Films vus en compagnie
Armageddon Time de James Gray (2022)

Quelques mois après Apollo 10 ½: A Space Age Adventure (2022) où Richard Linklater magnifiait son enfance au Texas, James Gray revenait sur son adolescence dans le fortement autobiographique Armageddon Time. Sa filmographie fourmillait déjà de références à son passé, directement dans The Immigrant (2013) qui portait sur l’arrivée de ses grands-parents aux Etats-Unis, indirectement dans Little Odessa (1994) où le personnage de Vanessa Redgrave atteinte d’un cancer était inspiré de sa mère ou dans The Yards (2000) où le scandale de corruption se rapprochait de celui dans lequel était impliqué son père. Aux antipodes des nostalgiques Apollo 10 ½ ou The Fabelmans (2023), Armageddon Time cherche essentiellement à démonter une certaine vision du rêve américain en montrant qu’il n’y a pas d’égalité des chances et en insistant sur l’hypocrisie des riches qui disent avoir acquis leur statut sans aide. Cela n’a pas beaucoup plu aux Etats-Unis, où Armageddon Time a été accueilli plus froidement qu’en Europe.
J’ai fait un blocage sur l’acteur qui interprète Paul Graff, il m’a immédiatement agacé et je n’ai pas réussi à faire abstraction de cette impression initiale. Or, il est présent en permanence et cela a impacté négativement mon ressenti. J’ai également eu des difficultés à accepter Anthony Hopkins en gentil vieux juif immigré. James Gray estime pourtant qu’il ressemble à son propre grand-père et il joue bien mais ça ne fonctionne pas. Nonobstant ces éléments, Armageddon Time se démarque par son amertume et sa dureté, James Gray assénant un regard sans compromis sur sa jeunesse à l’orée de l’ère Reagan. Sans être un agréable spectacle, c’est un témoignage poignant sur une époque trop souvent idéalisée dans le cinéma américain contemporain.
Earwig de Lucile Hadzihalilovic (2021)

Je ne connaissais pas Lucile Hadzihalilovic, cotée auprès des amateurs de genre pour Innocence (2004) que je n’ai pas encore vu. Ses œuvres sont réputées pour leur hermétisme, remplies d’allégories et de symboles et fleurtant avec le surréalisme. Elles évoluent dans des univers fermés et hors du temps, construits selon une logique spécifique. Earwig répond parfaitement à cette définition et s’avère déroutant. La trame prélève la substance du roman de Brian Catling qui a servi de source tout en le bousculant, créant une sorte de narration cauchemardesque, où on ne sait jamais où et quand on se situe. L’intérêt réside dans les images, avec une superbe photographie picturale et glauque. Cela n’a cependant pas suffi, je ne suis pas entré dans le récit et j’ai trouvé la conclusion plutôt ridicule. Earwig est apparemment le Lucile Hadzihalilovic le plus bizarre, il faudra que je me penche sur Innocence (2004) et Evolution (2015) qui sont peut-être moins abscons.
關於我和鬼變成家人的那件事 [Guan yu wo han gui bian cheng jia ren de na jian shi] de Wei-Hao Cheng (2022, Marry My Dead Body)

Gros succès à Taïwan lors de sa sortie en salles en février 2023, Marry My Dead Body est rapidement arrivé sur Netflix, en août 2023. Dirigé par Wei-Hao Cheng, révélé par la petite production horrifique The Tag-Along en 2015, c’est une comédie fantastique d’action susceptible de plaire à un large spectre malgré son amorce excessivement chinoise, le mariage avec un revenant n’étant guère répandu en Occident. Esthétiquement, on est dans du flashy bourré d’effets à la mode, sans toutefois de caméra qui tremble ou de montage illisible de mauvais goût. Scénaristiquement, c’est ultra convenu, du buddy movie à l’humour facile, avec l’homophobe Wu Ming-han qui se rend progressivement compte que Mao Mao est un brave gars et que les gays sont gentils. Marry My Dead Body est globalement beaucoup trop long, la dernière demi-heure tombe dans le drama mièvre et il aurait gagné à être resserré. Une déception donc, il y avait moyen de faire mieux avec un tel canevas.
Saint Omer d’Alice Diop (2022)

Pour son premier film de fiction, Alice Diop s’inspire de l'histoire vraie de Fabienne Kabou, jugée en 2016 pour le meurtre de son bébé. Cette affaire avait obsédé la réalisatrice, du même âge que Fabienne Kabou, également d’origine sénégalaise et mère d’un enfant métisse. Pour Saint Omer, Alice Diop adopte un dispositif à la frontière du documentaire et de la fiction. Elle opte pour une reconstitution fidèle des évènements, tourne dans une salle voisine du tribunal avec des membres du public de l’époque et calque le texte sur les échanges qui se sont déroulés pendant l’audience. En parallèle, elle instaure un cadre stylisé, un phrasé théâtral et, surtout, met en scène son expérience et ses interrogations grâce au personnage fictif de Rama. C’est Rama qui, à travers l’écoute d’une autre femme, permet à l’intrigue de s’extraire du simple fait divers en adressant un regard extérieur, subjectif et critique, sur la maternité, la condition d’immigrée et de femme noire.
Alice Diop pose des questions sans apporter de réponse définitive, et privilégie le fond sur la forme. Si cela ne m’a pas choqué, la théâtralité, l’intellectualisme et l’austérité de Saint Omer sont susceptibles de rebuter nombre de spectateurs. L’angle d’approche et les thèmes abordés sont néanmoins suffisamment atypiques dans le cinéma français pour ne pas s’arrêter à ces défauts et il est bon de le voir pour se forger sa propre opinion.
The Appointment de Lindsey C. Vickers (1982)

The Appointment est l’unique long métrage de Lindsey C. Vickers, ancien assistant réalisateur à la Hammer. Initialement prévu comme le premier volet d’une série de treize téléfilms et doté d’un budget confortable, il fut victime des conflits entre le producteur et Lindsey C. Vickers qui, de dépit, renonça à sa carrière. La sortie en salles envisagée fut annulée faute de distributeur, il ne fut édité qu’en vidéo et tomba dans l’oubli. Le BFI retrouva un master américain et offrit à The Appointment une résurrection en Blu-Ray en 2022. Ian est incarné par Edward Woodward, acteur rare sur grand écran malgré ses rôles marquants dans The Wicker Man (1973), Breaker Morant (1980) et, dans une moindre mesure, Hot Fuzz (2007). La musique, qui concourt à créer une ambiance onirique et angoissante, est composée par Trevor Jones, connu des amateurs de fantasy pour ses BO d’Excalibur (1981), Dark Crystal (1982) et Labyrinth (1986).
Davantage que pour son récit dépouillé, l’intérêt de The Appointment est son atmosphère établie dès l’ouverture par une introduction choc à la Twilight Zone, avec la voix off d’un officier de police. Improvisée à la dernière seconde sur le tournage pour appâter d’éventuels acheteurs américains, cette mise en bouche, tout en étant décorrélée de la trame principale, participe à l’installation d’un climat inquiétant. La suite consiste en un cauchemar parfois éveillé et inéluctable, au rythme étrange et languissant. Même l’interprétation de Samantha Weysom en Joanne, qui sonne un peu faux, contribue à renforcer le malaise. The Appointment est donc un bon petit film d’horreur fondé sur trois fois rien, qui démontre la qualité d’un cinéma britannique longtemps décrié en France.
Films vus seuls
Eréndira de Ruy Guerra (1983, Erendira)

Bien que n’ayant pas été emballé par L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique, j’étais curieux de voir sa transposition. Au départ, Eréndira était un scénario de Gabriel García Márquez rédigé dans les années 60 qu’il égara. Il le réécrivit sous forme de nouvelle avant, dix ans plus tard, d’en tirer un script confié au luso-brésilien Ruy Guerra, un ancien compagnon de route du Cinema Novo. Au canevas de L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique s’ajoutent des composants de Mort constante au-delà de l’amour, promouvant Erendira maitresse du sénateur Onésimo Sanchez.
Excepté le fade danseur Oliver Wehe en Ulysses, le casting hétéroclite n’est pas mal choisi, notamment Irene Papas en grand-mère Amadis et Michael Lonsdale en Onésimo Sanchez. Ça ne fonctionne pourtant pas, ni du côté réaliste, ni du côté magique. Eréndira est peu ancré dans son paysage mexicain, toile de fond sans épaisseur y compris dans les séquences centrées sur la campagne électorale d’Onésimo Sanchez. Quant au fantastique, il est quasiment inexistant et ses quelques utilisations ne convainquent pas. Ruy Guerra et Gabriel García Márquez ont retravaillé ensemble par la suite, sur deux longs métrages et une série de six épisodes. Pas sûr que je les récupèrerai.
Kárhozat de Béla Tarr (1988, Damnation)

Je ne sais pas ce qu’il m’a pris de vouloir redonner une chance à Béla Tarr, réalisateur hongrois connu pour ses interminables plans quasi fixes dans des décors désolés. Je m’étais déjà infligé les 7h19 de Sátántangó (1994) mais j’ai un coffret de lui et je ne me débarrasse pas d’un truc sans l’avoir vu. Il ne se passe presque rien dans Kárhozat, mon synopsis de trois lignes résumant la moitié du récit. Certes, il y a une belle photographie dépressive et contemplative, située dans une période et un lieu indéterminés. Des travellings ciselés évoquant des tableaux parcourent le cadre à une lenteur désespérante, digne d’une tortue neurasthénique. Béla Tarr c’est l’Auteur intello-soporifique ultime, que tous les critiques sérieux estiment poétique et génial et qu’on a mauvaise conscience de ne pas aimer. Pour ma part, je me suis fermement ennuyé. Sans doute trop terre-à-terre, j’ai besoin d’éléments secondaires comme une intrigue, des personnages avec un minimum de profondeur ou le surgissement vague d’une péripétie, l’esthétisme n’étant pour moi pas une fin en soi. Au moins, ça ne dure que deux heures et pas sept. Ah… il y a encore deux autres titres dans mon coffret…
エクステ [Ekusute] de Sion Sono (2007, Exte)

Révélé au Japon par Suicide Club et à l’international par Love Exposure (2008) et Guilty of Romance (2011), Sion Sono est un provocateur souvent inclassable, qui amalgame allègrement les styles et les influences de façon anarchique. C’est le cas dans Ekusute, qui bascule soudainement du drame familial à un pur yurei eiga (film de fantômes) avant de revenir à de la comédie lourdingue. S’il a de nombreux fans, y compris Mad Movies, je n’ai jusqu’à présent jamais été convaincu et, en porte-nawak nippon, je préfère Takashi Miike. Sion Sono est par ailleurs un homme peu recommandable, volontiers insultant et accusé d’agressions sexuelles par plusieurs actrices.
Le mélange des genres d’Ekusute ne marche pas vraiment, on a l’impression d’assister à deux histoires parallèles artificiellement reliées, qui se rejoignent dans un dernier tiers bâclé. Tout n’est pas à jeter néanmoins, les effets spéciaux sont réussis et certaines scènes horrifiques sont saisissantes. C’est en outre la première fois que je voyais Chiaki Kuriyama dans un rôle positif important, loin des méchantes de Battle Royale (2000) et des Kill Bill (2003-2004). Cela n’est malheureusement pas suffisant et Ekusute est selon moi dispensable.
Reka caruje de Václav Krska (1946, A River Performs Magic)

Tiré d’une pièce radiophonique de 1936 de l’écrivain Josef Toman, Reka caruje marqua les débuts en solo du réalisateur tchèque Václav Krška, futur spécialiste des biographies romancées empruntes de lyrisme. Tourné au moment de l’occupation allemande en 1944-1945 pour la Nationalfilm, il fut remanié et diffusé en salles après la libération, en janvier 1946, accompagné du premier court métrage d’animation de Jiří Trnka, Grand-père a planté une betterave.
Reka caruje est une petite comédie teintée d’une touche de fantastique qui rappelle le cinéma français des années 40, où une même fantaisie poétique et une morale simple infusaient des œuvres qui aspiraient à s’échapper de la dureté du monde. Ici, le héros comprend la futilité de l’argent et savoure la joie du retour sur la terre de ses ancêtres grâce à un rajeunissement miraculeux qui lui offre une seconde chance. Si cela se regarde sans déplaisir, Reka caruje ne casse pas trois pattes à un canard. A noter que des stars tchèques de l’époque, désœuvrées par la fermeture des théâtres, effectuent de brèves apparitions.
三池監獄 兇悪犯 [Miike Kangoku: Kyôaku han] de Shigehiro Ozawa (1973, The Hard Core Criminal)

En 1873, le gouvernement de Meiji introduisit l’emploi des condamnés dans la mine de charbon de Miike au nord de Kumamoto dans le Kyûshû. Ce quasi esclavage entraîna le mort de 2400 d’entre eux et ne fut stoppé qu’en 1931 (avec une reprise du procédé entre 1940 et 1945 avec des prisonniers de guerre). Longtemps ignorés de la population, ces évènements historiques furent redécouverts dans les années 60 sous l’impulsion d’une association locale de préservation des sépultures des détenus. Surfant sur la vague des films de prison consécutivement à ses séries Abashiri Prison avec Ken Takakura (dix titres entre 1965 et 1967) et La femme scorpion avec Meiko Kaji (quatre épisodes entre 1970 et 1973), la Toei y vit matière à combiner le thème carcéral au nouveau sous-genre à la mode de films de yakuzas, le jitsuroku eiga. En effet, à la suite de l’immense succès de Code de combat sans honneur (1973), le jitsuroku eiga, au style documentaire et brutal inspiré de faits réels, avait détrôné le ninkyo eiga et ses yakuzas chevaleresques. La tragédie de la mine de Miike permettait d’allier une certaine authenticité à l’univers dur et cruel des criminels incarcérés.
Si le jitsuroku eiga se dit réaliste (jitsuroku signifiant littéralement « histoire vraie »), c’est généralement du pur cinéma d’exploitation qui se complaît dans le sexe et la violence. Miike Kangoku: Kyôaku han s’ouvre ainsi sur des viols absolument immotivés et invraisemblables, et se poursuit sur des scènes d’action sanguinolentes. Il ne faut pas espérer une critique de la société ou une dénonciation des risques liés au travail dans les mines à la Dotanba (1957) chroniqué la semaine précédente, c’est uniquement un divertissement facile pour adultes avec tous les clichés attendus. En engageant la star du ninkyo eiga Kôji Tsuruta, la Toei n’assume d’ailleurs pas complètement son positionnement, la conclusion évoquant fortement les classiques de ce sous-genre dépassé. Miike Kangoku: Kyôaku han s’avère donc conformiste sous ses apparences provocatrices et est très dispensable.
Livres
Cristal qui songe de Theodore Sturgeon (J’ai lu, collection « Science-fiction », 1988), 308 p.

Après la déception du recueil Les talents de Xanadu, je me suis cette fois attaqué au premier roman de Theodore Sturgeon, sans doute son plus célèbre, Cristal qui songe publié en 1950 dans le magazine Fantastic Adventures. L’idée de départ d’une race de cristaux capables de créer des êtres vivants imparfaits est originale et Sturgeon dévoile progressivement les principes et les mécanismes de son concept. Malheureusement, le dernier tiers enchaîne les explications fumeuses et j’ai fini par me lasser. Les protagonistes sont en outre extrêmement stéréotypés, avec des personnalités sans relief qui n’évoluent pas, et Sturgeon étale une cruauté inutile, s’amusant à martyriser à l’excès ses héros·ïnes. Je ne regrette pas ma lecture, le récit reste captivant et intrigant, mais j’ai clairement du mal avec le style de cet auteur qui n’est pas fait pour moi.
Revues
Mammifères sauvages n°85 – Juin 2023

J’ai lu avec intérêt l’article sur le suivi du chat à pattes noires en Afrique du Sud, un des plus petits félins au monde que je ne connaissais pas. Le dossier sur les techniques d’étude du blaireau sur le terrain aidera les naturalistes amateurs susceptibles d’être en contact avec cet animal sympathique. Enfin, le compte-rendu sur les rencontres nationales petits mammifères qui se sont déroulées à Bourges en mars 2023 propose des pistes de réflexion sur diverses thématiques, notamment sur les limites des banques de données génétiques pour l’identification des espèces. Si j’étais déjà informé de l’imperfection de l’ADN dans le domaine de la classification, sujet sur lequel je m’étendrai peut-être un jour, je n’avais pas conscience des problèmes de terrain dans l’utilisation de la génétique. Trois dangers guettent le brave chercheur : des données pas à jour par rapport aux dernières évolutions de la taxonomie ; le piège des individus hybrides ; et des données incomplètes ou fausses qui engendrent des erreurs en cascade.
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