Films vus en compagnie
Les plages d’Agnès d’Agnès Varda (2008)

Je n’ai jamais été fan de Varda et je suis loin d’avoir vu l’intégralité de la filmographie. Excepté Cléo de 5 à 7 (1961) trop Nouvelle Vague à mon goût, j’ai préféré ses fictions à ses documentaires. Les glaneurs et la glaneuse (2000) m’avait particulièrement agacé, elle se mettait excessivement en avant et le discours était simpliste. Les plages d’Agnès étant autobiographique, je ne peux pas lui reprocher d’être de tous les plans. C’est souvent kitsch et chaotique dans la construction, et je n’adhère pas à sa façon de raconter les évènements en voix off et de mettre en scène son quotidien. Elle tait par ailleurs certains aspects de son passé et de celui de Demy, notamment ce qui concerne leur bisexualité respective, bien qu’elle révèle pour la première fois ici que Demy est mort du sida. En dépit de ces critiques, il est intéressant d’entendre le point de vue sur une époque de la seule femme réalisatrice de la Nouvelle Vague, qui a été une figure majeure du cinéma français pendant six décennies.
늑대소년 [Neuk-dae-so-nyeon] de Sung-hee Jo (2012, A Werewolf Boy)

Gros carton en Corée du Sud, A Werewolf Boy est un scénario original écrit par Sung-hee Jo au cours de ses études. Tout en pratiquant un mélange des genres typiquement coréen, c’est essentiellement une comédie romantique. Si c’est clairement meilleur que les Twilight dont la saga s’acheva la même année, ça ne casse pas trois pattes à un canard. Il ne se passe pas énormément de choses, les personnages sont stéréotypés et la dernière demi-heure aurait facilement pu tenir en cinq minutes. Je connais mal la comédie romantique coréenne, A Werewolf Boy est apparemment dans le haut du panier, ça ne donne pas envie d’explorer davantage.
Jeopardy de John Sturges (1953, La plage déserte)

Après le tournage de Clash by Night (1952) en 1951, Barbara Stanwyck, âgée de 44 ans, prit sa retraite. Elle se balada un an en Europe puis, ne sachant comment s’occuper, se remit au travail. La MGM lui accorda le rôle principal dans une série B tirée d’une pièce radiophonique, confiant la mise en scène à un John Sturges qui n’avait pas encore percé. Le reste du casting est caractéristique de ce style de production, avec le fade Barry Sullivan en Doug et Ralph Meeker (vu dans Kiss Me Deadly en 1955 et Path of Glory en 1957) en méchant. Le résultat est quelconque. On alterne entre les passages opposant Helen et le bandit, et ceux avec Doug et Bobby. Si les premiers contiennent un peu de tension et un dialogue surprenant pour la période, la censure ayant tendance à être plus souple avec les séries B, les seconds sont molles et brisent le rythme. Jeopardy rencontra pourtant le succès et Barbara Stanwyck poursuivit sa carrière au cinéma et à la télévision jusqu’au milieu des années 80.
Missile de Frederick Wiseman (1988)

La plupart des critiques de Missile que j’ai lues insistent sur la jeunesse des participants et sur leur embrigadement. Je ne suis pas vraiment d’accord. Ce ne sont pas des étudiants à peine pubères qui sont formés mais des officiers qui ont majoritairement déjà exercés dans d’autres services. L’un d’entre eux a même la quarantaine et est aussi gradé que les enseignants, qui sont tous au minimum capitaines. On a affaire à une élite traitée avec égard, pas à des troufions à qui on bourre le crâne. Missile s’ouvre d’ailleurs sur une conversation entre un colonel et les élèves sur la notion de responsabilité et les situations où il est possible de ne pas respecter des ordres.
On est d’autant plus frappé par l’inanité des tâches demandées et par la déresponsabilisation qu’elles engendrent. Chaque acte en soi ne déclenche rien, ce n’est qu’un maillon qui pourrait aboutir dans certaines circonstances à l’envoi d’un missile sur une destination inconnue des intervenants. Coincé dans une petite pièce remplie de boutons reliée à l’extérieur par un téléphone, toujours avec un binôme, chaque élève se contente de recevoir des données abstraites et de les transformer en succession de manipulations. Un second duo indépendant devra exécuter une séquence identique à un endroit différent pour éventuellement enclencher le mécanisme. Les discussions sur la pertinence des directives et les mesures de protection contre une initiative individuelle sont vaines dès lors que le chef suprême est un psychopathe : il adressera une consigne qui redescendra la chaîne de commandement, chacun effectuera sa mission sans se douter des conséquences. Ce n’est pas franchement rassurant compte tenu du candidat républicain à la présidentielle...
Frailty de Bill Paxton (2001, Emprise)

Frailty est un des deux films réalisés par Bill Paxton avec The Greatest Game Ever Played (2005). Il est composé de deux parties distinctes, l’une avec Matthew McConaughey qui narre au flic son histoire façon Kevin Spacey dans The Usual Suspects (1995) ; l’autre centrée sur les gosses Fenton et Adam, avec Bill Paxton dans le rôle du père. Ce volet est clairement supérieur et aurait pu se suffire à lui-même, le premier servant essentiellement à amener un twist final attendu. Dans les deux cas, la photographie est superbe et l’ambiance inquiétante, à la manière des bons épisodes d’X-Files. Bill Paxton joue parfaitement le daron sympa qui pète un câble et devient dangereux. On épouse en permanence le point de vue de Fenton et on ne connaitra jamais le nom du personnage de Bill Paxton appelé « dad », « father » ou « sir ». C’est dommage de terminer sur une chute censée apporter un angle inédit et qui en réalité gâche le portrait poignant d’une dérive qui avait été dressé.
Victoria de Justine Triet (2016)

Victoria était le dernier long métrage de fiction de Justine Triet que je n’avais pas vu. Il évoque par instants La Bataille de Solférino (2013), avec une mère en galère pour faire garder ses filles et un ex relou, et Anatomie d’une chute (2023), Victoria défendant un ancien amant qui a tenté d’assassiner sa conjointe dans un récit aux vérités subjectives. Les enjeux sont néanmoins différents, on est dans de la comédie dynamique focalisée sur une femme indécise qui se laisse balader par les évènements et finit par craquer. C’est très français, parisien bourgeois même, sans le côté improvisé hystérique qui m’avait agacé dans La Bataille de Solférino. Malgré quelques moments gênants, inspiration Woody Allen/Sacha Guitry oblige, c’est regardable.
The Ghost Goes West de René Clair (1935, Fantôme à vendre)

Il y a eu durant les années 30-40 une mode des comédies surnaturelles en Occident et les fantômes y occupèrent une bonne place. Bien qu’adapté de la nouvelle Sir Tristram Goes West d’Eric Keown, The Ghost Goes West rappelle fortement The Canterville Ghost (1944) tiré d’une histoire d’Oscar Wilde. Le producteur Alexandre Korda pensait d’ailleurs pour le rôle principal à Charles Laughton, qui jouera le revenant dans The Canterville Ghost. Il confia la réalisation au français René Clair, connu pour son humour léger et sa capacité à manier les trucages. La relation entre les deux fut tendue, Korda s’immisçant dans le tournage conformément à ses habitudes. The Ghost Goes West fut un énorme succès en Grande-Bretagne et contribua à établir la réputation de René Clair dans les pays anglophones.
Murdoch et Donald Glourie sont incarnés par Robert Donat, excellent acteur anglais populaire dans les années 30 (il est notamment M. Chips dans Goodbye, Mr. Chips, 1939). Son asthme chronique limita sa carrière et il décéda en 1958 à 53 ans d’une thrombose au cerveau. Pour Peggy, le choix se porta sur Jean Parker, artiste oubliée de nos jours, sympathique quoiqu’assez fade. Elsa Lanchester, créditée en quatrième position au générique, n’apparaît que deux-trois minutes dans la mouture d’1h18 que j’ai récupérée. Il en existe également une d’1h35 introuvable, qui lui accorde peut-être davantage de temps à l’écran. En l’état, The Ghost Goes West est une plaisante comédie bourrée d’effets spéciaux agréablement désuets et c’est dommage que seule la version courte soit disponible.
Films vus seuls
黒の爆走 [Kuro no bakusô] de Sôkichi Tomimoto (1964, Black Speeding)

Kuro no bakusô est le septième volet de la série noire de la Daiei, le troisième avec Jirô Tamiya et le quatrième avec Yukiko Fuji. C’est sans doute un des plus faibles, avec un scénario inédit peu convaincant qui ne comporte pas d’intrigue industrialo-politique et dont le rattachement à la série semble opportuniste. Le studio offrit la direction à Sôkichi Tomimoto, un produit de la maison qui ne brilla guère et s’orienta vers la télévision à la fin des années 60. C’est banalement photographié, sans réelle tension, et j’espère que le prochain épisode sera meilleur.
Pedro Páramo de Carlos Velo (1967)

Après la lecture du livre qui m’avait laissé une impression mitigée, j’étais curieux de voir cette adaptation mésestimée de 1967. Le bouquin était déjà culte au moment du tournage, les attentes étaient élevées et Carlos Velo disposa d’un budget conséquent. Le résultat déçut tout le monde, jusqu’au réalisateur qui regretta ses indécisions. La présence de l’américain John Gavin (né d’un père chilien et d’une mère mexicaine) dans le rôle de Pedro Páramo fut très critiquée par la presse locale. Dans les faits, il est loin d’être catastrophique et est largement meilleur que l’acteur mexicain qui incarne Juan. Le roman a été simplifié pour le rendre aisément compréhensible et linéaire, se concentrant sur le despote de Comala. Or, l’intérêt de Pedro Páramo n’est pas tant l’histoire prosaïque de Pedro Páramo que le village fantôme de Comala et les va-et-vient entre les époques. Le long métrage ne réussit pas à instaurer une atmosphère d’étrangeté autour de Juan et filme platement les lassantes mésaventures de Pedro Páramo. Il mérite donc sa piètre réputation.
Séries
僕だけがいない街 [Boku dake ga inai machi] de Tomohiko Ito (2016, Erased), 12 épisodes

Boku dake ga inai machi est tiré d’un seinen manga de Kei Sanbe publié entre juin 2012 et mars 2016 dans le magazine Young Ace. Il a également été transposé au cinéma en 2016 et en drama télévisé en 2017. La série animée est fidèle à l’original dans sa première moitié avant de dévier légèrement dans sa deuxième, condensant fortement les derniers chapitres. Boku dake ga inai machi utilise le procédé galvaudé du héros qui retourne dans son passé, ici pour empêcher un triple meurtre. Le concept de départ de Satoru capable de revivre les évènements pour sauver son prochain est mis de côté après le préambule et le fan de voyage temporel que je suis était déçu. Les épisodes 1 à 10 sont assez prenants dans l’ensemble, Satoru se débattant pour identifier le coupable. Une fois le mystère levé, mon attention est retombée et la conclusion ne m’a pas emballée. Il y avait moyen de faire mieux selon moi.
Livres
Sarkô des grandes zunes - Chroniques de la lune rouge 1 de Jean-Pierre Fontana & Alain Paris (Fleuve noir, collection « Anticipation », 1984), 186 p.

Sarkô des grandes zunes est le tome 1 des Chroniques de la lune rouge, qui en comporte cinq. C’est de la littérature de gare, des bouquins courts, faciles à lire, distrayants et superficiels, avec des couvertures souvent criardes. Fleuve noir en était un des spécialistes, avec ses collections « Spécial police », « Espionnage » ou « Anticipation ». Sarkô des grandes zunes se rattache à une heroic fantasy pulp à la Conan, avec un peu de sexe et beaucoup de violence. Il a été rangé dans « Anticipation », dénomination hétérogène employée pour la SF au sens large. On est dans un univers postapocalyptique où la Terre subit une ère de glaciation et où une humanité réduite a oublié son Histoire et sa technologie. Pas de longues considérations psychologiques, Sarkô explore de nouveaux horizons pour délivrer sa famille, trucidant ceux qui lui barrent le chemin. Le monde décrit est intrigant et je lirai la suite avec plaisir.
Revues
Mad Movies n°381 – Avril 2024

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