samedi 27 avril 2024

Carnet de bord 20/04/2024-26/04/2024



Films vus en compagnie
Le Règne animal de Thomas Cailley (2023)
Une épidémie d’un nouveau type transforme des êtres humains en animaux. François a dû envoyer son épouse Lana touchée par la mutation en centre de soins parce qu’elle avait attaqué leur fils Emile. Il continue de l’aimer et lui rend régulièrement visite tandis qu’Emile refuse de parler à sa mère. Quand Lana est transférée dans un établissement expérimental dans le Sud de la France, François et Emile déménagent pour l’accompagner. Le véhicule qui la transporte avec une quarantaine de patients se renverse pendant un orage, Lana disparaît dans la nature avec la majorité de ses compagnons d’infortune. François se lance à sa recherche, craignant qu’elle soit victime de la colère de locaux effrayés et xénophobes.

Le Règne animal est le second film de Thomas Cailley après Les combattants (2014), que je n’ai pas vu et dont j’ai entendu dire beaucoup de bien. Il est doté d’un budget important pour une production française, sur un créneau proche des blockbusters hollywoodiens super héroïques, une Île du docteur Moreau à la sauce gasconne. Le tournage a été perturbé par les incendies de l’été 2022 en Gironde et Thomas Cailley a été forcé de trouver une autre forêt en urgence. Il a essayé de minimiser l’utilisation des images de synthèse et de les mélanger à des techniques traditionnelles, maquillages, animatroniques… Excepté une séquence de vol où les VFX sont visibles, le résultat est bluffant, avec un côté organique très réussi.
On est encore une fois dans une proposition de cinéma de genre hexagonale originale, qui acclimate une certaine imagerie américaine, s’appuyant sur des thèmes de société et construisant de vrais personnages. Les effets spéciaux sont au service du récit, on n’est pas dans une vaine prouesse technologique. Si le discours est par moments insistant et si les scènes entre ados sonnent faux, cela reste un agréable spectacle, avec un Romain Duris agaçant et émouvant.


After Hours de Martin Scorsese (1985)
Paul Hackett est abordé par la charmante Marcy alors qu’il bouquine tranquillement dans un snack-bar après le boulot. Il s’arrange pour récupérer le numéro de la copine chez qui elle dort et l’appelle en rentrant chez lui. Elle lui suggère de la rejoindre dans leur appartement à Soho au cœur de New York et Paul saute immédiatement dans un taxi. C’est le début d’une soirée apocalyptique au cours de laquelle les catastrophes vont s’enchaîner et menacer son existence.

J’étais tombé sur After Hours à la télé il y a environ vingt-cinq ans et je me souviens que ça m’avait mis mal à l’aise. Je comprends pourquoi en le revoyant, c’est franchement creepy, avec un protagoniste masculin qui se heurte à une succession de femmes bizarres et trop entreprenantes à son goût. C’est de plus en plus glauque, dans un New York des années 80 inquiétant. Le casting est excellent, notamment le polyvalent Griffin Dunne croisé précédemment sur ce blog en tant que réalisateur, et le montage est dynamique. Une curiosité assez déstabilisante donc, qu’il convient de regarder pour se faire sa propre opinion.


アルプススタンドのはしの方 [Arupusu sutando no hashi no kata] de Hideo Jôjô (2020, On the Edge of Their Seats)
Deux lycéennes, Yasuda et Tamiya, s’installent dans le haut des gradins d’un stade de baseball pour suivre le club de leur établissement. Elles ne connaissent pas grand-chose à ce sport et sont venues à cause de l’insistance de leurs professeurs. Un ancien membre de l’équipe, Fujino, s’assied à côté d’elle et le match leur sert de prétexte pour entamer la conversation. Un peu en retrait, l’introvertie Miyashita, l’intello de l’école, les épie et n’ose se rapprocher. Les jeunes sont régulièrement houspillés par un de leur enseignant qui se lamente sur leur manque d’enthousiasme.

Arupusu sutando no hashi no kata est au départ une pièce écrite par un enseignant pour le club de théâtre de son lycée, qui gagna en 2017 le concours national lycéen d’art dramatique et fut reprise dans les écoles du pays. Filmé en six jours pour une somme modique, l’adaptation sur grand écran eut un succès honorable étant donné sa diffusion réduite. La mise en scène fut confiée à Hideo Jôjô, un spécialiste des tournages rapides et fauchés venu de la vidéo et du pinku eiga. L’origine théâtrale se ressent, c’est statique et on ne s’écarte pas du concept initial : observer les spectateurs d’un match sans jamais voir le terrain ni quitter le stade. C’est gentillet, stéréotypé et l’interprétation est variable, de moyen à mauvais. Il y a clairement mieux en comédie teenager japonaise.


Isoken de Jadesola Osiberu (2017)
Isoken a 34 ans et est toujours célibataire tandis que ses deux sœurs cadettes se sont mariées. Sous la pression de sa mère, elle accepte un rendez-vous avec Osaze, un Nigérian récemment rentré des Etats-Unis qui cherche une relation sérieuse. Sur le papier, c’est le candidat parfait : il est beau, riche, sûr de lui et attentionné. Isoken n’est pourtant sereine, constamment obligée de jouer un rôle, et est plus à l’aise avec Kevin, un photographe anglais blanc rencontré par hasard dans une laverie.

Isoken constitue mon initiation à Nollywood, la prolifique industrie cinématographique du Sud du Nigéria. En quantité, avec plus de 2000 titres par an, le Nigéria est le second producteur dans le monde derrière l’Inde. Même selon les standards locaux, Isoken est un petit budget, première réalisation de Jadesola Osiberu. Techniquement, on a l’impression d’être devant une télénovela, c’est cheap, platement monté, beaucoup trop long, avec une intrigue cousue de fil blanc. Les acteur·ice·s sont correct·e·s mais, sorti de l’exotisme lié à mon ignorance de cette culture, c’est franchement quelconque.


The Juniper Tree de Nietzchka Keene (1990, Quand nous étions sorcières)
Deux sœurs, Katla et Margit, fuient leur contrée natale où leur mère a été brûlée pour sorcellerie. Elles tombent sur le veuf Jóhann, que Katla séduit et qui les emmène dans sa ferme reculée. Il y vit avec son jeune fils Jónas, très attaché à sa mère décédée et guère enchanté de l’arrivée d’une marâtre. Les rapports entre Katla et Jónas sont tendus et déstabilisent l’harmonie du foyer. Margit, en revanche, apprécie l’enfant, à qui elle confie avoir des visions.

Tourné en 1986, The Juniper Tree connut des problèmes de financement. Il ne fut achevé qu’en 1989 et diffusé en 1990 au festival de Sundance puis dans les salles islandaises en février 1993. Il resta ensuite invisible jusqu’à sa restauration 4K en 2018. L’histoire est tirée du Conte du genévrier des frères Grimm. Elle s’en éloigne sensiblement, ajoutant la thématique de la sorcellerie qui n’était pas présente mais qui, pour Nietzchka Keene, « est un thème souterrain dans la plupart des contes de Grimm quand ils parlent des femmes ». La photographie en noir et blanc vise à fixer le récit dans un pays imaginaire utopique, tout en conservant un réalisme dans le comportement des personnages.
Pour Margit, Nietzchka Keene avait initialement choisi une interprète de 13 ans et écartée une Björk de 19 ans enceinte avant de revenir sur sa décision. Si Björk est excellente et ne fait pas ses 20 ans, ce n’est pas une fillette et le ressenti aurait été différent avec une jeune adolescente. Le rythme est lent et contemplatif et on pense à Bergman. Il ne se passe pas grand-chose, il n’y a pas de message, Nietzchka Keene voulait uniquement montrer la mélancolie et la solitude féminine. Certains s’ennuieront sans doute, j’ai pour ma part bien aimé cette atmosphère que la brièveté de The Juniper Tree (1h18) m'a aidé à accepter.


Films vus seuls
阪妻-阪東妻三郎の生涯 [Bantsuma – Bandô Tsumasaburô no shôgai] de Matsuda Shunsui (1980, Bantsuma – The Life of Tsumasaburo Bando)
Jusqu’au début des années 20, le kyugeki dominait le cinéma japonais. Inspiré visuellement par le kabuki et narrativement par le kôdan, il était très populaire auprès des enfants grâce à Matsunosuke Onoe, vedette de films de ninjas à trucage. Le grand tremblement de terre du Kantô en 1923 força le Japon à faire table rase du passé. Le jidai-geki supplanta le kyugeki et de nouvelles têtes émergèrent. L’une d’elle, Tsumasaburo Bando, atteignit rapidement les sommets.
Engagé à 15 ans comme comédien de kabuki, Tsumasaburo Bando n’était pas issu d’une lignée prestigieuse et n’avait aucune chance de gravir les échelons. En 1923, il se reconvertit dans le cinéma et fut repéré par le scénariste Rokuhei Susukita, qui tentait d’apporter au jidai-geki la complexité des histoires hollywoodiennes, de l’action rythmée et un nihilisme rebelle. Les opus avec Tsumasaburo Bando répondaient aux attentes des spectateurs avec des scènes de combat dynamiques et violentes destinées à un public adulte. En 1925, Tsumasaburo Bando créa son studio de production. Copié puis éclipsé par une jeune génération à l’aube des années 30 (citons notamment Kazuo Hasegawa, Chiezô Kataoka et Utaemon Ichikawa que j’ai mentionnés sur ce blog à de multiples reprises), peu à l’aise avec le parlant avec sa voix haut perchée, il fut contraint de fermer boutique en 1936 et entra à la Nikkatsu en 1937. Il y rencontra Hiroshi Inagaki, qui fit redécoller sa carrière. En 1943, il incarna Matsugoro dans L'homme au pousse-pousse, un des meilleurs films tournés durant la guerre (largement supérieur selon moi au remake de 1958 avec Toshirô Mifune), et se consacra dès lors à des rôles humanistes de gens du petit peuple. Il mourut d’une hémorragie cérébrale en 1953 à 51 ans. Par respect pour la mémoire de son père, son fils aîné Takahiro Tamura devint acteur et rejoignit la Shôchiku en 1953. A son décès en 2006, le fiston était apparu dans presque cent-cinquante longs métrages et une quinzaine de séries.

Je n’avais jamais tilté que le héros de L'homme au pousse-pousse et du Tambour brisé (1949) de Kinoshita était le même que la superstar du muet vue dans Orochi (1925). Bantsuma – The Life of Tsumasaburo Bando est un documentaire incontournable pour les amateurs de cinéma japonais de patrimoine. Tout ce qui concerne les années 20 à 40 est passionnant, avec des entretiens effectués avec des participants de l’époque encore vivants en 1980. Sont ainsi interviewés deux actrices qui avaient travaillé avec Tsumasaburo Bando dans les années 20, Takahiro Tamura, et les réalisateurs Hiroshi Inagaki et Daisuke Itô qui l’avaient dirigé. Bantsuma – The Life of Tsumasaburo Bando est ponctué d’extraits de pellicules souvent introuvables et c’est dommage qu’il ne soit pas disponible sur le net (j’ai dû acheter le DVD sur le site de Matsuda Film Production).


黒の挑戦者 [Kuro no chôsensha] de Mitsuo Murayama (1964, Black Challenger)
Jiro Nango est avocat. Il est appelé au téléphone une nuit par une femme en détresse, Fumio, qui le supplie de venir la secourir. Quand il arrive sur les lieux, elle est inconsciente, il l’amène à l’hôpital mais il est déjà trop tard. Il découvre qu’elle était membre d’un club sélect offrant aux riches des loisirs luxurieux, de la drogue et des jeux d’argent. Outré, Jiro décide de donner un coup de pied dans la fourmilière et de coincer les responsables de la mort de Fumio.

Kuro no chôsensha est le huitième volet de la série noire de la Daiei, le quatrième avec Jirô Tamiya, le second de Mitsuo Murayama après le moyen Kuro no satsutaba (1963) et le premier en couleur. On revient aux intrigues politico-industrielles avec un scénario tiré d’un roman de Kazuo Shimada, un ancien correspondant de guerre spécialisé dans les récits policiers mettant en avant des journalistes. Sur le fond, on a clairement changé de période, terminé la sobriété des épisodes précédents, Mitsuo Murayama se lâche avec des cadrages obliques, en contreplongée ou à travers le mobilier ; une caméra qui tremble ; des couleurs flashy ; une musique jazzy ; de la nudité gratuite ; un personnage principal cool vaguement bondien qui pratique le karaté, enchaîne les clopes et les conquêtes. C’est macho et confus, Mitsuo Murayama a tout misé sur le style et ce n’est pas suffisant.


Mababangong Bangungot de Kidlat Tahimik (1977, Perfumed Nightmare)
Kidlat est conducteur de jeepney, une sorte de taxi local, dans un village des Philippines proche de Manille. Il rêve d’aller aux Etats-Unis pour devenir astronaute et, en attendant, écoute Voice of America. Il est également président du fan club de Wernher Von Braun, un constructeur de fusée de la NASA. Il croise un jour un Américain qui lui propose de le suivre en France puis aux Etats-Unis. Au bout de quelques mois à Paris, l’admiration de Kidlat pour l’Occident commence à décliner.

Perfumed Nightmare est un objet déconcertant, semi-autobiographique, entre documentaire anthropologique et fiction, une réflexion ironique sur la modernité, la fascination pour la culture des anciens colonisateurs et le néo-colonialisme. Débarqué à Munich en 1972 pour vendre des mascottes aux JO, un Kidlat Tahimik sans le sou fut contraint de rester en Allemagne et s’y découvrit une passion pour le cinéma. Grâce à l’aide de Werner Herzog, il récupéra une caméra 16 mm, filma son quotidien et bâtit progressivement une trame. Le résultat est étonnant, Kidlat commente en voix off en anglais des images de son village et de sa vie à Paris, se présentant en pauvre hère naïf aveuglé par les lumières de l’Occident. Assez dubitatif au départ, je me suis pris au jeu et j’ai plutôt apprécié, bien que l’amateurisme et l’étrangeté de la chose risque de rebuter nombre de spectateurs.


Livres
The Japanese Film: Art and Industry - Expanded Edition de Joseph L. Anderson & Donald Richie (Princeton University Press, 1982), 526 p.
En 1959, Joseph L. Anderson et Donald Richie rédigèrent le premier ouvrage d’ampleur en anglais consacré au cinéma japonais. The Japanese Film: Art and Industry comporte deux parties :
• Une Histoire du cinéma japonais de ses débuts à 1959 sur environ 300 pages ;
• Un focus d’une centaine de pages sur la situation à la fin des années 50. Les auteurs y examinent les grands thèmes ; les aspects techniques ; les principaux metteurs en scène, acteurs et actrices ; et enfin la position des studios et des distributeurs ainsi que les modifications dans la répartition du public à une époque où pointait la télévision.
L’expanded edition de 1982 ajoute un chapitre de Joseph L. Anderson dans lequel il revient sur la période muette avec des éléments qui n’avaient pas été évoqués en 1959. Il fait par ailleurs le point sur l’impact du petit écran entre 1959 et 1982. Donald Richie se concentre lui sur les carrières des réalisateurs entre 1959 et 1982, à la fois ceux qui avaient été mentionnés dans l’édition originale et les nouveaux qui ont percé.
Il peut sembler curieux d’aller lire un livre de 1959 (l’expanded edition de 1982 se contentant d’accoler 40 pages en conclusion sans toucher ce qui précède) alors que de nombreux bouquins ont été écrits sur le sujet depuis. Sur un plan critique et scientifique, l’âge de The Japanese Film: Art and Industry se ressent : il n’y a aucune note bibliographique, aucune source précise, et on retrouve les problèmes inhérents aux textes de Donald Richie soit une focalisation excessive sur quelques personnalités et un certain orientalisme. Ces défauts sont surtout flagrants dans la deuxième partie, essentiellement composée par Richie, avec des avis à l’emporte-pièce et un dédain pour le cinéma populaire. L’intérêt de The Japanese Film: Art and Industry est en fait dans son volet historique, la spécialité de Joseph L. Anderson. En 1959, les figures clés du cinéma japonais des années 10 à 50 étaient encore vivantes et Joseph L. Anderson a pu recueillir quantité d’informations précieuses. Pour chaque lustre, il détaille le destin des studios et de l’industrie, les évolutions des genres et des sujets, et les films importants. Dans le style généraliste, je n’avais jamais rien lu d’aussi fouillé et ça demeure une référence incontournable rarement égalée de nos jours.


Le temple du dieu Mazon - Chroniques de la lune rouge 2 de Jean-Pierre Fontana & Alain Paris (Fleuve noir, collection « Anticipation », 1985), 183 p.
La frontière entre le Mercent et le pays Mazon franchie, Sarkô erre dans le désert et tombe, quasi mourant, sur un dirigeable écrasé. Il y trouve de l’eau, de la nourriture, et une étrange carte qu’il est incapable de déchiffrer et qu’il emmène avec lui. Il continue son chemin à la recherche de sa famille enlevée. Au cours de ses pérégrinations, il se lie avec une prostituée, un mercenaire et un savant, et se rapproche doucement du convoi qui conduit son clan au temple du dieu mazon, une terrible entité qui dévore les prisonniers qui lui sont offerts.

Le temple du dieu Mazon est le second volume des Chroniques de la lune rouge. C’est toujours agréable sans être révolutionnaire, on explore le vaste territoire mazon, l’action prend le pas sur la réflexion, les personnages sont clichés mais ça fonctionne, avec un dernier tiers dans la jungle très pulp horrifique. Vivement la suite.


Revues
L'oiseau Magazine n°154 – Printemps 2024
Si le gros dossier arbres et haies ne m’a pas appris grand-chose, il y avait plusieurs articles qui m’ont intéressé ce trimestre : comme d’habitude, le petit texte d’éthologie de Samara Danel était passionnant, il portait sur le meurtre entre congénères chez les araçaris (famille des toucans) ; le premier reportage sur la lente extinction du Grand Tétras dans les Vosges est déprimant ; le second sur la fauconnerie au Moyen-Orient est en revanche encourageant, avec un abandon progressif de certaines pratiques destructrices ; un bref résumé des atouts du lierre vient rappeler l’importance de cette plante malaimée ; après les jumelles, L'oiseau Magazine se penche sur les longues vues en comparant dix modèles dans quatre catégories de prix ; enfin, un descriptif d’un voyage en Asie centrale présente la faune de ces lieux sauvages où je n’irai pas car fort peu démocratiques.


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