samedi 15 juillet 2023

Carnet de bord 08/07/2023-14/07/2023



Films vus en compagnie
Os gatos não têm vertigens d’António-Pedro Vasconcelos (2014)
Rosa, une dame de 73 ans qui a récemment perdu son mari, vit seule dans son appartement au cœur de Lisbonne. Son beau-fils voudrait qu’elle vende son logement et aille dans une maison de retraite. Un soir, elle entend du bruit sur le toit et découvre qu’un jeune homme, Jó, dort sur le canapé abandonné par un locataire. Il a été expulsé de chez lui par son père alcoolique et n’a pas d’endroit où aller. Les deux se prennent rapidement d’affection, au grand désespoir de la fille de Rosa qui n’a pas confiance en Jó.

Le Portugal n’est pas renommé pour son cinéma populaire, il est surtout considéré à l’étranger pour ses œuvres auteurisantes parfois soporifiques. Ce n’est pas forcément une perte quand on jette un œil aux titres portugais placés dans le haut du box-office, essentiellement des comédies qui tâchent inspirées de succès télévisés. Les histoires sont généralement ineptes et/ou abusent des grosses ficelles des télénovelas à la mode. António-Pedro Vasconcelos fait partie des rares réalisateurs qui ont su réconcilier public et critiques avec O Lugar do Morto (1984) et Jaime (1999) (que je n’ai pas encore vus). Os gatos não têm vertigens, tourné en sept semaines à Lisbonne au printemps/été 2013, m’avait été chaudement recommandé et piquait ma curiosité.
La déception est donc de mise. Ça démarre pourtant bien, la vétérante Maria do Céu Guerra est excellente en Rosa, une vieille recluse qui parle au fantôme de son mari. Les premières scènes avec Jó et son entourage font tiquer, ses potes et son père ont un jeu approximatif et sont grossièrement caractérisés. Cette impression se confirme au fur et à mesure. C’est extrêmement manichéen, les situations convenues et les méchants caricaturaux sortent tout droit d’une télénovela, et ça se termine par un happy-end de circonstance. C’est dommage, il y avait moyen de bâtir quelque chose d’intéressant sur la condition des personnes âgées plutôt qu’un soap vaguement dickensien.


Addicted to Fresno de Jamie Babbit (2015, Fresno)
Martha est femme de chambre dans un hôtel de Fresno. Sérieuse, ponctuelle, elle est systématiquement désignée meilleure employée du mois. Les ennuis commencent à l’arrivée de sa sœur Shannon, une dépendante au sexe en phase de rééducation. Martha la fait engager dans son établissement et Shannon a l’air de suivre scrupuleusement sa cure de désintoxication. En réalité, elle couche avec son thérapeute et, en l’absence de celui-ci, avec ce qui lui passe sous la main. Lorsque Martha la surprend dans la chambre d’un client, Shannon simule un viol, se défend et tue malencontreusement son partenaire.

Je connaissais Jamie Babbit pour le sympathique et queer But I'm a Cheerleader (1999) et ce Addicted to Fresno mal noté sur imdb m’intriguait. La trame centrée sur une sex-addict qui occit par hasard un amant et doit se débarrasser du corps avec l’aide de sa sœur lesbienne pouvait expliquer sa mauvaise réputation auprès de spectateurs non avertis et/ou conservateurs. Malheureusement, en dépit de son originalité et de la qualité de l’interprétation, c’est assez gênant en raison d’une narration bancale et de blagues autour du viol, d’un handicapé ou de vieux immigrés. Les scénettes se succèdent, la scénariste Karey Dornetto vient de la série TV et ça se ressent dans la construction. Le reste de la filmographie de Jamie Babbit n’est guère prometteuse et But I'm a Cheerleader semble être une réussite sans lendemain.


The Clairvoyant de Maurice Elvey (1935)
Maximus, le « roi des devins », débarque en Grande-Bretagne avec sa mère, son associé et son épouse Rene pour faire la tournée des music-halls. Maximus et Rene sont nerveux car ils ont récemment modifié leur numéro. Le soir de la première, c’est un fiasco et le public se gausse. Soudainement, à la vue d’une femme dans l’assistance, Maximus possédé effectue une vraie prédiction avant de s’évanouir. Le lendemain, dans le train qui les amène à Manchester, Maximus et sa troupe croisent de nouveau la mystérieuse demoiselle. Maximus retombe en transe et prophétise un accident, qui encore une fois se concrétise.

Claude Rains est au départ un acteur anglais de théâtre. Venu d’une famille pauvre, doté d’un accent cockney prononcé et d’un trouble de la parole, il prit des cours d’élocution et se donna un air distingué qui lui permirent de percer sur les planches. Excepté une apparition dans le britannique Build Thy House en 1920, il fallut attendre L'homme invisible d’Universal en 1933 pour que le cinéma s’intéresse à lui. The Clairvoyant se situe dans le début de sa carrière sur grand écran, produit par Gaumont British Picture Corporation et tourné dans les studios de Gainsborough à Londres. Le casting est majoritairement anglais, sauf Rene incarnée par Fay Wray, la star de La chasse du comte Zaroff (1932) et de King Kong (1933). The Clairvoyant est tiré d’un roman de l’écrivain autrichien Ernst Lothar paru en 1929 et est dirigé par Maurice Elvey. Ignoré de nos jours, Maurice Elvey fut un des réalisateurs anglais les plus prolifiques de l’Histoire avec presque deux cents titres à son compteur, tous tombés dans l’oubli.
The Clairvoyant s’ouvre sur une atmosphère de comédie mystérieuse, prend un virage dramatique dans sa deuxième moitié et rate sa conclusion. C’est dommage, la désinvolture initiale seyait mieux au couple Claude Rains/Fay Wray. A noter que l’impressionnante séquence de construction puis de destruction du tunnel est « empruntée » au franco-allemand Tunnel (1933) avec Jean Gabin.


Lykkevej de Morten Arnfred (2003, Nouvelle adresse, nouvelle vie)
En rentrant chez elle un soir, Sara apprend que son mari a une liaison avec sa directrice adjointe et qu’il souhaite divorcer. Masquant son désespoir, elle refuse la charité de son ex-conjoint, loue une maison avec jardin dans un lotissement peu coté et trouve un emploi de femme de chambre. Les habitants du quartier s’avèrent envahissants, entre le couple de quarantenaire en crise, le séducteur à deux sous et son voisin bruyant et asocial, Robert, qui laisse trainer une montagne de gravats sur le trottoir. Pas intimidée par la rudesse de ce dernier, Sara essaye de lier connaissance.

Après Den store dag (2005), je continue avec les comédies danoises de Morten Arnfred. Lykkevej est néanmoins profondément différent d’un Den store dag imprégné du modèle hollywoodien. Proche de Lars Van Trier, Morten Arnfred coréalisa les saisons 1 et 2 de L'hôpital et ses fantômes (1994-1997). Lykkevej fut produit par Nordisk Film dans le cadre du Director’s Cut program, un projet dans l’esprit du Dogme95. Les metteurs en scène s’astreignaient à faire des œuvres à petit budget tournées rapidement, ancrées dans la vie réelle, en se focalisant sur les personnages et la psychologie et non sur l’action. Lykkevej se caractérise par un montage sec, une lumière crue, et utilise abondamment la caméra portée. On est cependant loin de la cruauté et de la dureté d’un Van Trier, c’est globalement léger et positif.
Sans être totalement réussi et malgré l’aspect Dogme dont je n’ai jamais été fan, Lykkevej est agréable. Robert donne l’impression de sortir d’un Kaurismäki avec son côté rocker taiseux, sa chemise en jean et sa chambre plongée dans une semi-pénombre. Ça reste superficiel, les retournements sont prévisibles et clichés mais c’est bien joué et ça change des feel-good movies américains.


New Moon de Robert Z. Leonard (1940, L'île des amours)
En 1789, la noble Marianne de Beaumanoir se rend à la Nouvelle-Orléans où elle est née pour visiter la propriété familiale avec sa tante. Pendant la traversée, elle rencontre dans la cabine du capitaine le beau Charles Henri, qu’elle prend pour un officier et qui ne la laisse pas insensible. C’est en réalité un prisonnier venu demander une faveur au commandant du bateau en tant que représentant du groupe de détenus envoyés en Louisiane pour être vendus. A l’issue du débarquement, il est acheté par hasard par le majordome de Marianne, qui découvre déçue que Charles est un serviteur. Elle ne sait pas que c’est un duc, déguisé en homme du peuple pour échapper à la répression politique.

Jeanette MacDonald fut une immense star de la comédie musicale américaine, une dizaine d’années en haut de l’affiche entre The Love Parade en 1929 avec Maurice Chevalier et I Married an Angel en 1942 avec Nelson Eddy. De chanteuse de revue, elle élargit sa gamme en se formant à l’opéra pour s’accorder au répertoire de Nelson Eddy qui venait de ce milieu. New Moon est le sixième titre sur huit du duo et cartonna au box-office. Certains le considèrent comme le summum musical de leur carrière grâce aux chansons One Kiss et Lover, Come Back to Me pour Jeanette MacDonald et Stouthearted Men pour Nelson Eddy. Buster Keaton fut engagé en comic relief, il ne convainquit pas Jeanette MacDonald et fut coupé au montage.
Au vu de la notoriété de New Moon, je m’attendais à mieux. Le scénario est un classique je t'aime moi non plus entre Jeanette MacDonald et Nelson Eddy, qui emprunte apparemment beaucoup d’éléments à Naughty Marietta (1935), leur première collaboration. Nelson Eddy a amélioré son jeu depuis Rose-Marie (1936), où il était vraiment tarte. Jeanette MacDonald assure en revanche le service minimum dans un rôle terne. Musicalement, rien ne m’a frappé, les airs n’étant pas franchement entrainants ou originaux. Je préfère la Jeanette MacDonald période Lubistch avec Maurice Chevalier, il faudrait que je les revois un jour.


Nimona de Nick Bruno & Troy Quane (2023)
Dans un royaume médiéval-futuriste, les chevaliers d’élite, traditionnellement sélectionnés parmi les membres de la noblesse, protègent les citoyens contre les monstres qui errent en dehors de l’enceinte fortifiée de la ville. Ballister est le premier roturier formé pour devenir chevalier, remarqué dans son enfance par la reine qui l’avait sélectionné malgré les protestations. Aussi, quand lors de son adoubement un rayon surgit du manche de son épée et tue la souveraine, personne ne croit en son innocence, pas même son petit copain Ambrosius. Ballister fuit et, traqué, se réfugie dans vieille bâtisse isolée. Un soir, une jeune fille étrange frappe à sa porte et lui offre ses services pour l’aider à se venger.

Nimona est adapté de la bande-dessinée éponyme de ND Stevenson parue en 2015. En lisant le résumé wikipedia, je constate que le film s’en est éloigné, simplifiant l’intrigue et supprimant les nuances. Le quarantenaire blasé n’est sans doute pas le public cible de cette version animée. Si j’estime qu’il est bon de proposer aux jeunes des œuvres qui questionnent les autorités et montrent qu’il ne faut pas faire confiance au gouvernement, cela aurait pu être fait de façon moins conventionnelle. Tout est ultra-prévisible et on a déjà vu chaque situation une vingtaine de fois ailleurs. Il y a un peu de Judge Dredd, une dose de Tomm Moore, une touche de kaijû et de Princesse Mononoké (1997)… Techniquement, rien d’extraordinaire, c’est joli, lisse, manquant d’originalité et de folie. A réserver aux enfants.


Films vus seuls
アギ・鬼神の怒り [Agi kijin no ikari] de Hikari Hayakawa (1984, Agi, the Fury of Evil)
Dans la préfecture de Shiga près de Kyôto durant l’ère Heian, au cours d’un banquet, le samouraï Taro no Kabohiko affirme qu’il serait capable de franchir le pont d’Agi réputé hanté. Il regrette rapidement sa fanfaronnade et tente de trouver une échappatoire mais son seigneur a vent de l’affaire et lui met à disposition son meilleur cheval pour aller sur le lieu maudit. Acculé, Taro ne peut refuser. Le lendemain soir, en traversant le pont, il croise une belle femme qui se métamorphose soudainement en démon et massacre le cheval. Terrifié, il s’enfuie et rentre chez lui au petit matin avec l’impression qu’il est toujours suivi.

Agi kijin no ikari est inspiré du conte Agibashi no Oni du Konjaku monogatari-shû, un recueil du XIe siècle généralement attribué à Minamoto no Takakuni. Il consacre les débuts à la réalisation de Hikari Hayakawa, qui se concentrera ensuite sur le marché des moyens métrages en vidéo. Il abandonnera le cinéma en 1992 pour devenir expert en eaux minérales et en sushis, écrivant de nombreux ouvrages sur ces sujets. La direction artistique et le design des monstres fut confié au mangaka Hideshi Hino, spécialiste de l’horreur publié en France aux éditions IMHO. La musique est principalement constituée d’extraits de L'anneau du Nibelung de Wagner, additionnés d’une touche de Love theme de Vertigo et probablement d’autres trucs que je n’ai pas reconnus/entendus, le son étant atroce. Agi kijin no ikari n’est en effet disponible que dans un RIP-VHS médiocre, qui empêche de se forger un avis définitif.
Compte tenu de cette limitation et du maigre budget, c’est plutôt pas mal, rappelant un peu Evil Dead (1981) et le gore américain des années 80. Le cadrage est trop serré, je ne sais pas si c’était volontaire pour masquer la pauvreté des décors ou si ça a été recadré pour la vidéo. Les maquillages des monstres semblent intéressants, organiques et suintants, autant que m’a permis d’en juger la piètre définition de l’image. Il y a de l’idée en tout cas, un mixte étonnant de jidai-geki et de démons, et je vais regarder du même Hikari Hayakawa Evil Heart (1985) tiré d’un manga de Kazuo Umezu.


忍者狩り [Ninja gari] de Tetsuya Yamanouchi (1964, The Ninja Hunt)
Afin d’asseoir son pouvoir, le troisième shogun Tokugawa Iemitsu se débarrasse des clans anciennement fidèles à Toyotomi Hideyoshi, à l’instar du clan Matsuyama géré par la famille Gamo. Tandis qu’officiellement le shogun vient de leur délivrer une lettre assurant la succession du père malade par son jeune fils, officieusement il cherche une excuse pour les éliminer. Craignant une intervention des ninjas de Koga, employés par les autorités pour les sales besognes, le chambellan des Gamo engage quatre rônins qui ont déjà vécu cette situation et connaissent les mauvais tours des ninjas.

En 1964, le retour de Shigeru Okada à la tête du studio kyotoïte de la Toei marqua un tournant, leurs jidai-geki s’orientant dès lors vers l’action aux dépens de la romance (traditionnellement, les sociétés de production japonaises avaient un studio à Kyôto pour les films en costume et un à Tôkyô pour les films contemporains). Les films de ninjas étaient à la mode au début des années 60 et le producteur Yoshio Mori suggéra, pour changer des habituels ninjas chargés d’infiltrer un lieu, de construire une histoire autour d’un groupe se défendant contre des ninjas. Le projet fut assigné au scénariste Tetsuya Yamanouchi, dont c’était la première réalisation. Ninja gari fut un échec au box-office malgré de bonnes critiques. Après avoir fait ses armes à la Toei dans les années 60, Tetsuya Yamanouchi s’exila à la télévision.
La structure de Ninja gari évoque les Sept samouraïs, chaque rônin ayant son tempérament, ses forces et ses faiblesses. Il y a une belle photographie, avec plusieurs séquences de nuit jouant sur les éclairages et les contrastes. Comme demandé par Shigeru Okada, l’action est présente tout du long, avec des duels surprenamment violents, la tension ne retombe pas, ça dure 1h27 et il n’y a pas une minute superflue. Excepté une scène racoleuse de tentative de viol heureusement brève, c’est du divertissement de qualité, supérieur à la plupart des films de ninjas plus fameux.


貸間あり [Kashima ari] de Yûzô Kawashima (1959, A Room for Rent)
A Ôsaka après la guerre, Goro Yoda est l’homme à tout faire de la petite communauté excentrique d’une pension. Il répare les appareils, recoud les vêtements, aide un ancien camarade de régiment à vendre ses denrées, sert de prête-plume à des écrivains ou à des étudiants… La potière Yumiko a des vues sur Goro et loue une chambre disponible dans la pension pour se rapprocher de lui. S’isoler avec lui n’est toutefois pas une tâche facile, Goro étant en permanence sollicité et ne laissant pas insensibles les femmes du voisinage.

Produit par Takarazuka Films, une filiale de la Tôhô, Kashima ari est une adaptation de la nouvelle éponyme de Masuji Ibuse publiée en 1948. C’est une description satirique de la vie quotidienne dans l’Ôsaka d’après-guerre. A l’image de Kigeki ekimae ryokan (1958), autre transposition de Masuji Ibuse, un héros central lie des individus fantasques aux multiples mésaventures. Transféré de la Nikkatsu un an plus tôt, Yûzô Kawashima livre ici son quatrième long métrage pour la Tôhô. Fort du succès de Bakumatsu taiyôden (1957), comédie avec Frankie Sakai incarnant un acteur de rakugo fauché, Yûzô Kawashima se pose en défenseur de la frivolité japonaise. Il transforme profondément le récit de Masuji Ibuse en ajoutant des dialogues proches de l’esprit du rakugo et un humour populaire parfois vulgaire et facile. Le résultat désappointa apparemment l'auteur.
J’aurais tendance à être d’accord avec Masuji Ibuse. Nombre de jeux de mots et de subtilités m’ont sans doute échappé, je l’admets. Le rakugo me rebute et Frankie Sakai, qui joue Goro, m’agace toujours autant. Il y a trop de protagonistes, ils sont des prétextes à gags, juste effleurés sans que leur caractère soit vraiment exploré. Sur une pension d’Ôsaka après-guerre, j’ai largement préféré Une auberge à Ôsaka (1954), drame humaniste de Heinosuke Gosho. Yûzô Kawashima est prisé des cinéphiles mais je n’ai pour l’instant pas été convaincu.


月光少年 [Yue guang shao nian] de Wei-Yen Yu (1993, Moonlight Boy)
Hsiao Chi est une jeune femme mal dans sa peau. Elle sort avec son professeur de musique, un homme marié qui n’est pas décidé à quitter son épouse. Elle ne s’entend pas avec sa mère, plus intéressée par ses prières et son groupe de gospel que par sa fille. Il n’y a que sa grand-mère qu’elle apprécie, vieille dame solitaire qui s’occupe de son fils dans le coma. Depuis quelques temps, un pré-adolescent, Xiao Feng, tourne autour de Hsiao Chi, persuadé qu’elle est sa sœur. Hsiao Chi ne semble ni le voir ni l’entendre, jusqu’au jour où, dans un moment de déprime, elle songe à se suicider.

Wei-Yen Yu est une figure importante de la Nouvelle Vague taïwanaise. Il fut notamment producteur et directeur artistique de A Brighter Summer Day (1991) et producteur associé de Yi yi (2000). Il réalisa trois films dont ce Moonlight Boy, qu’il a coscénarisé et qui reprend plusieurs des interprètes de A Brighter Summer Day. Complètement tombé dans l’oubli, Moonlight Boy eut pourtant une certaine résonance, remportant des récompenses internationales et étant sélectionné à la Semaine de la Critique de la Mostra de Venise en 1993.
Moonlight Boy est une œuvre déconcertante, totalement indépendante et dotée d’un budget minuscule. Exploitant le thème galvaudé des fantômes communiquant avec les vivants, elle a un rythme lent, contemplatif et onirique. L’intrigue alterne entre les lieux et les époques et est ponctuée de bizarreries, comme des animaux et un homme étrange en dessin animé surgissant sans raison. Je ne sais que penser : d’un côté, c’est mou du genou et les personnages sont assez clichés ; de l’autre, il y a une ambiance fantastique et triste réussie, bâtie sur presque rien, qui m’a plu. Attention à ne pas se fier à l’affiche, qui utilise l’unique et bref plan angoissant.


わが町 [Waga machi] de Yûzô Kawashima (1956, Our Town)
Entre 1903 et 1905, 1500 Japonais travaillèrent à la construction de la Benguet Road aux Philippines, dans des conditions extrêmes. Waga machi suit la destinée d’un de ses ouvriers, Takichi Sadogashima dit Taa du Benguet, à son retour au Japon. Avant de partir, il avait sans le savoir mis enceinte sa fiancée, Tsuru, qu’il retrouve avec une fillette nommée Hatsue. Orpheline, Tsuru a dû élever Hatsue seule et s’est épuisée à la tâche. Elle meurt peu après l’arrivée de Taa, lui confiant dans un dernier souffle la responsabilité d’élever leur enfant.

L’écrivain Sakunosuke Oda est mort de la tuberculose en 1947. C’était un des meilleurs amis du jeune Yûzô Kawashima, qui avait débuté à la Shôchiku trois ans auparavant avec une adaptation d’un roman d’Oda, Kaette kita otoko (1944). Kawashima récidive douze ans plus tard avec Waga machi, tiré d’une nouvelle d’Oda publié en 1942. Spécialiste des comédies légères depuis son passage à la Nikkatsu en 1955, il revient ici à un mélodrame très Shôchiku, sans doute par respect pour son camarade disparu. S’il a acquis sa notoriété durant la guerre, Sakunosuke Oda n’adoptait néanmoins pas un point de vue ultra-nationaliste. Il se penchait sur le quotidien et la débrouillardise du petit peuple d’Ôsaka, qui traversait les âges sans se préoccuper des gouvernements ou des idéologies. Waga machi accompagne Taa pendant presque cinquante ans, conducteur de pousse-pousse qui peine à s'accoutumer aux changements des mœurs. Afin de moderniser le propos, Yûzô Kawashima inséra un volet après-guerre, montrant Taa qui se heurte à sa petite-fille au caractère bien trempée.
Waga machi m’a rappelé L'homme au pousse-pousse, ouvrage de 1939 de Shunsaku Iwashita porté à l’écran en 1943 par Hiroshi Inagaki. N’ayant pas lu le texte de Sakunosuke Oda, j’ignore si la ressemblance avec Waga machi était aussi forte à l’origine ou si Yûzô Kawashima a été influencé par le Hiroshi Inagaki, culte au Japon et qui aura le droit à un remake en 1958 avec Toshirô Mifune dans le rôle principal (je préfère la version de 1943). Ryutaro Tatsumi est convaincant en Taa et apporte une humanité à un être guère sympathique au demeurant, qui pourrit la vie de son entourage par ses principes dépassés. Waga machi se démarque de ce que j’ai pu voir de Yûzô Kawashima. J’ai été davantage séduit, malgré ou peut-être grâce à son classicisme. L'homme au pousse-pousse de 1943 reste cependant supérieur dans le genre.


空飛ぶゆうれい船 [Sora tobu yûreisen] de Hiroshi Ikeda (1969, Flying Phantom Ship)
Alors qu’Hayato et ses parents rentrent d’un après-midi de pêche en mer, ils assistent à un accident de la route en bordure d’une falaise. Hayato et son père se précipitent pour aider les victimes et, ne pouvant redescendre avec les corps, sont contraints d’aller se réfugier dans un manoir proche réputé hanté. Le capitaine d’un vaisseau fantôme apparaît et explique qu’il a été assassiné et veut se venger. Avant qu’il n’ait pu agir, l’armée accourt à la rescousse. Le lendemain, le Golem, un immense robot qui se dit envoyé par le vaisseau fantôme, détruit la ville. Les parents d’Hayato sont tués et celui-ci jure de punir le coupable.

Sora tobu yûreisen est de nos jours surtout renommé pour la présence au générique d’un animateur de 28 ans, un certain Hayao Miyazaki, qui se chargea du story-board et de l’animation de la séquence des chars attaquant le Golem. Il a par ailleurs marqué Hideaki Anno, le créateur de Neon Genesis Evangelion. C’est un pur produit de la Toei Animation, studio qui devint un acteur majeur de l’animation japonaise dès son premier long métrage, Le serpent blanc, en 1958. Il est dirigé par Hiroshi Ikeda, dont le Les joyeux pirates de l'île au trésor (1971) est disponible en DVD en France, d’après un court manga de Shotaro Ishinomori paru dans Shonen magazine en 1960. La Toei avait déjà utilisé avec succès l’œuvre de Shotaro Ishinomori en 1964 avec Cyborg 009, qui fit l’objet d’une suite en 1967 et d’une série TV en 1968. A noter qu’Hayato est doublé en japonais par Masako Nozawa, appréciée des amateurs pour ses voix de Son Goku et de Son Gohan dans Dragon Ball et Dragon Ball Z.
Sora tobu yûreisen démarre comme un épisode de Scooby-Doo, reprenant le concept du dogue allemand peureux compagnon du héros. Hayato a autour du cou une écharpe à la Fred et est un temps accompagné d’une pseudo-Daphné aux cheveux châtains, à la robe et au serre-tête violets. Ça se transforme en kaijû eiga avec l’attaque de la ville par le Golem puis en thriller politique mâtiné de drame, de mystère, d’horreur, d’exploration sous-marine… Ça semble destiné à une audience enfantine, tout en étant truffé de thèmes adultes et d’un discours anticapitaliste qui amena l’URSS à doubler et à distribuer Sora tobu yûreisen sur son territoire. Il y devint culte, à l’inverse du Japon où il tomba rapidement dans l’oubli. Il y a beaucoup trop d’éléments qui s’accumulent, chaque couche capitalisant peu sur la précédente. Cela ne laisse pas l’opportunité de développer les personnages ou les situations, donnant l’impression d’une longue série compactée de force en un film d’une heure. L’animation, honorable pour l’époque quoique variable, est à présent datée, et il n’y a pas grand-chose à sauver.


Livres
La grande porte de Frederik Pohl (Le livre de poche, 1981), 379 p.
Robinette Broadhead est un nanti vivant à New-York et possédant une propriété en bord de mer. Ancien prospecteur de l’espace à la Grande Porte, il a fait fortune au cours d’une de ses expéditions et se complait dans le luxe depuis son retour sur Terre. Il consulte pourtant un psychanalyste robot car il ne réussit pas à être heureux, ses souvenirs pesant sur sa conscience. Le récit alterne entre les séances avec son psy et son passé, de sa naissance dans une famille d’ouvriers pauvres au voyage dans l’espace qui a provoqué son soudain enrichissement.

C’est mon deuxième roman de Frederik Pohl après Homme Plus que je n’avais pas aimé. On y retrouve un goût pour la conquête spatiale et un gloubi-boulga scientifique inutile : quand ton histoire repose sur des voyages à une vitesse supérieure à la lumière qui n’engendrent aucune conséquence temporelle (double impossibilité physique), il ne faut pas tenter de se donner des airs de hard science-fiction avec des explications compliquées sur les trous noirs ou les phénomènes stellaires. La grande porte est totalement écrit du point de vue de Robinette Broadhead, héros agaçant et assez détestable. J’avoue avoir été pris par les chapitres sur son passé, avec une intrigue rondement menée et des personnages secondaires intéressants. Ceux sur la psychanalyse sont en revanche ratés et gonflants, ils n’apportent rien, si ce n’est une centaine de pages, soit un quart de l’ensemble. La grande porte a engendré quatre suites que je ne lirai pas, deux Frederik Pohl m’ayant suffi.


L’univers élégant de Brian Greene (Gallimard, collection « Folio essais », 2006), 658 p.
L’univers élégant est un ouvrage de vulgarisation de la théorie des cordes. En émettant l’hypothèse que les particules ponctuelles de la physique quantique sont en réalité des objets à n-dimension(s) appelés cordes, la théorie des cordes vise à unifier la relativité générale et la mécanique quantique en une théorie du tout. Brian Greene divise son livre en quatre pans : après une introduction contextualisant l’émergence de la théorie, il rappelle les grands principes de la relativité générale et de la mécanique quantique. Il décrit ensuite le fonctionnement de la théorie des cordes puis termine en entrant davantage dans le détail : il dévoile ses apports à de vieux casse-têtes physiques et les perspectives ouvertes par les dernières recherches (en 1999).

L’univers élégant est un bon bouquin de vulgarisation de concepts complexes. L’auteur a un style lisible et illustre ses explications d’exemples simples qu’il enrichit progressivement. Cela reste parfois ardu mais c’est ce que j’ai lu de plus abordable sur le sujet. Paradoxalement, j’ai particulièrement apprécié ce qui précède les chapitres sur la théorie des cordes. La théorie en elle-même me laisse dubitatif et je ne suis pas le seul. Elle est fondée sur une série d’hypothèses qui ne peuvent être démontrées bien qu’elles aident à résoudre d’anciennes équations insolubles. Si cette absence de preuves n’implique pas son inexactitude, certains des prérequis à son fonctionnement sont difficiles à avaler. Elle nécessite ainsi l’existence de six à sept dimensions supplémentaires, qui s’ajoutent aux quatre habituelles. Et si on ne les perçoit pas c’est parce qu’elles sont vraiment toutes petites et enroulées sur elles-mêmes. C’est embêtant car il n’y a aucun moyen de prouver que ces idées sont fausses et la théorie des cordes ne répond pas au principe de réfutabilité propre à la science. Quoi qu’il en soit, malgré son âge (24 ans dans ce domaine c’est une éternité), L’univers élégant permet de mettre un pied dans un champ de la physique difficile d’accès.

Les mythes de Cthulhu de H.P. Lovecraft et Alberto Breccia (Rackham, 2018), 128 p.
Les mythes de Cthulhu est une transposition en bande-dessinée de neuf nouvelles de Lovecraft parmi les plus connues tournant autour du Mythe. Elles furent publiées entre 1973 et 1979 dans les magazines italien Il Mago et argentin El Pendulo.
Le festival (titré Le cérémonial en se calquant sur l’espagnol)
Le monstre sur le seuil
Le cauchemar d’Innsmouth
La cité sans nom
L’abomination de Dunwich
L'appel de Cthulhu (titré Cthulhu en se calquant sur l’espagnol)
La couleur tombée du ciel
Celui qui hantait les ténèbres
Celui qui chuchotait dans les ténèbres
Le dessinateur argentin Alberto Breccia découvrit Lovecraft à la fin des années 50 et eut envie de l’adapter en bande-dessinée. Il mit quinze ans à concrétiser son projet et fut épaulé par Norberto Buscaglia au scénario. Considérant que les horreurs lovecraftiennes n’étaient pas visualisables, il expérimenta des techniques de monotype ou de collage afin de générer des monstres informes et de ne pas brider l’imagination du lecteur. Le problème est que je n’ai pas beaucoup d’imagination. Si je prends une version dessinée des histoires de Lovecraft, c’est pour voir, autant me contenter sinon du support écrit. S’il est esthétiquement beau, le style de Breccia m’a donc frustré. J’ai également trouvé cela très verbeux, l’image se superposant au texte sans le remplacer. Santa María de la decepción.


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