samedi 9 mars 2024

Carnet de bord 02/03/2024-08/03/2024



Films vus en compagnie
Daaaaaalí ! de Quentin Dupieux (2023)
Judith est une journaliste de presse novice, ancienne pharmacienne reconvertie. Chargée par un magazine d’écrire une interview de Salvador Dalí, elle l’attend dans une chambre d’un grand hôtel. Quand celui-ci arrive enfin, il constate horrifié l’absence de caméra et refuse de poursuivre la discussion. Aidée par un producteur, Judith le recontacte par téléphone, promet une énorme caméra pour le filmer et persuade le peintre excentrique de lui donner une seconde chance.

Avec Réalité (2014), Quentin Dupieux avait atteint le summum de son style absurde, multipliant les mises en abyme et les mélanges entre rêve et réalité. En revenant en France, il avait changé son fusil d’épaule, se reposant davantage sur les dialogues, avec des récits moins complexes, jusqu’au récent Yannick (2023) où il abandonnait le fantastique. Daaaaaalí ! renoue avec sa veine barrée en calquant sa structure sur celle du Charme discret de la bourgeoisie (1972) de Luis Buñuel. Il y récupère l’idée du repas ajourné et des songes imbriqués. S’y ajoute le principe de pluralité d’interprétation, Salvador Dalí étant joué par intermittence par des acteurs différents, comme Conchita dans Cet obscur objet du désir (1977).
Certaines scènes sont réussies (la pluie de chiens morts par exemple), d’autres trainent en longueur, avec des procédés répétitifs qui s’épuisent. S’il pâtit de la comparaison avec Réalité, Daaaaaalí ! reste toutefois un des meilleurs Dupieux des dernières années, avec des images marquantes et une musique entêtante à la cithare de Thomas Bangalter (un des deux membres de Daft Punk). C’est également un des plus sombres, avec un Dalí obsédé par la mort et par sa réputation, et une Judith accumulant les déconvenues.


X de Ti West (2022)
En 1979, une équipe de tournage d’un film pornographique à petit budget débarque dans la dépendance d’une ferme détenue par un couple de personnes âgées. Le mari est méfiant et antipathique, sa femme est lunaire et s’intéresse à Maxine, la copine du réalisateur qui espère percer dans le milieu. Leur installation terminée, les jeunes gens se mettent à l’ouvrage et enchaînent les séquences, sans se douter que les vieillards cachent de terribles secrets.

X est le premier volet d’une trilogie. Il est suivi de sa préquelle Pearl (2022) et de MaXXXine, qui devrait sortir cet été. A l’instar de The House of the Devil (2009), X est d’une facture orthodoxe. Bien que rattaché au genre du slasher très ancré dans années 80, il s’inspire du cinéma d’exploitation des années 70, en particulier de Tobe Hooper avec une introduction qui évoque furieusement Massacre à la tronçonneuse (1974). A l’inverse de beaucoup de ses contemporains, Ti West prend le temps d’agencer son histoire et de développer ses protagonistes, dans un Texas transposé en Nouvelle-Zélande à cause du covid. Les effets spéciaux old school sont convaincants et X se place au-dessus de la moyenne. De là à parler de chef d’œuvre, il y a un pas que je ne franchirai pas, il n’y a rien de vraiment novateur et le vieux inquiétant est depuis des années un gros cliché de l’horreur. Je regarderai tout de même Pearl avec curiosité.


Le charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel (1972)
L’ambassadeur de la république de Miranda en Amérique latine se sert de sa valise diplomatique pour faire du trafic de drogues, aidé de deux riches amis français influents. A chaque fois qu’ils se réunissent avec leurs épouses pour profiter d’un succulent repas, un imprévu entrave le bon déroulement de l’évènement et le festin est constamment repoussé.

Je confonds complètement les Buñuel des années 60-70 et je ne me rappelais pas du Charme discret de la bourgeoisie, que je voulais revoir après Daaaaaalí ! (2023). Ce qui m’a frappé comparé au Dupieux, c’est sa retenue, qui contraste avec le souvenir flou que j’en gardais. Excepté quelques éléments réellement étranges, la bizarrerie repose sur peu de choses, des situations légèrement décalées, un montage qui saute du coq à l’âne, le jeu des acteur·ice·s hautain·e·s et stoïques quoi qu’il arrive… L’idée initiale d’un dîner contrarié vient d’une anecdote racontée à Buñuel par son producteur Serge Silberman. Buñuel et Jean-Claude Carrière extrapolèrent sur ce point de départ en ajoutant une série d’obstacles fortuits mais crédibles. Le titre ne fut trouvé qu’à la fin, selon l’habitude surréaliste qui consiste à attribuer un groupe de mots inattendu à une composition pour l’éclairer d’une signification nouvelle. C’est ainsi qu’émergea le concept de bourgeoisie, qui n’avait jamais été explicité pendant la rédaction.
Vendu à l’époque comme une farce, avec une affiche que Buñuel détestait, Le charme discret de la bourgeoisie tient de l’aimable rêverie, assemblage de scénettes reliées par une vague trame, un procédé récurrent durant le dernier pan de la carrière de Buñuel. Cela ne l’empêche pas de dresser un portrait noir de la société française des années 70, avec des bourgeois suffisants et sûrs de leur droit, au-dessus d’une justice qu’ils contournent par un simple coup de fil, ou des hommes d’église qui ne pardonnent pas. C’est une des différences majeures avec son successeur Dupieux, moins incisif. L’interprétation est excellente et, sans être mon Buñuel préféré, Le charme discret de la bourgeoisie possède d’indéniables qualités qui l’ont hissé au rang mérité de classique.


Rien à foutre d’Emmanuel Marre & Julie Lecoustre (2021)
Cassandre est hôtesse de l’air pour la compagnie low cost Wing. Elle habite à Lanzarote dans les Canaries, dans une colocation avec d’autres employées. Elle multiplie les vols dans des conditions de travail exécrables, jugée sans cesse par la direction et ses collègues, contrainte de se focaliser sur les ventes davantage que sur le bien-être des passagers. Elle s’accommode de la situation, vivant sans attache au jour le jour. En réalité, cette personnalité nonchalante et superficielle cache une blessure, que le boulot et la perte de repères permet d’oublier.

Rien à foutre est le premier long métrage d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre. Doté de faibles moyens, filmé en partie au smartphone avec des non professionnels, le tournage a été morcelé, perturbé par le covid. Alors que j’escomptais une œuvre sociale sur la dénonciation des entreprises à la Ryanair, Rien à foutre porte essentiellement sur une femme meurtrie qui se reconstruit. En dépit d’une critique glaçante des low cost, le récit traine en longueur, on s’attarde sur le quotidien de Cassandre centré sur Instagram, qui enchaîne soirées, aventures précaires et glandouille. Son retour en Belgique la ramène sur Terre et bascule dans un pathos un brin convenu. Sans être désagréable, j’ai eu du mal à m’intéresser à Cassandre et je m’attendais probablement trop à un ersatz de Ken Loach.


Films vus seuls
Александр Невский [Aleksandr Nevskiy] de Sergueï Eisenstein & Dmitri Vassiliev (1938, Alexandre Nevski)
Les chevaliers de l’ordre Teutonique conquièrent la cité de Pskov, massacrant la population sur son passage. Ils menacent Novgorod, bastion et joyau de la Russie. Tandis que les marchands de la ville souhaitent acheter leur liberté, les habitants décident de se défendre et font appel au prince Alexandre Nevski, qui avait repoussé l’envahisseur suédois deux ans auparavant.

Au moment où Sergueï Eisenstein commença le tournage d'Alexandre Nevski en 1937, il n’avait rien dirigé depuis huit ans et n’avait plus la confiance des autorités. Afin de limiter les risques, on lui assigna un coscénariste staliniste, un assistant qui se chargea de nombreuses scènes, et on lui imposa les comédiens, notamment Nikolaï Tcherkassov en Alexandre Nevski. Sous couvert de biopic, Alexandre Nevski brandit le danger de l’Allemagne nazie, avec qui les relations étaient extrêmement tendues. Quand le pacte germano-soviétique fut signé en août 1939, il fut furtivement retiré de la circulation, pour ressortir en 1942 après l’attaque nazie.
Je n’ai jamais été fan d’Eisenstein et ce Alexandre Nevski fort propagandiste ne m’a pas enthousiasmé. L'Histoire est réécrite pour coller aux problématiques de 1937, la trame est simpliste avec un style héroïque et romantique, peuplée de grands blonds qui n’auraient pas dépareillé dans le cinéma allemand de la même période. Il n’y a guère de sauvable que la musique de Prokofiev. Clairement dispensable.


黒の試走車 [Kuro no tesuto kâ] de Yasuzô Masumura (1962, La voiture d'essai noire)
L’entreprise automobile Tiger développe en secret une voiture de sport, espérant damner le pion à son concurrent Yamato. Celui-ci est pourtant au courant des détails de leur projet et le département d’espionnage industriel de Tiger estime qu’un traitre se dissimule dans le comité de direction. Pour le débusquer, ils ne vont pas hésiter à utiliser des techniques contestables.

J’avais beaucoup aimé Le train super-express noir (1964), dernier volet de la série noire de la Daiei centrée sur des intrigues politico-économiques. J’étais curieux de récupérer le premier épisode, La voiture d'essai noire, également de Yasuzô Masumura et tiré d’un roman sensiblement remanié de Toshiyuki Kajiyama. On pense encore une fois au film noir mâtiné d’espionnage, avec des protagonistes aux méthodes de gangsters qui exploitent des femmes fatales pour extirper des renseignements.
La photographie est superbe, un beau noir et blanc souvent plongé dans l’obscurité. L’interprétation est solide, sans vedette, menée par Hideo Takamatsu, chef prêt à tout pour dénicher la taupe, épaulé par un bras droit joué par Jirô Tamiya. Acteur prometteur devenu star de la Daiei au milieu des années 60, Jirô Tamiya fut viré du studio pour avoir protesté contre sa quatrième position au casting d’un titre où il occupait le rôle principal. Il se recycla à la télévision dans l’adaptation de Shiroi Kyotô, transposition du long métrage éponyme à succès de 1966 dans lequel il était déjà la tête d’affiche. Bourré de dettes et atteint de dépression, il se suicida en 1978 à 43 ans. Il est parfait dans La voiture d'essai noire en opportuniste doucement assailli par le doute. Je vais poursuivre avec entrain cette série noire qui recèle de jolies surprises.


Beyond Dream's Door de Jay Woelfel (1989)
Tandis qu’il n’avait jamais réussi à se souvenir de ses songes depuis la mort de ses parents durant son enfance, Benjamin est soudain hanté par des cauchemars qui se prolongent d’une nuit sur l’autre. Elève à l’université, il demande conseille à un de ses enseignants en psychologie, le professeur Noxx, un spécialiste des rêves. Il explique à Benjamin que son cas est étrangement similaire à celui d’un jeune homme brutalement décédé vingt ans auparavant.

Beyond Dream's Door est une version longue d’un court métrage de Jay Woelfel de 1983 vaguement inspiré de Dans l'abîme du temps de Lovecraft. Tourné à l’université de l’Ohio, l’équipe fut constituée majoritairement d’étudiants et de comédiens du théâtre municipal, avec du matériel emprunté à la faculté. Le budget est évidemment rachitique et la première moitié est confuse. La seconde tient mieux la route, le héros pas franchement charismatique étant relégué en arrière-plan au profit d’un assistant et d’une assistante un brin plus convaincant·e·s. S’il ne faut pas s’attendre à grand-chose, ce n’est pas désagréable dans le genre truc fauché sans prétention.


7 Faces of Dr. Lao de George Pal (1964, Le cirque du docteur Lao)
La petite ville d’Abalone en Arizona est dominée par le riche propriétaire Clinton Stark qui dicte sa loi. Il est contesté par le responsable du journal local, Edward Cunningham, arrivé l’année précédente, et par la jolie libraire et institutrice Angela Benedict. Un beau jour, le docteur Lao débarque avec son cirque. C’est un curieux chinois bienveillant qui possède de fabuleux pouvoirs.

George Pal est initialement un animateur d’origine hongroise célèbre pour sa série en stop motion Puppetoons. Il passa ensuite à la production et à la direction de films en prises de vue réelles bourrés d’effets spéciaux, et marqua les esprits avec Tom Thumb (1958) et The Time Machine (1960). 7 Faces of Dr. Lao est son ultime opus en tant que cinéaste. Bide à sa sortie, il devint culte aux Etats-Unis grâce à ses nombreuses diffusions à la télévision. Le comique Tony Randall y occupe officiellement sept rôles (en fait six en dépit de ce que disait la publicité, ce n’est pas lui dans le costume du yéti), dont celui du docteur Lao. On est dans du yellowface qui tâche, avec un blanc jouant un chinois de manière extrêmement cliché. C’est dommage car, à part ça, c’est globalement sympathique, avec des trucages kitschouilles, un gros méchant assez insolite qui espère que quelqu’un osera lui tenir tête, et un docteur Lao qui aurait pu être amusant sans ce racisme difficilement soutenable de nos jours.


Nightmare de Maxwell Shane (1956, Le cauchemar)
Le clarinettiste Stan Grayson se réveille d’un horrible cauchemar dans lequel il tuait un homme dans une pièce remplie de miroirs. En se levant, il se rend compte qu’il a du sang sur lui et une clé inconnue dans sa poche. Il court chez son beau-frère, un inspecteur de police, pour tout lui raconter. Celui-ci estime qu’il est surmené et lui conseille d’ignorer ce mauvais rêve. Stan ne l’entend pas de cette oreille, persuadé qu’il a commis un meurtre et qu’il sombre dans la folie.

Nightmare est le remake de l’indigent Fear in the Night (1947), déjà réalisé par l’obscur Maxwell Shane, également auteur du scénario. C’est tiré d’un bouquin de Cornell Woolrich, écrivain adapté sur grand écran à de multiples reprises par Robert Siodmak (Phantom Lady, 1944), Alfred Hitchcock (des épisodes de Alfred Hitchcock présente et Fenêtre sur cour en 1954) ou François Truffaut (La mariée était en noir en 1968 et La sirène du Mississipi en 1969).
Si Kevin McCarthy campe le rôle principal de Stan Grayson, les distributeurs ont mis en avant sur l’affiche Edward G. Robinson. Je comprends pourquoi, j’aime bien en général Kevin McCarthy mais il montre ici ses limites. Il n’est pas vraiment crédible et est complètement éclipsé par le charisme d’Edward G. Robinson. La chanteuse Connie Russell ne brille pas en copine de Stan, pas aidé par une mise en scène banale. Une série B vite oubliée.


Livres
Le grand jeu du temps de Fritz Leiber (Le masque, collection « Science fiction », 1978), 250 p.
Les Araignées sont opposées aux Serpents dans le cadre de la Guerre Modificatrice, où chaque faction envoie ses soldats dans le temps pour modifier des évènements clés et peser sur le futur afin de remporter la victoire. Les guerriers des deux camps peuvent se reposer dans des lieux situés en dehors du cosmos, où les attendent des amuseuses qui les réparent physiquement et mentalement. Greta est l’une d’entre elles, elle dévoile ses mésaventures.

Le grand jeu du temps contient deux histoires : le roman La guerre des modifications, publié en feuilleton dans le magazine Galaxy Science Fiction en 1958 et vainqueur du prix Hugo en 1961 ; et L’homme de guerre, paru dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction en 1960. Elles s’insèrent dans le cycle de la guerre modificatrice, qui englobe une dizaine de nouvelles rédigées entre 1958 et 1967.
La guerre des modifications comporte des idées originales et influença notamment Poul Anderson. Le sexisme habituel est partiellement compensé par une narration du point de vue de l’héroïne, épaulée par deux consœurs embarquées sur le même bateau. Elles sont plus sympathiques que les personnages masculins, violents et inconstants. On est clairement ancré dans un contexte de guerre froide, avec deux blocs qui s’affrontent sans se préoccuper de la piétaille et des dommages collatéraux. Malheureusement, le dernier tiers s’essouffle, avec une vague justification pseudo-darwiniste moisie. Cela reste néanmoins meilleur que les Leiber critiqués sur ce blog et ça mérite le coup d’œil.


Au revoir Mina de Tsuchika Nishimura (Le lézard noir, 2013), 208 p.
Mina est une lycéenne employée dans un supermarché durant son temps libre. Quand elle refuse d’accompagner son chef au cinéma, elle est virée sans ménagement. Elle retourne à l’école le lendemain, où elle semble attirer tous les garçons farfelus.

J’avais apprécié La concierge du grand magasin et j’étais curieux de lire d’autres mangas de Tsuchika Nishimura. Au revoir Mina est très différent du précédent, plus bizarre et onirique, avec des récits absurdes peuplés d’hommes envahissants et inquiétants. Cela m’a laissé perplexe et j’ai du mal à me forger un avis.


Revues
Mad Movies n°379 – Février 2024
Les previews sur les tournages en cours ne m’intéressent toujours pas et j’ai donc sauté l’article sur Sous la Seine de Xavier Gens, futur film français de requins. L’entretien avec Jean-Jacques Annaud pour la ressortie du Nom de la rose (1986) est en revanche passionnant. Je n’ai jamais été fan d’Annaud mais il développe une réflexion pertinente sur la musique de films et livre des anecdotes amusantes sur le Nom de la rose, qu’il faudrait que je revoie un jour. Le dossier sur le thriller domestique ne m’a rien appris de neuf, je connaissais déjà la plupart des titres cités et les autres ne me parlent guère.

Au niveau des nouveautés, le coréen Sleep (2023) m’intrigue et c’est bien le seul, le reste ne m’a pas fait envie.


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