samedi 28 septembre 2024

Carnet de bord 21/09/2024-27/09/2024



Films vus en compagnie
Perempuan Tanah Jahanam de Joko Anwar (2019, Impetigore)
Une agente de péage est attaquée un soir par un individu armé d’une machette qui la prend pour une certaine Rahayu. Il est abattu in extremis par la police avant qu’il ne la tue. La jeune femme décide d’aller avec une amie dans le village mentionné par son agresseur car elle a retrouvé une vieille photo de ses parents décédés au dos de laquelle le mot Rahayu est écrit. Possédant peu de souvenirs de son enfance, elle espère glaner des informations sur sa famille et avoir droit à un héritage. Se faisant passer pour des étudiantes, elles s’installent dans la maison abandonnée vue sur la photo. Elles vont rapidement être confrontées aux terribles secrets qu’abritent la bourgade.

Joko Anwar, figure majeure du cinéma indonésien contemporain, a fondé son histoire sur une anecdote horrible que son frère lui racontait quand il était jeune. Il y a ajouté des éléments de folklore et une matrone intimidante inspirée de sa mère. L’équipe mit trois mois à dénicher un lieu de tournage adéquat, tellement isolé qu’ils durent construire une route pour que leurs véhicules puissent circuler. Joko Anwar contracta la dengue dès son arrivée et fut hospitalisé huit jours. Cette ambiance oppressante de trou perdu dans la jungle est parfaitement retranscrite et instille un malaise. Malheureusement, lorsque le mystère commence à se dévoiler, l’intrigue devient convenue, enfoncée par le jeu outrancier de plusieurs personnages secondaires. Je ressors donc avec une impression mitigée.


Under the Skin de Jonathan Glazer (2013)
En Ecosse près de Glasgow, un motard ramasse le corps d’une femme et le dépose à l’arrière d’une semi-remorque. A l’intérieur, une brune dénudée nommée Laura récupère les vêtements puis fait des emplettes pour compléter sa toilette. Au volant d’une camionnette, elle sillonne ensuite les environs à la recherche d’hommes seuls, qu’elle séduit et amène dans une vaste demeure. Une fois entrés, ils se déshabillent et marchent vers elle jusqu’à être absorbés par une étrange substance noire. Un jour, Laura se rebelle.

Under the Skin a bénéficié d’avis dithyrambiques de la presse et a été disséqué par de nombreuses études universitaires. Ce fut longtemps l’unique coup d’éclat de Jonathan Glazer, clippeur issu du théâtre qui s’est récemment illustré avec La zone d'intérêt (2023). Dans le grand public, le film est surtout connu pour les scènes de nudité intégrale de Scarlett Johansson. Jonathan Glazer a enlevé du roman d’origine de Michel Faber tous les aspects explicatifs pour ne conserver que la trame ainsi que l’atmosphère humide et mélancolique d’une banlieue pauvre écossaise. Le scénario est très répétitif, le rythme lent et contemplatif, sur fond de questionnement sur l’identité et le genre. Sur le papier, cela semblait alléchant, dans les faits j’ai trouvé le résultat assez vain et facile, axé sur une prédatrice qui se transforme en proie quand elle refuse de perpétuer le système. Les critiques ont souligné le manque d’érotisme, Jonathan Glazer n’exploitant pas le sex-appeal de son actrice. J’ai de mon côté tendance à m’interroger sur les motivations le poussant à la déshabiller en permanence.


Behind the Mask: The Rise of Leslie Vernon de Scott Glosserman (2006, Derrière le masque)
La journaliste Taylor Gentry et deux caméramans, Doug et Todd, se rendent dans une ville du Maryland pour tourner un documentaire sur Leslie Vernon, qu’ils soupçonnent de devenir le prochain serial killer de légende dans la lignée d’un Jason, d’un Freddy ou d’un Michael Myers. Enfant, Leslie aurait assassiné ses parents et aurait été jeté dans une rivière par des habitants en colère. Laissé pour mort, il souhaite à présent se venger. L’équipe le suit dans sa préparation en recueillant ses pensées et sa méthodologie.

Behind the Mask: The Rise of Leslie Vernon est un documenteur qui joue avec les codes du slasher, se concentrant sur le tueur masqué et non sur ses victimes. Leslie est un joyeux drille qui organise son massacre comme s’il montait un agréable spectacle. Il détaille ses techniques pour apparaître inopinément ou pour forcer ses proies à se conformer à son plan préétabli. On sent le tiraillement de Taylor, Doug et Todd, qui apprécient ce brave compagnon sans totalement croire à la réalité des actes à venir. Sans révolutionner le genre, c’est un bon divertissement qui plaira aux amateurs. A noter le petit rôle de Robert Englund en psychiatre façon docteur Loomis.


The Vast of Night d’Andrew Patterson (2019)
A Cayuga au Nouveau-Mexique dans les années 1950, une standardiste de seize ans, Fay, entend un bruit bizarre à la radio et sur les lignes téléphoniques. Les adultes susceptibles de lui expliquer le phénomène étant partis assister à un match de basket de l’équipe locale, elle appelle son ami Everett, un animateur de radio du coin. Il retransmet l’énigmatique signal sur les ondes en conviant les auditeurs ayant des informations à le contacter. Il reçoit un coup de fil d’un dénommé Billy, un ancien militaire qui relie le son à une origine extraterrestre.

The Vast of Night est le premier opus d’Andrew Patterson, un hommage à The Twilight Zone et aux films de rencontre avec les aliens. Il s’ouvre sur une image en noir et blanc d’un antique poste de télévision sur lequel est diffusé l’émission Paradox Theatre. Une voix imitant Rod Serling introduit le récit, on pénètre dans l’écran et la couleur surgit avec l’arrivée d’Everett dans une salle de sports. Doté d’un budget limité, The Vast of Night impressionne rapidement par la qualité de ses compositions, par sa belle reconstitution des années 50 et par la virtuosité de la caméra. Après un prologue épuisant, on se pose quand Fay prend la place de sa mère au standard téléphonique. On remarque soudain le formidable travail sur le son, élément au cœur de la narration qui permet au long métrage de tenir la route malgré des scènes étirées au maximum. Il réussit là où avait échoué en son temps la quatrième saison de The Twilight Zone, qui durait 51 minutes au lieu des 25 habituelles (la saison 5 revint au format traditionnel), ou le reboot produit par Jordan Peele en 2019. Tout n’est pas parfait, il y a quelques gimmicks inutiles et certaines séquences fonctionnent moins bien que d’autres (celle avec la vieille dame par exemple, trop longue et qui fait un peu doublon avec l’appel de Billy). Cela reste négligeable, l’ensemble est convaincant et mérite le coup d’œil.


Un roi sans divertissement de François Leterrier (1963)
Pendant l’hiver 1840 dans un village des Alpes, un ancien procureur demande au capitaine de gendarmerie Langlois d’enquêter sur la disparition d’une jeune fille. Il soupçonne un meurtre dû à l’ennui, hypothèse improbable pour le policier qui pense à une chute dans une crevasse. Langlois s’installe à l’auberge du village détenue par Clara, une femme d’expérience qui connait l’âme humaine. Plongé dans le silence et la désolation de la campagne enneigée, il saisit petit à petit les motivations du criminel.

Un roi sans divertissement est l’adaptation par Jean Giono de son fameux roman éponyme. Il l’a révisé en le simplifiant considérablement et en rajeunissant ses personnages principaux. Il s’est également chargé de la production et a prêté sa voix à l’assassin. La distribution est étrange, avec Claude Giraud en Langlois, acteur de théâtre célèbre pour son rôle de Slimane dans Les Aventures de Rabbi Jacob (1973) et pour ses doublages (notamment Ulysse dans Ulysse 31) ; Clara est incarnée par la chanteuse Colette Renard ; et un Charles Vanel vieillissant joue le procureur. Je ne sais pas ce que vaut le livre mais l’intrigue dans cette version est bancale, des évènements déployés à l’origine sur des années sont ramassés en une poignée de jours, rendant incompréhensible le changement de caractère de Langlois. La catastrophique postsynchronisation n’aide pas. L’intérêt d’Un roi sans divertissement vient des décors, des paysages, et de la superbe photographie volontairement terne pour contraster avec les rares tâches de couleur rouge. J’ai aussi apprécié la chanson de Jacques Brel Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient, qu’il a écrit et interprété pour l’occasion. C’est donc une curiosité qui se distingue surtout par son atmosphère.


Films vus seuls
自殺サークル [Jisatsu Sâkuru] de Sion Sono (2001, Suicide Club)
54 lycéennes se jettent simultanément sur les voies au passage d’un train à la station de Shinjuku à Tôkyô. Les suicident se multiplient et la police investigue. Elle découvre deux rouleaux de morceaux de peau cousus entre eux appartenant entre autres aux personnes disparues. Un appel anonyme leur signale par ailleurs un site internet où des points servent à décompter les morts et qui s’incrémente peu avant les suicides. Des rumeurs circulent sur l’existence d’un Suicide Club, qui pourrait être au cœur de l’affaire.

N’aimant pas particulièrement Sion Sono, je n’avais pas encore récupéré Suicide Club alors que j’avais vu sa suite, Noriko's Dinner Table (2006), il y a des années. Je n’en gardais pas un bon souvenir et ça ne m’avait pas incité à enchaîner sur son prédécesseur. Mon côté complétiste a fini par l’emporter. Les deux premiers tiers sont intrigants, le réalisateur pose son histoire et ses protagonistes en créant un climat de mystère autour d’une vague de suicides. Débarque un méchant queer inutilement violent, la narration s'éparpille avant une conclusion en eau-de-boudin qui révèle l’identité des responsables sans apporter de véritables réponses. Reste une vision noire de la société japonaise du début des années 2000 et une ambiance pesante qui marche bien durant une soixantaine de minutes.


The Millerson Case de George Archainbaud (1947)
Après cinq ans de travail acharné, le docteur Ordway décide de prendre un mois de vacances dans un trou paumé de Virginie-Occidentale pour pêcher et chasser tranquillement. Le village est rempli de péquenauds dont un médecin ignare. Confronté à une épidémie de typhus, Ordway est mobilisé pour aider les autorités. En examinant les analyses, il se rend compte qu’un des malades décédés a été en réalité empoisonné. A la demande de l’inspecteur dépassé par les évènements, il commence son enquête.

Ce huitième épisode des aventures du Crime Doctor transfère Ordway à la campagne. Si ce changement de cadre est appréciable, le traitement des locaux est extrêmement caricatural, ils sont tous bêtes, incompétents et hargneux. Le récit est évidemment bourré de fausses pistes et la résolution est nase. La plupart des acteurices en font des tonnes, il aurait fallu une approche plus subtile.


El hacha diabólica de José Díaz Morales (1965, The Diabolical Hatchet)
A l’aube du XVIIe siècle, un dénommé Santo le masque d’argent est enterré dans le monastère dans lequel il était entré longtemps auparavant en renonçant à sa richesse et à sa noblesse. Son ennemi, le Masque noir, jure sur sa tombe de ne pas le laisser reposer en paix et de le poursuivre à travers le temps. 350 ans s’écoulent, Santo le catcheur voit apparaître sur le ring un adversaire armé d’une hache qui tente de le tuer et disparaît sous ses yeux. Grâce à un ami scientifique inventeur d’une machine transportant l’esprit dans le temps, il apprend le passé de son ancêtre et l’identité de son agresseur.

Ce second Santo produit par Luis Enrique Vergara tourné en même temps qu'Atacan las brujas en décembre 1964 propose d’explorer l’origine du masque de Santo créé par le magicien Abraca ainsi que les antécédents de ses aïeux. Il pose des éléments clés dans la Santologie avec un scénario plus complexe que d’habitude. C’est de nouveau une combinaison de trois courts, El hacha diabólica, Terror en el pasado et El discípulo de Satanás, mieux reliés que dans Atacan las brujas. Santo est pour la première fois le love interest, avec une copine et un amour d’une vie antérieure. Le gros méchant est menaçant, doté d’une hache et d’une capacité à surgir de nulle part. El hacha diabólica donne un peu d’épaisseur à notre héros et, malgré une certaine mollesse, constitue un ajout important à la saga.


Livres
La planète géante de Jack Vance (Le livre de poche, collection « SF », 1978), 187 p.
Depuis les débuts de sa colonisation, la Planète géante est un endroit sans foi ni loi, où des royaumes gèrent à leur guise leur population et où des peuples nomades sillonnent les immenses plaines en quête de nourriture et d’esclaves. Vivant sur un sol faiblement pourvu en métal, ses habitants ont dû se contenter de technologies rudimentaires et aucun individu n’a réussi à imposer son autorité. La Terre n’a même pas essayé de faire régner l’ordre, jugeant que le jeu n’en valait pas la chandelle. Elle s’inquiète néanmoins de la montée en puissance du seigneur Charley Lysidder, qui étend par la terreur son empire sur la Planète géante. Une délégation terrienne est envoyée sur place pour lui régler son compte mais leur vaisseau est saboté et il s’écrase à 65 000 kilomètres de sa destination. Les survivants vont devoir marcher, en se méfiant des locaux et d’un traitre dans leur rang.

La planète géante est le premier volet d’un dyptique. C’est essentiellement un récit d’exploration et d’aventures, une équipe menée par l’intrépide Claude Glystra parcourant un astre extraterrestre en découvrant ses merveilles et ses dangers. Le schéma est basique et répétitif, les personnages volontiers manichéens, et la brièveté de l’ensemble empêche de réellement développer leur caractère. Si le roman reste plaisant grâce au style fluide et entrainant de l’auteur, cela demeure un Vance mineur.

Introduction to Japanese Horror Film de Colette Balmain (Edinburgh University Press, 2008), 214 p.
Cet ouvrage est composé de deux pans :
• Origines : la chercheuse revient sur l’histoire du cinéma horrifique japonais des années 50 aux années 70 en mettant l’accent sur deux-trois classiques (Godzilla, Rashômon et Les contes de la lune vague après la pluie) et sur deux genres qu’elle qualifie d’Edo gothic et de Kaidan pinku eiga (films érotiques de fantômes).
• Genres : elle s’attarde ensuite sur cinq genres : le rape and revenge ; les zombies et cannibales ; les maisons hantées ; les serials killers et les slashers ; la techno-horror.
Colette Balmain était, à l’époque de la parution, maîtresse de conférences à la Buckinghamshire New University. Introduction to Japanese Horror Film est son premier livre, qui s’appuie sur une importante bibliographie anglophone consacrée au cinéma de genres davantage qu’au cinéma japonais. Sa connaissance de la langue et de la culture de l’archipel laisse à désirer, ce qui l’amène à des raccourcis et à des erreurs (certaines sont listées dans
la critique de Jasper Sharp, qui est lui un vrai expert du domaine). Par ailleurs, alors qu’elle explique vouloir rejeter l’américano-centrisme, elle plaque constamment des concepts hollywoodiens. Le cinéma japonais est pourtant riche en genres nationaux, la catégorisation des produits culturels étant une pratique depuis longtemps établie. Il est en conséquence peu pertinent d’utiliser le modèle analytique du rape and revenge pour la série des Angel Guts ou de ranger La vengeance est à moi dans les films de serial killer à l’américaine, occultant ce qui constitue la spécificité des opus étudiés.
La partie I est assez catastrophique. Son rapide survol est truffé de coquilles et Colette Balmain enchaîne les citations sans donner l’impression d’avoir une problématique ou une opinion propre. On ne comprend en outre pas pourquoi elle commence après-guerre tandis qu’elle souligne bien les racines anciennes de la plupart des textes transposés sur grand écran. La partie II est meilleure. Elle continue de taper à côté mais elle affiche cette fois un point de vue personnel à travers des descriptions détaillées de titres plus ou moins fameux. Cela m’a permis de noter quelques films potentiellement intéressants, seul aspect positif de ce bouquin à éviter.


Revues
Pardela n°68 – Printemps/Été 2024
Le numéro de ce semestre récapitule les actions de l’association et offre un panorama de la situation de la protection de la nature au Portugal. Ce n’est pas franchement mieux qu’en France. Si le futur aéroport proche de Lisbonne a été déplacé de Montijo à Alcochete, il est trop tôt pour crier victoire car les autorités ont choisi le scénario le plus dangereux dans les solutions alternatives proposés. De nombreux autres programmes risqués sur le plan environnemental se bousculent au portillon, dont deux dans la région de ma mère. J’apprends l’existence d’un projet de forage d’eau dans la zone spéciale de conservation de Comporta-Galé, qui a pour objectif de favoriser l’agriculture intensive, ainsi que la poursuite du bétonnage de Troia, les affreux hôtels actuels n’étaient apparemment pas suffisants. A part ça, les dossiers sur le traçage des vautours moines et sur les énergies renouvelables ne m’ont pas enseigné grand-chose, ayant déjà pas mal lu sur ces questions. En revanche, la présentation des sites ornithologiques remarquables de l'Algarve fournit des renseignements précieux pour un éventuel futur voyage.


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