Films vus en compagnie
The Prime of Miss Jean Brodie de Ronald Neame (1969, Les belles années de Miss Brodie)

Le court roman The Prime of Miss Jean Brodie fut publié en 1961 et apporta une reconnaissance immédiate à son autrice écossaise Muriel Spark. Il fut rapidement adapté en pièce de théâtre, à Londres en 1966 et à Broadway en 1968, puis en film en 1969. Maggie Smith, un temps pressenti pour jouer Jean Brodie dans la pièce, récupéra le rôle au cinéma. Cela lui permit de gagner un oscar et lança sa carrière sur grand écran. Le livre est apparemment assez différent, plus expérimental et religieux, Muriel Spark s’étant inspirée d’une de ses anciennes professeures pour créer Miss Brodie.
Je ne sais pas comment elle est décrite à l’origine mais Miss Brodie est ici abominable. Impossible de sympathiser avec quelqu’un qui idolâtre les fascistes, envoie au front une de ses élèves et incite une autre à coucher avec un enseignant pour se débarrasser de ce dernier. Le problème est que le spectateur est censé être tiraillé entre un soutien à sa nature rebelle et libre et une condamnation de son attitude souvent abjecte. Nombre de critiques soulignent leur affection pour Miss Brodie, ce qui étonnait déjà The Village Voice en 1969. Je n’ai pour ma part eu aucune sympathie pour elle, son comportement n’est ni subtil ni ambigu, uniquement affreux. Les personnages secondaires ne sont pas suffisamment développés, le retournement de Sandy est mal amené, et j’ai trouvé cette histoire vaine.
The Twilight Saga: Breaking Dawn - Part 2 de Bill Condon (2012, Twilight : Chapitre 4 - Révélation, 2e partie)

C’est enfin terminé. Ce cinquième volet est moins nase que le précédent, qui avait placé la barre à un niveau difficile à atteindre. Ils ont voulu faire un film de super-héros avec plein de vampires bourrés de pouvoirs qui se mettent sur la figure. La grosse baston n’est pas dans le bouquin et la romancière fit pression pour éviter une conclusion qui dégommait la moitié du casting (faut toujours garder la porte ouverte pour une suite si un jour elle a besoin de tunes). Dommage, c’était le seul intérêt de ce volume 5.
Revolting Rhymes de Jan Lachauer, Jakob Schuh & Bin-Han To (2016, Un conte peut en cacher un autre)

Revolting Rhymes est l’adaptation d’un recueil de nouvelles de Roald Dahl, qui revisite des classiques de la jeunesse. Outre les cinq contes utilisés dans l’animé, il comprenait Boucle d’or et les trois ours. Pour lier des récits autonomes, les scénaristes ont créé un loup narrateur, reprenant l’idée de la couverture de Quentin Blake sur laquelle un loup lisait Revolting Rhymes à deux gamins. Le résultat est bancal et parfois poussif malgré la qualité du texte et des rimes. Le Roald Dahl tire sa force de sa brièveté et de son acidité, le transposer en long métrage est clairement une erreur. En termes de style, Revolting Rhymes est vaguement inspiré des dessins de Quentin Blake, dans une version gentillette qui lui enlève son charme. Mieux vaut lire ou relire le Roald Dahl, c’est aussi rapide et franchement plus savoureux.
The Wonder de Sebastián Lelio (2022)

J’avais précédemment abordé le cas des films de festival en me concentrant sur le versant exotique misérabiliste. Je pensais à des univers ancrés dans des pays lointains de nos jours. The Wonder élargit ma définition en se penchant sur l’Irlande affamée du XIXe siècle, abrutie par la religion et des mœurs provinciales étriquées. La lumière vient de l’extérieur, de l’Anglaise rude au grand cœur qui affronte les hommes de la communauté pour sauver la pauvre enfant. Une dose de distanciation en ouverture et fermeture pour faire intelligent et classe propulse The Wonder en parangon du genre. Il a d’ailleurs été sélectionné dans une douzaine de festivals et gagné quelques prix.
Il y a de jolis décors, les paysages de lande sont écrasants à souhait et c’est globalement bien joué. Ça m’a toutefois profondément agacé à cause des points notés auparavant et du personnage d’Elizabeth Wright, droguée, revenue de la guerre de Crimée, dépressive à la suite de la mort de son bébé, super compétente en médecine, qui se masturbe ou couche avec un journaliste pour calmer ses frustrations… Elizabeth mange seule le matin à l’auberge en tirant la tronche, Elizabeth écrit dans son carnet tous les détails de sa garde, Elizabeth marche dans la plaine d’un pas résolu, Elizabeth tient tête aux relous sans ciller… Anna passe au second plan, le contexte historique indispensable pour comprendre la situation dix ans après la grande famine n'est même pas effleuré, le but est de montrer que la courageuse Anglaise triomphe des vilains et des péquenauds irlandais. Dans les productions Netflix, je préfère encore les comédies romantiques de base, au moins ça ne se prend pas au sérieux.
Mr. Freedom de William Klein (1968, Mister Freedom)

William Klein est un photographe New-Yorkais installé à Paris vers la fin des années 40. A partir de 1958, il commence à tourner des courts métrages, notamment pour la télévision. Son premier long métrage de fiction, Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? en 1966, est une satire du milieu de la mode que Klein, photographe attitré de Vogue, connaît sur le bout des doigts. L’année suivante, il transforme un projet collectif dénonçant la guerre du Vietnam en une satire politique sur l’impérialisme américain et la France. Terminé en avril 1968, Mr. Freedom est interdit durant neuf mois, la censure estimant qu’il porte sur les évènements en cours qui vont déboucher sur Mai 68. Klein profite de ce délai pour filmer des manifs et les intégrer à Mr. Freedom pour sa sortie officielle en janvier 1969.
Mr. Freedom est une critique acerbe de la politique des Etats-Unis dans un emballage pop et déjanté. Si cela parodie les comics, il ne faut pas s’attendre à du Marvel. C’est très verbeux, les rares scènes d’actions sont espacées de tunnels de dialogue. Le discours est en revanche réjouissant, il se moque allègrement de la politique de l’époque sans épargner de Gaulle (Super French Man, une baudruche ridicule) et les Français. Le casting est délirant, avec Delphine Seyrig en pin-up, Donald Pleasence en Dr. Freedom, Philippe Noiret dans le costume improbable de Moujik Man ou Yves Montand en Capitaine Formidable. Ce n’est pas franchement féministe, les femmes sont des objets qui se pâment devant Mister Freedom et exhibent continuellement leur corps, et il y a de sacrées longueurs mais c’est une expérience.
Films vus seuls
処刑の島 [Shokei no shima] de Masahiro Shinoda (1966, Punishment Island)

Tiré d’un roman de Taijun Takeda publié en 1953, Shokei no shima questionne indirectement l’ère militariste de l’entre-deux guerres, l’auteur ayant été arrêté au début des années 30 pour avoir distribué des tracts contre le gouvernement. De façon amusante, le script fut confié à Shintaro Ishihara, écrivain provocateur et réac qui se reconvertira en politicien d’extrême droite.
Comme expliqué dans une critique antérieure, je ne suis pas fan des Shinoda des années 70, plus longs, friqués, baroques. Shokei no shima précède cette période et se place entre La guerre des espions (1965) et Double suicide à Amijima (1969) (les deux sont disponibles chez nous en DVD et m’avaient laissé un agréable souvenir). Il est pourvu d’une belle photographie, d’un montage sec avec quelques images marquantes en flash-back et d’une atmosphère lourde rehaussée par l’environnement sonore et musical dû à Tôru Takemitsu, collaborateur habituel de Shinoda. Une longue séquence en quasi plan fixe d’environ neuf minutes résout les enjeux d’une manière originale bien que trop théâtrale à mon goût. L’intrigue n’est pas exceptionnelle, Shokei no shima vaut pour son ambiance et pour l’intensité de l’interprétation de Nitta Akira en Saburo. C’était un acteur novice sur grand écran qui fut choisi pour renforcer le mystère, les spectateurs n’ayant aucun point de repère auquel l’associer. Il ne jouera que peu au cinéma, se consacrant essentiellement au théâtre. Shokei no shima est en tout cas une bonne surprise qui me réconcilie avec Shinoda, il faudra que je récupère ses titres des années 60 qui me manquent.
百万弗を叩き出せ [Hyakuman-doru o tatakidase] de Seijun Suzuki (1961, Million Dollar Smash-and-Grab)

Avant d’affirmer un style qui le rendra célèbre et amènera son licenciement de la Nikkatsu en 1968, Seijun Suzuki fut un couteau suisse du studio, assigné à une multitude de genres selon les besoins. Il ne sélectionnait ni le scénario ni les acteurs, il devait faire avec sans se démarquer du tout-venant. Hyakuman-doru o tatakidase est une de ces commandes. Kinji est incarné par Kôji Wada, 17 ans à l’époque, recruté deux ans auparavant par la Nikkatsu en raison de sa ressemblance avec leur star Yûjirô Ishihara (le petit frère de Shintarô Ishihara). Accompagnés d’Akira Kobayashi et de Keiichirô Akagi, les quatre formèrent la « Diamond Line », ils étaient très populaires auprès du public et leur présence assurait le succès au box-office.
Pas grand-chose à dire sur ce Hyakuman-doru o tatakidase. La patte de Suzuki ne se manifeste pas encore, on est dans le schéma conventionnel du jeune qui n’en veut et qui réussit grâce à ses efforts et ses principes. Wada fait le boulot, ça se regarde sans susciter l’enthousiasme.
うば われ た 心臓 [Ubawareta Shinzo] de Hikari Hayakawa (1985, Evil Heart)

Le sympathique Agi kijin no ikari m’a donné envie de creuser la courte filmographie de Hikari Hayakawa. Ubawareta Shinzo est un court métrage de 30 minutes disponible sur YouTube dans une copie de bonne qualité. Il est tiré d’un manga de 1969 de Kazuo Umezu, le maître de l’horreur connu notamment pour L'école emportée, œuvre traduite en France et qui a été portée à l’écran par Nobuhiko Ôbayashi en 1987 (adaptation correcte de mémoire bien que l’original soit supérieur). Musicalement, Ubawareta Shinzo utilise les Gnossiennes d’Erik Satie pour accentuer la mélancolie ambiante. Hideyo Amamoto, un vieux briscard qui jouait déjà des types inquiétants dans les Tôhô de la fin des années 50, fait une apparition en chirurgien.
Les effets spéciaux sont rigolos, le making-of présent sur la VHS et le LaserDisc (inséré après le film sur le lien YouTube) détaille leur conception. L’intrigue est mince, elle ne tient pas la route et l’objectif est uniquement d’amener au plan choc final. Une curiosité à réserver aux fans d’Umezu.
Séries
Bee & Puppycat: Lazy in Space de Natasha Allegri (2022, Bee et PuppyCat), 16 épisodes

Bee and PuppyCat est une création de Natasha Allegri, qui a travaillé sur l’animation et le story-board d’Adventure Time. Ce fut d’abord un pilote en 2013, suivi d’une première saison financée par Kickstarter et diffusée sur Youtube de 2014 à 2016. Une deuxième saison nommée Lazy in Space vit le jour en 2019. Netflix la récupéra et produisit en 2022 trois nouveaux épisodes en remplacement de la saison 1. C’est une série gentille au rythme particulier, où les gens parlent lentement et où il ne se passe pas grand-chose. Une vague trame centrale avance à vitesse d’escargot, ses rares éléments étant disséminés de-ci de-là. Tout se bouscule soudain dans le dernier épisode, qui conclut les arcs narratifs en deux coups de cuillère à pot et laisse le spectateur un peu hébété. Sans être exceptionnel, il faut admettre que Bee and PuppyCat est déconcertant et que Natasha Allegri a développé un univers remarquable juste effleuré.
Livres
La planète de Shakespeare de Clifford D. Simak (Denoël, collection « Présence du futur », 1977), 181 p.

La planète de Shakespeare développe la même ambiance paisible et rurale que j’avais appréciée dans A chacun ses dieux. Ce n’est plus ici une Terre abandonnée mais un astre désert où les quelques habitants discutent tranquillement autour d’un repas partagé et réfléchissent à l’humanité. Une femme surgit, moins fade que celle du Pèlerinage enchanté, et disparaît comme elle était venue, chacun devant composer avec sa solitude. C’est parfois verbeux et les discussions entre les trois esprits du navire intelligent sont caricaturales, empreintes de philosophie de comptoir. Ce fut cependant une lecture agréable et Simak s’avère être une valeur sûre.
Un gentil garçon de Shin'ichi Abe (Cornélius, collection « Pierre », 2007), 206 p.

Dès ses débuts en 1970 à l’âge de vingt ans, Shin'ichi Abe s’imposa en tant que figure majeure du watakushi manga, littéralement manga du moi. Ce genre se focalise sur le ressenti des personnages dans des récits fortement autobiographiques. Son créateur et maitre fut Yoshiharu Tsuge, figure phare de Garo qui influença toute une génération de dessinateurs. Abe n’a heureusement pas la misogynie de Tsuge. Au contraire, ses histoires sont régulièrement axées sur sa compagne Miyoko, dont il explore les sentiments. Après des années de succès, Abe, sous la coupe d’une secte religieuse, décida de stopper sa carrière de mangaka et devint alcoolique. Il développa des tendances schizophréniques et fut plusieurs fois interné. Sa situation s’est améliorée ces dernières années avec l’arrêt de la boisson et de la religion, et il a gagné une reconnaissance internationale.
La nouvelle qui donne le titre au recueil est selon moi la meilleure, c’est la seule qui véhicule une certaine étrangeté et propose une narration non linéaire réussie. Pour le reste, les enjeux sont minces et je me suis poliment ennuyé.
Revues
Les Cahiers du cinéma n°800 – Juillet/Août 2023

Au niveau des sorties, Fermer les yeux (2023) de Victor Erice pique ma curiosité. C’est son quatrième long métrage en 50 ans et j’aime bien les trois précédents (L’esprit de la ruche (1973), Le Sud (1983) et Le songe de la lumière (1992)). Dupieux continue d’enchaîner ses petits machins d’une heure à peine, je n’irais sans doute pas voir Yannick (2023) en salle et il faudra que je l’attrape lorsqu’il arrivera sur Canal. Les deux Adilkhan Yerzhanov enfin sont intrigant. Je ne me suis jamais penché sur l’œuvre de ce metteur en scène kazakh, il faudra que je regarde ça à l’occasion.
Du côté du patrimoine, quatre films de Mai Zetterling ressortent. Je n’avais pas entendu parler de cette actrice/réalisatrice féministe suédoise, à creuser même si ça semble un peu trop provoc’ années 60 à mon goût. Je ne connais pas non plus Jacques Rozier, un des précurseurs de la Nouvelle Vague. Je ne suis clairement pas fan de ce mouvement, certains des titres de Rozier pourraient pourtant me plaire à la lecture de leur résumé.
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