Films vus en compagnie
Perempuan Tanah Jahanam de Joko Anwar (2019, Impetigore)

Joko Anwar, figure majeure du cinéma indonésien contemporain, a fondé son histoire sur une anecdote horrible que son frère lui racontait quand il était jeune. Il y a ajouté des éléments de folklore et une matrone intimidante inspirée de sa mère. L’équipe mit trois mois à dénicher un lieu de tournage adéquat, tellement isolé qu’ils durent construire une route pour que leurs véhicules puissent circuler. Joko Anwar contracta la dengue dès son arrivée et fut hospitalisé huit jours. Cette ambiance oppressante de trou perdu dans la jungle est parfaitement retranscrite et instille un malaise. Malheureusement, lorsque le mystère commence à se dévoiler, l’intrigue devient convenue, enfoncée par le jeu outrancier de plusieurs personnages secondaires. Je ressors donc avec une impression mitigée.
Under the Skin de Jonathan Glazer (2013)

Under the Skin a bénéficié d’avis dithyrambiques de la presse et a été disséqué par de nombreuses études universitaires. Ce fut longtemps l’unique coup d’éclat de Jonathan Glazer, clippeur issu du théâtre qui s’est récemment illustré avec La zone d'intérêt (2023). Dans le grand public, le film est surtout connu pour les scènes de nudité intégrale de Scarlett Johansson. Jonathan Glazer a enlevé du roman d’origine de Michel Faber tous les aspects explicatifs pour ne conserver que la trame ainsi que l’atmosphère humide et mélancolique d’une banlieue pauvre écossaise. Le scénario est très répétitif, le rythme lent et contemplatif, sur fond de questionnement sur l’identité et le genre. Sur le papier, cela semblait alléchant, dans les faits j’ai trouvé le résultat assez vain et facile, axé sur une prédatrice qui se transforme en proie quand elle refuse de perpétuer le système. Les critiques ont souligné le manque d’érotisme, Jonathan Glazer n’exploitant pas le sex-appeal de son actrice. J’ai de mon côté tendance à m’interroger sur les motivations le poussant à la déshabiller en permanence.
Behind the Mask: The Rise of Leslie Vernon de Scott Glosserman (2006, Derrière le masque)

Behind the Mask: The Rise of Leslie Vernon est un documenteur qui joue avec les codes du slasher, se concentrant sur le tueur masqué et non sur ses victimes. Leslie est un joyeux drille qui organise son massacre comme s’il montait un agréable spectacle. Il détaille ses techniques pour apparaître inopinément ou pour forcer ses proies à se conformer à son plan préétabli. On sent le tiraillement de Taylor, Doug et Todd, qui apprécient ce brave compagnon sans totalement croire à la réalité des actes à venir. Sans révolutionner le genre, c’est un bon divertissement qui plaira aux amateurs. A noter le petit rôle de Robert Englund en psychiatre façon docteur Loomis.
The Vast of Night d’Andrew Patterson (2019)

The Vast of Night est le premier opus d’Andrew Patterson, un hommage à The Twilight Zone et aux films de rencontre avec les aliens. Il s’ouvre sur une image en noir et blanc d’un antique poste de télévision sur lequel est diffusé l’émission Paradox Theatre. Une voix imitant Rod Serling introduit le récit, on pénètre dans l’écran et la couleur surgit avec l’arrivée d’Everett dans une salle de sports. Doté d’un budget limité, The Vast of Night impressionne rapidement par la qualité de ses compositions, par sa belle reconstitution des années 50 et par la virtuosité de la caméra. Après un prologue épuisant, on se pose quand Fay prend la place de sa mère au standard téléphonique. On remarque soudain le formidable travail sur le son, élément au cœur de la narration qui permet au long métrage de tenir la route malgré des scènes étirées au maximum. Il réussit là où avait échoué en son temps la quatrième saison de The Twilight Zone, qui durait 51 minutes au lieu des 25 habituelles (la saison 5 revint au format traditionnel), ou le reboot produit par Jordan Peele en 2019. Tout n’est pas parfait, il y a quelques gimmicks inutiles et certaines séquences fonctionnent moins bien que d’autres (celle avec la vieille dame par exemple, trop longue et qui fait un peu doublon avec l’appel de Billy). Cela reste négligeable, l’ensemble est convaincant et mérite le coup d’œil.
Un roi sans divertissement de François Leterrier (1963)

Un roi sans divertissement est l’adaptation par Jean Giono de son fameux roman éponyme. Il l’a révisé en le simplifiant considérablement et en rajeunissant ses personnages principaux. Il s’est également chargé de la production et a prêté sa voix à l’assassin. La distribution est étrange, avec Claude Giraud en Langlois, acteur de théâtre célèbre pour son rôle de Slimane dans Les Aventures de Rabbi Jacob (1973) et pour ses doublages (notamment Ulysse dans Ulysse 31) ; Clara est incarnée par la chanteuse Colette Renard ; et un Charles Vanel vieillissant joue le procureur. Je ne sais pas ce que vaut le livre mais l’intrigue dans cette version est bancale, des évènements déployés à l’origine sur des années sont ramassés en une poignée de jours, rendant incompréhensible le changement de caractère de Langlois. La catastrophique postsynchronisation n’aide pas. L’intérêt d’Un roi sans divertissement vient des décors, des paysages, et de la superbe photographie volontairement terne pour contraster avec les rares tâches de couleur rouge. J’ai aussi apprécié la chanson de Jacques Brel Pourquoi faut-il que les hommes s'ennuient, qu’il a écrit et interprété pour l’occasion. C’est donc une curiosité qui se distingue surtout par son atmosphère.
Films vus seuls
自殺サークル [Jisatsu Sâkuru] de Sion Sono (2001, Suicide Club)

N’aimant pas particulièrement Sion Sono, je n’avais pas encore récupéré Suicide Club alors que j’avais vu sa suite, Noriko's Dinner Table (2006), il y a des années. Je n’en gardais pas un bon souvenir et ça ne m’avait pas incité à enchaîner sur son prédécesseur. Mon côté complétiste a fini par l’emporter. Les deux premiers tiers sont intrigants, le réalisateur pose son histoire et ses protagonistes en créant un climat de mystère autour d’une vague de suicides. Débarque un méchant queer inutilement violent, la narration s'éparpille avant une conclusion en eau-de-boudin qui révèle l’identité des responsables sans apporter de véritables réponses. Reste une vision noire de la société japonaise du début des années 2000 et une ambiance pesante qui marche bien durant une soixantaine de minutes.
The Millerson Case de George Archainbaud (1947)

Ce huitième épisode des aventures du Crime Doctor transfère Ordway à la campagne. Si ce changement de cadre est appréciable, le traitement des locaux est extrêmement caricatural, ils sont tous bêtes, incompétents et hargneux. Le récit est évidemment bourré de fausses pistes et la résolution est nase. La plupart des acteurices en font des tonnes, il aurait fallu une approche plus subtile.
El hacha diabólica de José Díaz Morales (1965, The Diabolical Hatchet)

Ce second Santo produit par Luis Enrique Vergara tourné en même temps qu'Atacan las brujas en décembre 1964 propose d’explorer l’origine du masque de Santo créé par le magicien Abraca ainsi que les antécédents de ses aïeux. Il pose des éléments clés dans la Santologie avec un scénario plus complexe que d’habitude. C’est de nouveau une combinaison de trois courts, El hacha diabólica, Terror en el pasado et El discípulo de Satanás, mieux reliés que dans Atacan las brujas. Santo est pour la première fois le love interest, avec une copine et un amour d’une vie antérieure. Le gros méchant est menaçant, doté d’une hache et d’une capacité à surgir de nulle part. El hacha diabólica donne un peu d’épaisseur à notre héros et, malgré une certaine mollesse, constitue un ajout important à la saga.
Livres
La planète géante de Jack Vance (Le livre de poche, collection « SF », 1978), 187 p.

La planète géante est le premier volet d’un dyptique. C’est essentiellement un récit d’exploration et d’aventures, une équipe menée par l’intrépide Claude Glystra parcourant un astre extraterrestre en découvrant ses merveilles et ses dangers. Le schéma est basique et répétitif, les personnages volontiers manichéens, et la brièveté de l’ensemble empêche de réellement développer leur caractère. Si le roman reste plaisant grâce au style fluide et entrainant de l’auteur, cela demeure un Vance mineur.
- Introduction to Japanese Horror Film de Colette Balmain (Edinburgh University Press, 2008), 214 p.Cet ouvrage est composé de deux pans :
- • Origines : la chercheuse revient sur l’histoire du cinéma horrifique japonais des années 50 aux années 70 en mettant l’accent sur deux-trois classiques (Godzilla, Rashômon et Les contes de la lune vague après la pluie) et sur deux genres qu’elle qualifie d’Edo gothic et de Kaidan pinku eiga (films érotiques de fantômes).
- • Genres : elle s’attarde ensuite sur cinq genres : le rape and revenge ; les zombies et cannibales ; les maisons hantées ; les serials killers et les slashers ; la techno-horror.
La partie I est assez catastrophique. Son rapide survol est truffé de coquilles et Colette Balmain enchaîne les citations sans donner l’impression d’avoir une problématique ou une opinion propre. On ne comprend en outre pas pourquoi elle commence après-guerre tandis qu’elle souligne bien les racines anciennes de la plupart des textes transposés sur grand écran. La partie II est meilleure. Elle continue de taper à côté mais elle affiche cette fois un point de vue personnel à travers des descriptions détaillées de titres plus ou moins fameux. Cela m’a permis de noter quelques films potentiellement intéressants, seul aspect positif de ce bouquin à éviter.
Revues
Pardela n°68 – Printemps/Été 2024

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire