samedi 19 août 2023

Carnet de bord 12/08/2023-18/08/2023



Films vus en compagnie
Das Cabinet des Dr. Caligari de Robert Wiene (1920, Le cabinet du docteur Caligari)
Assis sur un banc, Francis raconte à un vieil homme ses mésaventures. Lui et son ami Alan étaient amoureux de la même femme, Jane. En visitant une foire, ils entrèrent dans la tente du docteur Caligari, qui exhibait un somnambule nommé Cesare. Tiré de sa torpeur, celui-ci prédit à Alan son décès dans la soirée. Le lendemain, quand Francis s’aperçut que la prophétie s’était accomplie, il soupçonna immédiatement le docteur Caligari.

A la suite d’une discussion avec un collègue et du visionnage de The Unbearable Weight of Massive Talent où Nicolas Cage le mentionne, j’ai eu envie de me repencher sur Le cabinet du docteur Caligari, parangon du cinéma expressionniste que je n’avais pas vu depuis une vingtaine d’années et qui a été restauré en 4K par la Friedrich-Wilhelm-Murnau-Stiftung de 2012 à 2014. Après une brève contextualisation fondée majoritairement sur la très détaillée fiche Wikipedia française et sur l’ouvrage Le Cinéma expressionniste allemand – Splendeurs d’une collection édité en 2006 à l'occasion d'une exposition à la Cinémathèque française, je ferai ma modeste critique.

La genèse du Cabinet du docteur Caligari est complexe et a fait l’objet de multiples débats. Le discours dominant a longtemps été celui d’un des deux scénaristes, Hans Janowitz, sur lequel s’est appuyé Siegfried Kracauer pour son fameux livre De Caligari à Hitler : une histoire psychologique du cinéma allemand publié en 1947. Hans Janowitz disait avoir soumis avec son collègue pacifiste Carl Mayer un scénario révolutionnaire qui dénonçait la folie de l’autorité. Leur document était, selon lui, bourré d’annotations de mise en scène préconisant des décors peints et une esthétique à la Alfred Kubin. Une partie de ces affirmations furent invalidées par la découverte d’un script annoté, mettant en doute la bonne foi de Janowitz qui embellit clairement son apport. La volonté contestataire de Janowitz et Mayer fut également réfutée, les premiers articles attribuant au Cabinet du docteur Caligari une idéologie n’apparaissant que dans les années 1940. En réalité, l’idée de déployer une ambiance expressionniste semble venir du directeur artistique Hermann Warm et de deux de ses amis peintres, soutenus par le producteur de la Decla Rudolf Meinert qui y voyait le moyen de faire un coup commercial. En cette fin des années 10, l’expressionnisme n’était plus un art d’avant-garde, c’était une mode exploitée jusque sur des affiches publicitaires. Un style expressionniste proche des milieux théâtraux fut donc plaqué sur une histoire non prévue pour.
La production modifia le récit-cadre d’origine, amenant Kracauer à considérer qu’ils transformèrent un film subversif en film conformiste. En montrant la nature de l’âme collective allemande assujettie à l’autorité et en attente subconsciente d’un tyran, il estimait que Le cabinet du docteur Caligari dans sa version remaniée annonçait la montée du nazisme. Je me suis toujours méfié des relectures a posteriori et Kracauer, en se concentrant sur le texte, a complètement raté la révolution formelle engendrée par Le cabinet du docteur Caligari. Il exerça en effet une profonde influence sur le cinéma allemand et mondial (sur l’horreur américaine des années 30 et sur le film noir notamment) par sa manière d’utiliser les décors, les ombres et la lumière, les maquillages. Apprécié des intellectuels, il a par ailleurs contribué à donner au cinéma allemand un prestige international.

Pour un spectateur contemporain, Le cabinet du docteur Caligari a un rythme lent, pas aidé par les divers accompagnements musicaux trouvables sur internet et pour la plupart catastrophiques. L’intrigue est quelconque et seule la refonte du récit-cadre si décriée par Kracauer lui fournit une touche d’imprévu. Reste le visuel exceptionnel, l’interprétation et le look outranciers de Werner Krauss en Caligari et le jeu halluciné de Conrad Veidt en Cesare, deux acteurs ayant travaillé pour le théâtre expressionniste et qui ont su calquer leur gestuelle sur l’atmosphère. Ces éléments justifient amplement son visionnage, outre l’importance qu’il occupe dans l’Histoire du cinéma.


She Will de Charlotte Colbert (2021)
Veronica Ghent est une ancienne diva qui, à la suite d’une double mastectomie, va se ressourcer dans un centre de repos perdu en Ecosse. Elle est assistée de son aide-soignante Desi, qu’elle traite avec condescendance. A leur arrivée, elle constate avec effroi que les lieux ne sont pas vides mais accueillent un groupe de relaxation qui offre des activités auxquelles les invités sont censés participer. Ne pouvant repartir à cause des fortes pluies, elle passe la nuit avec Desi dans un vieux chalet en forêt, en retrait de la demeure principale. Elle apprend qu’un grand nombre de femmes ont été brûlées pour sorcellerie à proximité et fait pendant la nuit un rêve étrange.

Charlotte Colbert est une artiste multimédia qui vient des arts plastiques et possède une sensibilité à l’image qui se ressent dans She Will. Elle y compose des tableaux marquants dans les superbes paysages naturels d’Ecosse. Son rendu léché tombe parfois dans l’excès, par exemple dans la séquence de trip de Desi. La musique pas franchement subtile de Clint Mansell, connu pour ses BO des longs métrages de Darren Aronofsky, renforce la dimension onirique. Les actrices Alice Krige en Veronica et Kota Eberhardt en Desi sont excellentes et portent le récit. De façon générale, avec sa stylisation extrême et son propos féministe lourdement souligné sur les traumatismes et les prédateurs, She Will marche sur le fil entre formalisme fascinant et caricature. Selon son humeur et sa sensibilité, on pourra accrocher ou être rebuté. A voir pour se faire son opinion et pour la beauté de la photographie.


As Young as You Feel de Harmon Jones (1951, Rendez-moi ma femme)
En raison de la convention interne de Consolidated Motors qui interdit le travail après 65 ans, John R. Hodges est mis contre son gré à la retraite. Son entreprise d’imprimerie appartient en effet au constructeur automobile et sa politique de ressources humaines en dépend, même si personne au sein de sa boîte n’a jamais rencontré le PDG de Consolidated Motors, Harold P. Cleveland. John décide de se faire passer pour ce dernier afin d’imposer une modification des statuts de sa compagnie et d’être réembauché. Les évènements s’enchaînent et il prononce un discours remarqué devant la chambre de commerce locale, qui remonte jusqu’aux oreilles du vrai Harold P. Cleveland.

Première réalisation du monteur Harmon Jones, As Young as You Feel s’appuie sur le prédicat pas spécialement révolutionnaire que les vieux devraient, au nom de la liberté américaine, avoir l’autorisation de bosser tant qu’ils le souhaitent (sachant qu’en 1950 47% des plus de 65 ans occupaient encore un emploi). A cela s’ajoute le poncif du grand patron généreux et compréhensif, Consolidated Motors renvoyant à General Motors. Si ces aspects conservateurs sont un temps compensés par une épouse délaissée qui abandonne son foyer devant un mari et un fils pantois, tout malheureusement rentre dans l’ordre et elle retourne gentiment à la maison. La trame est pourtant tirée d’une histoire de Paddy Chayefsky, un progressiste œuvrant surtout à la télévision et scénariste des admirables Marty (1955) et Network (1976). Je ne sais pas dans quelle mesure Lamar Trotti, qui a écrit le script, a remanié l’intrigue.
Cela n’empêche pas As Young as You Feel d’être sympathique dans l’ensemble grâce à une belle brochette de vedettes en pleine forme. Monty Woolley incarne un John R. Hodges truculent et Thelma Ritter est savoureuse en belle-fille, piètre cuisinière regrettant sa jeunesse. Ils sont entourés de seconds couteaux investis et le couple d’amoureux, David Wayne et Jean Peters, est crédible. Une Marilyn Monroe en début de carrière et déjà charismatique apparaît en secrétaire de direction, et il n’y a guère que Russ Tamblyn, 16 ans, qui est à la ramasse. Un spectacle plaisant qui a le mérite de ne durer qu’1h17.


Films vus seuls
大菩薩峠 [Daibosatsu tôge] de Tomu Uchida (1957, Le passage du grand Bouddha)
Ryûnosuke Tsukue est un épéiste cruel et surdoué, fils d’un maître réputé. Quand Ohama, la femme d’un de ses adversaires, lui demande d’épargner son mari Bunnojo Utsuki, il n’hésite pas à la violer puis, le lendemain, à occire son époux dans un duel. Rejeté par la communauté, il s’enfuit à Edo avec une Ohama désespérée. Les années passent, Ryûnosuke et Ohama ont eu un garçon et vivent dans la pauvreté. Ryûnosuke est toujours aussi détestable et il a une ribambelle d’ennemis, notamment Hyoma, le frère de Bunnojo Utsuki.

Daibosatsu tôge est un roman-feuilleton inachevé de Kaizan Nakazato publié entre 1913 et 1944. C’est un des plus longs en langue japonaise, 1533 chapitres répartis en 41 volumes. Son héros, Ryûnosuke Tsukue, a marqué des générations de Japonais, l’archétype du mal absolu pourvu d’une perversité inexcusable. L’ouvrage a été transposé à de multiples reprises au théâtre dès les années 10 et au cinéma dès 1935. La version la plus fameuse est sans doute Le sabre du mal (1966), où Tatsuya Nakadai interprète un Ryûnosuke effrayant et implacable. J’ai également vu la trilogie de Kenji Misumi et Kazuo Mori produite par la Daiei en 1960-1961, qui m’avait déçu sans que je me souvienne pourquoi et alors que j’apprécie Raizô Ichikawa qui jouait Ryûnosuke.
En 1953, après la fin de l’occupation américaine et la levée des restrictions sur les jidai-geki, Kunio Watanabe réalise pour la Toei une trilogie Daibosatsu tôge en noir et blanc. Rendue obsolète par l’avènement de la couleur, la Toei confie à Tomu Uchida sa réactualisation, en conservant la star Chiezô Kataoka dans le rôle de Ryûnosuke. Vétéran ayant débuté à l’époque du muet, Chiezô Kataoka est un acteur récurrent chez Uchida depuis Le mont Fuji et la lance ensanglantée (1955). Peu expressif, son Ryûnosuke est impassible et las, ne laissant transparaître aucune émotion, loin de la folie de Tatsuya Nakadai ou de la mélancolie de Raizô Ichikawa. Bien que joliment photographié, ce premier épisode est excessivement bavard. J’espère que ça va décoller dans le deuxième.


大菩薩峠 第二部 [Daibosatsu tôge - Dai ni bu] de Tomu Uchida (1958, Le passage du grand Bouddha II)
Blessé dans une embuscade, Ryûnosuke devenu aveugle est secouru par Otoyo, une femme qui ressemble trait pour trait à la défunte Ohama. Pendant ce temps, Hyoma continue de le rechercher pour se venger. Il est accompagné d’Omatsu, une orpheline qu’il a sauvé et de qui il est amoureux, et du protecteur de celle-ci, le voleur Shichibei.

Le livre Daibosatsu tôge comporte une centaine de protagonistes et, au fil des volumes, Ryûnosuke et Hyoma sont relégués au rang d’intervenants occasionnels, perdus dans la masse et dans des réflexions sur le karma. Je n’y connais pas grand-chose en bouddhisme. De ce que j’ai compris, Kaizan Nakazato considérait son œuvre comme un roman du Grand véhicule, ce qui comptait pour lui était le chemin parcouru et tous les êtres pouvaient atteindre le statut de Bouddha. Dans Daibosatsu tôge, les fortunes s’entrecroisent, chaque existence reflète une alternative, une voie différente liée à la faute, au rachat ou à l’errance de l’âme, bien et mal finissant par se confondre. Les adaptations cinématographiques ont simplifié le propos en se concentrant sur une poignée de figures charismatiques. Le sabre du mal (1966) poussera ce raisonnement à l’extrême en effaçant les aspects religieux et en se focalisant sur Ryûnosuke Tsukue dans un unique métrage correspondant grosso modo au premier Daibosatsu tôge d’Uchida.
A l’inverse, Daibosatsu tôge - Dai ni bu s’éparpille et s’attache à de plus en plus de destinées qui se rejoignent brièvement. L’attention du spectateur se dilue dans la manœuvre, on ne voit pas trop où Uchida veut en venir, les trajectoires étant insuffisamment détaillées pour susciter une adhésion. Ryûnosuke revient sur le devant de la scène dans les quinze dernières minutes, les meilleures, où il confirme son ignominie. A voir si la troisième partie renoue avec la clarté de la première ou poursuit dans l’éclatement de la seconde.


大菩薩峠 完結篇 [Daibosatsu tôge - Kanketsu-hen] de Tomu Uchida (1959, Le passage du grand Bouddha III)
Le vil seigneur Kamio Shuzen a recruté Ryûnosuke pour qu’il assassine son rival, le seigneur Komai Noto. En attendant l’arrivée de sa victime, Ryûnosuke assouvit sa soif de sang en tuant aléatoirement des passants dans les rues de Kôfu la nuit. Hyoma a vent de ses massacres et se précipite à Kôfu mais Kamio Shuzen le fait arrêter et enfermer pour qu’il ne perturbe pas ses plans. Shichibei et Omatsu décident de l’aider à s’échapper.

Dans cet ultime volet, Ryûnosuke et Hyoma reprennent une place centrale et les personnages secondaires s’imbriquent mieux dans la trame. Ryûnosuke devient pleinement maléfique, un serial killer qui pourfend les innocents sans justification. Le jeu de Chiezô Kataoka est franchement théâtral, un stoïcisme excessif ponctué de poses kabuki. La construction narrative est étrange, avec des séquences dispensables, d’autres abrégées sans motif valable et des transitions curieuses. Dans le résumé des épisodes précédents, on voit même des éléments coupés au montage.
L’intérêt essentiel de l'épopée Daibosatsu tôge est Ryûnosuke Tsukue, anti-héros marquant de la littérature japonaise. La réussite des adaptations se juge à la façon dont il est présenté et utilisé. Si Le sabre du mal (1966) est probablement la meilleure, c’est parce que Kihachi Okamoto a capté l’essence de Ryûnosuke sans s’égarer dans les méandres du feuilleton de Kaizan Nakazato et que Tatsuya Nakadai a créé un Ryûnosuke terrifiant. La trilogie d’Uchida, la plus fidèle apparemment au livre d’origine, pâtit de la comparaison. Elle possède toutefois deux atouts : les femmes ne sont pas des faire-valoir, elles ont une importance capitale dans le déroulement des évènements et affichent une variété de caractères ; si, comme ailleurs, Hyoma (Nakamura Kinnosuke, acteur parfois agaçant, parfait ici) est au départ un jeunot falot, il gagne en profondeur au fur et à mesure. Suivant une logique de rédemption bouddhiste, il en vient ainsi à éprouver de la pitié pour son ennemi. En dépit d’un deuxième chapitre en demi-teinte, cette trilogie a donc des qualités et permet de se faire une bonne idée du roman.


孔夫子 [Kong Fuzi] de Mu Fei (1940, Confucius)
Au VIe siècle avant JC, le territoire chinois est composé d’une multitude de royaumes en guerre. Les souverains sont régulièrement renversés, les trahisons se succèdent et le peuple souffre. Le sage Confucius réunit autour de lui un groupe d’intellectuels et prône la loyauté, la piété filiale, l’humanisme, la fiabilité et la tolérance. Désigné grand ministre de la Justice de la principauté de Lu, il démissionne quand le duc préfère s’accorder trois jours de plaisir plutôt que de gouverner et refuse d’écouter ses conseils. Pour convaincre les monarques d’adopter ses préceptes, Confucius part sur les routes avec ses disciples.

Mu Fei est une figure majeure du cinéma chinois des années 30-40. Son œuvre la plus fameuse est le drame conjugal Printemps dans une petite ville (1948). Le reste de sa filmographie est moins illustre, une partie ayant été perdue. C’était le cas de Confucius jusqu’à ce qu’une copie en mauvais état soit donnée par un collectionneur au Hong Kong Film Archive en 2001. Après sept ans de restauration, il put être projeté au public et fut édité en DVD. Il semble malheureusement que ce soit le montage de 1948 désapprouvé par Mu Fei et non l’original qui a été retrouvé et le Hong Kong Film Archive tente depuis de reconstituer la version initiale. Malgré son échec dans les salles à sa sortie fin 1940-début 1941, Confucius impressionna la critique et les milieux intellectuels, notamment Chang Cheh qui s’en inspirera pour The Assassin (1967).
Confucius est ardu pour les non familiers de Confucius et de la Chine du VIe siècle avant JC. Ce sujet était sans doute au programme d’Histoire en Chine durant les années 30, pour un Français en 2023 c’est compliqué. Alors que j’ai lu les mémoires historiques de Sima Qian, incontournable sur la période, j’étais noyé dans les références, dans les intrigues de cour et dans les déplacements de Confucius entre les royaumes. Je comprends la volonté de Mu Fei de traiter un thème fédérateur sur la vanité des luttes intestines à un moment, en 1940, où les seigneurs de guerre se livraient bataille au lieu de s’unir contre l’agresseur japonais. Il n’empêche que Confucius est peu charismatique, et que c’est bizarrement découpé et souvent confus (accentué peut-être par le remontage de 1948). Dans ces circonstances, je peux difficilement le recommander.


Doctor in the House de Ralph Thomas (1954, Toubib or not toubib)
Simon Sparrow débarque à la faculté de médecine. Etudiant en première année, il est rapidement pris en charge par trois sympathiques redoublants : Taffy le fan de rugby, Tony le coureur de jupons et Richard le chef de la bande, qui touchera une pension de sa grand-mère décédée tant qu’il sera étudiant et qui n’est donc pas pressé d’obtenir son diplôme. Sous l’impulsion de Simon, ils vont bachoter et arriver péniblement en cinquième et dernière année.

Doctor in the House est un classique en Grande-Bretagne, où il a engendré six suites entre 1955 et 1970 et une série TV. Il a catapulté Dirk Bogarde, dans un de ses rares rôles comiques, au rang de star populaire. Bien que ne prévoyant pas une infamie à la Animal House (1978) ou autre comédie estudiantine stupide en dessous de la ceinture, Grande-Bretagne des années 50 oblige, je craignais un truc lourdingue à la Will Hay. Sans être remarquable, on n’est clairement pas dans cette catégorie. Doctor in the House repose sur un enchaînement de scénettes vaguement amusantes, avec un humour inoffensif lié aux ennuis créés par les examens et aux déboires sentimentaux de Simon, sans jamais sombrer dans le vulgaire (à l’exception d’un bref blackface gênant). Dirk Bogarde est parfait en brave gars bosseur et montre sa polyvalence, moi qui le connaissais essentiellement en type sérieux parfois inquiétant. Sans être hilarant ni mémorable, Doctor in the House n’est pas la purge escomptée, d’où ma relative mansuétude. Je ne m’infligerai en revanche pas les séquelles qui ont l’air graveleuses.


Ice Cold in Alex de J. Lee Thompson (1958, Le désert de la peur)
En 1942, à cause de la progression de l’armée allemande, une unité médicale basée à Tobrouk en Libye doit se replier en urgence sur Alexandrie en Egypte. La percée germanique est fulgurante et le capitaine Anson se voit contraint, pour ramener deux infirmières restées en arrière, de faire un détour par le désert dans une vieille ambulance. Accompagnés du sergent-major Pugh et du capitaine Van der Poel, un Sud-Africain qui a égaré sa division, ils vont devoir traverser un champ de mines et affronter de nombreux dangers.

Je continue les J. Lee Thompson avec Ice Cold in Alex, auréolé de prestige chez les cinéphiles anglais. Il est tiré d’un roman de Christopher Landon, également coscénariste, qui a été membre de la Royal Army Medical Corps et utilise son expérience pour donner au récit sa crédibilité. Paru en 1957, ce best-seller immédiat fut adapté sur grand écran dans la foulée. Je ne sais pas ce qui est le pire entre l’affiche anglaise racoleuse (Sylvia Sims, qui joue l’infirmière Diana Murdoch, n’a à aucun moment de décolleté) ou le titre français qui exploite sans vergogne le succès du Salaire de la peur (1958) : y’a un camion, des mines, du suspense autour de mecs qui conduisent et il fait chaud, c’est quasiment pareil… Ice Cold in Alex m’a surtout évoqué Un taxi pour Tobrouk (1961). Pour l’anecdote, il existe une affreuse version courte américaine de 79 minutes.
L’ennemi est le désert et la tension ne retombe pas. Tourné près de Tripoli sous une chaleur écrasante, Ice Cold in Alex offre un rendu terriblement réaliste et les interprètes souffrirent le martyre. Iels sont excellent·e s malgré la blondeur improbable de John Mills en Anson. Les personnages ne sont pas manichéens, entre les problèmes d’alcool d’Anson (qui était apparemment un héros viril dans le livre) et les ambiguïtés de Van der Poel. Seul bémol, la romance inutile et convenue entre Diana Murdoch et John Mills. Un impeccable film de guerre à l’ancienne qui mérite sa réputation.


Occhiali neri de Dario Argento (2022, Lunettes noires)
En sortant d’un hôtel, une prostituée, Diana, est pourchassée par une fourgonnette blanche qui lui rentre dedans et provoque un accident. Elle emboutit la voiture d’une famille chinoise et termine à l’hôpital. Elle perd la vue, le mari du couple décède, son épouse est dans le coma et leur fils de dix ans, Chin, est envoyé dans un orphelinat. De retour chez elle, Diana apprend à vivre avec son handicap. Elle adopte un chien d’aveugle et rend visite à Chin pour s’excuser. Le garçon la prend en affection et s’incruste chez elle. Malheureusement, le fou qui l’a percutée rode encore et est décidé à la tuer.

Depuis Le syndrome de Stendhal (1996), la carrière de Dario Argento est allée de mal en pis et j’avoue ne pas m’être infligé le visionnage des navets qu’il a commis ces quinze dernières années. Pourvu de critiques élogieuses dans Les Cahiers du cinéma et Mad Movies, ce Occhiali neri attisait ma curiosité. Ça débute correctement avec un meurtre très giallo des années 70 et une musique croisement de Goblin et de Carpenter (l’affiche est d’ailleurs clairement pompé sur celle, mythique, de They Live (1988)). Ça se gâte rapidement : l’actrice qui incarne Diana a un jeu discutable, Argento semblant principalement intéressé par son physique et la dénudant régulièrement ; l’intrigue est rachitique et guère vraisemblable ; c’est fauché et les effets spéciaux sont variables ; le méchant est complètement nul. Le même truc produit durant l’âge d’or du giallo serait aujourd’hui dédaigné et la clémence des Cahiers et de Mad Movies ne peut s’expliquer qu’en comparaison des bouses réalisées par Argento précédemment. Ne pas être un navet ne fait pas de Occhiali neri un bon spectacle, il vaut mieux revoir un classique de la grande époque.


震える舌 [Furueru shita] de Yoshitarô Nomura (1980, Writhing Tongue)
En jouant dans un terrain vague marécageux, Masako, une fillette de cinq ans, s'écorche le doigt et attrape le tétanos. Elle contracte une infection et est hospitalisée en urgence. Son état est critique et les symptômes terrifiants se multiplient, forçant les médecins à pratiquer des traitements atroces. Les parents, Akira et Kunie, assistent impuissants à la dégradation de la santé de Masako.

Yoshitarô Nomura est connu pour ses thrillers noirs et parfois horrifiques. Surfant sur cette notoriété, la bande-annonce de Furueru shita laisse présager une gosse maléfique vaguement Exorcistisante. Il n’en est rien. S'il y a certes une imagerie proche de la body-horror et si le matériel médical évoque des instruments de torture, on reste dans un drame conjugal, Furueru shita étant tiré d'un roman semi-autobiographique de Taku Miki publié en 1975. Les relations parents/enfants et la dissolution de la famille sont des sujets qui passionnent Nomura, il les a déjà abordés dans Le vase de sable (1974) et L’été du démon (1978), ses seuls titres disponibles en France en DVD. Dans Furueru shita, il examine comment une épreuve extrême place sous tension un ménage soudé et harmonieux.
Le résultat est éprouvant, un huis clos oppressant qui nous confronte à la souffrance de Masako pendant 1h45. Certains détracteurs ont reproché cette durée excessive, jugeant que Nomura aurait pu facilement abréger. Je l’ai pour ma part estimée nécessaire afin de ressentir l’attente et la douleur d’Akira et Kunie et de comprendre leur lente descente aux enfers. Par sa dureté, Furueru shita n’est pas à mettre entre toutes les mains et pourra rebuter. C’est quoi qu’il en soit une représentation impressionnante et glaçante de la maladie grave dont on ne sort pas indemne.


The House of the Devil de Ti West (2009)
Etudiante à l’université, Samantha cherche un appartement tranquille et pas cher pour quitter sa chambre en résidence, squattée en permanence par une coloc désordonnée. Elle a trouvé la location idéale mais elle manque d’argent et doit s’en procurer rapidement. Elle répond donc à une annonce de baby-sitting, qui l’envoie dans un coin reculé le soir d’une éclipse lunaire. A son arrivée, le propriétaire lui explique qu’il n’a pas d’enfant et lui demande, en échange d’une forte somme, de garder sa vieille mère pour la soirée. Malgré l’incongruité de la requête et la bizarrerie du maître des lieux et de son épouse, elle accepte.

J’ai récemment signalé mon envie de jeter un œil à la filmographie de Ti West en commençant par son troisième long métrage The House of the Devil, un des mieux réputés. Il y déroule une intrigue banale mélangeant allègrement des éléments de slasher, de maison hantée et de satanisme. Pour donner à The House of the Devil une patine années 80, Ti West a tourné en 16 mm et a employé dans la mesure du possible les techniques, le look et les costumes de l’époque. Il a de plus eu recours à des comédien·ne·s marquant·e·s de la décennie, Dee Wallace (Hurlements (1981), Cujo (1983)) en gentille logeuse et Tom Noonan (second rôle dans Wolfen (1981), Manhunter (1986) ou, The Monster Squad (1987))/Mary Woronov (notamment Eating Raoul (1982) et Night of the Comet (1984)) en couple inquiétant. Si cet hommage ultra convenu, sans surprise et sans prétention, ne casse clairement pas trois pattes à un canard, ça tient la route et je préfère largement ça aux torture porn à la Eli Roth.


龙门客栈 [Long men kezhan] de King Hu (1967, Dragon Inn)
Au XVe siècle, l’eunuque Cao Shaoqin gère le palais et la police secrète d’une main de fer, imposant partout son pouvoir tyrannique. Après avoir exécuté le loyal Yu Qian, ex-ministre de la Défense, il décide d’éliminer également la descendance de celui-ci afin de ne prendre aucun risque pour l’avenir. Exilés, les enfants de Yu s’acheminent vers l’auberge du dragon, située près de la frontière nord. N’ayant pas pu les intercepter, les hommes de Cao Shaoqin les attendent à l’auberge, n’hésitant pas à tuer les clients de passage. Un mystérieux voyageur expert en arts martiaux débarque soudainement, compliquant leur machination.

J’ai découvert King Hu en 2012 lors de la rétrospective à la Cinémathèque dans des copies non restaurées de qualité variable. Je ne me souviens pas des titres vus et, dans le doute, je viens d’enchaîner Dragon Inn et L'auberge du printemps dans de belles éditions récentes. En 1966, en dépit de l’immense succès de L’hirondelle d’or, King Hu abandonne la Shaw Brothers pour la Union Film Company à Taïwan où il réalise Dragon Inn, deuxième de ses trois œuvres centrées sur une auberge. Outre son indépendance, il y gagne de superbes extérieurs taïwanais, qu’il exploite à la perfection dans de somptueux plans larges où il se sert du terrain pour cacher des ennemis ou annoncer l’apparition d’un·e brave. Les intérieurs en studio changent de ce que l’on voit à Hongkong au même moment, avec une vétusté qui sied à une vieille auberge perdue près de la frontière. Niveau musical, des extraits de la BO de Et pour quelques dollars de plus (1965) (j’ai lu souvent que c’était inspiré de Morricone. Ce n’est pas inspiré, c’est piqué, procédé fréquent dans le cinéma taïwanais de cette période) alternent avec des airs dissonants évoquant les musiques de l’opéra de Pékin.
Dragon Inn fait penser à un western, impression renforcée par l’emprunt à Morricone, avec son saloon isolé dans le désert, protégé par quelques cowboys et un mercenaire engagé pour l’occasion sous la menace des indiens qui les assaillent. Il est construit en deux parties : un temps d’expectative, jusqu’à la venue des enfants de Yu ; puis de la baston. C’est manichéen et l’ultime combat traîne en longueur, avec un grand méchant assez raté. Les scènes d’action utilisent astucieusement le volume du décor et les mouvements sont accélérés par des coupes improbables. Pas désagréable, bien qu’inférieur selon moi à L'auberge du printemps.


迎春阁之风波 [Ying chun ge zhi Fengbo] de King Hu (1973, L'auberge du printemps)
Durant le règne de la dynastie mongole des Yuan au XIVe siècle, le général Lee Khan, chef de l’espionnage, se rend dans la province du Shaanxi dans le nord de la Chine pour obtenir d’un félon la carte des positions des rebelles chinois. Il doit s’arrêter avec sa sœur Wan’er dans l’auberge du printemps, secrètement tenue par une partisane des Chinois. Pour lui prêter main-forte et contrecarrer Lee Khan, cette dernière appelle à la rescousse des serveuses hors-la-loi, bientôt rejointes par deux résistants.

Consécutivement à l’échec de A Touch of Zen (1971), King Hu retourne à Hongkong. En collaboration avec la Golden Harvest, il fonde sa compagnie et dirige deux longs métrages coup sur coup : L'auberge du printemps et Pirates et guerriers (1975). Sur L'auberge du printemps, grâce à l’aide de la Golden Harvest, il récupère deux stars : Li-Hua Li et Angela Mao, spécialiste d’hapkido. King Hu n’embauche pas son habituel chorégraphe d’arts martiaux mais le jeune Sammo Hung, figure montante de la profession et adepte de combats dynamiques à mains nues.
Si Dragon Inn était un western, L’auberge du printemps est plutôt un film d’espionnage avec ses traitres, son double jeu, son plan à dérober et son suspense. Il est découpé en trois volets : une mise en place du cadre et des personnages sur un ton de comédie pleine de faux-semblants ; dès l’entrée de Lee Khan, la tension s’installe, les rebelles cherchant l’instant propice pour le voler ; et l’affrontement quand les masques tombent et qu’il faut atteindre l’objectif coûte que coûte.
Les passages dans l’auberge, qui constituent environ les trois quarts du total, sont impeccablement réglés. L’architecture des lieux rappelle celle de l’opéra de Pékin, avec sa cour centrale encerclée de balcons, et King Hu tire habilement profit de tous les recoins du décor. Les deux méchants, Lee Khan et Wan’er, sont excellent·e·s, intelligent·e·s, élégant·e·s et implacables. On notera enfin la présence de six vedettes féminines, cinq gentilles différenciées par les couleurs de leur vêtement et la vile Wan’er, chacune ayant son caractère et son importance. Le seul point faible réside dans les rares combats en extérieur, dans des paysages déjà vus dans des dizaines de productions hongkongaises et qui cassent le rythme. C’est notamment le cas de la grosse baston finale sur un terrain rocailleux, apparemment exigée par le distributeur. Ça n’empêche pas L'auberge du printemps d’être une belle réussite et une référence dans le genre.


東京BABYLON 1999 [Tôkyô Babylon 1999] de Jôji Iida (1993, Tokyo Babylon 1999)
Subaru est contacté par la police pour enquêter sur la mort d’un gourou qui avait collecté des sorts et formé une secte de sept disciples adolescentes. L’une d’entre elles lui a subtilisé le livre de magie de leur maître et elles commencent à se faire justice en assassinant à distance un professeur abusif et des violeurs. Subaru se lance à leur poursuite dans l’espoir d’arriver avant que les effets secondaires des incantations ne se manifestent et que son ennemi Seishirô Sakurazuka ne les attrape.

Bien que reprenant la trame Call A du volume trois de Tokyo Babylon, Tokyo Babylon 1999 a modifié la chronologie et se déroule cinq ans après la conclusion du manga, avant le début de X situé dans le même univers. Créé directement pour le marché de la vidéo avec un budget restreint, il a été confié à Jôji Iida, réalisateur du sympathique et fauché Battle Heater (1989). Deux membres de Clamp, Nanase Ohkawa et Tsubaki Nekoi, furent chargées d’interviewer les acteur·ice·s pour un making-of et gardent un bon souvenir du projet.
Comme expliqué précédemment, je n’ai pas lu le manga et je connais mal le travail de Clamp. Si les OAV étaient frustrantes, que dire de ce Tokyo Babylon 1999, totalement abscons pour un néophyte. J’avais heureusement parcouru un résumé du manga et je n’étais pas complètement paumé. Techniquement, c’est assez pathétique, alors que Jôji Iida avait montré avec Battle Heater qu’il pouvait construire des effets spéciaux rigolos sans une tune. Il n’y a rien à sauver, y compris pour les fans qui n’y retrouveront ni l’imagerie ni les thèmes de l’original.

Livres
La loi du talion de Gérard Klein (J’ai lu, 1979), 311 p.
La loi du talion, paru initialement en 1973, comporte huit nouvelles d'une longueur de 18 à 77 pages (excepté Cache-cache qui ne fait qu’une page) :
Cache-cache (1957) : Un homme cherche l’équation prouvant l’existence de Dieu.
Les Blousons gris (1973) : Les rats sortent dans les rues de Paris et se précipitent sous les roues des voitures, provoquant des catastrophes en série.
Avis aux directeurs de jardins zoologiques (1969) : Un visiteur du Jardin des Plantes à Paris reçoit de la trompe d’un éléphant une boule de papier contenant un mystérieux manuscrit.
Réhabilitation (1973) : Un navire spatial décide de détruire une planète pour qu’elle ne tombe pas aux mains de l’ennemi.
Sous les cendres (1973) : Un robot enlève les êtres humains juste avant leur décès et les expédie dans le futur.
Jonas (1966) : Un être difforme né dans l’espace aide les autorités à détourner un gigantesque vaisseau organique qui fonce vers une étoile voisine de mondes habités.
La Loi du talion (1973) : Un terrien a tué un représentant d’une autre civilisation et doit être puni selon la loi du talion.
Les Créatures (1967) : Un écrivain est hanté par les personnages qu’il a imaginé, qui exigent des destins moins funestes.
Le gambit des étoiles, premier roman de Gérard Klein, avait des qualités et je portais quelque espérance sur ce recueil. La déception fut forte. Certaines histoires démarrent pourtant bien, avec des idées intrigantes (Les Blousons gris et Avis aux directeurs de jardins zoologiques) ou des univers étonnants (La Loi du talion). Mais l’auteur ne réussit pas à les faire décoller ou s’enlise dans de longs passages péniblement verbeux qui n’apportent rien. Les chutes sont ratées et je n’en retiens pas grand-chose. Si c’est emblématique de son œuvre mature, très peu pour moi, je préfère le jeune Klein encore en quête de son style.

Chang Cheh: A Memoir de Chang Cheh (Hong Kong Film Archive, 2004), 256 p.
Sorti en janvier 2004, Chang Cheh: A Memoir était en phase d’achèvement lors du décès de Chang Cheh en juin 2002. L’ouvrage est divisé en six parties :
Remembrances : Après deux préfaces de John Woo, ancien assistant de Chang Cheh, et de Sek Kei, critique hongkongais influent, cette autobiographie s’ouvre sur la jeunesse et la carrière politique de Chang Cheh en Chine puis à Taïwan. Il s’envole ensuite à Hongkong en 1957, où il est remarqué en tant que critique dans la presse avant son entrée à la Shaw Brothers en 1962.
Shaw Times : Bref panorama de son travail pour la Shaw Brothers de 1962 à l’établissement de sa compagnie Chang en 1973 avec le soutien de la Shaw Brothers.
Chang’s and Chang Ho : Aperçu de ses années en semi-autonomie pour la Chang et de la création de son studio de production Chang Ho, totalement indépendant.
On Directing : Réflexions sur son métier, sur ses sujets de prédilection et sur l’évolution de son style au fil du temps.
On Self and Others : Quelques mots sur ses relations avec le milieu du cinéma et sur des proches, notamment l’écrivain Jin Yong et les réalisateurs Cheng Kang et Kuei Chih-Hung.
Back to the Origin : Série d’articles publiés pour la revue City Entertainment en 2000-2001, où il revient sur les origines des films d’arts martiaux à Hongkong, en particulier sur la contribution de l’opéra de Pékin.
Chang Cheh est un réalisateur majeur qui a modifié de manière irréversible le cinéma d’action chinois. Il y a introduit le concept de yanggang, ode à la virilité qui s’inspirait de ce qui se faisait en Occident et au Japon et qui a rendu possible l’avènement d’un Bruce Lee. Son élève le plus doué était John Woo, qui a grandement repris sa façon de faire en l’actualisant durant les années 80 et 90. C’est également lui qui popularisa le thème des moines Shaolin, dont son directeur des combats Liu Chia-liang assurera la pérennité en 1978 avec La 36e Chambre de Shaolin. Il inventa enfin la kung fu comédie avec la star Alexander Fu Sheng, qui préfigure Jackie Chan. Ce n’est donc pas n’importe qui et il en a conscience, la modestie n’étant pas sa tasse de thé. Il se lance continuellement des fleurs et s’attribue le mérite de tout, ce qui est pénible et jette une ombre sur sa bonne foi. La traduction en anglais est en outre assez mauvaise, ils auraient sans problème pu trouver mieux à Hongkong. Cela reste néanmoins un livre de référence indispensable sur l’âge d’or de la Shaw Brothers par un de ses acteurs de premier plan.

La vie d’un idiot et autres nouvelles d’Akutagawa Ryûnosuke (Gallimard, collection « Connaissance de l’Orient », 2009), 191 p.
La vie d’un idiot et autres nouvelles comporte sept nouvelles plus confidentielles que celles traduites en 1965 par Arimasa Mori dans le classique Rashômon et autres contes. Deux d’entre elles, Engrenage et La vie d'un idiot, ont fait l’objet d’une réédition en poche dans la collection Folio :
L'eau du fleuve (1912) : Ode au fleuve Sumida à Tokyo
Un jour, Ôishi Kuranosuke (1917) : A la suite de l’assassinat de Kira Yoshinaka par les 47 rônins, Ôishi Kuranosuke, le leader du groupe, attend paisiblement leur jugement en résidence surveillée. Tandis qu’il devrait goûter à la paix de l’esprit, il ne peut s’empêcher de ressentir de l’amertume.
Lande morte (1918) : Réunis au chevet du poète Matsuo Bashô sur son lit de mort, ses disciples se succèdent et examinent leurs sentiments.
Les mandarines (1919) : Dans un train, un homme voit une jeune fille jeter par la fenêtre des mandarines.
Le bal (1919) : Akutagawa Ryûnosuke revisite le cruel et raciste Un bal à Yeddo de Pierre Loti en prenant le point de vue d’une participante japonaise au lieu de celui de l’officier Pierre Loti.
Extraits du carnet de notes de Yasukichi (1923) : Le professeur d’anglais Yasukichi décrit des tranches de sa vie avec humour et détachement.
Bord de mer (1925) : Akutagawa Ryûnosuke retrace un séjour en bord de mer avec un ami.
Engrenage (1927) : Alors que sa neurasthénie empire et qu’il a déjà pris la décision de se suicider, Akutagawa Ryûnosuke dépeint son sombre quotidien dans un l’hôtel où il s’est installé pour terminer la commande d’un éditeur.
La vie d'un idiot (1927) : Un mois avant son suicide, Akutagawa Ryûnosuke laisse un manuscrit testamentaire qu’il confie à un ami. Il y évoque son passé dans de courtes vignettes poétiques.
La vie d’un idiot et autres nouvelles est composé d’un mélange d’écrits du début de la carrière d’Akutagawa Ryûnosuke, où il joue sur les citations (L'eau du fleuve et Le bal) ou aborde des faits historiques sous un angle personnel (Un jour, Ôishi Kuranosuke et Lande morte), et de textes autobiographiques de plus en plus désespérés avec l’aggravation de sa maladie. Sa mère fut internée peu après sa naissance et, toute sa vie, il redouta de basculer dans la démence. Cumulé à sa faible constitution, son existence fut globalement douloureuse. Ce recueil n’est pas une porte d’entrée adéquate à son œuvre, il est préférable de se tourner vers Rashômon et autres contes ou La magicienne. Bien qu’il possède de belles envolées lyriques, La vie d’un idiot et autres nouvelles est plutôt réservé aux amateurs éclairés car il permet d’explorer la personnalité torturée d’Akutagawa Ryûnosuke et de comprendre ses obsessions autour de la folie et de la disparition d’une époque.


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