samedi 12 août 2023

Carnet de bord 05/08/2023-11/08/2023



Films vus en compagnie
La grande frousse/La cité de l’indicible peur de Jean-Pierre Mocky (1964)
Les inspecteurs Triquet et Virgus sont envoyés à la poursuite du faux-monnayeur Mickey le bénédictin. Pour accélérer les recherches, ils se séparent et Triquet se rend à Barges, morne village d’Auvergne dans lequel réside une étrange population. La bourgade vit dans la terreur de la bargeasque, une affreuse bête légendaire du Moyen-Âge. Alors que Triquet ne se préoccupe que de son enquête, il est impliqué contre son gré dans les manigances des habitants et se retrouve rapidement avec un meurtre sur les bras.

A la suite du succès surprise d’Un drôle de paroissien, Jean-Pierre Mocky continua sa collaboration avec Bourvil. Il partit en Belgique convaincre Jean Ray de lui confier les droits de La cité de l’indicible peur, conseillé par son ami Raymond Queneau qui écrivit les dialogues. Mocky était fan du roman. C'était, estimait-il, un Corbeau (1943) en mieux et il appréciait le côté enfantin de Triggs/Triquet. Pour des questions budgétaires, il relocalisa l’action en Auvergne, ce qui importait peu : la cible de Jean Ray était la bourgeoisie belge et son Ecosse était de toute façon une transposition des Flandres. Amputé par le distributeur et diffusé sous le titre La grande frousse, ce fut un échec commercial. Il dut attendre sa ressortie en 1972 en version intégrale pour acquérir le statut d’œuvre culte qu’il a conservé depuis. Le casting est hétéroclite, mêlant des vieux briscards has-been issus du théâtre classique (Jean-Louis Barrault, Victor Francen ou Raymond Rouleau) et des iconoclastes comme Jean Poiret et Francis Blanche.
La grande frousse se démarque du bouquin par son absurdité. L’investigation de Triquet est constamment déroutée de son chemin, chaque protagoniste est affublé de tics et tourné en ridicule. Il garde cependant l’esprit de l’original qui, sous des dehors d’horreur, se moquait narquoisement des autochtones et de son détective malgré lui. Le montage est anarchique, avec un excès de gros plans et des transitions lunaires typiques de Mocky. Je connais mal son cinéma, c’est je crois raisonnable selon ses standards. On adhère ou pas à cet univers spécial, j’ai pour ma part aimé.


Luckiest Girl Alive de Mike Barker (2022, American Girl)
Ani semble vivre dans un rêve. Journaliste dans un magazine féminin new-yorkais, elle s’apprête à épouser un notable fortuné et tout lui sourit. Aussi hésite-t-elle à témoigner dans un documentaire portant sur la fusillade qui a eu lieu dans son lycée seize ans auparavant. A l’époque, elle avait été accusée par un des survivants, Dean Barton, d’être une complice des tueurs et elle n’a jamais donné sa vision des faits. Elle aurait pourtant beaucoup à dire, notamment sur Dean Barton et ses camarades.

Luckiest Girl Alive est tiré du roman éponyme de Jessica Knoll, scénariste et productrice exécutive sur le long métrage. Il a été publié en 2015, deux ans avant le mouvement #MeToo, et est inspiré d’évènements traumatiques survenu pendant l’adolescence de l’autrice. Le livre est apparemment plus dur et Ani y est complètement détestable. J’ai des difficultés à me prononcer sur Luckiest Girl Alive, il y a des éléments qui me dérangent sans que je puisse mettre le doigt dessus. La critique de Marya E. Gates sur RogerEbert.com résume correctement mon ressenti.
Si j’essaye d’analyser, je dirais que les séquences de viol sont trop explicites et qu’Ani adulte est d’une hypocrisie et d’un cynisme énervants. Il y a en outre un déphasage entre l’Ani ado paumée et attachante interprétée finement par Chiara Aurelia, qui oscille entre les intellos rejetés et les riches cools dans la tradition des films sur l’université, et la snob Ani focalisée sur le paraître et qui se moque des manières plébéiennes de sa mère. Les problématiques autour des différences de classe sont d’ailleurs maladroitement exploitées, avec une fascination pour le luxe qui transparaît en dépit de la mince réprobation de façade. L’utilisation du massacre de Columbine en toile de fond est également de mauvais goût (sans être clairement Columbine, ça se déroule la même année 1999 avec deux garçons responsables de la tuerie et ça engendre un débat similaire sur les armes). Ne présenter que des héroïnes admirables serait contestable et il y a de nombreux aspects très justes dans le parcours du combattant nécessaire pour arriver à dénoncer ses agresseurs. Je pense que ça aurait toutefois pu être dépeint autrement.


谁先爱上他的 [Shei xian ai shang ta de] de Chih-Yen Hsu & Mag Hsu (2018, Dear Ex)
Liu Sanlian constate à la mort de son époux qu’il a légué son assurance décès à son amant Jay et non à leur fils Song Cheng-xi. Accompagnée de ce dernier, elle se rend chez Jay, furieuse, pour lui demander de restituer l’argent. En conflit avec sa mère et afin de comprendre la décision de son père, Song Cheng-xi s’incruste dans l’appartement de Jay, au grand désarroi de celui-ci qui mène une vie débridée.

En 2019, Taïwan est devenu le premier pays d’Asie à autoriser le mariage homosexuel. Dans son cinéma, les représentations LGBT sont courantes, depuis le clandestin The End of the Track (1970), interdit à sa sortie, jusqu’au mainstream Garçon d’honneur (1993), excellente comédie dramatique d’Ang Lee, ou à l’auteuriste Three Times (2005) de Hsiao-Hsien Hou. Un des réalisateurs taïwanais les plus célèbres à l’étranger est Tsai Ming-liang, ouvertement gay et dont les œuvres comportent souvent un personnage principal homosexuel. Cette reconnaissance n’a pas été sans heurt et, en dehors de la capitale Taipei, les préjugés subsistent encore aujourd’hui.
Mag Hsu est une metteuse en scène de théâtre et scénariste de TV drama réputés. Pour Dear Ex, elle a transposé ses mésaventures, un de ses petits amis l’ayant quitté pour sa meilleure copine. Elle changea le sexe de la voleuse d’homme et fit appel à Hsu Chih-yen, un réalisateur de clips de la nouvelle génération, pour l’aider à rédiger le script et à diriger le film.
Le background de TV drama de Mag Hsu se ressent et Dear Ex joue occasionnellement la facilité. Il débute sur un ton léger, Song Cheng-xi occupant la place du narrateur détaché coincé entre une mère hystérique et un « beau-père » à l’ouest. Son obstination à analyser froidement la situation a un côté cocasse. C’est ponctué d’animations rigolotes superposées à l’image, qui renforcent une esthétique m'as-tu-vu parfois agaçante. Au fur et à mesure, cette insouciance est abandonnée au profit d’un ton sérieux et mélodramatique. Une fois les enjeux posés, l’intrigue s’enlise avant une jolie conclusion. Bien qu’imparfait et un peu longuet, Dear Ex est touchant et mérite d’y jeter un œil.


Varjoja paratiisissa d’Aki Kaurismäki (1986, Ombres au paradis)
Nikander est éboueur à Helsinki. Célibataire, il se satisfait d’une morne existence, passant son temps libre au bingo ou à des cours d’anglais dans un carrel individuel. Il rencontre un jour Ilona, caissière au supermarché, et en tombe immédiatement amoureux. Leur premier rendez-vous est un désastre, Ilona s’ennuie et estime qu’ils n’ont rien en commun. Quand elle est renvoyée de son boulot et part avec la caisse sous le bras, elle s’enfuit pourtant avec Nikander.

Ombres au paradis initie la trilogie du prolétariat, composé en sus d’Ariel (1988) et de La fille aux allumettes (1990). Dans ces trois opus, Kaurismäki se penche sur le quotidien d’individus de la classe ouvrière finlandaise pauvre au sein desquels surgit le drame. Enfin du drame à la Kaurismäki, qui reste à échelle humaine et concerne des gens tristes et apathiques, abrutis par le travail et sans solidarité familiale ou sociale susceptible de les secourir. Le seul rayon de lumière vient d’une amitié ponctuelle, d’une relation amoureuse ou d’un espoir de promotion sociale vite déçu (dans Ombres au paradis, un collègue de Nikander qui veut monter sa propre boîte). Ombres au paradis met pour la première fois en vedette Matti Pellonpää en Nikander et Kati Outinen en Ilona, qui collaboreront régulièrement avec Kaurismäki par la suite.
Troisième long métrage de Kaurismäki, Ombres au paradis présente déjà le style typique du Finlandais avec son humour à froid, ses loosers impassibles, ses plans immobiles, ses décors ternes et sa bande-son improbable. Ce n’est pas parmi ses meilleurs, il manque de rythme et de profondeur, Ariel (1988) et La fille aux allumettes (1990) m’avaient davantage marqué. Cela demeure néanmoins agréable et ça ne dure qu’1h14.
Pas de doute, c’est du Kaurismäki.


Films vus seuls
8月の約束 [Hachigatsu no yakusoku] de Katsuhito Ishii (1995, Promise of August)
Trois étudiantes descendent dans une gare perdue dans la campagne avec un plan dessiné censé les guider jusqu’à une plantation de marijuana. Elles se perdent dans la forêt et, prenant conscience que leur carte est conçue pour un trajet en voiture, font du stop. L’homme qui accepte de les conduire n’est pas bavard et a des idées suicidaires.

Ses études à l’université d’art de Musashino achevées, Katsuhito Ishii devint réalisateur de publicités, activité qu’il pratique encore aujourd’hui. Il profita d’une formation interne pour tourner un moyen métrage, Hachigatsu no yakusoku, qui gagna le grand prix catégorie vidéo du Festival international du film fantastique de Yubari. Ce coup d’essai comporte une bande d’aimables cinglées, un obsédé sexuel, des bikers queer et un rythme lent, dans une atmosphère proche de ses futurs travaux.
Si j’avais apprécié le gentiment barré The Taste of Tea (2004), je n’avais pas accroché à Funky Forest: The First Contact (2005) que j’avais jugé crétin et vulgaire. Hachigatsu no yakusoku ne durant que 50 minutes, le risque était tolérable. La trame est mince, le chauffeur obsédé est relou et les effets spéciaux rigolos que Katsuhito Ishii utilisera à foison pendant sa carrière sont absents. Sans être aussi pénible que Funky Forest, ça ne m’a pas plu.


Nightmare de Freddie Francis (1964, Meurtre par procuration)
Janet a été traumatisée enfant par le meurtre de son père par sa mère lors d’une crise de démence. Elle craint de sombrer à son tour dans la folie et fait régulièrement des rêves où elle est enfermée à l’asile avec sa génitrice. Refusant de consulter un psychiatre, elle est renvoyée de son école et ramenée par une enseignante dans le manoir familial tenu par son garant, l’avocat Henry Baxter. Dès son retour, les cauchemars s’intensifient et son esprit menace de chavirer à tout moment.

A la suite du décevant Hysteria (1965), j’étais curieux de voir le plus réputé Nightmare, conçu un an auparavant par une équipe similaire. L’ancien directeur de la photographie Freddie Francis propose un beau noir et blanc avec des séquences nocturnes contrastées et des cadres volontairement étriqués, qui installent un climat claustrophobique et angoissant quasi fantastique. Le reste n’est malheureusement pas du même acabit. Les deux interprètes principales ont un jeu peu subtil et passent leur temps à hurler. Elles ne sont pas aidées par une intrigue extrêmement prévisible, largement pompée sur Les diaboliques (1955), avec deux twists que l’on sent venir à des kilomètres. Le premier, vers la moitié du film, écarte l’héroïne à la manière d’un Psycho. A l’inverse de ce dernier, il n’arrive pas à se relancer et la deuxième moitié n’a guère d’intérêt. Dommage.


Vi som går köksvägen de Gustaf Molander (1932, L'entrée de service)
Helga est la fille d’un riche industriel, une bourgeoise délurée incapable de se débrouiller dans une maison. Relevant le pari d’un ami qui la défie de vivre par ses propres moyens, elle prend un emploi de bonne dans une demeure campagnarde et tombe rapidement amoureuse du beau chauffeur, un motocycliste apprenti ingénieur.

Vi som går köksvägen est tiré d’un roman de la norvégienne Sigrid Boo. Il a été tourné en deux versions, une suédoise et une norvégienne, avec un casting en partie différent. Bizarrement, la suédoise chroniquée ici met en vedette l’actrice norvégienne Tutta Berntzen/Rolf, connue en Scandinavie pour ses comédies légères. Elle m’a fait penser à une Carole Lombard nordique. Un remake hollywoodien sera produit en 1934, avec Janet Gaynor en Helga. Vi som går köksvägen est dirigé par Gustaf Molander, habitué de comédies de salon qu’il considérait lui-même fortement stéréotypées. Vi som går köksvägen est représentatif de ce genre, du théâtre de boulevard facile. Dispensable, malgré l’énergie déployée par Tutta Rolf.


秋決 [Qiu jue] de Hsing Lee (1972, Execution in Autumn)
Gang Pei a assassiné froidement deux hommes et une femme qui, selon lui, tentaient de l’escroquer. Issu d’une famille aisée, il est persuadé que sa grand-mère va le sortir de prison et lui éviter la peine capitale. Arrogant, il ne montre aucun remords devant le tribunal et essaye de s’évader de prison. Les ressources de son aïeule ne sont pourtant pas illimitées et l’espoir qu’il en réchappe s’amenuise doucement.

Après avoir débuté dans le cinéma en taïwanais en 1958, Hsing Lee devint un des fers de lance du réalisme sain, qui célébrait le courage des petites gens dans un pays joyeux en cours de modernisation. Il réalisa les deux films fondateurs de ce courant, Oyster Girl (1963) et Beautiful Ducking (1965), et fut ensuite le promoteur officiel du paternalisme et du nationalisme du régime. Il fut également l’initiateur des adaptations de l’écrivaine Chiung Yao, spécialiste des romances sirupeuses. Execution in Autumn est artistiquement ambitieux, en costumes avec une jolie photographie et une musique d’Ichirô Saitô, collaborateur récurrent de Naruse.
Si, replacé dans son époque, Execution in Autumn n’est pas franchement progressiste, dans une veine moraliste insistant sur la nécessité du châtiment, c’est une œuvre atypique comparée aux wu xia pian classiques. Tandis qu’on s’attend à de l’action, avec ce fier-à-bras violent, on est plongé dans une réflexion contemplative sur le changement et la mort, le récit étant cantonné dans la prison au long de quatre saisons. Tout en étant hautement mélo, ça fonctionne bien et l’évolution du caractère de Gang Pei est crédible. Execution in Autumn offre donc une variation intéressante du wu xia pian, où on assisterait à la destinée du méchant consécutivement à sa capture par le gentil.


東京BABYLON [Tôkyô Babylon] de Koichi Chigira (1992-1994, Tokyo Babylon), 2 OAV
Subaru Sumeragi est un jeune médium de seize ans, descendant du clan Sumeragi, qui enquête sur les évènements surnaturels se déroulant à Tokyo. Il est soutenu par sa sœur jumelle, Hokuto, et par Seishirô Sakurazuka, un mystérieux ami vétérinaire. Dans l’épisode 1, Subaru se questionne sur un cadre du bâtiment anormalement chanceux, tous ses concurrents mourant dans des accidents ; le 2 porte sur un serial-killer dans le métro, traqué par une voyante capable de revivre le passé en touchant les objets présents sur les lieux du crime.

CLAMP est un collectif féminin de mangakas adeptes du shôjo. Sa série la plus fameuse en France est probablement Cardcaptor Sakura et de nombreux autres titres ont été traduits, notamment X qui lie certains de leurs univers. Tokyo Babylon est au départ un one-shot d’une des autrices du groupe, Nanase Ohkawa, qu’elles ont développé en sept volumes. Il a été publié en France par Tonkam en 1996 et c’est un des premiers mangas grand public en Occident qui dépeint une relation homosexuelle (entre Subaru et Seishirô). Les deux OAV, produites par le studio Madhouse, proposent des histoires originales s’inspirant du manga.
Pour quelqu’un comme moi qui n’a pas lu le manga, ces OAV sont assez frustrantes car elles ne font qu’effleurer les liens entre les personnages, apportant plus de questions que de réponses. Ça m’a évoqué à RG Veda, où il n’existe qu’une seule OAV qui m’avait agacé adolescent : elle esquissait un monde d’héroïc fantasy innovant fondé sur la mythologie védique dont j’avais dû me contenter, les mangas n’étant pas traduits. C’est techniquement pas mal mais les intrigues sont nasouilles et il vaut mieux, je pense, lire le manga.


Séries
Aggretsuko de Rarecho (2023), saison 5
Haida est au chômage et occupe ses journées sur un jeu vidéo en ligne, sur lequel il dépense l’intégralité de ses économies. Retsuko, poussée par Fenneko qui l’estime excessivement gentille, se crispe et lui dit qu’elle ne le reverra pas tant qu’il n’aura pas de boulot. Aussi, quand son frère lui annonce qu’il doit quitter l’appartement que leur père lui prêtait gratuitement, Haida est contraint d’aller dormir dans un cybercafé. Il y rencontre Shikabane, une freelance asociale, et découvre la dure vie des réfugiés des cybercafés.

Les saisons d’Aggretsuko se suivent et ne se ressemblent pas. J’avais d’abord vu les 100 épisodes d’une minute réalisés pour la compagnie Sanrio en 2016-2018 qui étaient réjouissants, variations autour d’un truc du quotidien qui énerve Retsuko. La saison 1 de la série Netflix m’avait un peu déçu, le passage à 15 minutes n’étant pas parfaitement maîtrisé. La saison 2 peinait par moment avant une saison 3 sur le monde des idoles qui renouvelait agréablement le concept. La saison 4, en revanche, était de trop : Retsuko était reléguée au second plan et le créateur s’efforçait de rendre sympathique les collègues relous ou le chef tyrannique, à rebours de l’esprit initial critiquant le monde de l’entreprise. J’allais donc à reculons vers cette saison 5, qui s’est avérée sympathique.
Elle commence sur une partie autour d’Haida et du cercle infernal engendré par la perte de son travail ; un second volet est centré sur la politique japonaise, avec Retsuko entrainée dans une élection. Si c’est toujours limité techniquement et musicalement (il y a trois/quatre pistes qui reviennent en boucle selon les situations), cette saison 5 conclut Aggretsuko de façon satisfaisante. J’espère qu’ils s’arrêteront là et n’exploiteront pas davantage le filon.


Livres
La cité de l’indicible peur de Jean Ray (Marabout, collection « Bibliothèque Marabout », 1971), 256 p.
Pistonné par un Lord de province, Sydney Terrence Triggs fut employé durant une trentaine d’années par la police de Londres sans jamais être promu policier. Il s’éleva au rang de secrétaire de quartier, fonction honorifique consistant à transcrire des rapports et à ranger des papiers. A sa retraite, il hérite d’une jolie maison dans son village natal où il devient une célébrité locale, les habitants le considérant comme un inspecteur de Scotland Yard. Ce statut l’amène involontairement à s’empêtrer dans les multiples affaires de cette bourgade au lourd passé historique.

Je continue avec les classiques de Jean Ray avec La cité de l’indicible peur paru en 1943. Construit à la manière d’une parodie de roman policier mâtiné de fantastique, c’est une satire de la bourgeoisie belge de l’époque. Jean Ray puise dans son feuilleton Harry Dickson le personnage de M. Triggs ainsi que diverses sous-intrigues et protagonistes. Compte tenu de l’auteur et du titre, je m’attendais à une histoire horrifique proche de Malpertuis, il n’en est rien. Le ton est léger, tout le monde est ridicule, y compris Triggs dépassé par les évènements. Jean Ray s’amuse avec les clichés du policier et du fantastique pour mieux désarçonner le lecteur. La révélation finale est ratée, un deus ex machina qui aurait facilement pu être évité. Ça n’empêche pas le bouquin d’être fort distrayant, montrant la variété des talents de Jean Ray dont je souhaite lire le reste des œuvres (ça va être coton pour les Harry Dickson, l’intégrale est épuisée, je vais essayer de les emprunter en bibliothèque).


The Fate of Rome de Kyle Harper (Princeton University Press, collection « The Princeton History of the Ancient World », 2019), 419 p.
Kyle Harper, historien spécialiste de l’Antiquité tardive, se penche dans The Fate of Rome sur l’influence des changements climatiques et des épidémies sur la chute de l’Empire romain. Selon lui, après un optimum climatique entre environ -200 avant JC et +150 après JC, l’Empire romain endure une période de transition avant d’entrer, à partir de 450 après JC, dans un petit âge glaciaire. Ces modifications se sont cumulées à trois grandes épidémies, la peste antonine entre 165 et 190 (probablement la variole), la peste de Cyprien entre 250 et 260 (peut-être une variante d’Ebola) et la terrible peste de Justinien entre 541 et 749 (Yersinia pestis, la peste, la vraie), qui ont entraîné une désorganisation et un affaiblissement significatif de l’Empire conduisant à sa fin.

Depuis quelques années, les questions environnementales ont fait leur apparition dans la recherche historique. Tandis qu’elles jouent un rôle fondamental en préhistoire, l’Histoire ne leur a jamais vraiment prêté attention. Le succès de The Fate of Rome, traduit en français en 2019 aux éditions La Découverte, a eu le mérite de mettre les pieds dans le plat en s’attaquant au cas complexe de la chute de Rome. Kyle Harper s’est malheureusement emballé et son livre a généré une controverse en raison de la faible fiabilité des données archéologiques utilisées, de sa généralisation hâtive de phénomènes locaux et de citations décontextualisées tendant à accentuer la gravité des crises. J’ajouterai que les facteurs épidémiques prennent largement le pas sur les aspects climatiques, qui sont relégués au second plan.
Malgré ces problèmes, The Fate of Rome est passionnant. Kyle Harper a un style clair et lisible et sait plonger le lecteur dans cette ère mouvementée. Ses descriptions des épidémies, bien qu’un peu sensationnalistes, sont glaçantes et sa connaissance pointue de l’Antiquité lui permet d’agrémenter sa narration de nombreux détails. Il ouvre également tout un champ d’analyse qu’il conviendra d’approfondir avec des données plus fiables et d’élargir à d’autres domaines. Je citerai un exemple que j’ai récemment découvert. L’éruption du Tambora en avril 1815 engendra en 1816 une année sans été. Aux abords du lac Léman en juin 1816, le temps pourri confina dans leur location une bande de touristes désœuvrés. Ne sachant comment s’occuper, l’un deux, un certain Lord Byron, proposa de se lancer dans un concours de nouvelles horrifiques. Mary Shelley écrivit alors les prémisses de Frankenstein et John William Polidori Le Vampire, texte qui popularisa le thème en Europe. Cette anecdote illustre l’importance sous-estimée de l’environnement dans l’Histoire de l'humanité et l’ouvrage de Kyle Harper, en dépit de ses approximations, amène ce sujet sur le devant de la scène.


L’été dramatique de Moomin de Tove Jansson (Le lézard noir, collection « Le petit lézard », 2015), 143 p.
A la suite d’une éruption volcanique, un tsunami immerge la vallée des Moomins. Leur maison est inondée et ils sont contraints de se réfugier sur un théâtre à la dérive, recueillant au passage deux naufragés des flots. Les Moomins ne savent pas ce qu’est un théâtre et s’émerveillent des trésors que recèle cette curieuse demeure. Cela ne plait guère à la concierge du lieu, qui peste devant leur ignorance et la façon dont ils se comportent.

Je continue doucement mon exploration des romans Moomin avec ce cinquième volume. Il s’éparpille davantage que Les mémoires de papa Moomin, les protagonistes sont séparés et le récit alterne entre les groupes. Se déroulant loin de la vallée, des personnages récurrents comme Sniff manquent à l’appel. Si j’ai préféré Les mémoires de papa Moomin et Moomin et le chapeau de Magicien, cela reste une lecture plaisante et reposante, et je suis toujours content de retrouver les Moomins.


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