Films vus en compagnie
아가씨 [Ah-ga-ssi] de Park Chan-wook (2016, Mademoiselle)

Les œuvres de Park Chan-wook sont généralement encensées par la critique et, sans être un grand fan, je tiens à les voir pour me forger ma propre opinion. Mademoiselle est un de ses opus les plus réputés et j’en avais entendu dire du bien. C’est tiré du roman Fingersmith de Sarah Waters paru en 2002, la Grande-Bretagne victorienne ayant été transposée dans la Corée colonisée des années 1920-1930. Comme toujours avec Park Chan-wook, c’est esthétiquement superbe, parfaitement interprété et très manipulateur. En revanche, à l’inverse du glacé Decision to Leave (2022), Mademoiselle possède des personnages vivants et attachants, et s’égaye de touches d’humour noir typiquement coréen. En dépit d’une longueur parfois excessive et de scènes de sexe franchement gratuites, cela m’a globalement convaincu et la conclusion est assez réjouissante.
Le procès Goldman de Cédric Kahn (2023)

Sous ses dehors de reconstitution historique, Le procès Goldman est une fiction inspirée de faits réels. Il faut garder à l’esprit cet aspect pour le jauger car il s’écarte régulièrement des évènements. Il mélange ainsi les deux procès, celui de 1974 et de 1976, montre la présence au tribunal de la compagne de Pierre Goldman qui avait en réalité refusé de s’exprimer à la barre, exacerbe les dissensions entre Goldman et son avocat principal Georges Kiejman… Nonobstant ces soucis, c’est une excellente restitution du climat électrique de l’époque. Il pose par ailleurs des questionnements encore actuels sur la façon dont le racisme de la police et des témoins fausse leur appréciation, sur la subjectivité des points de vue et des souvenirs et sur l’importance des apparences. La tension ne retombe pas et Le procès Goldman est l’autre film de procès à la française passionnant de 2023.
The Last Voyage of the Demeter d’André Øvredal (2023, Le dernier voyage du Demeter)

The Last Voyage of the Demeter est l’adaptation d’un court passage de cinq pages du septième chapitre du Dracula de Bram Stocker. Intitulé Log of the Demeter, c’est une retranscription du journal de bord du capitaine du Demeter, le vaisseau sur lequel s’embarqua Dracula pour aller en Grande-Bretagne. Le scénariste de The Last Voyage of the Demeter développe ce compte-rendu en y adjoignant un physicien noir humaniste et en instaurant une atmosphère de huis-clos horrifique old-school. Comme le reconnait André Øvredal, c’est une sorte d’Alien (1979) sur un bateau à la fin du XIXe siècle. Il n’y a clairement rien de révolutionnaire dans ce long métrage trop étiré et à la conclusion ratée. Une jolie photographie, un Dracula qui a de la gueule et de sacrés décors permettent néanmoins de le sauver du naufrage.
Poulet frites d’Yves Hinant & Jean Libon (2021)

Après le succès de Ni juge, ni soumise en 2017, Canal+ et France 3 passèrent commande à la société de production Le Bureau (les données factuelles de cette critique sont essentiellement extraites de l’article d’Isabelle Grimaud). Bloqué par le covid, Jean Libon décida pour honorer le contrat de retravailler Le Flic, la juge et l'assassin, un épisode en trois parties d’une cinquantaine de minutes du programme télévisé Tout ça (ne nous rendra pas le Congo) , repris dans Strip-Tease en 2008 dans une forme condensée d’1h37. Peu convaincu par le montage de l’époque qui se concentrait sur l’institution judiciaire belge, il mit la main sur les 120 heures de rushs et, accompagné d’Yves Hinant, ils construisirent un polar focalisé sur le volet enquête. Pour renforcer la référence au film noir hollywoodien, ils supprimèrent la couleur au profit du noir et blanc.
Je n’avais pas accroché à Ni juge, ni soumise, qui comportait les mêmes défauts que pas mal d’émissions de Strip-Tease et était centré sur l’agaçante juge d’instruction Anne Gruwez. Si elle est également présente ici, elle n’occupe pas le rôle principal, c’est le relativement sobre inspecteur Lemoine qui sert de fil conducteur. Yves Hinant et Jean Libon évitent le sordide et le mauvais goût, et on se passionne pour cette affaire d’une étonnante complexité. Une belle surprise pour un documentaire dont je n'attendais rien.
Apolonia, Apolonia de Lea Glob (2022)

Apolonia, Apolonia aborde deux univers qui me sont totalement étrangers, l’art moderne et l’avant-garde intellectuelle bourgeoise/bohème parisienne. Ils n’en ressortent pas grandi, en particulier le premier qui révèle certaines facettes capitalistes guère reluisantes. Il ne faut néanmoins pas pousser trop loin l’analyse, l’objectif n’est pas de dénoncer, uniquement de retracer le quotidien de l’envoutante Apolonia. C’est à la fois la force et la faiblesse de ce documentaire, qui lasse par moments et finit par tourner à vide dans son dernier tiers, dès lors qu’Apolonia semble atteindre la stabilité. Lea Glob avoue en voix-off qu’elle pensait souvent qu’il était temps d’arrêter sa caméra mais qu’elle continuait encore un peu. Il aurait en effet fallu couper plus tôt. Reste le portrait d’une femme charismatique et ambitieuse, dotée d’une capacité à fasciner son entourage.
The Deep House d’Alexandre Bustillo & Julien Maury (2021)

Alexandre Bustillo et Julien Maury œuvrent depuis quinze ans au renouveau de l’horreur à la française (excepté un détour décevant par les Etats-Unis pour Leatherface en 2017). J’ai seulement vu d’eux Kandisha (2020), Candyman de banlieue française imparfait en dépit de bonnes idées. The Deep House est à l’origine un concept, tourner un film de maison hantée sous l’eau. Ils songeaient au départ n’intégrer aucune scène sur la terre ferme et aucun dialogue, avec une communication par signes. Pour ne pas braquer les financiers, ils firent des concessions en développant les protagonistes et en insérant un préambule. Cela se sent… Techniquement c’est impressionnant et le côté sous-marin offre au genre un angle inédit, le milieu et les limitations de la perception ajoutant un aspect claustrophobique angoissant. Malheureusement, l’intrigue est mince et convenue, Ben est agaçant de bout en bout et le climax ne fonctionne pas. C’est dommage car il y avait du potentiel.
Films vus seuls
黒の駐車場 [Kuro no chushajo] de Tarô Yuge (1963, Lips of Ruin)

Kuro no chushajo est le sixième volet de la série noire de la Daiei, réalisé comme le cinquième par Tarô Yuge. C’est le second avec Jirô Tamiya dans le rôle principal après l’excellent La voiture d'essai noire (1962), et le troisième avec Yukiko Fuji, éclipsée ici par Yasuko Nakada. Ancienne membre de la prestigieuse revue Takarazuka, une compagnie de théâtre exclusivement féminine, cette dernière eut une brève et intense carrière à la Tôhô puis à la Daiei entre 1956 et 1964. Kuro no chushajo est sa pénultième apparition à l’écran, elle se sépara du président de la Daiei Masaichi Nagata en 1964 et abandonna le monde du divertissement dans la foulée.
Kuro no chushajo (littéralement le parking noir alors qu’il n’y a qu’une séquence pas franchement marquante dans un parking) replonge dans les machinations industrialo-politiques dont s’étaient écartés les épisodes précédents. C’est une adaptation de Haikyo no kuchibiru de Jûgo Kuroiwa, un spécialiste du roman policier social, un genre littéraire généralement ancré dans l’univers du travail. Kuro no chushajo est loin d’atteindre la qualité de La voiture d'essai noire, c’est platement photographié et la trame n’est pas captivante même si Jirô Tamiya est convaincant en yakuza reconverti. Ce n’est clairement pas le meilleur de la série.
成金 [Narikin] de Kisaburô Kurihara (1921, Sanji Goto: The Story Of Japanese Enoch Arden)

Le cinéma japonais d’avant 1923 a quasiment disparu dans son intégralité. Aux mauvaises conditions de conservation typiques des premières décennies du vingtième siècle s’ajoutent pour le cas japonais des facteurs aggravants : le séisme du Kantô de 1923 anéantit les studios de Tôkyô où étaient entreposés les films ; la plupart des bobines survivantes brûlèrent durant la Seconde Guerre mondiale, parfois intentionnellement pour récupérer le nitrate d’argent ; enfin, les autorités américaines d’occupation détruisirent tout ce qui semblait lié à la montée du nationalisme des années 30-40, notamment la majorité des jidai-geki qui leur tombaient sous la main. L’habitude qu’avaient les producteurs de ne tirer qu’un seul positif n’aida pas.
Narikin est l’unique réalisation rescapée de Kisaburô/Thomas/Tômas Kurihara, un Japonais collègue de Sessue Hayakawa qui joua dans une vingtaine de films de Thomas H. Ince aux Etats-Unis et fut engagé par la compagnie Taishô Katsuei pour enseigner à ses compatriotes les innovations du cinéma occidental. Il dirigea une trentaine de métrages jusqu’au rachat de la Taishô Katsuei par la Shôchiku en 1922 et exerça une influence substantielle sur nombre de figures de l’époque, en particulier Tomu Uchida. Affligé d’une maladie chronique, il décéda en 1926 à 41 ans. Produit pour la Tôyô Film, la date précise du tournage de Narikin est inconnue, entre avril 1918 et mi-1919. Kisaburô Kurihara l’amena dans ses bagages pendant un voyage aux Etats-Unis sans réussir à le distribuer. C’est grâce à cette tentative ratée qu’il existe encore de nos jours, la première bobine ayant été miraculeusement retrouvée aux Etats-Unis dans les années 1990. Il est disponible sur YouTube avec les intertitres fabriqués pour le marché américain.
Sorti au Japon en 1921, Narikin s’inspire du slapstick, genre dans lequel se situe également Amateur Club (1920), première œuvre de Kisaburô Kurihara pour la Taishô Katsuei (descendante de la Tôyô Film). Sanji Goto est incarné par Iwajirô Nakajima, qui se surnommait le véritable Chaplin japonais (Chaplin ayant eu une pléthore d’imitateurs au Japon). On appelait narikin les nouveaux riches, qui avaient su profiter de la guerre de 14-18, et on perçoit dans Narikin une vague dimension sociale. Au vu du titre américain, Sanji Goto: The Story Of Japanese Enoch Arden, il y a fort à parier que Sanji Goto se perde au cours de son périple à l’instar d’Enoch Arden et qu’il lui arrive des multiples aventures. Techniquement, on sent la volonté de s’approcher du cinéma occidental des années 10, c’est assez distrayant et il est regrettable que les bobines suivantes aient disparu.
Contronatura d’Antonio Margheriti (1969)

Contronatura est, selon Antonio Margheriti, son opus le plus personnel, qu’il a lui-même financé, écrit et dirigé. L’homme est resté dans les mémoires pour ses nanars et je n’attendais pas grand-chose de cette coproduction italo-allemande notée 5,9 sur imdb. Cela la hisse mine de rien au huitième rang sur cinquante-cinq parmi les titres d’Antonio Margheriti listés sur ce site, ce qui donne une idée du niveau moyen de ses travaux. Certes, ce n’est pas aussi navrant que Yor, le chasseur du futur (1983) ou La brute, le colt et le karaté (1974), une des catastrophiques collaborations Shaw Brothers/Occident. Il y a une ambiance fantastique correctement posée, avec de jolis costumes et un côté conte gothique pas inintéressant. Ça n’en demeure pas moins mou du genou, avec une histoire tarabiscotée et pas mal de longueurs. A réserver aux fans du genre.
Livres
Pedro Páramo de Juan Rulfo (Gallimard, collection « L’imaginaire », 1979), 145 p.

Pedro Páramo est un ouvrage essentiel de la littérature mexicaine du XXe siècle, l’unique roman de Juan Rulfo. Précurseur pour certains du réalisme magique, Gabriel García Márquez disait que la lecture de ce livre lui avait ouvert la voie vers Cent ans de solitude et qu’il le connaissait par cœur. Jorge Luis Borges considérait également Pedro Páramo comme un des plus grands textes jamais écrits. Je ne serai pas aussi enthousiaste.
J’ai beaucoup aimé la première moitié, qui évoque fortement le style de Gabriel García Márquez, avec un héros qui discute avec des apparitions, le passé qui empiète sur le présent et l’imbrication des narrations et des intrigues. La figure de Pedro Páramo domine et se dessine doucement, Juan découvrant par bribes la vérité sur ce géniteur malfaisant. Juan disparaît complètement dans la seconde moitié, on s’ancre dans le passé et Pedro Páramo devient le personnage principal. Tous les mystères sont levés, on est davantage dans une dénonciation du caciquisme et des dérives de la révolution mexicaine. Œuvre majeure en son temps, Pedro Páramo pâtit rétrospectivement de la comparaison avec les successeurs qu’il a inspiré. C’est toutefois court et le curieux pourra s’y plonger.
- Le cœur désintégré de Theodore Sturgeon (Denoël, collection « Présence du futur », 1987), 185 p.Le cœur désintégré est composé de cinq nouvelles de 5 à 56 pages rédigées entre 1951 et 1955 :
- • Extrapolation : Wolf Reger a trahi l’humanité au profit d’envahisseurs extraterrestres et est détesté par tout le monde, excepté son épouse qui est persuadée qu’il est innocent.
- • Le prix de la synergie : le chimiste Killilea a abandonné ses travaux alors qu’il s’apprêtait à extraire une substance révolutionnaire. Il veut juste retrouver son ex-conjointe, qui refuse de le suivre car elle craint de le tuer involontairement.
- • Faites-moi de la place : un alien à triple personnalité a investi trois corps d’étudiants sur notre planète.
- • Le cœur désintégré : une alcoolique explique comment elle a condamné l’homme qu’elle aimait.
- • Les incubes de Parallèle X : Garth Gesell est le seul être capable d’ouvrir le passage par lequel a été évacué l’élite féminine de la Terre au moment de l’invasion extra dimensionnelle des Ffanx.
Revues
Les Cahiers du cinéma n°808 – Avril 2024

Niveau sortie, le nouveau Ryûsuke Hamaguchi, Le mal n’existe pas (2023), m’intrigue. Ça fait des années que je lis des critiques positives des œuvres de ce réalisateur, j’en ai trois en DVD et je n’ai toujours rien regardé, c’est la honte pour le fan de cinéma japonais que je suis. A part ça, je note Enys Men (2022), un voyage métaphysique en Cornouailles autour d’une botaniste qui tombe sur une fleur étrange ; Riddle of Fire (2023), un film de gosses qui semble être un improbable mélange entre bricolage amateur et classiques de la Amblin ; et American Fiction (2023), sur un romancier noir propulsé au cœur du système hollywoodien qu’il entendait dénoncer. Côté patrimoine, un article sur Nancy Savoca me rappelle que j’avais apprécié Dogfight (1991), il faudrait que je récupère d’autres titres d’elle mais ça n’a pas l’air simple. Et je découvre Bushman (1971), drame semi-documentaire sur un étudiant nigérien qui débarque aux Etats-Unis à la fin des années 60.
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