samedi 18 novembre 2023

Carnet de bord 11/11/2023-17/11/2023



Films vus en compagnie
すずめの戸締まり [Suzume no Tojimari] de Makoto Shinkai (2022, Suzume)
Suzume est une adolescente orpheline vivant à Miyazaki dans le Kyûshû avec sa tante célibataire. En se rendant à l’école, elle croise un charmant étudiant qui lui demande la direction des ruines les plus proches. Intriguée, elle décide de rebrousser chemin pour le suivre et découvre une porte qui donne sur un univers parallèle dans lequel elle ne peut pénétrer. En repartant, elle bute sur une statue qu’elle déterre et qui se transforme en chat. Sans le savoir, elle vient de provoquer une catastrophe qu’elle va être bien en peine de réparer.

Makoto Shinkai est selon moi un des réalisateurs d’animation les plus surcotés actuellement (avec Mamoru Hosada dans une moindre mesure). Techniquement impeccables, ses romances à l’eau de rose sont clichées et sans âme, et je n’avais pas grand espoir sur Suzume no Tojimari malgré sa réputation d’altérité par rapport au reste de son œuvre. Lassé des histoires d’amour traditionnelles et souhaitant se diversifier, Makoto Shinkai songeait à une idylle lesbienne. Il en fut dissuadé par son producteur, qui jugeait que le public japonais n’était pas prêt (ce qui est totalement faux, le succès du yuri depuis une vingtaine d’années le prouve). Il s’engagea donc dans une voie différente, en éclipsant le love interest masculin et en se focalisant sur les rencontres de Suzume.
Reprenant un schéma classique du cinéma japonais développé à l’extrême dans les Tora-san, Suzume voyage à travers le pays et sympathise avec des locaux chaleureux le temps d’une soirée. Makoto Shinkai dit s’être inspiré du roman Kafka sur le rivage d’Haruki Murakami, de la série coréenne Goblin et de Kiki la petite sorcière (1989). Il multiplie d’ailleurs les références au studio Ghibli, que ce soit la ville de départ de Suzume (Miyazaki, subtil), une image du chat dans un train qui évoque Si tu tends l'oreille (1995) ou l’utilisation de la chanson Rûju no Dengon qui ouvrait Kiki. Suzume jeune rappelle vaguement Chihiro, qui doit également se débrouiller seule après avoir passée une porte vers un autre monde. Si tout cela ne fait pas de Suzume un film original, c’est sans doute le Makoto Shinkai que j’ai préféré jusqu’à présent, aidé par son animation impressionnante.


Ghosted de Dexter Fletcher (2023)
Sur un marché à Washington D.C., Sadie cherche une plante ne nécessitant pas d’entretien et tombe sur un stand tenu par Cole, un paisible fermier qui vend ses récoltes et qui a pris la place d’une collègue absente. La discussion est tendue, Cole invite Sadie pour s’excuser et ils finissent par coucher ensemble. Dès le lendemain, il la harcèle de messages sans obtenir de réponse. Grâce à son inhalateur géolocalisé oublié dans le sac de son amante d’une nuit, il constate qu’elle est à Londres et il saute dans l’avion pour aller la surprendre. Arrivé sur les lieux, il est enlevé par des terroristes persuadés qu’il est un agent de la CIA.

Ghosted est une superproduction Apple Studios réunissant Chris Evans et Ana de Armas quatre ans après À couteaux tirés (2019). L’intrigue est un prétexte à un enchaînement de scènes d’action outrageusement exagérées, avec des méchants stéréotypés, des situations convenues, et une inversion des rôles très contemporaine où l’héroïne est ultra bourrine et où un personnage masculin embarqué contre son gré se défend comme il peut. Les inévitables clins d’œil méta sont au rendez-vous avec des guest stars issues du MCU. Le pire est que je me suis laissé prendre au jeu et que, aussi bête que ça puisse être, ça n’était pas désagréable.


La nuée de Just Philippot (2020)
Mère de deux enfants, Virginie galère pour sauver son exploitation de criquets dans laquelle elle s’est lancée à la mort de son conjoint. Pionnière dans sa filière, elle peine à instaurer les conditions favorables à la reproduction des insectes et à vendre la farine hyperprotéinée qu’elle fabrique. Un jour, désespérée, elle perd la tête, commence à tout détruire, chute et se blesse. Les criquets se précipitent sur sa plaie et elle remarque que cette nourriture leur convient parfaitement.

Tourné en 2019, prêt en 2020, La nuée est sorti en juin 2021 à cause du Covid. Thriller agricole influencé par Take Shelter (2011) de Jeff Nichols, il n’a pas trouvé son public. A la suite d’une intéressante première partie, qui installe une ambiance pesante bâtie autour des difficultés quotidiennes et des non-dits, le virage progressif vers le surnaturel s’avère périlleux en raison d’un manque de tension. Just Philippot dilue ses touches horrifiques, explore de nombreuses pistes qu’il abandonne en cours de route (le décès du mari, les moqueries à l’école, le côté body horror…), et je comprends la critique de Mad Movies qui lui avait reproché sa demi-mesure et son incapacité à basculer réellement dans la terreur. Il n’empêche que La nuée offre en parallèle un récit adroitement construit avec des interprètes crédibles et de jolis effets spéciaux, ainsi qu’une conclusion abrupte efficace (qui devait initialement être plus sombre, Just Philippot ayant reculé sous la pression des distributeurs). Il faut donc davantage envisager La nuée en tant que drame rural avec une pointe de fantastique qu’en pur film de genre.


Mélo d’Alain Resnais (1986)
Marcel et Pierre sont de vieux amis qui ont étudiés ensemble au Conservatoire. Leur parcours a ensuite divergé : Pierre est resté un simple premier violon, il s’est marié avec la pétulante Romaine et s’est établi dans un pavillon de banlieue ; Marcel est devenu une célébrité internationale, qui navigue entre ses conquêtes sans atteindre le bonheur dans son immense appartement parisien. Romaine a le coup de foudre et décide d’avoir une aventure avec Marcel, sans prévoir qu’ils tomberaient éperdument amoureux. Elle est tiraillée, ne se résolvant pas à quitter le gentil Pierre, camarade et époux fidèle qui préfère se voiler la face.

Mélo est une pièce d’Henri Berstein écrite en 1929 avec, à sa création, Gaby Morlay (Romaine), Charles Boyer (Marcel) et Pierre Blanchard (Pierre) dans les rôles principaux. L’adaptation d’Alain Resnais est la quatrième après celles de Paul Czinner en 1932 et 1937 (en Grande-Bretagne) et l’italienne de 1934 de Robert Land et Giorgio Simonelli. Resnais réunit ses habituels comparses Sabine Azéma (Romaine), André Dussollier (Marcel) et Pierre Arditi (Pierre). Mélo constitue toutefois une rupture à la suite des énormes échecs de La vie est un roman (1983) et de L'amour à mort (1984), et annonce un deuxième pan de carrière où Resnais revient sur sa jeunesse. Né en 1922, Resnais convoque avec Mélo le théâtre d’entre-deux-guerres qu’il adorait en ressuscitant un texte oublié d'Henri Bernstein. Tourné en 21 jours sur un unique plateau, il édifie des décors artificiels, conserve les dialogues d’origine, situe l’action en juin 1926 et insiste sur la théâtralité avec des rideaux apparents lors des transitions entre les actes et peu de mouvements de caméra, privilégiant les jeux de lumière. Comme résumé par Thierry Jousse dans une conférence récente, Resnais compose un mélodrame sec, noué, qui ne libère pas le spectateur dans son épilogue.
En dépit du talent des comédien·ne·s, je me suis grandement ennuyé. Le monologue d’ouverture de dix minutes d’André Dussollier filmé par un lent traveling circulaire m’a mis KO dès le départ. C’est pourtant un moment clé où Marcel, par son charisme et sa langue, charme sans le vouloir peut-être Romaine, et Dussollier le joue admirablement. Le problème est que Mélo transpire continuellement le théâtre et que je n’ai jamais été fan de cet art. Par ailleurs, Sabine Azéma et André Dussollier ont beau rendre sympathiques les personnages objectivement déplaisants de Romaine et de Marcel, je ne me suis guère passionné pour leur chagrin et même le brave Pierre m’a gonflé. J’avais apprécié le très factice Smoking/No Smoking (1993) mais il dégageait un dynamisme et enchaînait les péripéties là où Mélo s’enlise dans des tunnels de dialogues. Le lecteur pourra néanmoins se reporter à la critique de DVDClassik pour lire un avis caractéristique de la perception des cinéphiles et totalement différent du mien.


Films vus seuls
Lekce Faust de Jan Švankmajer (1994, La leçon Faust)
Dans les années 80 à Prague, un homme récupère un papier distribué dans la rue. Il tente sans succès de s’en débarrasser et, en le regardant de près, remarque qu’il s’agit d’un plan de la ville sur lequel se trouve un point rouge. Il va sur les lieux, pénètre dans un bâtiment et arrive dans une loge de théâtre. Il enfile un costume, se maquille et commence à répéter Faust. Juste avant de monter sur les planches, il s’enfuit et échoue dans un laboratoire où il pactise avec le diable.

Lekce Faust est le second long métrage du réalisateur surréaliste tchèque Jan Švankmajer après le traumatisant Alice (1988), une retranscription anormalement dérangeante du roman de Lewis Carroll et un des trucs les plus glauques que j’ai pu voir. Si Lekce Faust propose des animations et des marionnettes moins creepy, il déroute davantage dans sa forme. Jan Švankmajer alterne entre réalité moderne du héros, représentation théâtrale et mythe de Faust dans une atmosphère de cauchemar éveillé. On est souvent perdu, sans trop savoir où on est, avec un détachement et une froideur qui empêchent de s’impliquer dans le récit. Bien que techniquement formidable, je n’ai pas été enthousiasmé.


Shoes de Lois Weber (1916)
Eva travaille dans un magasin à prix unique pour cinq dollars par semaine. Elle les verse intégralement à sa mère qui doit payer le loyer et la nourriture pour ses trois sœurs et son père. Ce dernier passe ses journées à lire et ne cherche pas réellement de boulot, laissant Eva assumer toute la charge financière. Depuis des semaines, elle a désespérément besoin de nouvelles chaussures, les siennes tombant en morceaux, et ne sait comment se les acheter avec son maigre salaire qui leur permet juste de survivre.

En 1916, Universal Studio décide d’établir une filiale spécialisée dans des adaptations littéraires nommée Bluebird Photoplays. Privilégiant les talents maison aux dépens de stars connues, elle donna leur chance à de futures vedettes comme Rudolph Valentino, Tod Browning ou Rex Ingram. Elle employa en outre de multiples réalisatrices, notamment Ida May Park, Elsie Jane Wilson ou Lois Weber, une des plus fameuses cinéastes du muet. Lois Weber devint metteuse en scène en 1911 pour la Rex Motion Picture Company avant d’entrer à Universal en 1915 puis de créer sa propre compagnie en 1917. Elle dirigea une douzaine de films pour Bluebird Photoplays, essentiellement des mélodrames sociaux à l’instar de Shoes, tiré d’une nouvelle de l’écrivaine et suffragette Stella Wynne Herron. Bluebird Photoplays ferma ses portes en 1919 et fut rapidement oublié aux Etats-Unis. Ce ne fut pas le cas au Japon, où ses productions marquèrent le public et exercèrent une influence durable.
Shoes est un drame social féministe et moralisateur. Ce n’est pas Eva qui est jugée, c’est la société qui la contraint aux pires extrémités. Les personnages masculins sont particulièrement négatifs, que ce soit le père fainéant ou le client libidineux. S’il est très mélo, Shoes est correctement mené et Mary MacLaren, dont c’est le premier rôle et qui fera ensuite une belle carrière, est convaincante en Eva. Une bonne surprise donc pour entamer mon exploration du catalogue de Bluebird Photoplays.


女死刑囚の脱獄 [Onna shikeishû no datsugoku] de Nobuo Nakagawa (1960, Death Row Woman)
Kyôko est la fille aînée d’un riche industriel qui veut la marier au prétendant respectable qu’il a sélectionné. Elle refuse car elle est amoureuse d’un autre homme, Sôichi, de qui elle est enceinte. Quand le père meurt empoisonné peu après leur dispute et que du cyanure de potassium est découvert dans un flacon de parfum de Kyôko, elle est implacablement condamnée à la peine de mort malgré ses dénégations. Emprisonnée avec une détenue lubrique, elle compte sur Sôichi pour prouver son innocence. Celui-ci n’est guère pressé de l’aider.

Au cours de sa prolifique carrière, Nobuo Nakagawa n’a pas œuvré que dans l’horreur baroque qui l’a rendu célèbre. Il a eu un parcours éclectique, changeant de style selon les modes et les desideratas des studios. La Shintôhô, où il arriva quasiment dès sa création en 1947 et où il resta jusqu’à sa banqueroute en 1961, lui offre avec Onna shikeishû no datsugoku un mélange de film noir et de women in prison avant l’heure, nappé d’une grosse couche de pathos. C’est un bon exemple de japonisation de genres typiquement américains et il annonce en moins trash un certain cinéma d’exploitation des années 70, s’attardant à la lisière du sordide sans oser s’y vautrer complètement. On demeure cependant dans un schéma classique de mélodrame moral avec une héroïne qui enchaîne les épreuves et qui aurait dû écouter son papa. Ça a le mérite d’être court, 1h18, et tendu en dépit d’un dénouement invraisemblable.


女優霊 [Joyû-rei] d’Hideo Nakata (1996, Don’t Look Up)
Dans un antique studio, une équipe filme un drame psychologique situé durant la deuxième guerre mondiale. En regardant les rushs à la fin de la journée, leurs images sont soudainement remplacées par une curieuse séquence montrant un garçon, une femme en kimono et une inquiétante fille au rire hystérique derrière elle. Bien que le réalisateur soit persuadé d’avoir vu ces plans à la télévision dans son enfance, personne n’est capable de retrouver d’où ils sont tirés. Sur le plateau, des apparitions étranges se manifestent.

Après des années en tant qu’assistant sur des pinku eiga à la Nikkatsu, Hideo Nakata passe à la mise en scène dans les années 90. Joyû-rei est son premier long métrage pour le grand écran, tourné rapidement dans les locaux abandonnés de la Nikkatsu qui avait fait faillite deux ans auparavant. A cette époque, Hideo Nakata essayait de réunir de l’argent pour un documentaire sur Joseph Losey. Il accepta cette commande de la chaîne satellite WOWOW qui finançait de jeunes talents pour le label J Movie Wars sous l’égide de Takenori Sentô. Joyû-rei ne rencontra aucun succès mais servit de socle à l’opus suivant de Nakata, Ring (1998), également produit par Takenori Sentô.
On perçoit déjà dans Joyû-rei le Ring en devenir avec cette histoire de pellicule hantée sur laquelle apparaît en arrière-plan une figure effrayante à cheveux longs dont la présence maléfique contamine la réalité. Ce n’est néanmoins pas d’une qualité similaire. Excepté deux-trois moments troublants, ça manque terriblement de rythme et la conclusion ne fonctionne pas, en raison notamment d’un fantôme trop visible. Hideo Nakata retiendra la leçon pour Ring, où il masquera le visage de Sadako, multipliera les morts et accentuera au maximum le côté dérangeant.


Mélo de Paul Czinner (1932)
Pierre est premier violon de l’Orchestre Colonne et insiste pour que son épouse Romaine vienne l’applaudir malgré ses réticences. Dès son arrivée en retard, elle est fascinée par le fameux violoncelliste Marcel Blanc, qu’elle ne quitte pas des yeux. Le spectacle terminé, elle le rencontre par hasard et s’enfuit, intimidée. En sortant, elle apprend que Pierre ne rentre pas avec elle car il dîne avec Marcel. Quand son mari l’appelle dans la soirée pour lui proposer de la rejoindre à l’appartement avec son camarade, Romaine refuse énergiquement. Pierre n’en tient pas compte et plante sans le savoir les graines de son malheur.

Mélo est une pièce de théâtre d’Henri Berstein créée en 1929 et probablement écrite pour Gaby Morlay, une de ses actrices fétiches. Elle est adaptée en 1932 par Paul Czinner en deux versions, une française et une allemande, Der träumende Mund, avec des interprètes germanophones. Dans la française, Gaby Morlay (Romaine) et Pierre Blanchar (Pierre) reprennent leur rôle, Victor Francen remplace Charles Boyer en Marcel. Paul Czinner remanie considérablement le texte d’origine et en modifie la signification. Les dialogues sont complètement transformés, il supprime le dernier acte qui marque les retrouvailles entre Pierre et Marcel, donne davantage d’importance à la musique (Romaine s’éprend de Marcel en le regardant jouer et non en l’écoutant parler) et se recentre sur Romaine. La substitution de Charles Boyer par Victor Francen va dans ce sens, avec un comédien plus vieux, moins charismatique et flamboyant, une figure paternelle plutôt qu’un amant ténébreux. Tout en gardant une sécheresse aussi présente dans le Resnais, ces altérations rapprochent le Mélo de 1932 d’un mélodrame féminin traditionnel. Henri Berstein fut furieux du résultat, qu’il qualifia d’« acte de vandalisme littéraire », et attaqua en justice pour empêcher la projection et faire mettre sous séquestre les copies. Ses plaintes furent rejetées, les critiques furent divisées et Mélo reçut un bon accueil du public.
Si j’avais moyennement apprécié le Mélo de 1986, que dire de celui de 1932 ? Il est indéniablement pire. Outre un Pierre Blanchar agaçant et un Victor Francen en demi-teinte, les changements effectués rendent les situations et les protagonistes insipides. Devant l’effacement des hommes infantilisé (Pierre) ou hors d’atteinte (Marcel), les responsabilités échoient à Romaine, à la fois coupable (d’avoir séduit Marcel) et victime (de son impossibilité de choisir, dilemme lourdement illustré dans une scène de rêve). Le drame est inéluctable. Il n’y a pas d’intensité dans les relations, on observe poliment les tromperies et mésaventures sans croire aux tourments de Gaby Morlay. En dépit de mes réserves à son sujet, il vaut largement mieux voir le Resnais.


Séries
裏世界ピクニック [Urasekai Picnic] de Takuya Satô (2021, Otherside Picnic), 12 épisodes
Dans une réalité parallèle où les légendes urbaines d’internet prennent vie, Sorawo est secourue in extremis par une grande blonde nommée Toriko. Cette dernière sait utiliser les armes et n’a pas froid aux yeux, à l’inverse de Sorawo, une étudiante introvertie passionnée par l’occulte. Toriko connait un passage sûr entre la Terre et l’autre monde qu’elle visite régulièrement, à la recherche de son ancienne professeure qui lui a appris l’existence de cet univers et a disparu. D’abord hésitante, Sorawo tombe sous le charme de Toriko et la suit dans ses aventures.

Urasekai Picnic est initialement une série de light novel yuri de Iori Miyazawa inspirée de Stalker - Pique-nique au bord du chemin des frères Strougatski (transposé de façon libre par Tarkovski dans son Stalker de 1979). Entamée en 2017, elle est toujours en cours. Elle a été transposée en manga en 2018 et en animé en 2020. Celui-ci comporte douze épisodes correspondant grosso modo aux trois premiers volumes du roman.
L’animé est léger et, s’il y a par moment des séquences horrifiques, on est la plupart du temps dans de la comédie d’action sur fond de vague romance. Ça s’écarte du yuri classique, qui se situe habituellement dans le quotidien non surnaturel de jeunes femmes souvent stéréotypées. C’est agréable mais l’intrigue manque parfois de consistance et est excessivement fragmentée. Ce défaut est apparemment lié à l’élimination de certains des chapitres des bouquins et à leur réagencement, engendrant des incohérences dans les développements psychologiques et relationnels des personnages. Il aurait également été préférable de conserver l’ambiance plus sombre des livres, l’humour a ici tendance à casser la tension. J’espère que ces maladresses seront résolues dans la saison 2, qui n’est pas encore annoncée.


Livres
Le songe d’une nuit d’octobre de Roger Zelazny (J’ai lu, collection « S-F fantasy », 1995), 253 p.
Tous les dix-huit ou dix-neuf ans, lorsque la pleine lune coïncide avec la nuit d’Halloween, des individus se réunissent dans un lieu prédéfini pour ouvrir ou clore un portail vers l’au-delà. Ils arrivent un mois avant pour se préparer et collecter les outils nécessaires au rituel, flanqués de leur animal familier qui les aide dans leur tâche. Snuff est le chien de Jack l’éventreur, un fermeur qui ne souhaite pas détruire le monde. Epaulé par Graymalk la chatte de Jill la sorcière, il commence à fouiner dans le voisinage pour déterminer les forces en présence et trouver l’endroit exact où la cérémonie se tiendra.

Le songe d’une nuit d’octobre est l’ultime roman solo de Roger Zelazny avant sa mort d’un cancer en 1995 à 58 ans. Il y associe des êtres réels ou imaginaires de l’ère victorienne (Jack l’éventreur, Sherlock Holmes, le docteur Frankenstein, Dracula, Raspoutine, Burke & Hare, un loup-garou, une sorcière, un druide et un cultiste) à la mythologie lovecraftienne, les ouvreurs tentant de réveiller les Grands Anciens. L’édition originale était accompagnée de 33 illustrations de Gahan Wilson malheureusement absentes de cette traduction. Beaucoup de critiques se plaignent que ce n’est guère terrifiant malgré la galerie de monstres. Je pense qu’ils se trompent de cible : ce n’est clairement pas un ouvrage sinistre, Zelazny a écrit ça pour se distraire et il faut considérer Le songe d’une nuit d’octobre sous cet angle. C’est selon moi fort réussi, plaisant et atypique, les évènements étant perçus du point de vue d’animaux qui n’appréhendent pas tous les enjeux. Le mélange des genres fonctionne parfaitement et je me suis bien amusé.


Sarutobi d’Osamu Tezuka (Cornélius, collection « Paul », 2009), 336 p.
En 1590, Sasuke est un adolescent rebelle qui suit l’enseignement de l’école des ninjas de Kôga. Elève indiscipliné, il a régulièrement des problèmes avec maître Tozawa. Quand il utilise ses pouvoirs pour châtier une troupe de samouraïs qui se rapproche de son village, Tozawa lui retire temporairement son permis de ninja pour lui faire comprendre qu’il doit défendre les gens et non les tuer. Il consent à lui redonner pour que Sasuke puisse aller enquêter sur les troubles qui agite Kyôto, la capitale.

Publié dans Manga-ô entre janvier 1960 et février 1961, Sarutobi est la vision Tezukienne du ninja romanesque Sasuke Sarutobi. Apparu dans des contes durant l’ère Meiji, la popularité de ce dernier explosa dans les années 1910-1920 grâce à la collection de fiction jeunesse Tatsukawa Bunko, très prisée des apprentis pauvres de la région d’Ôsaka. Sasuke Sarutobi y était présenté en antihéros vif et malicieux, sans la noirceur des ninjas littéraires habituels, et avec des capacités dignes du roi singe Son Gokû. Il devint un protagoniste récurrent des Tatsukawa Bunko en 1913, lançant une mode du ninja qui fut reprise au cinéma dans les années 20, à l’exemple du célèbre Gôketsu Jiraiya (1921) de Shôzô Makino. Sasuke Sarutobi disparait dans les années 30 avant de revenir en force après la guerre, avec le concours du manga de Shigeru Sugiura paru en 1953.
Héritier de cette tradition, le Sarutobi de Tezuka est un manga mineur destiné à un jeune public, construit autour de gags sur fond de guerre civile et de discours humaniste. Les personnages évoluent peu, Sasuke est agaçant et fonce tête baissée du début à la fin, et le récit épisodique s’éparpille trop. Seul l’épilogue se démarque par son aspect non héroïque. Au niveau de l’édition, Cornélius offre une brève bibliographie de Tezuka et quelques notes. C’est mieux que rien, loin cependant de l’analyse poussée qu’ils proposent parfois.


Revues
Mad Movies n°376 – Novembre 2023
Beaucoup de sorties intrigantes ce mois-ci : Ça tourne à Séoul ! de Jee-woon Kim (réalisateur de Le bon, la brute et le cinglé (2008) ou de J'ai rencontré le diable (2010)), comédie sur un cinéaste ringard fortement inspiré de Kim Ki-young qui essaye de renaître de ses cendres ; Gueules noires, version française années 50 des Montagnes hallucinées de Lovecraft ; Five Nights at Freddy’s, sans doute pas terrible mais avec des animatroniques qui ont l’air super ; Vincent doit mourir, sur un mec qui devient sans raison apparente la cible de tout le monde ; Mars Express, animé français de SF à l’ambiance noirisante ; et même Conann de Bertrand Mandico, qu’il faudra que je vois un jour comme le reste de l’œuvre de Mandico que je crains être soporifique bien que visuellement barrée.

A part ça, l’entretien avec Eli Roth est étonnamment intéressant, cela donnerait presque envie de voir son prochain slasher Thanksgiving (j’ai dit presque). A l’inverse, Terry Gilliam a tourné vieux schnock et son interview n’apporte pas grand-chose. J’ai en revanche apprécié les rencontres avec Robert H. Bennett, le superviseur des créatures de Five Nights at Freddy’s qui travaille à la Jim Henson Company, et avec Jörg Buttgereit, le créateur de Nekromantik (1987), qui m’a amené à reconsidérer sous un autre angle ce film que j’avais trouvé franchement nul.


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