Films vus en compagnie
The Uninvited de Lewis Allen (1944, La falaise mystérieuse)

The Uninvited marque les débuts au cinéma de l’Anglais Lewis Allen, venu de Broadway et qui fit carrière dans la série B et la télévision. Il adapte un roman gothique de Dorothy Macardle, écrivaine et journaliste irlandaise connue pour ses positions indépendantistes et féministes. C’est le premier rôle important de Gail Russell, âgée de 19 ans, au jeu encore approximatif. Timide et peu sûre d’elle, elle fut aidée par Ray Milland, qui la faisait répéter entre les prises. Elle perdit tout de même une dizaine de kilos, commença à boire pour oublier son trac et tomba en dépression à la fin du tournage. Elle mourut d’une cirrhose du foie à 36 ans.
The Uninvited a acquis une belle réputation avec le temps et est régulièrement cité dans les références de l’horreur des années 40. Selon les standards modernes, ce n’est pas effrayant et Ray Milland incarne Rick avec humour et nonchalance. Lewis Allen alterne les séquences légères et tendues et assume le surnaturel, attitude rare à l’époque. Il s’appuie sur la superbe photographie de Charles Lang, qui privilégie les éclairages naturels et les bougies. L’inquiétante Miss Holloway rappelle la terrible Mrs. Danvers de Rebecca (1940), cliché de la méchante lesbienne compris. Cela ne passa pas inaperçu et un membre de la légion catholique de décence se plaignit à la MPAA qu’un large public d’un genre douteux allait aux séances de The Uninvited à des heures inhabituelles, attiré par certains éléments érotiques et ésotériques. Sans égaler Rebecca, The Uninvited est un agréable divertissement qui mérite le coup d’œil.
Between Two Women de Steven Woodcock (2000)

Between Two Women est un hommage au kitchen sink drama, un mouvement culturel de la fin des années 50/début des années 60 qui dépeignait dans un style réaliste la dure vie de la classe ouvrière. Souvent centré sur des jeunes hommes en colère, il a été abondamment employé par la Nouvelle vague britannique, par exemple dans Saturday Night and Sunday Morning (1960), The Loneliness of the Long Distance Runner (1962) ou This Sporting Life (1963). Fan de John Braine, un des représentants du mouvement, Steven Woodcock voulait œuvrer dans une veine identique. Il avait une ébauche qui ne fonctionnait pas, jusqu’au jour où il décida de transformer son héros en héroïne et de s’éloigner de la Nouvelle vague qui n’aurait jamais imaginé un amour lesbien. Il se focalisa sur Ellen, jouée par l’actrice de télévision Barbara Marten, et lui conféra une colère froide et interne, en décalage avec la violence physique exprimée par les révoltés des sixties.
Steven Woodcock imprime un rythme lent et contemplatif, accru dans la version américaine de 2004 disponible sur Netflix, d’une durée supérieure de 15 minutes. Il avait initialement rédigé un livre, paru a posteriori en 2004, qu’il utilisa pour construire son script. Malgré une jolie reconstitution historique, le manque de budget est évident, la photographie et la musique évoquent un téléfilm, le dénouement est téléphoné et il y a quelques longueurs, peut-être absentes dans le montage court anglais. Between Two Women est néanmoins un drame subtil, bien interprété et reposant.
Films vus seuls
ひかりごけ [Hikarigoke] de Kei Kumai (1992, Luminous Moss)

L’incident d’Hikarigoke est tenu pour le premier cas d’anthropophagie débouchant sur une condamnation à mort par une cour de justice japonaise. Sa véracité est toutefois l’objet de débats : il n’existe aucune trace de l’évènement dans les journaux, et les archives judiciaires de l’époque ont été détruites lors des bombardements en 1945. Les faits ont été recomposés à partir de rumeurs et leur novellisation par Taijun Takeda en 1954 augmenta leur crédibilité. A travers son exposé, l’écrivain s’élevait contre une théorie controversée sur le cannibalisme des aïnus, qui visait à ternir leur image et renforcer leur supposée barbarie. Taijun Takeda, contempteur de l’ère militariste et de la société japonaise, montre comment les circonstances amènent des hommes ordinaires aux pires extrémités, effaçant l’idée d’une quelconque supériorité japonaise.
Kei Kumai aborde encore une fois un sujet qui fâche, celui de la consommation de chair humaine durant la guerre et la façon hypocrite dont ce geste fut considéré par ceux qui ne furent pas exposés aux souffrances de la faim. Le huis clos dans la grotte est prenant, bâti autour des questionnements éthiques et des différentes réactions des rescapés. Le procès qui suit est curieux, j’ai compris son objectif mais la conclusion m’est passée au-dessus. Je n’ai enfin pas perçu l’intérêt du récit imbriqué. Sur un thème similaire avec une démarche moins philosophique et plus viscérale, Feux dans la plaine m’avait laissé une forte impression. A noter le beau casting comprenant Rentarô Mikuni dans le rôle principal, Kunie Tanaka, Chishû Ryû en juge vieillissant et Taketoshi Naito, également producteur de Hikarigoke.
Komisario Palmun erehdys de Matti Kassila (1960, Inspector Palmu's Mistake)

Palmu est un fameux policier finlandais, qui résout des enquêtes dans trois romans de Mika Waltari publiés en 1939, 1940 et 1962. En 1960, le second est transposé au cinéma par Matti Kassila. Joel Rinne, acteur polyvalent ayant commencé dans les années 20, incarne Palmu. Devant l’énorme succès rencontré, la même équipe récidive avec Kaasua, komisario Palmu! (1961). A la demande des producteurs, Mika Waltari accouche d’un troisième volet, Tähdet kertovat, komisario Palmu (1962), aussitôt transformé en long métrage. En l’absence de matériel supplémentaire, le réalisateur Matti Kassila rédigera un scénario inédit pour un quatrième épisode, Vodkaa, komisario Palmu en 1969.
Palmu est une référence incontournable de la culture finlandaise, très apprécié de Kaurismäki et du grand public. En 2012, les critiques et journalistes finlandais ont d’ailleurs élu Komisario Palmun erehdys meilleur film finlandais de l’Histoire. Cela ne manque pas d’étonner le spectateur français que je suis, qui tombe sur cette œuvre en 2023. Ce n’est pas désagréable, un petit whodunit avec son flic grincheux et malin, et un humour globalement pince-sans-rire en dépit de quelques blagues lourdingues et d’un nombre surprenant de plans de femmes nues. Rien de renversant, pas sûr que je regarderai les trois autres.
怪竜大決戦 [Kairyû daikessen] de Tetsuya Yamanouchi (1966, Les monstres de l'apocalypse)

Alléché par les recettes du Daimajin (1966) de la Daiei, la Toei s’engouffre dans la brèche et finance son premier kaijû eiga avec Kairyû daikessen, un jidai-geki fantastique mêlant gros monstres et ninjas. Tetsuya Yamanouchi, qui avait débuté sa carrière de metteur en scène deux ans auparavant avec le divertissant Ninja gari (1964), s’inspire des aventures de Jiraiya, héros de livres et de pièces de kabuki du XIXe siècle. Il reprend notamment en le modernisant un combat célèbre, déjà présent dans l’adaptation de Shôzô Makino de 1921, où les adversaires se métamorphosent en grenouille, en limace (remplacée par une araignée car la Toei estimait que la limace n’était pas assez classe pour la jolie Ogawa Tomoko) et en serpent (le vil Orochi-Maru, dont le nom contient les caractères grand serpent et qui est ici changé en dragon).
A l’inverse de la Tôhô où un département des effets spéciaux supervisé par Eiji Tsuburaya dans les années 60 était largement mis à l’honneur, la Toei laissa Tetsuya Yamanouchi et son caméraman se débrouiller. Bien que l’affrontement final soit acceptable dans le genre gars en costumes qui se bastonnent dans des maquettes, les trucages sont dans l’ensemble risibles et indignes d’un grand studio. Ogawa Tomoko fait ce qu’elle peut dans un rôle terne. Lassée des figurations ineptes, elle se consacrera par la suite à la chanson et au petit écran. Côté masculin, Hiroki Matsukata en Ikazuchi-Maru n’est pas d’un charisme exceptionnel et on est souvent à la frontière du navet. La Toei ne jugera pas favorablement le résultat et abandonnera le kaijû eiga dans les salles jusqu’à Kyôryû kaichô no densetsu en 1977. Malgré ses défauts, Kairyû daikessen a un aspect rustique, kitsch et délirant qui, avec une couche d’indulgence, le sauve du naufrage. Pour l’anecdote, l’American International Television le diffusa à la télévision américaine en 1968 dans une version charcutée et redoublée, avec des bruitages piqués aux bébêtes de la Tôhô.
Horizons sans fin de Jean Dréville (1953)

Populaire réalisateur des années 40-50, Jean Dréville est aujourd’hui oublié, victime de la stigmatisation de la Nouvelle vague qui le considérait comme un parangon du cinéma de papa. Il est vrai qu’il s’attache à un certain académisme et Horizons sans fin fut qualifié de film de curé, réputation accrue par son prix de l’Office catholique international du cinéma. C’est pourtant une œuvre remarquable à bien des égards. En dépit des libertés d’usage par rapport à la réalité historique visant à condenser et renforcer l’impact des évènements (un accident d’Hélène Boucher sur le rallye Caen-Deauville est par exemple déporté sur son raid Paris-Saïgon), Jean Dréville aborde la vie d’Hélène Boucher avec une approche quasi-documentaire, le tournage ayant eu lieu en extérieur sur l’aérodrome d’Enghien-Moiselles et Gisèle Pascal ayant pris des cours de pilotage pour l’occasion. Aux commandes de l’appareil dans la majorité des séquences, Gisèle Pascal déclenchait elle-même une caméra embarquée accroché au cockpit, une invention de Jean Dréville. Cela donne à l’action un fort dynamisme, qu’aucune romance superfétatoire n’entrave.
J’ai vu Horizons sans fin à la Filmothèque du Quartier Latin, suivi d’une discussion avec Eric Antoine Lebon qui vient de sortir une biographie sur Gisèle Pascal. Gaumont n’ayant pas de copie utilisable, c’est le DVD qui a été projeté. Si la qualité de l’image et du son était correcte, le format était abominable, un 4/3 étiré dégueu. Gisèle Pascal et Jean Chevrier (Danet) ont un jeu parfois daté, heureusement entourés d’une pléiade de seconds couteaux sympathiques, en particulier René Blancard et Pierre Trabaud. Après un démarrage légèrement fastidieux, Horizons sans fin trouve son rythme et s’avère être une belle découverte.
歌舞伎十八番 鳴神 美女と海龍 [Kabuki juhachiban: Narukami - Bijo to kairyu] de Kôzaburô Yoshimura (1955, The Beauty and the Dragon)

Narukami est une fameuse pièce de kabuki écrite en 1684 par Ichikawa Danjûrû I et transformée en 1742 par son fils, Ichikawa Danjûrû II. Kabuki juhachiban: Narukami - Bijo to kairyu est la seule transposition sur grand écran à ma connaissance, produite pour commémorer les 25 ans de la création du théâtre Zenshinza à Tokyo. Le casting est d’ailleurs composé principalement des acteurs et actrices de la troupe du Zenshinza. C’est dirigé par Kôzaburô Yoshimura, allié à son habituel scénariste Kaneto Shindô, qui étaient indépendants à cette époque et naviguaient entre les studios. Akira Ifukube, autre collaborateur de Kôzaburô Yoshimura célèbre pour son travail sur les Godzilla de la Tôhô, se charge de la musique.
Kabuki juhachiban: Narukami - Bijo to kairyu est une curiosité, qui s’ouvre et se conclut dans un théâtre kabuki et exploite à peine le côté fantastique, réduit à une tête de dragon de pacotille. L’histoire est étonnamment simple et linéaire, et l’intérêt réside essentiellement dans la scène de séduction entre Narukami et Taema, incarnée par l’excellente Nobuko Otowa, maîtresse de Kaneto Shindô qui lui confiera le rôle de la mère dans Onibaba (1964).
The Lair of the White Worm de Ken Russell (1988, Le repaire du ver blanc)

Je n’ai jamais été fan de Ken Russell, j’avais détesté The Devils (1971), The Boy Friend (1971) m’avait ennuyé et Tommy (1975) m’avait laissé froid malgré la formidable bande originale de The Who. Je n’escomptais donc pas moult de The Lair of the White Worm, adaptation d’un bouquin apparemment tout pourri de Bram Stocker. Foncièrement camp, alternant l’humour nase, la nudité gratuite, les monstres en caoutchouc et le gros porte-nawak (Angus qui joue de la cornemuse pour charmer un homme serpent, qui se trimballe avec une mangouste ou avec une grenade sur lui), The Lair of the White Worm flirte avec le nanar. J’associais Ken Russell à une certaine prétention artistique, elle est ici absente et ce machin aurait pu être tourné par n’importe quel tâcheron supervisé par Roger Corman. A noter la présence des débutants Peter Capaldi et Hugh Grant, qui se retrouveront 30 ans plus tard dans Paddington 2 (2017).
The Texas Chainsaw Massacre de Marcus Nispel (2003, Massacre à la tronçonneuse)

Sachant que je n’avais pas aimé le The Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hooper que j’avais vu ado, pourquoi me suis-je fourvoyé dans ce remake produit par Michael Bay ? Parce qu’il est dans le top 200 du n°200 de Mad Movies et que je suis un sale complétiste… Je suis bien puni, c’était affreusement nul. Les comédien·ne·s ne sont pas en faute les pauvres, il n’y a simplement rien de sauvable scénaristiquement et visuellement, sans apport ni tension, c’est filmé avec les pieds et, hommage sans doute à Michael Bay, les scènes d’action sont illisibles. Autant je serais curieux de revoir l’original, que j’avais peut-être jugé trop durement, autant je ne vois aucune bonne excuse (le complétisme n’en étant pas une) de se taper cette bouse.
Livres
La dimension des miracles de Robert Sheckley (Presses Pocket, collection « SF », 1978), 221 p.

Evacuons la question de la couverture de cette édition. Dans les années 70 à 90, Presses Pocket estimait qu’un bouquin de SF devait systématiquement afficher une femme nue quel que soit le contenu. On a déjà croisé divers exemples de ce type, à l’image de Mission stellaire d’A.E. Van Vogt. C’est encore le cas ici, il y a certes des dinosaures dans La dimension des miracles mais pas de femme nue.
La dimension des miracles m’a immédiatement évoqué Le guide du voyageur galactique de Douglas Adams, créé dix ans plus tard en 1978. Je ne suis pas le seul, cette analogie fut relevée à Douglas Adams qui nia avoir eu connaissance du livre de Robert Sheckley. Les ressemblances sont pourtant troublantes, un humain étant pareillement projeté dans un univers tentaculaire et incompréhensible, avec des discussions truffées d’un humour absurde. La dimension des miracles rappelle aussi le jeu de rôles Paranoïa, avec son administration bornée, inefficace et dangereuse, et ses ordinateurs qui ont forcément raison même quand ils ont tort. Robert Sheckley est un spécialiste de la nouvelle et son roman est constitué d’une succession de saynètes. Elles sont correctement reliées entre elles, c’est pêchu, rapide et agréable à lire, et cela réjouira probablement les fans de Douglas Adams voire de Pratchett (dont je fais partie).
More About Paddington de Michael Bond (Harper Collins, collection « The Classic Adventures of Paddington Bear – The Complete Collection », 2019), 144 p.

More About Paddington est la suite directe de A Bear Called Paddington, qui continue à explorer les péripéties de l’ourson gaffeur. Il n’y a pas de révélation ou de nouveaux protagonistes et la progression narrative est faible, chaque chapitre étant une variante d’un schéma similaire : Paddington a une idée ou est emmené dans un lieu, et Michael Bond dépeint les contrecoups. Cela me lassera peut-être au bout de quinze tomes, surtout si je les enchaîne prestement, pour l’instant je trouve toujours cela plaisant.
- L'incroyable et triste histoire de Candide Erendira et de sa grand-mère diabolique de Gabriel García Márquez (Grasset, collection « Les Cahiers Rouges », 2014), 177 p.L'incroyable et triste histoire de Candide Erendira et de sa grand-mère diabolique est un recueil de sept nouvelles écrites entre 1961 et 1972 :
- • Un monsieur très vieux avec des ailes immenses (1968) : Un couple de paysans remarque dans leur cour un vieillard décrépi avec des ailes.
- • La mer du temps perdu (1961) : Une odeur de roses venue de la mer perturbe la vie d’un petit village.
- • Le noyé le plus beau du monde (1968) : Des pêcheurs ramènent un noyé exceptionnellement beau échoué sur une plage et leurs femmes organisent de somptueuses funérailles.
- • Mort constante au-delà de l’amour (1970) : Le sénateur Onésime Sanchez tombe amoureux alors qu’il se sait condamné à mourir dans six mois.
- • Le dernier voyage du vaisseau fantôme (1968) : Un homme est bien décidé à prouver l’existence d’un bateau fantôme qu’il a aperçu une nuit.
- • Blacaman, le bon marchand de miracles (1968) : Un charlatan torture son assistant, qui finit par se venger.
- • L'incroyable et triste histoire de Candide Erendira et de sa grand-mère diabolique (1972) : Parce qu’elle a oublié d’éteindre un chandelier et que sa maison a brûlé, Erendira est forcé par son horrible grand-mère à se prostituer pour rembourser sa dette.
J’ai beaucoup aimé Un monsieur très vieux avec des ailes immenses, qui a inspiré le clip de Losing My Religion de R.E.M., et Le noyé le plus beau du monde, simples et touchants. Le dernier voyage du vaisseau fantôme m’a un peu agacé, exercice stylistique où la seule ponctuation durant huit pages est la virgule, rendant pénible à lire un texte potentiellement intéressant. Le reste ne m’a pas passionné, le format court obligeant Gabriel García Márquez à condenser les péripéties et à perdre le volet réaliste de son réalisme magique. Je vais tout de même acheter d’autres recueils identiques traduits en français et récupérer Eréndira (1983), adaptation au cinéma de L'incroyable et triste histoire de Candide Erendira et de sa grand-mère diabolique.
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