark et le jaguar est malheureusement le moins intéressant que j’ai pu lire jusqu’à présent. C’est très brouillon, on ne voit pas les liens entre les différentes parties, voire entre les paragraphes d’un même chapitre. Murray Gell-Mann est passionné par de nombreux sujets, tant mieux pour lui, il aurait fallu cependant soit rester concentré sur la problématique des systèmes adaptatifs complexes énoncée au départ, soit se consacrer uniquement à la physique quantique. Il met tout ce qui lui passe par la tête, ça en devient anarchique et assez vain, la troisième et la quatrième partie enchaînant poncifs et banalités. Une fois arrivé au bout, on se demande bien quelle peut être l’utilité de sa théorie des systèmes adaptatifs complexes : on voit vaguement ce que ça désigne et pas du tout ce que ça pourrait apporter.
Le quark et le jaguar est par ailleurs extrêmement égocentrique, l’auteur ramène tout à lui, à ses expériences, ses amis et son institut. Ça donne un peu l’impression que toutes les découvertes fondamentales depuis 50 ans sont dues à son entourage. Enfin, dès qu’il s’écarte des généralités pour se pencher sur un sujet de physique, sa spécialité, une bonne partie de ses explications sont trop techniques et peu compréhensibles par un non spécialiste, en particulier sur la mécanique quantique. C’est tout de même assez gênant car c’est pour cela que j’ai acheté ce gros machin de plus de 400 pages en petits caractères. Si quelqu’un de moins prestigieux que Murray Gell-Mann avait écrit Le quark et le jaguar, il est à peu près sûr que le livre serait tombé depuis longtemps dans l’oubli. Paru la même année et également traduit en français, le plus obscur Alice au pays des quanta de Robert Gilmore est bien plus distrayant et enrichissant.
Les maîtres chanteurs d’Orson Scott Card (Denoël, collection « Présence du futur », 1992), 416 p.Sur la planète Tew, la Manécanterie forme des oiseaux chanteurs, des enfants doués d’une empathie exceptionnelle capables par leur chant de transcender et transformer les émotions de leur auditoire. Seules quelques individus sélectionnés selon des critères mystérieux, sans distinction de richesse ou de pouvoir, ont l’honneur de recevoir un oiseau chanteur. Lorsque l’empereur de l’univers se rend sur Tew pour en réclamer un, tout le monde espère que sa demande sera rejetée, prouvant l’impartialité de la Manécanterie. Le grand maître chanteur accepte pourtant, sans donner de délai. Plus de 70 ans plus tard, un jeune garçon, Ansset, est enfin découvert et éduqué pour servir l’empereur.
C’est la première fois que je lis du Orson Scott Card, surtout connu pour son Cycle d’Ender, adapté au cinéma en 2013 (pas vu, ça avait l’air assez mauvais). Les maîtres chanteurs est son deuxième roman, paru en 1980. Il comporte cinq parties assez inégales, à la fois en termes d’espace (les trois premières occupant les 5/6 de l’ouvrage) et de style, les troisième et quatrième étant moins centrées sur Ansset. Le livre commence sur la formation d’Ansset à la Manécanterie, puis sur ses années au service de l’empereur. La suite se déroule quelques années plus tard, Ansset arrivant en fin d’adolescence, et le texte se termine avec un brusque saut dans le futur.
Les deux premières parties sont bien écrites et assez prenantes. L’univers est dur, les enfants sont traités comme des adultes et Ansset reçoit une éducation sévère. Son passage chez l’empereur l’entraîne dans une machination politique assez ingénieuse et, malgré quelques aspects pouvant faire tiquer (j’y reviendrai plus loin), on est plongé dans le récit. Arrive la troisième partie avec le personnage de Josif. C’est très rare dans la SF des années 50-70 d’avoir un homme bi dans un rôle important. Sauf qu’Orson Scott Card est un homophobe notoire, ce que j’ignorais, et cela se sent. Bien que Josif soit décrit comme gentil, aimable et inoffensif, il est montré comme invasif, collant, et dégage une impression désagréable. L’auteur insiste lourdement sur son homosexualité et sur la répugnance que cela génère chez les autres. Cela pourrait être une critique de la société intolérante mais quelque chose ne va pas dans la façon dont Josif se comporte. Dès qu’Ansset arrive en scène, Josif se sent attiré par le garçon, qui a 15 ans et en paraît 12. La quatrième partie ne dure que quelques pages, la cinquième termine le roman de façon subtile et poétique.
L’auteur est mormon et le passage homophobe m’a fait réfléchir à d’autres problèmes plus discrets. L’empire est présenté comme source de paix et les empereurs comme des hommes contraints à la violence bien qu’aspirants à la tranquillité. L’éducation rigoriste de la Manécanterie n’est jamais remise en question, avec une idéalisation de la rusticité des conditions et un amour inconditionnel d’Ansset pour sa prof/mère d’adoption alors que l’intransigeance de celle-ci aurait pu le tuer ou le rendre fou. Il y a de très beaux passages, l’histoire est marquante et la fin est réussie. Les points négatifs ne peuvent toutefois pas être ignorés et j’aurais du mal à recommander ce livre.
M le Magicien de Massimo Mattioli (L’Association, 2003), 526 p.M est un magicien qui vit dans un château sur une colline avec sa baguette magique aux pouvoirs illimités. Il est entouré dans ses aventures d’un caméléon qui essaye de manger tout ce qui bouge, y compris M ; de fleurs blagueuses et de champignons qui parlent ; d’insectes cherchant désespérément à échapper au caméléon ; et de deux martiens qui veulent envahir la Terre. Le tout est paru de façon hebdomadaire dans Pif Gadget, d’abord sous forme de strip puis en une page.
Décédé en 2019, Massimo Mattioli est un acteur important de la bande dessinée italienne underground des années 70. C’est pourtant en France qu’il gagne ses galons lorsque, jeune auteur, il arrive à Pif Gadget après avoir essuyé un refus poli de la part de Hara-Kiri et de Pilote. Il y crée M le Magicien, qu’il va dessiner durant 5 ans entre 1968 et 1973. La collaboration s’arrête lorsque Massimo Mattioli repart en Italie pour d’autres projets destinés à un public plus adulte. Bien que grand lecteur de Pif Gadget, je ne suis pas assez vieux pour avoir connu M le Magicien et je ne sais pas ce que j’en aurais pensé étant jeune.
M le Magicien m’a tout de suite évoqué Krazy Kat, cité explicitement dans un strip, en un peu moins poétique et surréaliste, un peu moins seulement. Massimo Mattioli s’inspire aussi de B.C. de Johnny Hart, que je n’ai jamais lu. M le Magicien m’a beaucoup plu, avec son humour absurde et son jeu permanent sur la structure du récit et du dessin. J’ai beaucoup aimé les rares gags sur la police (voir ci-dessous), on savait rigoler dans Pif Gadget à l’époque. Je ne sais pas si j’apprécierais autant les autres œuvres de l’auteur, qui semblent bien plus adultes dans leur ton. Il faudra tout de même que je tente à l’occasion.
Aaaaaah, M le Magicien <3
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