Films vus en compagnie
Emma de Douglas McGrath (1996, Emma, l'entremetteuse)

Emma est la transposition du roman éponyme de Jane Austen publié en 1815. Ce n’est pas un de ses plus fameux, il a peu été porté au cinéma jusqu’aux années 90 où il inspira coup sur coup Clueless (1995), le téléfilm britannique Emma avec Kate Beckinsale et cette grosse production anglo-américaine de Miramax visant à promouvoir la carrière de Gwyneth Paltrow (sur qui Harvey Weinstein avait des vues et qui tenta d’abuser d’elle durant le tournage). Le problème d’Emma est son héroïne franchement insupportable, sûre d’avoir toujours raison et faisant fi des conseils. Comme l’histoire est complètement centrée sur elle, cela devient vite agaçant. Si cette version est meilleure que le téléfilm de 1996, elle n’a pas la saveur d’un Clueless, Amy Heckerling ayant admirablement modernisé le récit dans un lycée américain des années 90.
A noter le détail à deux sous qui m’a choqué : on entend à un moment une tourterelle turque en arrière-plan. C’est un anachronisme, cette espèce étant arrivée en Grande-Bretagne dans les années 1950.
Father of the Bride de Vincente Minnelli (1950, Le père de la mariée)

Father of the Bride est un classique de la comédie américaine, qui a bénéficié d’une suite, de deux remakes américains en 1991 et 2022, d’un indien en 2008 et d’une adaptation en série télévisée en 1961-1962. Bien que tiré d’un roman d’Edward Streeter, le script a été écrit pour coller au jeu tendrement ronchon de Spencer Tracy. Joan Bennett en Ellie et une Elizabeth Taylor encore jeune et innocente en Kay complètent le casting. Le long métrage est une parfaite émanation de la société conservatrice et patriarcale américaine des années 50. Stanley est le prototype du bon père de famille protecteur, qui essaye sans succès de brider des femmes frivoles et dépensières. La réalisation de Minnelli est quelconque, tout cela est furieusement réac, pas spécialement amusant et plutôt pénible selon les standards modernes.
The Big Year de David Frankel (2011, Drôles d'oiseaux)

Note introductive : j’utilise les mots anglais « birder » et « birding » car la langue française ne propose pas de réel équivalent, « ornithologie » désignant la science qui a pour objet l'étude des oiseaux. « Ornithologie amateur » est lourdinque et ne me convainc pas vraiment.
En dépit de trois stars en tête d’affiche, Jack Black (Brad), Owen Wilson (Kenny) et Steve Martin (Stu), The Big Year fit un énorme flop aux Etats-Unis, n’engendrant que 7,4 millions de recette dans le monde pour un budget de 41 millions. En France, il n’eut droit qu’à une sortie technique. Le birding n’intéresse définitivement personne. C’est dommage, c’est un film agréable avec un humour gentil et des interprètes pas trop en roue libre pour une fois. Le scénario est inspiré de The Big Year: A Tale of Man, Nature, and Fowl Obsession du journaliste Mark Obmascik, qui traite de la Big Year 1998. La trame est assez convenue mais on se prend d’affection pour Brad et Stu et on suit leurs pérégrinations avec plaisir. J’ai évidemment apprécié le volet birding, retrouvant des caractéristiques de la communauté. S’il y a des erreurs de-ci de-là (un Indigo Bunting confondu avec un Blue Grosbeak, des mésanges apparentées à des corneilles, des problèmes de localisation de certaines espèces…), ce n’est pas catastrophique, ça ne gênera que les puristes. Une sympathique comédie donc, qui présente de façon cocasse un loisir malheureusement méconnu du grand public.
Arrête ou je continue de Sophie Fillières (2014)

Bien que catégorisé comme comédie, Arrête ou je continue n’est pas franchement hilarant. Malgré quelques passages amusants, on est davantage dans une histoire d’amour finissante sur fond d’humour acide. Sophie Fillières a choisi d’associer Emmanuelle Devos, une de ses actrices fétiches, à Matthieu Amalric avec qui elle a déjà été en ménage dans six longs métrages. Le résultat est déroutant et je ne sais que penser. La mise en place est un peu longuette, elle sert à montrer l’impasse de la relation. Quand Pomme s’établit dans la forêt, Arrête ou je continue trouve son rythme. Emmanuelle Devos et Matthieu Amalric sont excellents, cela mérite le coup d’œil pour se forger sa propre opinion.
Primate de Frederick Wiseman (1974)

J’avais déjà vu Primate il y a sept ans mais je ne me rappelais pas que c’était aussi éprouvant. Projeté dans le cadre d’une rétrospective Wiseman au Centre Pompidou, une partie de la salle a quitté la séance en cours de route. Il faut dire que Wiseman expose des situations extrêmement dures, les animaux enfermés dans des cages minuscules sont manipulés sans ménagement, opérés puis laissés gisant sur le sol de leur cellule, viviséqués dans une longue séquence révoltante. Le réalisateur joue à fond la carte de l’anthropomorphisme, on se croirait dans une prison et Wiseman multiplie les clins d’œil à ses documentaires précédents Law and Order (1969) et Hospital (1970). Fidèle à ses habitudes de cinéma-vérité, il n’y a aucun commentaire, on assiste à des expériences sans connaître les tenants et les aboutissants. Cela engendre un sentiment d’inutilité, les savants semblant agir à l'aveuglette, impression renforcée par une réunion avec le chef de l’institut qui revendique le tâtonnement et l’absence de résultats immédiats.
Cet examen clinique et abstrait est la grosse limite de Primate. Comme le spectateur ne comprend pas ce que font les scientifiques, il est terriblement outré par le traitement des singes et rejette en bloc l’éventuelle nécessité d’expérimenter sur les animaux (il est intéressant de noter que les gens de Yerkes ont vu le documentaire terminé et n’ont pas émis d’objection sur le moment car ils bénéficiaient pour leur part d'une vision d’ensemble). On perd ainsi ce qui devrait selon moi être la vraie interrogation : peut-on tout justifier au nom du progrès ? Dans la seule scène où un chercheur explique les raisons de son expérience, on constate qu’il se pose des questions passionnantes qui pourraient faire avancer la connaissance sur l’évolution des hominidés. Cette focalisation sur les aspects les plus trashs finit par ailleurs par mettre au second plan le volet sociétal de Primate, qui dépeint la stratification entre les noirs assignés aux tâches subalternes, les femmes aux soins et à l’assistance et les hommes blancs à la gestion. Yerkes a été épinglé plusieurs fois pour maltraitance animale, les conditions de vie des singes sont intolérables, il y aurait clairement moyen de procéder autrement et il est important de dénoncer les modalités de la recherche. Cependant, en occultant les objectifs, Wiseman tombe dans un manichéisme qui alimente l’anti-scientiste dans un pays menacé en permanence par le créationnisme et l’obscurantisme religieux.
Films vus seuls
The Crime Doctor's Gamble de William Castle (1947)

J’ai généralement de l’affection pour les films hollywoodiens qui se déroulent en France. Cet avant-dernier épisode des aventures du Crime Doctor offre les habituels accents français exagérés et les clichés attendus. Le casting n’est pas trop aberrant, avec une majorité d’acteurices français·e·s dans les rôles principaux. C’est assez rythmé, en dépit d’une trame linéaire avec un coupable prévisible, et ça se suit sans déplaisir.
Profanadores de tumbas de José Díaz Morales (1966, Grave Robbers)

Cette troisième production de Luis Enrique Vergara évoque davantage les Santo d’Alberto López que le dyptique précédent. On a ainsi le droit à trois chansons, deux combats de catch, avec une intrigue qui rappelle fortement celle de Santo contra los zombies (1962). A cela s’ajoute une bonne couche de porte-nawak. Les actes des vilains sont complètement incohérents, le summum étant le magasin ayant pignon sur rue où ils vendent des objets qui tentent de tuer ou traumatiser leur possesseur sans justification. Encore une fois et sans doute pour les mêmes raisons que dans Atacan las brujas (1968), Profanadores de tumbas est divisé en trois parties : Profanadores de tumbas, Los traficantes de la muerte et Locura asesina (folie meurtrière). Un Santo très mineur.
A noter la pile de dossiers que Santo a compilé : génies du mal ; êtres sinistres ; étrangleurs ; profanateurs de tombes ; vampires humains ; assassins diaboliques. Santo, c’est pas le genre à aller enquêter au pifouse en se baladant dans les rues. Entre deux matchs de catch, il potasse assis à son bureau affublé de son masque et de sa cape.

卒業 -GRADUATION- [Sotsugyou -GRADUATION-] de Ryô Kinoshita (1985, Graduation)

Momoko Kikuchi est une idole qui a débuté à quinze ans en tant que mannequin avant d’être propulsée actrice et chanteuse. Pour la sortie de son quatrième single Graduation en février 1985, un téléfilm inspiré des paroles fut tourné avec Momoko dans le rôle principal. Elle incarne une héroïne pleurnicharde rapidement lassante, avec des personnages secondaires sans aucune profondeur. On est loin de la poésie des œuvres de Nobuhiko Ôbayashi consacrés à l’adolescence comme Tenkôsei (1982) ou Sabishinbô (1985).
P.S. : N'ayant pas trouvé d'affiche, j'ai mis la jaquette du disque.
Борец и клоун [Borets i kloun] de Boris Barnet & Konstantin Yudin (1957, Le lutteur et le clown)

Après avoir vu le premier long métrage de Boris Barnet, je chronique ici un de ses derniers, confié au réalisateur soviétique à la suite du décès de son compatriote Konstantin Yudin. Ancien boxeur, Barnet s’est appuyé sur son expérience personnelle pour dresser cette biographie romancée de deux figures célèbres du cirque russe. Il ne faut pas chercher un quelconque esprit critique, seuls les oligarques pré-communistes et les vils capitalistes sont attaqués, le bon peuple s’entraide dans l’adversité et les malheurs sont liés à des coups du sort. Cela m’a évoqué certains drames naïfs du cinéma muet, avec ses protagonistes monochromes et ses situations convenues. Nonobstant ces remarques, Le lutteur et le clown n’est pas désagréable grâce à son lyrisme, son humour simple, la qualité de la mise en scène et des comédiens convaincants.
花の中の娘たち [Hana no naka no musumetachi] de Kajirô Yamamoto (1953, Girls in the Orchard)

Hana no naka no musumetachi est le premier titre en couleur de la Tôhô. Il fut tourné majoritairement en studio avec des éclairages poussés à fond à cause de la faible sensibilité de la pellicule. Afin de minimiser les extérieurs, certaines séquences furent filmées devant des écrans. Pour maximiser le rendu du Fujicolor, les costumes sont dans des couleurs vives et les maquillages des actrices tirent excessivement sur le rouge. La copie que j’ai récupérée étant abominable, je peux difficilement juger adéquatement du résultat, qui laissa dubitatif à l’époque.
Pour la direction, la Tôhô choisit un vieux briscard, Kajirô Yamamoto, ancien mentor d’Akira Kurosawa connu en Occident pour ses films de guerre propagandistes des années 40. Il utilise une intrigue ultra galvaudée d’opposition ville/campagne entre les braves paysans honnêtes et traditionnalistes et les citadins égoïstes. C’est assez réac, surtout comparé à Carmen revient au pays (1951) de Keisuke Kinoshita, premier opus en couleur du cinéma japonais produit par la Shôchiku. Bien qu’employant un schéma similaire, le Kinoshita était une joyeuse satire qui se moquait de tout le monde et des valeurs du passé, avec une caméra plus dynamique et de superbes extérieurs. Mariko Okada en début de carrière est par ailleurs peu crédible dans le rôle de l’adolescente Momoko, tentant de cacher ses vingt ans en surjouant la naïveté. Mieux vaut revoir le Kinoshita.
Livres
Les baladins de la planète géante de Jack Vance (Le livre de poche, collection « SF », 1987), 251 p.

Les baladins de la planète géante est le second roman se déroulant sur la Planète géante. Tandis que le volume 1 proposait une banale chronique d’exploration servant essentiellement à décrire l’environnement de l’astre, ce second volet (sans rapport avec La planète géante si ce n’est l’univers) développe un vrai récit d’aventures avec un héros roublard typique de Vance. Les péripéties s’enchaînent et le dénouement offre une série de retournements inattendus. Du Vance distrayant et sympathique dans un esprit proche des Cugel.
- La princesse qui aimait les chenilles réunis et racontés par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura (Philippe Picquier, collection « Contes et légendes d’Asie », 1999), 157 p.Ce recueil réunit six contes japonais :
- • Hôichi sans oreilles : Hôichi est un joueur de biwa aveugle qui chante les malheurs des Heike durant la bataille de Dan-no-ura. Un jour, un fantôme lui demande de se produire devant son maître.
- • Les kappas : Les kappas sont des êtres dangereux et cupides. Cinq d’entre eux s’infiltrent parmi les humains pour faire fortune.
- • La femme des neiges : Deux frères se souviennent de leurs épouses, qui les ont quittés dans des circonstances étonnantes.
- • Le village des vieillards sans enfants : Dans un village peuplé de vieillards, des bébés surgissent magiquement, apporté par une morte, trouvée dans un coquillage ou libéré du noyau d’une pêche.
- • Le spectre sans visage : Un individu croise une femme sans visage et s’enfuit terrorisé.
- • La princesse qui aimait les chenilles : Deux princesses semblables, filles des chefs du protocole des ailes droite et gauche du palais, se jalousent. L’une admire les papillons ; l’autre, en réaction, se passionne pour les chenilles.
Le travail de réécriture des deux auteurs est important, on est parfois très loin des textes initiaux. Il est d’ailleurs dommage que, excepté une brève page bibliographique à la fin, il n’y ait pas de note explicative ou d’éléments précis sur les sources (les détails du paragraphe précédent étant de mon fait). Le style est agréable et, bien que je n’ai rien lu de neuf, c’était plaisant et cela constitue une bonne approche du folklore japonais.
Revues
Les Cahiers du cinéma n°813 – Octobre 2024

Du côté des nouveautés, en dehors du Guiraudie, je remarque uniquement La chanson de Jérôme, fiction à tendance documentaire sur la mort de l’agriculteur Jérôme Laronze abattu par un gendarme en 2017. Pas grand-chose de plus.
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