samedi 15 avril 2023

Carnet de bord 08/04/2023-14/04/2023



Films vus en compagnie
川っぺりムコリッタ [Kawapperi Mukolitta] de Naoko Ogigami (2021, Riverside Mukolitta)
Takeshi Yamada débarque dans une ville côtière et commence à travailler dans une entreprise de confection de shiokara de calamar. Son patron lui recommande un logement bon marché dans la résidence Mukolitta, un ensemble de préfabriqués collés les uns aux autres parfait pour un homme seul avec un faible salaire. Dès son installation, son voisin Shimada lui demande s’il peut utiliser son bain puis s’invite régulièrement à ses repas, au grand dam de Takeshi qui voudrait être tranquille. Il fait bientôt la connaissance des habitants de Mukolitta et émerge progressivement de la coquille qu’il s’était construite.

Kawapperi Mukolitta est une adaptation par Naoko Ogigami de son roman éponyme publié en 2019. Pensé au départ sous forme de script, elle écrivit un livre en attendant que sa production devienne possible. Tourné en septembre 2020 à Toyama dans le centre du Honshu, la sortie a été retardée d’un an à cause du covid. Kawapperi Mukolitta est représentatif du cinéma de Naoko Ogigami, des tranches de vie ancrées dans le quotidien paisible de marginaux un peu tristes et gentils. Mukolitta désigne une des plus petites unités de temps dans le bouddhisme, 48 minutes, et renvoie au bonheur modeste qui contenterait Takeshi. Naoko Ogigami centre son récit sur la solitude, la rédemption, l’acceptation de la perte et l’importance de la communauté, l’agaçant Shimada devenant le lien entre Takeshi et le monde extérieur. Elle a fait appel à des acteur·ice·s chevronné·e·s : Takeshi est interprété par Ken'ichi Matsuyama, capable de passer des blockbusters Death Note ou Gantz (2010) aux indépendants Linda Linda Linda (2005) ou Usagi doroppu (2011) ; Shimada par Tsuyoshi Muro, présent dans l’excellent Samâ taimu mashin burûsu (2005) ou l’amusant Dansu wizu mî (2019) ; la propriétaire des appartements par Hikari Mitsushima, héroïne de Love Exposure (2008) et qui apparaît également dans les Death Note ; et un vendeur de pierre tombale par Hidetaka Yoshioka, le neveu de Tora-san qui a dorénavant des cheveux grisonnants.
Naoko Ogigami est sans doute ma réalisatrice japonaise préférée. J’ai vu tous ses longs métrages, j’aime beaucoup la façon dont elle traite subtilement le problème de la solitude et les relations qu’elle instaure entre des individus décalés. Dans Kawapperi Mukolitta, elle ajoute l’ombre de la mort, qui plane sur tous les protagonistes, et examine comment ils parviennent à faire le deuil, sans dramatisation excessive. Même Shimada, le voisin relou, est rendu attachant, et l’ambiance reste légère malgré la gravité des thèmes. C’est encore une belle réussite de la part de Naoko Ogigami, dommage qu’elle ne soit pas distribuée en Occident.


My Best Friend's Exorcism de Damon Thomas (2022, L'exorcisme de ma meilleure amie)
Abby et Gretchen sont inséparables et se désolent de leur prochain éloignement, Gretchen déménageant d’ici peu. Avec deux copines du lycée, elles vont à la campagne pour le week-end, à côté d’une maison hantée. Abby et Gretchen partent explorer la bâtisse abandonnée, sont effrayées par une apparition et sont séparées lorsqu’elles essayent de s’enfuir. Dans les jours qui suivent, le comportement de Gretchen change, elle devient méchante, vulgaire et rejette l’amitié d’Abby. Celle-ci estime que Gretchen a été violée et subit un choc post-traumatique mais elle ne trouve pas de soutien auprès des adultes à qui elle en parle.

My Best Friend's Exorcism est tiré d’un bouquin de Grady Hendrix, scénariste du crétin Satanic Panic (2019), et est produit notamment par Christopher Landon, le metteur en scène des Happy Birthdead et de We Have a Ghost (2023). C’est le premier film de Damon Thomas, venu de la télévision. Compte tenu de l’affiche et du début, je pensais assister à une comédie teenager d’horreur, parodie des slashers et sous-Exorciste des années 80. L’ambiance prend toutefois un tour dramatique et dérive vers un genre de Ginger Snaps (2000) vaguement comique. Des sujets durs sont mentionnés, le viol, le harcèlement, le rejet de l’homosexualité ou l’anorexie, et l’intrigue est portée par de jeunes actrices convaincantes. Ni vraiment drôle excepté son trio de culturistes cathos, ni effrayant, My Best Friend's Exorcism a du mal à se positionner et a déstabilisé le public et les critiques, d’où une note imdb catastrophique. Sans être dénué de défauts, il ne mérite pas une telle sévérité : le personnage d’Abby est intéressant et la façon d’aborder les dangers de l’adolescence sous l’angle horrifique fonctionne correctement, sans être d’une folle originalité. Pris comme un drame adolescent mâtiné d’horreur et d’un soupçon de comédie, c’est très regardable.


The Inspector General d’Henry Koster (1949, Vive Monsieur le maire !)
Georgi travaille pour le gitan Yakov, un bonimenteur promouvant un élixir miraculeux de pacotille. Lassé de rouler de pauvres gens, Georgi vend la mèche, se fait virer puis est mis en prison par un concours de circonstances. Pendant ce temps, à la mairie de la ville, on s’affole car un inspecteur général venu de la capitale risque de surgir incognito pour examiner les comptes. Le seul étranger étant Georgi, les autorités municipales le prennent pour l’inspecteur déguisé, le sortent de cellule et se mettent à le traiter avec égards.

The Inspector General est une transcription du Revizor, une pièce de théâtre satirique de Gogol écrite en 1836 se moquant du pouvoir et de l’administration de la Russie tsariste. Le texte est largement revu afin de coller à l’image de la vedette Danny Kaye qui incarne Georgi. Le faux inspecteur est transformé en un homme positif et honnête, et son temps de présence est sensiblement accru. Des chansons sont ajoutées et le cadre est transposé dans un lieu indéterminé quelque part en Europe au temps de Napoléon Ier (les décors du Corriganville Movie Ranch utilisés évoquant surtout des westerns ou des villages mexicains).
Danny Kaye est entouré d’un joli panel de seconds couteaux. Gene Lockhart apporte sa bonhommie dans le rôle du maire ; Alan Hale, le sidekick habituel d’Errol Flynn, est son adjoint ; Elsa Lanchester sa femme ; et le reste du conseil est composé de trognes du cinéma hollywoodien des années 40. Malheureusement, tout tourne autour d’un Danny Kaye hystérique et grimaçant au possible. Il est extrêmement fatigant, ne se calmant que quand il chante, fort bien au demeurant. C’est pourtant un bon acteur quand il était contenu, à l’image de Millionnaire de cinq sous (1959). Ça n’est cependant arrivé que rarement dans sa carrière et ce n’est clairement pas le cas ici.


Ana e Vitória de Matheus Souza (2018)
Ana croise Vitória durant une soirée et elles sympathisent. Vitória signale qu’elles étaient dans la même classe au collège et qu’Ana l’avait aidée à tricher à un examen. Lors de la fête, Ana se dispute avec sa copine Júlia, tombe amoureuse d’une autre fille et demande à Vitória de flirter avec Júlia. Au petit matin, après leurs aventures nocturnes, elles décident de se revoir pour enregistrer une chanson, qu’elles diffusent sur les réseaux sociaux. La vidéo devient virale et elles sont contactées par un producteur.

Ana Clara Caetano Costa et Vitória Fernandes Falcão sont deux artistes brésiliennes, qui forment depuis 2015 le groupe Anavitória. Ana e Vitória s’inspire de leur parcours en retraçant leur rencontre et leur percée dans le milieu musical. L’histoire tient sur deux lignes et l’essentiel du métrage est consacré aux atermoiements sentimentaux des deux héroïnes, ponctués de leurs chansons. Bien qu’Ana et Vitória soient amusantes, j’ai eu du mal à me passionner pour ces jeunes beaux et aisés qui, pendant deux heures, passent leur temps sur leur téléphone et changent de copain/copine comme de chemise. Les personnages secondaires sont fades et peu développés. Les chansons, sans être désagréables, sont de la pop/folk ultra standardisée qui pourrait venir de n’importe quel pays si ce n’était pas en portugais. Dispensable.


రౌద్రం రణం రుధిరం [RRR] de S.S. Rajamouli (2022)
En Inde en 1920, le gouverneur et sa femme enlèvent une petite fille dans un village Gond. Ce peuple normalement pacifique ne supporte pas de perdre l’un de ses membres et le gardien de la tribu, Komaram Bheem, part la récupérer quoi qu’il en coûte. Alerté, le gouverneur charge son administration de capturer l’envoyé mais ceux-ci ignorent tout de son identité. L’ambitieux officier Rama Raju décide d’enquêter sur le terrain et prospecte partout dans Delhi. Au cours de ses investigations, il sauve un jeune garçon en danger avec l’aide d’un inconnu et les deux hommes deviennent inséparables. Rama Raju ne sait pas que son nouvel ami est Komaram Bheem, la personne qu’il recherche.

Enthousiasmé par Baahubali, j’étais curieux de voir ce RRR de S.S. Rajamouli dont j’avais entendu des critiques dithyrambiques (une mise en garde récente d’une amie avait toutefois relativisé mes attentes). Si RRR a des qualités et un gros budget, il est très loin de son prédécesseur. Baahubali est une saga avec un souffle épique, il possède un méchant charismatique, des héroïnes fortes et le rythme ne retombe pas malgré ses nombreuses péripéties. On ne peut pas en dire autant de RRR. Après une vingtaine de minutes tendues, où trois scènes brossent clairement les enjeux, puis un sauvetage délirant qui permet la rencontre de Bheem et Raju, RRR s’enlise. On passe dans une sorte de buddy movie, où Raju conseille le balourd Bheem pour séduire une Anglaise et les deux potes se lancent ensuite dans un concours de danse. Au bout d’une heure, ça redémarre avec une attaque du palais et une flagellation en public convenue. La dernière demi-heure m’a enfin tiré de ma torpeur grâce à une séquence de baston complètement folle et jouissive.
Ça s’achève sur une chanson nationaliste, qui pique dans le climat indien actuel. A l’inverse de certains blockbusters de Bollywood où les musulmans sont les méchants, RRR propose un nationalisme fédérateur, il n’oppose pas les peuples ou les religions de l’Inde, l’ennemi est le colonisateur. Le problème est que, dans un contexte où un parti d’extrême-droite hindou est au pouvoir et mise sur le nationalisme et l’identité indienne pour y rester, toute œuvre jouant sur la fibre patriotique consolide les extrémistes. Bheem et Raju sont inspirés de deux héros révolutionnaires, S.S. Rajamouli imaginant ce qui aurait pu se passer s’ils s’étaient rencontrés et étaient devenus amis. A deux-trois détails près, RRR ne fait pas preuve d’un chauvinisme excessif et il est dommage de terminer sur une chanson glorifiant le drapeau et la nation. Côté réalisation, il n’y a pas trop de ralentis-accélérés, c’est globalement lisible, les effets spéciaux piquent encore un peu (notamment les animaux en image de synthèse) sans que ce soit choquant dans l’ensemble. Je ressors donc mitigé, à cause d’un long ventre mou et d’une construction narrative plus bancale et moins lyrique que Baahubali.


Films vus seuls
黒蜥蜴 [Kuro tokage] d’Umetsugu Inoue (1962, Black Lizard)
Le détective Akechi est affecté à la mission assommante de protéger d’un enlèvement la fille d’un marchand de bijoux, la jolie Sanae. Le joaillier a reçu plusieurs lettres de menaces et sa fortune attise les convoitises. Alors qu’ils sont en déplacement à Ôsaka pour une proposition de mariage arrangée, la terrible criminelle « Le lézard noir » kidnappe Sanae au nez et à la barbe d’Akechi. A-t-il vraiment été dupé ? Peut-on se moquer si facilement du meilleur détective du monde ?

Edogawa Ranpo est un célèbre auteur de roman policier et d’horreur des années 1920-1930, créateur du détective Kogoro Akechi et père du mouvement ero guro nansensu. Le lézard noir a été publié sous forme feuilletonesque dans le magazine mensuel Hinode entre janvier et décembre 1934. Yukio Mishima l’a adapté en pièce de théâtre en décembre 1961, et les films de 1962 d’Umetsugu Inoue et de 1968 de Kinji Fukasaku en sont tirés. J’ai lu il y a quelques années le livre paru aux éditions Philippe Picquier, ça ne m’avait pas marqué. L’intrigue était quelconque et la version de Mishima n’a guère amélioré les choses, pas davantage que le script de Kaneto Shindô.
Tout l’intérêt du Kuro tokage d’Umetsugu Inoue réside dans la mise en scène. J’avais récemment été agréablement surpris par Daisan no kagemusha, qui m’avait permis de réévaluer Umetsugu Inoue que je prenais pour un spécialiste mineur de la comédie musicale hongkongaise. Cette appétence pour le genre se retrouve ici de façon étonnante, avec un thème musical récurrent et des gens se mettant à danser brièvement sans raison. Il accompagne cette fantaisie d’une photographie ultra colorée et irréelle très pop, une désinvolture dans la narration et une musique jazzy. J’associais ce style à l’avant-garde de la Nikkatsu et je ne vois guère que Seijun Suzuki qui soit allé aussi loin, Kuro tokage me rappelant vaguement Le vagabond de Tokyo (1966). Pour une production de 1962 de la Daiei, c'est inattendu et je me suis bien amusé. Le casting est judicieux, Machiko Kyô est parfaite en lézard noir et Minoru Ôki joue Akechi avec morgue. Une bonne surprise, plus sympathique que le Kinji Fukasaku.


禁断の黙示録 クリスタル・トライアングル [Kindan no mokushiroku Crystal Triangle] de Seiji Okuda (1987, Cristal Triangle)
Koichiro Kamishiro est un archéologue lancé sur les traces d’un message perdu de Dieu. Dans des ruines au Moyen-Orient, il découvre un mystérieux cube construit dans une matière inconnue. En retournant au Japon, il réussit à ouvrir le cube et y récupère deux cristaux pyramidaux. Ils contiennent des inscriptions dans une langue ancienne et indiquent une localisation au Japon. Accompagné de ses assistant·e·s, Koichiro s’y rend, suivi discrètement par des membres du KGB, de la CIA et de la tribu Hih, tous décidés à lui mettre des bâtons dans les roues.

Cristal Triangle est un long métrage d’animation original créée directement pour le marché de la vidéo. Il est dirigé par Seiji Okuda, un réalisateur et concepteur de storyboard expérimenté mais sans éclat. Le budget est limité, c’est assez moche et ça manque de fluidité. Scénaristiquement, c’est du sous Indiana Jones porte-nawak, avec des retournements invraisemblables, des personnages sans relief et une fin franchement nulle. Cristal Triangle est d’un faible niveau et ne mérite pas d’y consacrer 1h30.


11人いる! [Jûichi-nin iru!] de Tetsu Dezaki & Tsuneo Tominaga (1986, They Were Eleven)
Dans le futur, Tada passe des examens d’entrée à la prestigieuse Cosmos Academy. Pour la dernière épreuve, il est envoyé avec neuf autres candidats dans un vaisseau spatial. Dès leur arrivée, un élément les surprend : ils sont 11 et non 10 comme annoncé, un intrus s’étant glissé parmi eux. Pour être admis, il faut qu’ils survivent 53 jours sans appeler au secours. Dans une navette délabrée et remplie de pièges, ils vont devoir s’entraider malgré la présence du onzième individu.

Jûichi-nin iru! est un film d’animation produit par Kitty Films et tiré d’un manga en un volume de 1975 de Moto Hagio. Ecrivaine majeure qui permit au shôjo d’être considéré sérieusement par les critiques et les éditeurs, Moto Hagio fut avec Jûichi-nin iru! une des premières femmes à publier un shônen. Il fut apprécié par le public et reçut le Shogakukan Manga Award en 1976. Bien qu’ayant bénéficié d’une diffusion sur grand écran, l’adaptation de Jûichi-nin iru! était clairement destiné au marché de la vidéo. Il est apparemment proche du manga, tant au niveau de l’histoire qu’en terme de style, le character design rappelant les années 70. Son animation est supérieure aux pures OAV façon Cristal Triangle (1987), même si elle demeure à des années-lumière de ce qui se faisait de mieux.
Alors que le début laisse présager un truc à la Aliens, avec onze passagers enfermés dans un vaisseau à la dérive et un intrus parmi eux, on est en définitive proche d’un Star Trek. Il n’y a pas d’horreur, peu de violence, les relations entre les compagnons de fortune et la solidarité priment. Sur les onze, il n’y en a que trois ou quatre qui sont réellement développés, c’est parfois mou, naïf, et la conclusion est décevante. Néanmoins, cette SF psychologique centrée sur la camaraderie et qui effleure les différences de races, de classes et de genres (gentiment hein et en moins subversif que dans le manga) change du tout venant et j’ai trouvé ça regardable.


黒蜥蜴 [Kuro tokage] de Kinji Fukasaku (1968, Le lézard noir)
Prévenue par une lettre que sa fille Sanae est menacée d’enlèvement, le joaillier Iwase engage le détective Akechi pour la protéger. Pendant qu’ils discutent des détails de l’affaire, Sanae reste seule dans le salon de l’hôtel avec une cliente d’Iwase, en réalité le lézard noir déguisée. Elle s’arrange pour que Sanae la suive dans une chambre à l’étage, la kidnappe puis fait croire à Iwase que sa progéniture est allée se coucher. Lorsque Akechi se rend compte que Sanae a disparu, il est trop tard. A moins qu’il n’ait anticipé les actions de son adversaire depuis le départ.

A l’inverse de son prédécesseur de 1962, le Kuro tokage de 1968 aborde son sujet sérieusement. Il devait initialement être réalisé par Yukio Mishima à partir d’une ébauche de script et être un véhicule pour l’acteur travesti Akihiro Miwa. Celui-ci était à l’époque amoureux de Mishima et jouait le lézard noir au théâtre. En raison des modifications apportées à son texte par le scénariste Masashige Narusawa, Mishima quitta le projet, acceptant cependant de faire une apparition dans un rôle secondaire. Cette version de 1968 tourne autour du lézard noir/Akihiro Miwa. Akechi, pourtant interprété par Isao Kimura, un habitué de Kurosawa, est renvoyé au second plan.
Ce Kuro tokage est sans doute plus fidèle à la pièce de Mishima, plus théâtral et dramatique que celui de 1962. Il est violent, sombre, une sorte de James Bond focalisé sur le vilain au lieu du héros. Le problème, déjà signalé précédemment, est que la trame n’est pas intéressante, invraisemblable voire ridicule. L’aspect ironique et presque parodique de l’adaptation de 1962 aidait à faire passer la pilule. La tension entre le lézard noir et Akechi était également mieux rendue. En effaçant en partie Akechi et en faisant du lézard noir une femme fatale tragique, Kinji Fukasaku s’embourbe dans les faiblesses du récit et rend au final son film plus kitsch que celui d’Umetsugu Inoue, volontairement décalé.


Livres
Repères sur la route de Roger Zelazny (Denoël, collection « Présence du futur », 1981), 224 p.
Une route parcourt le temps, ses sorties permettant de rejoindre des mondes alternatifs à différentes époques. Des êtres humains l'empruntent et, par leurs actions, agissent sur les civilisations et bouleversent les embranchements. Red Dorakeen est sur la route depuis fort longtemps, à tel point qu’il a oublié ses origines. Il n’en conserve que de vagues souvenirs et tente de modifier l’Histoire afin de recréer la configuration qui génèrerait une sortie vers sa réalité. En parallèle, un ancien allié de Red lance un contrat sur sa tête, engageant dix assassins pour le tuer.

Repères sur la route est un petit roman typique de Zelazny, avec son protagoniste invincible, ses emprunts historiques et sa multitude d’idées à peine explorées. Zelazny brosse en quelques lignes des personnages haut en couleur et il y aurait facilement matière à une série de bouquins. Il ne faut pas s’attendre à de la psychologie ou de grandes considérations morales, c’est de l’action pêchu sans temps mort et des péripéties à gogo. Ça se lit rapidement et c’est distrayant, je n’en demandais pas plus.


Cinéma et littérature au Japon de l'ère Meiji à nos jours sous la direction de Max Tessier (Editions du Centre Pompidou, collection « cinéma/singulier », 1986), 119 p.
L’introduction explique la distinction au Japon entre la littérature pure (jun-bungaku) et la littérature de masse (taishû-bungaku), puis dresse un panorama des rapports au XXe siècle entre auteurs fameux, réalisateurs renommés et cinéma. Deux chapitres sont ensuite consacrés aux héros dans la littérature populaire et aux liens entre théâtre et cinéma. Les carrières de 37 écrivain·e·s sont enfin parcourues avec, à chaque fois, un retour sur leurs ouvrages marquants, des éléments biographiques, les œuvres traduites en français et les principales adaptations cinématographiques (en 1986, date de la publication).

Cinéma et littérature au Japon de l'ère Meiji à nos jours aborde le cinéma japonais sous l’angle de la littérature, lien évident compte tenu de la quantité de films tirés de romans et curieusement peu traité par la recherche. Les trois articles qui précèdent les 37 biographies sont passionnants et davantage de contributions auraient été appréciables. Je ne suis pas spécialiste en lettres japonaises, j’ai juste lu quelques classiques et picoré de-ci de-là. J’ai donc découvert de nombreux écrivain·e·s et j’ai noté pas mal de titres à récupérer. Mon principal reproche est que Cinéma et littérature au Japon de l'ère Meiji à nos jours est plus porté sur la littérature que sur le cinéma, sans doute par manque de spécialistes francophones dans ce domaine. Excepté dans les notices rédigées par Max Tessier ou Tadao Satô, les transpositions sur grand écran ne sont pas analysées ou comparées, l’auteur·rice inventoriant uniquement les textes. En outre, il y a souvent des doublons entre l’essai principal et l’encart sur les éléments biographiques. Cela donne l’impression que les deux ont été rédigés par des personnes différentes qui n’auraient pas eu accès à leur travail respectif. C’est malgré tout un livre précieux et une actualisation serait de bon aloi. Une étude similaire sur les liens entre cinéma et manga serait également bienvenue, les mangas étant à présent la première source d’inspiration pour les scénaristes.

Les animaux ont-ils une culture ? de Damien Jayat (EDP Sciences, collection « Bulles de sciences », 2010), 220 p.
Dans Les animaux ont-ils une culture ?, le journaliste scientifique et docteur en biologie Damien Jayat se demande si le mot culture peut s’appliquer au règne animal en dehors de l’être humain. Pour cela, il divise son essai en quatre parties :
• Il liste des comportements chez les mammifères, les oiseaux et les insectes qui pourraient être assimilés à de la culture.
• Il examine ensuite les conditions dans lesquels ces comportements ont été relevés et détaille les débats autour du terme culture. Il se penche sur les discussions au sein des biologistes puis sur celles opposant les sciences dures et les sciences humaines et sociales, ces dernières estimant que la culture est le propre de l’homme.
• Il questionne en conséquence les traits supposément possédés uniquement par l’humanité et non par les animaux.
• Il termine en relativisant les rapprochements. Concédant l’existence de phénomènes culturels dans la nature, il met en avant les particularités des cultures humaines.
Evacuons rapidement le truc qui pique dans ce livre de vulgarisation par ailleurs plaisant et facile à lire : les dessins rigolos, apparemment le concept de cette collection. Je ne sais pas ce qu’il en est des autres titres mais les dessins sont ici particulièrement nuls, ils n’apportent rien et offrent un humour à deux balles loin de l’esprit du texte. A part ça, à l’instar de L’Intelligence animale – Cervelle d’oiseaux et mémoire d’éléphants, c’est truffé d’exemples édifiants et amusants, même si je les connaissais déjà pour la plupart. J’ai apprécié le fait que Damien Jayat soit pondéré dans son approche et présente les différentes définitions de la culture sans imposer le concept partout, ce qui était mon reproche principal dans L’Intelligence animale qui voyait de l’intelligence jusque chez les bactéries. L’ultime chapitre sur les cultures humaines est hors sujet d’après moi. Si Les animaux ont-ils une culture ? se contente de défricher un terrain vaste et complexe, il constitue néanmoins une bonne entrée en la matière, distrayante et scientifiquement solide.


Revues
Les Cahiers du cinéma n°797 – Avril 2023
Le gros dossier de ce mois-ci porte sur l’état d’Hollywood et de Los Angeles, qui se cherchent en cette période post-covid où les entrées en salles ne remontent pas au niveau d’avant et où les plateformes ont pris le pas sur les studios traditionnels. La partie sur Los Angeles ne m’a pas passionné, je n’ai jamais été fan de cette ville où la voiture règne en maître et qui ne parle pas à l’Européen que je suis. Les entretiens avec David Lynch et John Carpenter font plaisir, bien qu’on n’y apprenne rien de neuf.

Côté sortie, c’est le désert. Suzume (2022) du surestimé Makoto Shinkai semble nase, je le verrai à l’occasion dans quelques années. Alma viva (2022), coproduction franco-portugaise qui traite d’immigration et de sorcellerie, est intrigant. C’est à peu près tout.
En patrimoine, c’est pareillement maigre. Une page sur Distant Voices, Still Lives (1988) me rappelle que je veux le voir depuis longtemps. Et voilà.


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