samedi 8 juillet 2023

Carnet de bord 01/07/2023-07/07/2023



Films vus en compagnie
Tribute to a Bad Man de Robert Wise (1956, La loi de la prairie)
Steve Miller est un blanc-bec venu de Pennsylvanie, qui souhaite gagner sa vie comme cowboy dans l’Ouest. A la recherche d’un boulot, il est mêlé par hasard à une fusillade et sauve un homme blessé. Il s’agit de Jeremy Rodock, important éleveur de chevaux de la région. Dans cette contrée sans foi ni loi, Jeremy n’hésite pas à pendre haut et court les voleurs qu’il surprend, au grand dam de sa compagne, Jocasta, qui voit la violence détruire doucement son amant. Steve est engagé par Jeremy, assimile les ficelles du métier et tombe amoureux de Jocasta.

Tribute to a Bad Man se situe vers la fin de carrière de James Cagney, cinq ans avant sa dernière prestation marquante dans One, Two, Three (1961) de Billy Wilder. C’est son troisième et ultime western, après les oubliables The Oklahoma Kid (1939) et Run for Cover (1955). Jeremy Rodock était initialement interprété par Spencer Tracy, qui quitta rapidement le tournage pour des raisons de santé et de dissensions avec Robert Wise. Cela amena son renvoi du studio MGM, pour lequel il travaillait depuis 1935. Le rôle de Jocasta échoue à Irene Papas à la suite du refus de Grace Kelly. Ce sont ses débuts à Hollywood et elle est parfaite, elle dégage un charisme et une intensité qui sied au personnage. Le jeune premier, Don Dubbins, incarne un Steve Miller particulièrement fade, écrasé par le couple vedette. Il remplaça au pied levé Robert Francis, découvert l’année précédente dans The Caine Mutiny (1954) et qui venait de décéder dans un accident d’avion. On notera une apparition de Lee Van Cleef en second couteau.
Tribute to a Bad Man est un western psychologique qui questionne la violence et repose davantage sur les dialogues que sur l’action. Intéressant sur le papier, il s’avère bavard et pâtît de la performance de Don Dubbins, narrateur au centre de l’histoire et qui a le charisme d’une huitre. J’ai par ailleurs été moyennement convaincu par le revirement de Jeremy, trop soudain, pas assez préparé en amont. Sur un thème similaire d’un homme irascible contraint de réaliser le mal qu’il fait à ses proches et à lui-même, je préfère le formidable Gunman's Walk (1958), où Van Heflin est exceptionnel.


Asteroid City de Wes Anderson (2023)
Le fameux dramaturge Conrad Earp commence à écrire sa nouvelle pièce, Asteroid City. Dans une petite ville imaginaire au milieu du désert, une convention d’astronomie pour ados va avoir lieu. Elle va récompenser des jeunes prometteurs et attribuer une bourse d’études. Asteroid City a été sélectionnée car elle jouxte un cratère qui contient un fragment de météorite. En vue de cet évènement, une foule d’individus hors norme se regroupe dans la bourgade, notamment le prodige Woodrow Steenbeck accompagné de son père Augie, photographe de guerre, et de ses trois sœurs. Dès leur arrivée, Augie apprend à ses enfants que leur mère vient de décéder des suites d’une longue maladie.

Les deux longs métrages précédents de Wes Anderson, L’île aux chiens (2018) et The French Dispatch (2021), ne m’avaient pas emballé. Je les avais trouvés frénétiques et excessivement portés sur la technique aux dépens du récit et de la construction d’enjeux dramatiques. Asteroid City prend le contrepied de cette tendance en immobilisant ses protagonistes dans un décor restreint et en ralentissant considérablement le rythme. Le scénario a été rédigé durant les épisodes de confinement liés au covid et ça se sent. Il alterne entre le monde du théâtre New-Yorkais des années 50 proche de l’Actors Studio et un bled paumé. Dans ce morne paysage, l’ennui et la promiscuité poussent les gens à se rapprocher, Woodrow sociabilise avec la bande des surdoués, Augie s’amourache de Midge Campbell, une star fortement inspirée de Marilyn Monroe. Outre Bad Day at Black Rock (1955) pour le cadre, ça m’a rappelé Les désaxés (1961), le dernier Marilyn Monroe avec plusieurs figures notables de l’Actors Studio qui jouent des marginaux en décalage avec leur époque.
Si Asteroid City avait tout pour me plaire sur le papier, je ne suis jamais entré dedans. Excepté une séquence avec Margot Robbie, les deux univers ne s’enrichissent guère et pourraient être autonomes. L’arrière-plan théâtral véhicule tous les clichés bohèmes attendus et la quarantaine à Asteroid City plonge les acteur·ice·s et le spectateur dans la torpeur. La romance entre Augie et Midge m’a poliment assommé et les aventures de Woodrow m’ont évoqué un Moonrise Kingdom (2012) sans fantaisie. Globalement déçu, à revoir dans quelques années avec moins d’expectative.


The Twilight Saga: Breaking Dawn - Part 1 de Bill Condon (2011, Twilight : Chapitre 4 - Révélation, 1ère partie)
Après avoir tourné autour du pot pendant l’épisode précédent, Bella et Edouard se marient. Jacob fait du boudin puis vient dire bonjour parce qu’il est gentil. La cérémonie s’achève, Bella et Edouard filent vers une île au large de Rio pour leur lune de miel. Ils font des trucs sans protection et, oh là là dis donc, Bella tombe enceinte, qui aurait pu imaginer. Apparemment personne et c’est la panique.

Cette fois pas de doute, The Twilight Saga: Breaking Dawn - Part 1 est le plus nul de la série (jusqu’à présent). Mon synopsis ci-dessus couvre les deux tiers du film, c’est mou, les comédien·ne·s sont fades au possible et une idéologie nauséabonde surnage : quels que soit les risques, l’avortement c’est mal et il faut garder le fœtus. Curieusement, Sofia Coppola était intéressée par le projet d’adaptation du quatrième livre de la saga, Révélation, en un seul volet. La production refusa, préférant diviser le roman en deux pour optimiser les gains, alors que cette partie 1 aurait aisément pu tenir sur une quarantaine de minutes. Encore un avant la fin du supplice.


Il sol dell'avvenire de Nanni Moretti (2023, Vers un avenir radieux)
Giovanni entame le tournage d’un long métrage qui se déroule en novembre 1956 dans un quartier de Rome. Une antenne locale du parti communiste italien (PCI) accueille un cirque hongrois. Peu après leur arrivée, les chars soviétiques écrasent l’insurrection de Budapest. Des tensions s’ensuivent entre ceux qui acceptent la position du PCI et ceux qui veulent soutenir les insurgés. Financer un tel sujet en 2022 n’est pas évident et les ennuis s’enchaînent pour Giovanni, entre son épouse qui veut le quitter, un producteur défaillant et sa fille amoureuse d’un vieux de trois fois son âge.

De Je suis un autarcique (1976) à Palombella rossa (1989), Nanni Moretti s’inventa un alter-ego, Michele Apicella, trouble-fête bavard et égocentrique, gauchiste déçu par la gauche. Pour le public, il devint difficile de dissocier Michele et Nanni. Cela s’accentua quand Moretti mit en scène son quotidien dans Journal intime (1993) et Aprile (1998), se donnant un rôle proche de celui de Michele. A partir de La chambre du fils (2001), il passa à autre chose, avec des œuvres plus dramatiques et moins centrées sur lui-même. Vers un avenir radieux revient à ses premières amours. Sauf qu’ici, comme l’admet Moretti dans Les Cahiers, Giovanni n’est pas un alter-ego, c’est lui à quelques détails près (le vrai prénom de Nanni étant d’ailleurs Giovanni). Il a remplacé son débit rapide et la violence dont faisait parfois preuve Michele par une parole lente et posée, par lassitude et par didactisme vis-à-vis d’un monde qu’il ne comprend et qui ne le comprend plus. Il assène ainsi de multiples piques à une société qui a oublié son passé ou aux producteurs et jeunes réalisateurs qui ne font que répéter des schémas galvaudés.
Moretti n’est pourtant pas un vieux réac, il cultive l’autodérision et, fondamentalement, son cinéma montre qu’un modèle alternatif est possible, qui sort des sentiers battus et défend une certaine idéologie de gauche en voie de disparition. Toujours en réflexion sur l’échec du communisme, il examine un potentiel point de bascule de l’Histoire, un moment où le PCI aurait pu prendre un chemin différent et éviter sa déchéance ultérieure. Si les esprits chagrins lui reprocheront la facilité avec un retour à un style qu’il avait abandonné, j’ai accroché à ce Vers un avenir radieux à la fois touchant et drôle.


Bernie de Richard Linklater (2011)
Bernie Tiede, croque-mort à Carthage au Texas, est apprécié de tous. Affable, généreux, excellent chanteur, il est adoré par les veuves qu'il traite avec égard. Il réussit à sympathiser avec la riche Marjorie Nugent après le décès de son mari, vieille dame acariâtre que nul ne supporte, pas même sa propre famille. Ils deviennent vite inséparables, enchaînant les voyages de luxe. Marjorie renvoie progressivement son personnel et Bernie est promu au rang de confident, gestionnaire et unique employé de la maison. Marjorie est cependant extrêmement possessive et cruelle, et Bernie commence à étouffer.

Bernie est tiré d’un article de Skip Hollandsworth paru dans Texas Monthly à propos d’un fait divers ayant eu lieu en 1996-1997. Avec l’aide de Richard Linklater, le journaliste écrivit un script sur la rencontre de Bernie Tiede et de Marjorie Nugent et sur les évènements qui en découlèrent. Linklater adopta un format semi-documenteur, Bernie mêlant interviews d’habitants de Carthage qui connaissaient Bernie et Marjorie, et fiction plus classique centrée sur Bernie et portée par un humour grinçant. Pour se préparer, Jack Black alla s’entretenir avec Bernie Tiede.
Bernie est complètement focalisé sur la performance de Jack Black, excellent, adoptant sans nuance le point de vue du héros. Compte tenu de l’affaire, davantage d’ambiguïté aurait été de mise. Choisir Shirley MacLaine pour incarner Marjorie annonçait déjà la couleur, l’actrice étant spécialisée depuis des décennies dans les femmes dures et cyniques, à l’image de Terms of Endearment (1983) ou Steel Magnolias (1989). Les critiques ont jugé Bernie hilarant, j’avoue que ça me surprend. Bernie est d’une onctuosité désagréable et ses opposants sont inutilement ridiculisés. Linklater prend clairement position et alla jusqu’à héberger le vrai Bernie Tiede de 2014 à 2016. Sous couvert de comédie, j’y ai vu une œuvre à charge contre les adversaires de Bernie qui m’a rendu mal à l’aise.


Closet Monster de Stephen Dunn (2015)
Oscar a huit ans quand sa mère part de la maison. Il ne comprend pas pourquoi elle s’en va, idéalisant son père qui lui raconte des histoires et passe son temps à jouer avec lui. Peu après, en revenant de l’école, il assiste au tabassage homophobe d’un ado et en ressort traumatisé. Dix ans s’écoulent, Oscar termine le lycée et espère entrer dans une école new-yorkaise spécialisée dans le maquillage d’effets spéciaux. Il trouve un boulot dans une quincaillerie où il croise Wilder. Il en tombe immédiatement amoureux sans oser se l’avouer, refoulant son homosexualité latente.

Stephen Dunn, réalisateur gay assumé qui a récemment travaillé sur le reboot de la série Queer as Folk (2022), s’est inspiré de son adolescence à Saint-Jean de Terre-Neuve au Canada, où des crimes homophobes eurent une forte incidence sur lui et compliquèrent son rapport à la sexualité. Au niveau de la trame narrative, Closet Monster est très conventionnel, un coming of age, ou plutôt coming-out of age balisé sur un jeune adulte renfermé entouré de sa meilleure copine, de son père homophobe, de sa mère distante et du beau garçon cool et sûr de lui. On n’échappe pas à la rave party effrénée, au premier baiser en gros plan et autres poncifs du genre. L’originalité provient de l’introduction d’une touche de body horror et de fantaisie, le confident d’Oscar étant son hamster Buffy avec qui il discute. Ces aspects sont bien rendus et instaurent une atmosphère étrange qui contribue à la réussite de ce premier long métrage.


Films vus seuls
憲兵とバラバラ死美人 [Kenpei to barabara shibijin] de Kyôtarô Namiki (1957, The Military Policeman and the Dismembered Beauty)
En 1937 à Sendai dans le nord du Honshû, le torse d’une femme assassinée depuis six mois est repêché dans le puits d’un camp militaire. Située hors de la juridiction de la police, l’affaire est confiée au sergent Hagiyama, un individu hautain et sûr de lui. Un mois plus tard, l’enquête patine et Tokyo envoie le sergent Kosaka en renfort. Il se heurte à Hagiyama, persuadé que le coupable est un soldat aperçu en train de transporter un paquet le soir du crime. Kosaka doute et continue son investigation.

Ce Kenpei to barabara shibijin est franchement anachronique en 1957 et donne l’impression d’avoir été conçu avant-guerre. Je ne fus donc pas étonné de constater que c’était tiré d’un fait divers de 1938 qui avait laissé la police militaire perplexe de nombreux mois. L’ancien officier Keisuke Kosaka, renommé au Japon pour avoir secouru le premier ministre Keisuke Okada lors de la tentative de coup d’état du 26 février 1936, en fit un roman, qui fut adapté sur grand écran dans la foulée. Le livre et sa transposition sont apparemment fidèles aux évènements. La réalisation a été confiée à un vétéran, Kyotaro Namiki, qui débuta aux illustres studios Makino dans les années 20 puis œuvra à droite à gauche sans réellement se fixer. Il acheva sa carrière à la Shintôhô, qui a produit ce Kenpei to barabara shibijin.
Kenpei to barabara shibijin est une série B fauchée, filmée platement et au suspens inexistant, qui ne mérite guère qu’on s’y attarde. Elle eut étonnamment suffisamment de succès pour générer un second volet bâti sur un scénario original, Military Police and the Ghost (1958), avec le même acteur principal Shôji Nakayama. Mise en scène par Nobuo Nakagawa, cette suite est intrigante mais je n’ai pas réussi à mettre la main sur des sous-titres.


まぼろし天狗 [Maboroshi Tengu] de Nobuo Nakagawa (1962, The Phantom Goblin)
A la recherche du cerveau derrière le trafic de drogues qui sévit dans sa ville, le policier Shuma Moriya est gravement blessé au bras. Poursuivi par ses assaillants, il est caché par un vassal du shôgun, le maître du clan Goblin Kyonosuke Asakawa, qui lui ressemble étrangement. Kyonosuke décide d’aider Shuma à démasquer les criminels en se faisant passer pour lui pendant que l’officier se remet de ses blessures.

Nobuo Nakagawa est un spécialiste de l’horreur qui devint célèbre au Japon grâce à ses films de fantômes en couleur stylisés et violents produits pour la Shintôhô à la fin des années 50. Avec la disparition du studio en 1961, il migra à la Toei, qui ne sut pas l’employer à sa juste valeur. The Phantom Goblin est caractéristique de ce malentendu, essayant par son titre de capitaliser sur la réputation de Nobuo Nakagawa, sans assumer un récit de terreur. S’il y a de rares plans où l’on retrouve la patte de Nakagawa, Maboroshi Tengu est essentiellement une sorte de chanbara policier assez léger. Il met en vedette Hashizô Ôkawa dans un double rôle, une des immenses stars du jidai-geki dans les années 50 et 60 qui venait du kabuki. Il interpréta des flics à de multiples reprises et il détient le record mondial de l'acteur à la plus longue présence dans une série télévisée d'une heure pour sa prestation de détective dans Zenigata Heiji, 888 épisodes de 1966 à 1984.
Maboroshi signifie fantôme, vision, illusion et le tengu est un yôkai du foklore japonais. Compte tenu de ce titre et du réalisateur, je m’attendais à quelque chose de sombre, je me suis fait avoir par les filous de la Toei. Hashizô Ôkawa est charismatique et le rythme est soutenu. Avec un grand méchant mieux exploité et des protagonistes moins clichés, ça aurait pu donner une bonne petite série B. En l’état, sans être désagréable, on est dans le tout-venant du cinéma commercial de l’époque.


なつかしい風来坊 [Natsukashii furaibo] de Yôji Yamada (1966, The Loveable Tramp)
Ryôkichi Saotome travaille pour une agence gouvernementale sanitaire. Surmené, il mène une vie morne et souffre d’hémorroïdes. Il se lie d’amitié par hasard avec un vagabond qu’il croise à plusieurs reprises, Gengorô. Homme rustre mais fondamentalement bon, ce dernier s’incruste régulièrement le week-end chez Ryôkichi. Tandis qu’il se promène avec le fils de la famille sur la plage, Gengorô sauve une femme qui tentait de se suicider. La famille de Ryôkichi la recueille et l’emploie le temps qu’elle trouve une situation. Gengorô tombe rapidement amoureux d’elle sans savoir comment exprimer ses sentiments.

Natsukashii furaibo s’ouvre sur un Hana Hajime saoul et querelleur, et j’ai craint une redite de Kigeki ippatsu dai hisshou (1969) dans lequel il était pénible. Ce n’est heureusement pas le cas, son personnage s’adoucit et montre une réelle gentillesse sous des dehors rustres. Pour la seconde fois chez Yôji Yamada après Un ga yokerya (1966), Hana Hajime est associé à Chieko Baichô, qui incarne la love interest timide. Ichirô Arishima complète le tableau. Acteur de la Tôhô prêté à la Shôchiku, c’est un spécialiste de la comédie pas toujours subtile, même si son rôle le plus célèbre en Occident est celui du promoteur dans King Kong contre Godzilla (1963). Il est admirablement utilisé ici, son sérieux contrastant avec les excès de Gengorô.
Natsukashii furaibo est un précurseur des Tora-san, autre vagabond au grand cœur qui tombe amoureux de belles demoiselles sans savoir s’y prendre. Yôji Yamada s’amuse de l’irruption de cet éléphant du petit peuple dans la maison bourgeoise proprette de Ryôkichi. A l’instar de Tora, si les gens rient au départ de sa simplicité ou se méfient de sa rudesse, ils sont finalement touchés et transformés à son contact. Malgré quelques ratés comme la pseudo agression sexuelle qui repose sur un malentendu, Natsukashii furaibo est une sympathique comédie humaniste typique de Yôji Yamada, avec un Gengorô qui s’avère émouvant.


Livres
Le gambit des étoiles de Gérard Klein (Marabout, collection « Bibliothèque Marabout - Science-Fiction », 1971), 192 p.
Jerg Algan est un baroudeur qui a parcouru le monde dans ses moindres recoins. Il refuse de partir dans l’espace à la découverte de planètes lointaines, préférant vivre sur une Terre déchue dans la vieille et dangereuse cité de Dark. Un soir dans un bar louche, il abuse de la boisson et signe sans s’en rendre compte un contrat de pionnier l’exilant pendant dix ans, cette durée étant multipliée par cent en années terriennes en raison de la distorsion du temps liée aux voyages interstellaires. Furieux de s’être fait rouler, il jure de se venger de Bételgeuse, où siège le gouvernement central qui régit l’humanité.

Premier roman de Gérard Klein écrit à dix-huit ans et publié en 1958, Le gambit des étoiles peut être rangé dans la branche sérieuse du Space opera, avec une importance conférée à la longue durée induite par les déplacements. Alors que le récit débute sur les chapeaux de roue, avec un Jerg Algan échappé d’un pulp des années 30, il prend vite une tournure plus méditative, à l’image du héros bloqué dans une voie qu’il n’a pas choisi. Le mystère s’installe et on suit avec intérêt les aventures d’un Jerg Algan solitaire et déterminé. Les protagonistes correspondent à des schémas simples et uniformes, il n’y a aucune femme et la conclusion, considérée superbe par certains, est d’après moi ratée. J’ai néanmoins pris plaisir à cette lecture et je réessaierai du Klein à l’occasion, bien qu’il soit surtout réputé pour son travail dans l’édition (directeur de la collection « Ailleurs et Demain » chez Robert Laffont et de la collection « SF » du Livre de poche).

Le bureau des chats de Kenji Miyazawa (Philippe Picquier, collection « Picquier poche », 2010), 102 p.
Le bureau des chats est un recueil de nouvelles rédigées entre 1918 et 1926 :
Les jumeaux du ciel : Les jumeaux Chun et Pô sont chargés d’accompagner tous les soirs à la flute la ronde des étoiles depuis leur palais de cristal. En journée ou lorsque le ciel est couvert, ils vont se promener mais ils doivent impérativement revenir à leur demeure à temps.
L’araignée, la limace et le blaireau : L’araignée, la limace et le blaireau s’opposent dans une course mystérieuse.
Le bureau des chats : Nouvel employé du prestigieux bureau des chats, Kama le chat bistre est détesté de ses collègues sans raison apparente.
La vigne sauvage et l’arc-en-ciel : La vigne sauvage envie l’arc-en-ciel et souhaiterait s’envoler avec lui.
Le faucon de nuit devenu étoile : L’engoulevent s’appelle en japonais « faucon de nuit ». Le faucon en prend ombrage, estimant que cet animal ridicule fait honte à son patronyme, et lui demande de changer de nom sous peine de mort.
N.B. : grosse erreur de traduction ! L’engoulevent en japonais s’écrit ヨタカ ou 夜鷹 (yotaka), soit littéralement buse ou épervier de nuit et non faucon de nuit. La terminaison taka (鷹) est utilisée pour les buses et les éperviers, alors que les ornithologues japonais emploient chôgenbô (長元坊) ou hayabusa (隼) pour les faucons. C’est malheureusement une faute classique qui n’est pas propre à la traduction du japonais : hawk se transforme régulièrement en faucon en français au lieu de buse, comme Black Hawk Down (2001) devenu La chute du faucon noir (la chute de la buse noire faisant probablement moins classe).
Romancier, poète, auteur de contes, Kenji Miyazawa est célèbre en Occident grâce aux adaptations de ses œuvres sur grand écran, notamment Goshu le violoncelliste (1982), Train de nuit dans la Voie Lactée (1985) et Budori, l'étrange voyage (2012). Train de nuit dans la Voie lactée a également inspiré Leiji Matsumoto pour Galaxy Express 999 et est une référence centrale de L'Île de Giovanni (2014), que je n’ai pas encore vu. En outre, bien qu’aucun lien direct ne soit mis en avant, Le royaume des chats (2002) doit beaucoup à Miyazawa et comporte même un bureau des chats. Mort à 37 ans, Miyazawa était inconnu de son vivant et ses textes furent redécouverts quelques années après sa disparition. C’est de nos jours un écrivain extrêmement populaire au Japon, très apprécié des enfants. Traduire Miyazawa doit être compliqué, il aimait créer des mots ou des onomatopées qu’il mêlait à un style simple et poétique. La nature est toujours présente dans ses histoires et les animaux occupent une place de choix dans la plupart des nouvelles du Bureau des chats.
Les contes de Miyazawa ne sont pas moraux, ils sont souvent cruels et ne suivent pas les chemins établis. Ils ne cherchent pas à expliquer quoi que ce soit et se terminent de temps à autre abruptement. Ils sont fort poétiques, sans doute un peu trop pour moi, avec une forte influence bouddhiste. La minceur des intrigues m’a parfois déstabilisé, en particulier dans La vigne sauvage et l’arc-en-ciel. La conclusion du Bureau des chats m’a laissé sur ma faim et Le faucon de nuit devenu étoile était étrange. J’ai un meilleur souvenir de Train de nuit dans la Voie lactée, que j’ai lu il y a longtemps, qui développe davantage ses personnages et qui me convenait mieux.


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