samedi 3 juin 2023

Carnet de bord 27/05/2023-02/06/2023



Films vus en compagnie
Filmed in Supermarionation de Stephen La Rivière (2014)
En 1956, Gerry Anderson et Arthur Provis fondent la compagnie AP Films. Ils sont approchés par l’autrice de livres pour enfants Roberta Leigh, qui les finance pour produire une série animée en marionnettes, The Adventures of Twizzle. Devant le succès rencontré, la même équipe poursuit son travail avec Torchy the Battery Boy puis Four Feather Falls, sans apport de Roberta Leigh. La machine est lancée et les projets en marionnettes s’enchaînent, avec des techniques de plus en plus sophistiquées et une audience de plus en plus importante, jusqu’à l’apogée Thunderbirds en 1965.

Après une diffusion initiale en France en 1976 sur Antenne 2, Les sentinelles de l’air (titre français de Thunderbirds) fut rediffusée sur M6 en 1994. A l’instar de toutes les animations en marionnettes, je dois avouer que ce programme me mettait mal à l’aise. Il me rappelait Bomber X, feuilleton japonais fortement inspiré de Thunderbirds qui passait sur TF1 dans les années 80. Les deux continuent d’ailleurs de se mélanger dans ma mémoire. Filmed in Supermarionation est tiré de l’ouvrage éponyme de Stephen La Rivière paru en 2009. A travers maintes interviews et images d’archives, il revient sur l’histoire d’AP Films et sur les œuvres de cette société. Pour les besoins du documentaire, des marionnettes mythiques de Thunderbirds furent recrées et doublées par les acteur·rice·s d’origine. Stephen La Rivière a réalisé ensuite un des trois épisodes spéciaux imaginés pour les 50 ans de Thunderbirds ainsi que Nebula-75 (2020), une web-série dans un esprit similaire.
Sur la forme, j’ai moyennement accroché à la méta-narration par des protagonistes de Thunderbirds, qui expliquent le cheminement d’AP Films et assurent les transitions entre les époques. Cela ravira sans doute les fans, j’y ai vu un artifice un peu lourdingue. Sur le fond, la plongée dans cet univers unique au cœur de la Grande-Bretagne des années 50-60 s’est avérée passionnante. Les interlocuteurs n’hésitent pas à souligner la détestation des marionnettes par Gerry Anderson et son envie d’aller vers un réalisme perpétuellement accru, au grand dam des marionnettistes eux-mêmes. Les parties sur les effets spéciaux sont excellentes, on voit comment d’ingénieux manipulateurs réussirent à élaborer des trucages impressionnants avec des moyens limités. Ça m’a rappelé les tokusatsu japonais, qui composaient également avec les moyens du bord et de nombreuses maquettes. Filmed in Supermarionation est donc un spectacle réjouissant et ne nécessite pas d’avoir une quelconque appétence pour Thunderbirds pour être apprécié.


猫侍 玉之丞、江戸へ行く [Neko zamurai: Tamanojô, Edo e iku] de Takeshi Watanabe (2016, Neko Samurai: Tamanojo Goes to Edo)
Blessé mortellement, un paysan ayant pris les armes tente de rentrer chez lui. Sur le chemin, il s’effondre dans une cabane où l’accueille un chaton. Il accroche à son cou un papier où est inscrit le nom qu’il destinait à son futur fils, Tamanojo. Un homme de passage entend des miaulements, entre dans l'abri et tombe sur le corps inanimé et sur le frêle animal. Il décide de l’adopter et l’appelle Tamanojo. Les années passent, Tamanojo a grandi et son maître le confie à une jeune institutrice. Il va dès lors régulièrement changer de propriétaire, apportant la joie dans les cœurs.

Neko zamurai: Tamanojô, Edo e iku est un téléfilm servant de préquelle à la série TV Neko Zamurai sortie trois ans auparavant. La saison 1 fit l’objet d’un long métrage récapitulatif en 2014, suivi d’une saison 2 et d’un second film chroniqué en ces lieux. Neko zamurai: Tamanojô, Edo e iku ne comprend malheureusement pas le stupide Kyutaro Madarame, bien qu’il garde le concept des personnages qui commentent les évènements dans leur tête. Le budget est toujours aussi restreint, l’interprétation est variable et le scénario naïf. Le nombre de plans de chat est en revanche élevé, c’est pour ça que j’étais venu et cette petite comédie tout public a rempli son office.


Le petit Nicolas : Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ? d’Amandine Fredon & Benjamin Massoubre (2022)
En 1955 à Paris, René Goscinny et Jean-Jacques Sempé créent à partir d’un dessin de ce dernier Le petit Nicolas, un garçon normal qui vit avec ses parents de classe moyenne dans un pavillon avec jardin. Pensé au départ sous forme de bande-dessinée, Le petit Nicolas ne prend réellement son envol qu’en 1959, lorsqu’ils le transforment en nouvelles illustrées. Le petit Nicolas : Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ? alterne entre la présentation du petit Nicolas, de sa famille, de ses copains et de ses aventures, et les biographies de ses deux auteurs, qui racontent au garçon les éléments marquants de leur jeunesse.

Alors qu’enfant je connaissais fort bien Goscinny par le biais d’Astérix ou des Dingodossiers, j’ignorais l’existence du Petit Nicolas. Il faut dire que je me suis forgé ma culture littérature par des enchaînements de hasards. Chez ma mère, les romans débordaient des étagères et, même s’ils n’étaient souvent pas destinés à mon âge, ils constituaient ma source principale. En bibliothèque, je me tournais davantage vers les bandes-dessinées mais je délaissais le rayon des livres pour enfants. J’ai ainsi lu la quasi-intégralité des pièces de Molière ou tous les Rubrique-à-brac avant mes 12 ans tandis que je n’ai jamais ouvert un Petit Nicolas ou un Roald Dahl. J’ai donc abordé Le petit Nicolas : Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ? en ayant zéro expérience de l’univers et son didactisme m’a convenu. C’est joliment dessiné (les admirateurs de Sempé seront possiblement sceptiques, l’animation d’un style tellement unique amenant forcément à une part de déformation), le mélange entre le monde de Nicolas et la vie de Goscinny et Sempé est habile et, fait suffisamment rare dans une œuvre française pour le signaler, le doublage est correct.
C’est néanmoins loin d’être parfait. C’est hagiographique, sage, avec un côté image d’Epinal de la France des années 50-60. C’était probablement déjà le cas des récits d’origine, qui montraient une France proprette et idéalisée, sans immigré ni tension politique. On est clairement dans ce que le chercheur Sébastien Fevry nomme « le cinéma sépia », qui me perturbe idéologiquement et personnellement car gommant mon histoire familiale d’immigrés portugais. Le petit Nicolas : Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ? offre aux spectateurs adultes une double nostalgie, nostalgie d’une France rêvée et apaisée et nostalgie de leur enfance pour ceux qui aimaient les livres de Goscinny et Sempé quand ils étaient jeunes. Tout en ayant apprécié le métrage, il est nécessaire d’avoir conscience de ces aspects et de conserver un point de vue critique pour ne pas finir par croire à cette France imaginaire que certains souhaiteraient « retrouver ».


Films vus seuls
Malpertuis de Harry Kümel (1971)
Le marin Jan revient dans sa ville natale. Son ancienne maison ayant été détruite, il erre dans les rues lorsqu’il aperçoit une silhouette qui lui rappelle sa sœur Nancy. Il la suit et arrive dans un bar où, pris dans une bagarre, il est assommé. Il se réveille auprès de Nancy dans la demeure de son oncle Cassave, à Malpertuis. Cassave est mourant et Jan accepte de discuter avec lui bien qu’il le déteste. S’apprêtant à quitter Malpertuis après l’entrevue, il croise la belle Euryale dont il tombe immédiatement amoureux et il s’installe en définitive à Malpertuis. Avant d’expirer, Cassave lit son testament, dans lequel il lègue à sa dizaine d’héritiers une énorme somme d’argent s’ils s’engagent à vivre à Malpertuis sans jamais quitter le domaine.

Venant d’achever l’ouvrage de Jean Ray, je me suis penché sur son adaptation, notoire notamment en raison de la présence d’Orson Welles en Cassave. Réalisé à la suite des Lèvres rouges (1971), film de vampires surréaliste avec Delphine Seyrig que je n’ai toujours pas vu et qui bénéficia de critiques positives, Malpertuis est une coproduction belgo-franco-allemande doublée en flamand avec un casting international. Outre Orson Welles, il comporte les Français Michel Bouquet, Jean-Pierre Cassel ou Sylvie Vartan, l’Anglaise Susan Hampshire, les Allemands Mathieu Carrière et Walter Rilla et le comique belge Charles Janssens. Harry Kümel, habitué à effectuer lui-même le montage, n’eut pas le final cut, et Malpertuis sortit à Cannes dans une version d’1h39 qui ne respectait absolument pas ses volontés. Consécutivement à l’échec relatif dans les salles, il persuada le producteur de lui redonner la main et il proposa un montage d’1h59 plus baroque, qui est celui que j’ai regardé.
Malheureusement, la transposition d’Harry Kümel n’a pas la puissance de l’original, ne dupliquant aucunement son ambiance étrange et malaisante. La photographie est beaucoup trop lumineuse, l’obscurité de Malpertuis ne ressort absolument pas et Harry Kümel n’essaye à aucun moment d’instaurer un sentiment d’angoisse. Les simplifications scénaristiques ne sont pas dommageables jusqu’aux vingt dernières minutes, qui correspondent au basculement du roman dans le pur surnaturel. Malpertuis part alors en vrille et ça se termine par un twist inédit qui ne fonctionne pas. Tout n’est pas à jeter, les extérieurs dans une ville grise et terne et les intérieurs de Malpertuis sont réussis. L’interprétation est variable, Mathieu Carrière en Jan, Susan Hampshire dans le triple rôle Nancy/Euryale/Alice et Michel Bouquet en Dideloo jouent globalement justes pendant qu’Orson Welles assure le service minimum. Jean-Pierre Cassel ne colle pas en Lampernisse et le reste du casting est en roue libre. Nombre de séquences sont longues et mal dirigées. On garde l’impression d’un ratage curieux et kitsch, marquant malgré ses multiples imperfections.


The Sea Beast de Millard Webb (1926, Jim le harponneur)
Ahab Ceeley est harponneur sur le baleinier Les trois frères. Au cours de ses voyages, il pense à sa bien-aimée, Esther, la fille d’un missionnaire de Port-Louis sur l’île Maurice. Il l’a confié à la garde de son demi-frère, Derek, qui déteste la mer et est amoureux d’elle en secret. A l’occasion d’un bref retour d’Ahab, Derek s’embarque avec ce dernier sur Les trois frères, armé d’intentions funestes. Ils tombent rapidement sur Moby Dick, la terrible baleine blanche que personne n’a réussi à tuer. Pendant la poursuite, Ahab est poussé par-dessus bord et, attaqué par Moby Dick, perd une jambe. Pensant avoir été victime d’un accident, il ignore la responsabilité de Derek, qui le pousse à abandonner Esther à son profit en raison de sa nouvelle infirmité.

The Sea Beast, transposition libre du classique de Melville, est tombé dans le domaine public et circule dans une copie de piètre qualité, surexposée et accompagnée d’une musique abominable. Le récit est centré sur le capitaine Achab, transformé en héros sentimental manipulé par un rival amoureux. Le narrateur du roman et Ismaël disparaissent, de même que tous les passages consacrés à la description des techniques de chasse à la baleine (ce qui n’est pas pour me déplaire). Un happy-end vient achever le sacrilège et The Sea Beast fut massacré par le critique de L'Humanité Léon Moussinac lors de sa sortie en France en octobre 1926. Le distributeur intenta un procès au journal, qui fut finalement relaxé, établissant une jurisprudence en matière de critique de cinéma.
C’est en effet plutôt mauvais. Tout l’intérêt de Moby Dick, la folie et l’obsession d’Achab, le combat de l’homme contre le monstre, disparait aux dépens d’une plate romance. John Barrymore était en permanence bourré ou avec la gueule de bois, lui donnant parfois un air sombre et absent qui aida paradoxalement à renforcer la noirceur d’Achab dans la deuxième moitié. The Sea Beast remporta un beau succès aux Etats-Unis, où l’acteur était extrêmement populaire. Immense star de théâtre, il ne m’a jamais complètement convaincu sur grand écran, à l’inverse de son frère Lionel. Il incarne ici un Achab guère mémorable et l’absence de moustache m’a fortement perturbé (John Barrymore sans moustache, ce n’est pas vraiment John Barrymore). The Sea Beast est d’une durée excessive et il faut attendre 1h20 pour qu’Achab devienne le fameux capitaine. Il y a bizarrement eu peu d’adaptations de Moby Dick au cinéma, et j’ai juste vu celle de 1956 qui m’avait déçu. Elle s’approchait au moins de l’esprit du livre, à l’inverse de ce The Sea Beast dans lequel il n’y a pas grand-chose à sauver.


五番町夕霧楼 [Gobanchô yûgirirô] de Tomotaka Tasaka (1963, A House in the Quarter)
En se rendant au chevet de son ancien patron proche de la mort dans la péninsule de Tango, la tenancière d’une maison close de Kyôto se voit confier par le père d’une famille misérable sa fille de 19 ans, Yuko. Son premier client est un riche marchand, qui tombe amoureux de Yuko et désire l’avoir pour lui seul. Elle n’est pas de cet avis et reçoit régulièrement les faveurs d’un jeune moine, Kunugida, qui vient de son village.

En 1962, en réaction au Pavillon d'or de Mishima paru en 1956, Tsutomu Minakami écrit Gobanchô yûgirirô. Tsutomu Minakami est né dans la même région que le moine qui a brûlé le pavillon d’or en 1950 et a été novice dans des temples, prenant la fuite à 17 ans écœuré par les brimades envers les faibles et le comportement libertin des supérieurs. Il s’oppose à la l’intellectualisation du geste de destruction par Mishima et se focalise sur un protagoniste fictif, la prostituée Yuko, femme à l’esprit pur qui permet à Kunugida de supporter les humiliations continuelles. Gobanchô yûgirirô est adapté par la Toei l’année suivante, qui confie la direction au vétéran Tomotaka Tasaka, habitué depuis des décennies à dépeindre la dure réalité des pauvres gens.
Les œuvres situées dans des maisons closes étaient assez répandues dans les années 50 et 60, la plus célèbre en Occident étant sans doute La rue de la honte (1956) de Kenji Mizoguchi. Gobanchô yûgirirô est toutefois le premier à montrer une relation sexuelle, en faisant pour certains le précurseur du pinku eiga. C’est très prude selon les standards modernes, Tomotaka Tasaka refusa de filmer l’actrice nue et on contemple uniquement un gros plan de son visage durant l’acte. Cela n’empêcha pas le comité de classification (Eirin) de protester et la durée de la scène fut divisée par deux.
Gobanchô yûgirirô est un mélodrame classique, avec une belle photographie en couleur et des comédien·ne·s convaincant·e·s. Le scénario est en revanche bancal, les tourments de Kunugida se raccrochant mal à la trame principale sur le quotidien d’une prostituée venue de la campagne. La vie dans la maison close est par ailleurs considérablement idéalisée, les employées sont joyeuses, la patronne est généreuse et compatissante, on a l’impression que c’est un métier plutôt cool. Rien de mémorable donc, on est dans le tout-venant du mélo des années 60.


Ognuno per sé de Giorgio Capitani (1968, Chacun pour soi)
Après des années de prospection, Jim Cooper déniche un filon d’or dans un coin perdu. Contraint d’éliminer son partenaire qui essayait de le tuer, il prend seul avec son chargement le long chemin qui le ramène en ville. C’est une cible facile dans cette région sans foi ni loi, il est attaqué par des bandits et revient les mains presque vides. Pour l’aider durant son prochain voyage, il se tourne vers Manolo, un homme qu’il a élevé et qu’il estime sûr. Il ne s’avère malheureusement pas aussi fiable qu’escompté, suivi comme son ombre par un sinistre prêtre, Brent. Ne souhaitant pas faire le trajet isolé avec ces deux individus, Sam sollicite un ancien acolyte, Mason, qui semble avoir une rancune contre lui.

Curieux western que ce Ognuno per sé . En 1968, à un moment où le western classique en perte de vitesse tombait dans les excès de son homologue italien, Ognuno per sé évoque la série B hollywoodienne des années 50. Par son casting d’abord, avec un Van Heflin et un Gilbert Roland vieillissants ; par son scénario ensuite, porté sur la tension psychologique et la paranoïa qui en découle et non sur la violence, rappelant Le trésor de la Sierra Madre ; par son style enfin, très sobre et avec de nombreux dialogues. C’est l’unique western de Giorgio Capitani, touche-à-tout connu en Italie pour ses comédies populaires parfois érotisantes. Van Heflin, un des grands acteurs hollywoodiens oubliés de nos jours, est excellent, il donne une profondeur à un héros qui, joué par un autre, aurait facilement pu être détestable ou pathétique. Gilbert Roland est parfait également et Klaus Kinki interprète le genre de tueur inquiétant dont il est coutumier. Sans que sa performance soit honteuse, George Hilton peine en revanche face à ses prestigieux acolytes. Je craignais le sous-texte homosexuel mentionné dans les critiques entre Manolo et Brent. Ce n’est pas trop mal amené et explique le soutien sans faille de Manolo à Brent malgré son affection pour Sam. J’étais fan de western spaghetti quand j’étais ado mais, avec le temps, j’ai fini par apprécier davantage le western américain des années 50, plus constant, profond et varié dans ses thèmes. Ce Ognuno per sé assez inattendu dans le contexte italien est donc pour moi une bonne surprise.


天竜母恋い笠 [Tenryu haha koi gasa] d’Eiichi Kudô (1960, Heavenly Dragon)
A Ina près de Nagano, le méchant chef yakuza Kumagoro assassine un riche marchand de bois chargé de gérer les forêts gouvernementales en faisant passer le crime pour un accident. Il est de mèche avec le seigneur local, qui veut que Kumagoro récupère le commerce et lui verse des pots de vin. Ichiro, le fils du négociant décédé, ne souhaite pas prendre la suite de son père et se fait recruter dans la bande de Kumagoro. Il ignore les manigances de ce dernier, qui s’arrange pour qu’Ichiro soit définitivement écarté en étant accusé de meurtre et arrêté.

Le seul objectif de Tenryu haha koi gasa est de mettre en avant Hibari Misora, qui incarne à la fois Ichiro et sa sœur Oharu. En 1960, elle avait 23 ans et était déjà apparue dans une centaine de titres, essentiellement des comédies. Tenryu haha koi gasa vise à prouver sa capacité à tenir un rôle mature. La mise en scène est confiée au jeune Eiichi Kudô, spécialiste du jidai-geki qui se fera un nom trois ans plus tard avec Les 13 tueurs (1963). Malheureusement, Hibari Misora ne convainc guère, le sérieux n’est pas son fort. Elle n’est pas aidée pas un script convenu et un rythme poussif. A réserver aux inconditionnels d'Hibari Misora.


Trick 'r Treat de Michael Dougherty (2007)
Durant la nuit d’Halloween, des évènements horribles peuvent survenir sans que personne ne s’en rende compte avant le lendemain. Une femme est agressée dans son jardin pendant que son mari l’attend tranquillement dans leur lit ; un homme piège un enfant goinfre avec des bonbons ; des ados jouent à se faire peur en allant de nuit sur les lieux d’un ancien massacre ; des jeunes écervelées abordent des garçons sans faire attention aux risques encourus ; un vieux grincheux est attaqué dans sa maison par un gamin masqué.

Trick 'r Treat marque les débuts derrière la caméra de Michael Dougherty, qui réalisera subséquemment le sympathique Krampus (2015) et le tout nul Godzilla II : Roi des monstres (2019). Également au scénario, il confectionne un divertissement saisonnier composé de cinq histoires aux liens ténus. Elles évoquent les nouvelles d’EC Comics et autres Creepy. On y retrouve une construction similaire avec un récit court débutant sur des individus apparemment ordinaires, une horreur qui monte crescendo et une chute choc. Le gore est limité et l’humour noir est omniprésent. Trick 'r Treat a gagné avec l’âge un statut culte aux Etats-Unis, il correspond aux attentes d’un public qui aime visionner ce style de divertissement entre ami·e·s le soir d’Halloween. Sans être aussi marquant pour un Français et malgré des intrigues classiques qui ne surprendront pas les amateurs du genre, c’est correctement filmé, les effets spéciaux sont sympathiques et c'est plaisant à suivre.


Séries
雲界の迷宮ZEGUY [Unkai no meikyû Zegai] de Shigenori Kageyama (1993, Le masque de Zeguy), 2 OAV
Des passages secrets entre le monde des nuages et le nôtre permettent à des gens bien renseignés de voyager à travers le temps. Un groupe travaille pour la vile sorcière Himiko, qui a besoin du masque de Zeguy et d’une clochette magique pour ouvrir les portes du vent et régner sur la Terre ; un autre s’oppose à eux. Les méchants mettent la main sur le masque et tentent de kidnapper la prêtresse Miki, protectrice de la clochette. Ils se trompent toutefois de cible et enlève son amie, Miki rejoignant les gentils.

Ces deux OAV oubliées ont été dirigées par Shigenori Kageyama, un touche-à-tout ayant œuvré sur diverses séries TV et dans l’animation érotique sous le nom de Yôsei Morino, ce qui explique sans doute une scène de nudité gratuite avec Miki. L’univers original créé pour Unkai no meikyû Zegai a un côté steampunk et utilise des célébrités historiques obscures pour le public occidental, excepté Léonard de Vinci et, dans une moindre mesure, le stratège chinois Zhuge Liang (sous son nom japonais de Kômei Shokatsuryo). La trame est prétexte à l’action, les personnages n’ont aucune profondeur et les enjeux sont simplistes. Sans être désagréable, c’est de l’OAV fast-food sitôt vue sitôt oubliée.


Livres
Malpertuis de Jean Ray (Librairie des Champs-Elysées, collection « Le masque Fantastique », 1978), 256 p.
Un cambrioleur met la main dans un couvent sur une liasse de manuscrits. Il décide de les réorganiser pour en extraire une mystérieuse chronique, celle de la demeure de Malpertuis. A la fin du XIXe siècle, le riche Cassave est proche de la mort. Il convoque tous ses proches afin qu’ils prennent connaissance de son testament. Pour bénéficier de son immense fortune, ceux-ci devront emménager à Malpertuis, où ils recevront une généreuse rente. Le dernier survivant sera le légataire universel, sauf s'il subsiste un homme et une femme, qui devront se marier pour toucher l'héritage. Le narrateur principal, Jean-Jacques Grandsire, va progressivement découvrir les terribles secrets de Malpertuis, au risque de perdre sa santé mentale.

Je n’avais curieusement jamais lu Malpertuis, le premier roman fantastique de l'écrivain belge Jean Ray, publié en 1943. Il sera suivi la même année d’un second grand classique, La cité de l’indicible peur, tourné en dérision dans la version de Jean-Pierre Mocky en 1964. Jean Ray est un des rares maîtres de l’horreur francophone, influencé par la littérature gothique anglaise et, à l’image de Lovecraft qu’il rappelle parfois, par William Hope Hodgson.
La première moitié de Malpertuis baigne dans un climat fantastique oppressant très réussi malgré un début longuet, avant de basculer dans l’horreur surnaturelle dans la deuxième. L’écriture s’est avérée complexe, elle a duré une douzaine d’années et le plan a été modifié plusieurs fois. Un important passage d’une centaine de pages consacré à Nancy (soit presque un tiers du total) a été supprimé au début de la seconde partie, ce qui la rend un peu bancale et laisse dans l’ombre les péripéties de la sœur du narrateur. En l’état, la structure reste remarquable, avec un astucieux enchâssement de récits et de points de vue. La révélation du mystère, qui aurait pu tomber dans le grotesque (auquel l’adaptation cinématographique n’échappe pas), s’insère parfaitement dans la logique d’ensemble. Malpertuis mérite amplement sa réputation et m’a donné envie d’explorer l’œuvre de Jean Ray.


Super-Héros : Une histoire française de Xavier Fournier (Huginn & Muninn, 2014), 240 p.
Ancien rédacteur en chef du magazine Comic Box et spécialiste des comics, Xavier Fournier étudie les rapports entre l’histoire littéraire et éditoriale française et les comics américains. Après un rappel sur la relativité de la notion de super-héros, il se plonge dans la littérature populaire française du XIXe siècle, riche en justicier·ère·s plus ou moins masqué·e·s. Exportée aux Etats-Unis, il estime qu’elle a pu influencer des écrivains locaux. Par la suite, de la fin des années 1930 jusqu’au début des années 1950, les super-héros français prennent leur essor sous forte influence américaine. La loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse met un frein à cette tendance et les super-héros à la française s’éclipsent progressivement des kiosques et des mémoires, amenant le public à oublier cette longue tradition.

L’ouvrage de Xavier Fournier est composé de deux pans distincts : l’un est centré sur la littérature du XIXe siècle jusqu’aux années 1930, sur ses auteurs et ses thèmes dans la mesure où ils peuvent être reliés à un des aspects de sa problématique ; l’autre porte sur le domaine de l’édition et sur les comic books français des années 1930 à nos jours. Dans chaque cas, les œuvres sont contextualisées en les replaçant dans leur époque et en s’interrogeant sur les circonstances de leur apparition. Les exemples sont nombreux, peut-être trop, même si Xavier Fournier en a supprimé un bon tiers par rapport à son périmètre initial. Les liens entre le concept de super-héros et les titres cités dans la première partie sont par moments ténus, et il extrapole sur leur influence sur la culture populaire américaine.
Bien qu’ayant apprécié la conséquente description des éventuelles sources littéraires et sociétales, je n’ai pas été convaincu par la démonstration, excepté pour Alexandre Dumas dont les récits se sont exportés avec succès très tôt aux Etats-Unis et qui a indéniablement influencé les auteurs anglophones, à l’image de The Scarlet Pimpernel. Xavier Fournier met pertinemment en exergue le rôle précurseur de la littérature populaire et n’est pas dogmatique : il n’affirme pas que la France est à l’origine des super-héros, juste que des romanciers français ont pu avoir un impact sur l’émergence de ces figures. Pourquoi pas, mais cela nécessiterait une analyse rigoureuse et transverse. Dans Super-Héros : Une histoire française, tout n’est que suppositions fondées sur des ressemblances thématiques, Xavier Fournier ne s’appuie pas sur des documents ou des textes d’archives prouvant ses dires (la bibliographie est d’ailleurs extrêmement mince). Excepté les mentions d’H. G. Wells et de The Scarlet Pimpernel, l’analyse est complètement franco-centrée. Est-ce que les phénomènes décrits en France, à l’image des cavalières masquées en 1867, n’ont pas un équivalent autrement plus influent en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis ? La littérature populaire anglaise ou américaine ne connaissait-elle pas des modes équivalentes ? N’est-ce pas plutôt à travers des jeux de citations réciproques et de propagation de représentations à travers la littérature occidentale que certaines idées clés sont arrivées aux Etats-Unis ?
La deuxième partie est moins sujette à discussion, Xavier Fournier se penche sur des bandes-dessinées françaises copiant/développant leurs équivalents américains. Il est intéressant de constater à quel point elles s’étaient développées avant la loi de 1949, qui a brisé net les élans des éditeurs français. Je note au passage le peu de correspondance entre ces super-héros français et la littérature citée précédemment. On ne voit pas vraiment de spécificités françaises, rien qui suggère une filiation entre les deux périodes, ce qui renforce mes doutes sur le bien-fondé de la plupart des sources potentielles fournies. Malgré cette remarque et quelques longueurs liées à des enchaînements d’exemples parfois fastidieux, Super-Héros : Une histoire française est un livre enthousiasmant qui lève le voile sur un aspect ignoré de la culture populaire française.


Revues
Les Cahiers du cinéma n°798 – Mai 2023
Quand je me suis abonné aux Cahiers du cinéma et à Mad Movies il y a une quinzaine d’années, il n’y avait pas grand-chose en commun entre les deux magazines. De nos jours, on retrouve régulièrement des critiques sur des sujets similaires. Ce mois-ci, les deux parlent de Renfield (2023), Sakra, la légende des demi-dieux (2023), de la troisième saison de L’hôpital et ses fantômes (2022), de Lunettes noires (2022), de la ressortie des Shinya Tsukamoto et des Carlo Lizzani. Les Cahiers consacrent également une page à Abattoir 5 (1972) et un dossier au film designer Doug Chiang, vice-président de Lucasfilm, deux sujets qui auraient totalement leur place dans Mad Movies. Cela montre le changement de statut du cinéma de genre, qui a gagné ses galons et n’est plus pris de haut par la critique.

Les deux revues conservent tout de même leurs spécificités et je relève deux titres dans les Cahiers de mai. Le prochain Nanni Moretti, Vers un avenir radieux, semble tomber dans la facilité en reprenant les schémas de ses œuvres des années 90. Aimant bien cette phase de sa carrière, je ne vais pas me plaindre. L’argentin Trenque Lauquen ensuite, long et intrigant, s’inscrit dans un collectif d’artistes argentins qui produisent depuis deux décennies des longs métrages de qualité. Outre Trenque Lauquen, il faudrait que je regarde Historias extraordinarias (2008), qui dure plus de 4 heures…


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