Il y a une douzaine d’années, j’avais écrit des critiques sur le forum de DVDClassik. Etant récemment retombé sur l’une d’elle, j’ai décidé de les rapatrier sur ce blog car il y a quelques raretés. Je n’étais pas à l’époque aussi structuré qu’aujourd’hui et ces avis sont trop anciens pour que je puisse réellement les retoucher. Je les ai juste grandement réorganisés, en enlevant au passage quelques fautes, lourdeurs et répétitions.
Une bande de méchants sème la terreur dans un quartier pauvre. Ils cherchent à récupérer les droits des terrains du quartier afin d’y construire un complexe de jeu et de plaisir. Les actes de propriété sont détenus par un médecin, ancien officier pendant la seconde guerre mondiale. Il refuse de leur céder, sans toutefois se lancer dans une guerre ouverte. La situation va dégénérer avec l’arrivée de son petit frère, bien décidé à expulser la bande.
Délit de faciès se déroule dans le Japon d’après-guerre, peu après la défaite. Il commence dans les années 50 et est construit en flash-back : l’arrivée d’un blessé amène le médecin à se souvenir d’évènements survenus huit ans plus tôt. La réalisation est plutôt bonne, de même que les décors et éclairages. Le problème vient d’un « détail » non mentionné dans mon résumé : les méchants ne sont pas de vulgaires yakuzas mais des Coréens (tous joués par des acteurs japonais). Le scénario prend dès lors des accents nationalistes et xénophobes, malgré un carton au début nous expliquant qu’il faut s’aimer les uns les autres et un rappel de cette morale à deux euros à la fin du métrage.
A l’exception de deux personnages (un homme et une femme), qui apparaissent comme des exceptions, les Coréens ne sont constitués que d’affreux bonshommes, des types sans foi ni loi, cruels et grotesques. Ils aiment tabasser du Japonais, violer des femmes en buvant et en riant. Si les Japonais osent protester, ils invoquent la maltraitance subie durant la guerre. Ils n’en apparaissent que plus perfides, justifiant leur infamie par les erreurs du passé. Délit de faciès date de 1968, époque à laquelle la situation des Coréens au Japon n’était pas franchement folichonne (encore aujourd’hui, les Japonais d’origine coréenne sont discriminés) et où le Japon reprenait confiance en soi après le succès des jeux olympiques de Tokyo en 1964.
On pourrait me rétorquer que l’image des Japonais dans le film n’est pas reluisante, avec des personnages assez mesquins et individualistes. Certes, sauf qu’en sortant, on retient surtout l’ignominie des Coréens et la réaction du personnage principal : après de nombreuses hésitations, afin de sauver la communauté, pour venger son frère et pour « arrêter le cycle de la violence », il décide de tuer tous les Coréens, quitte à mourir ou à aller en prison. Tuer tout le monde pour arrêter le cycle de la violence, une démarche originale…
Résumé par un forumiste de DVDClassik :
Takako Yasuda, femme riche et oisive, est assassinée chez elle par un inconnu. Avant de la tuer, celui-ci l’a forcée à noter le nom de quatre femmes sur une feuille de papier…
Minagoroshi no reika fut réalisé pour le compte de la Shôchiku. Mélangeant film de serial killer à la Peeping Tom de Michael Powell (1960) et film de vengeance noirisant, il est susceptible de plaire aux amateurs de thriller voyeuriste. N’étant pas fan de ce genre, je n’ai pas été complètement convaincu.
Sur le plan stylistique, Minagoroshi no reika est original et m’a rappelé certaines œuvres de Seijun Suzuki par son côté quasi expérimental. Il y a quelques scènes superbes, surtout dans la deuxième moitié, plus rythmée et intéressante que la première. J’avoue cependant avoir trouvé le temps long, ne me sentant pas franchement concerné par les péripéties du tueur et de ses victimes. Je ne suis pas fan de l’acteur principal, Makoto Satô, ce qui n’a pas aidé. Je le conseillerai tout de même pour se faire sa propre opinion.
Résumé par un forumiste de DVDClassik :
Après la bataille de Sekigahara, un groupe d’enfants intrépides se lie à un samouraï, Sanada, qui part à l’assaut du château d’Ôsaka.
Une comédie musicale à costumes atypique mêlant combats de ninjas, anachronismes loufoques et science-fiction. À travers l’histoire du clan Sanada qui, par opportunisme, ne choisit jamais son camp au cours de la décisive bataille de Sekigahara, Tai Katô transpose dans le Japon guerrier du XVIe siècle les troubles politiques de 1960, quand la jeune génération s’opposa violemment à la reconduction du traité de paix nippo-américain par le gouvernement. Sur le papier, ça pouvait être sympa.
Les deux premiers tiers sont assez pathétiques : humour lourd, acteurs sans charisme et en roue libre, personnages principaux agaçants, effets spéciaux lamentables. Avec un doublage français ridicule, ça aurait pu faire un bon nanar. Le dernier tiers sauve un peu les meubles. Le récit devient plus sombre, l’humour disparaît, et le film se concentre sur d’autres personnages et acteurs plus intéressants. Le sous-texte politique est bien présent et contribue à assombrir l’atmosphère. Si ça ne devient pas exceptionnel, c’est regardable sans souffrance. Ne pouvant pas sauter le gros morceau relou sans préjudice pour la compréhension globale, je déconseille donc fortement Sanada fûunroku, qui ne ravira que les fans hardcore du cinéma populaire japonais des années 60.
Ce coffret consacré à Yoo Hyeon-Mok (généralement écrit Yu Hyun-mok, orthographe que j’emploierai par la suite) comprend quatre films, un documentaire de 50 minutes consacré au réalisateur et un livret de 66 pages, moitié en coréen moitié en anglais. Les films et le documentaire possèdent des sous-titres coréens, anglais et japonais.
Forever With You suit les périples de trois jeunes délinquants qui gagnent leur vie de petits méfaits. Un jour, un cambriolage tourne mal et l’un d’entre eux se fait attraper. En sortant de prison dix ans plus tard (aux trois années initiales s'en sont ajoutées sept autres à cause d’une évasion et du meurtre involontaire d’un détective qui le poursuivait), il se rend compte que son monde a changé : la fille qu’il aimait s’est mise avec un de ses anciens partenaires tandis que le troisième gars de la bande est devenu prêtre.
Monsieur Kim, ancien pharmacien et notable du village, a quatre filles. À la suite du suicide de sa mère des décennies auparavant, sa famille est considérée maudite. En proie à des difficultés financières, il espère marier sa troisième fille au gérant de sa petite flotte de pêcheurs, un homme sérieux et compétent. Mais celle-ci est amoureuse du serviteur de la maison. La situation s’envenime rapidement avec le retour de la deuxième fille, une intellectuelle faisant ses études à la capitale.
Encore un film sur la vie de trois hommes, cette fois dans le Séoul de la deuxième moitié des années 60. Le personnage principal est un traducteur, ancien caissier de banque atteint d’un cancer de la langue en phase terminale. Il n’a plus que quelques mois à vivre et ère sans but jusqu’à ce qu’il tombe sur une fille tout aussi perdue que lui. Il est soutenu malgré lui par son ami médecin, amoureux d’une de ses patientes, une riche veuve. Le troisième larron est un artiste, revenu récemment en Corée après avoir fait fortune au Japon, qui déprime en raison du départ de sa femme. Les trois amis ne réussissent pas à s’intégrer à une société coréenne en phase de modernisation accéléré. Cyniques et désabusés, ils regardent défiler leur vie.
L’histoire se déroule dans la campagne coréenne pendant la guerre de Corée. Afin de fuir les problèmes de la capitale, une vieille femme s’installe dans la famille de son beau-fils avec sa deuxième fille et son fils. Ce dernier, un intellectuel, est pro-Sud, tandis que le frère du beau-fils est pro-Nord. Le récit va se concentrer sur les dissensions entre les deux familles, sous le regard innocent du petit-fils pris entre deux feux.
Ces quatre longs métrages fort intéressants ne sont apparemment pas les plus marquants et représentatifs de Yu Hyun-mok (je tire ces informations du livret explicatif et du documentaire présents dans le coffret). Réalisateur de 45 films entre 1956 et 1996, il s’est fait connaître en 1961 avec Aimless Bullet. Considéré comme un intellectuel, un auteur à part entière, il a beaucoup travaillé dans le domaine du cinéma expérimental, a produit de nombreux courts métrages et films culturels, et a enseigné le cinéma à l’université à partir de 1976.
Deux grandes thématiques se dégagent de son œuvre : dans le premier pan de sa carrière, il s’est focalisé sur les conflits externes propres à la société coréenne ; dans le second, il s’est recentré sur les conflits internes, notamment entre l’homme et Dieu (il vient d’une famille religieuse). Forever With You et The Daughters of Kim’s Pharmacy se situent dans la première veine, The Guests of the Last Train et Rainy Days plutôt dans la seconde bien qu’il manque un opus sur la question religieuse.
J’ai particulièrement aimé The Guests of the Last Train et Rainy Days. The Guests of the Last Train illustre la désorientation engendrée par la modernisation et la perte de repères de la société coréenne de la fin des années 60. Rainy Days montre quant à lui le conflit coréen sous un angle original, à une petite échelle et sans grandiloquence. Leurs narrations sont en outre plus posées, évitant certaines facilités mélodramatiques présentes dans Forever With You et The Daughters of Kim’s Pharmacy.
Forever with You pourra cependant avoir ses fans. C’est un pur mélodrame policier lorgnant sur le film noir américain, avec femme fatale, héros déchu et sans avenir, gangsters en costards et flash-back. Le tout est filmé de façon efficace, rappelant ce qui se faisait à la Nikkatsu à la même époque.
Les quatre films sont proposés dans des restaurations impeccables, à la fois pour l’image et pour le son. Les sous-titres anglais sont bons, du moins autant que je puisse en juger vu que je ne parle pas un mot de coréen. Le documentaire sur Yu Hyun-mok n’est pas exceptionnel (celui sur Kim Soo-Yong est largement meilleur) mais, vu le peu d’informations disponibles sur ce réalisateur, il reste appréciable.
Ce coffret consacré à Kim Soo-Yong comprend quatre films, un documentaire de 50 minutes consacré au réalisateur et un livret de 52 pages, moitié en coréen moitié en anglais. Les films et le documentaire possèdent des sous-titres coréens, anglais et japonais.
Une jeune femme récemment mariée à un pêcheur se retrouve veuve à la suite du décès de son mari dans une tempête en mer. La période de veuvage coutumière d’un an va s’avérer bien longue pour la jeune femme, courtisée par la grande gueule du coin.
Un ancien acteur tombé dans l’oubli apprend par hasard l’existence de sa fille. Il pensait qu’elle était morte durant l’accouchement, à l’instar de la mère de l’enfant, son ancienne amante.
Tout en lui cachant leur lien de parenté et en restant dans l’ombre, il va s’arranger pour faire de sa fille une star de cinéma.
Un homme est envoyé en vacances dans son village natal par sa femme, fille d’un riche industriel, le temps de lui arranger une promotion. En revenant dans sa contrée d’origine, il va être submergé par les souvenirs et par l’ennui, sensation éprouvée par tous les habitants de ce lieu brumeux et déprimant.
Une employée de banque mène une vie monotone et répétitive. Seule femme non mariée de son service, elle entretient une liaison secrète depuis plusieurs années avec un collaborateur et attend désespérément qu’il la demande en mariage. Elle va profiter de quelques jours de congés pour retourner dans son village natal, voyage qui la poussera à remettre en cause son train-train quotidien.
Réalisateur de 109 films entre 1958 et 1999, Kim Soo-Yong a œuvré à la fois dans le pur cinéma commercial, dans le cinéma de propagande, et a également tourné des métrages plus auteuristes. Il s’est notamment spécialisé dans l’adaptation de romans, dont quatre exemples sont proposés ici. Très populaire dans les années 60, il a pu se permettre pas mal d’expérimentations formelles. Ses films apparaissent plus originaux dans leur montage et dans leur déroulement narratif que ceux de Yu Hyun-mok, qui a pourtant travaillé dans l’expérimental.
Techniquement, rien à redire : images et son restaurés de façon impeccable, livret instructif et documentaire passionnant, qui retrace la carrière de Kim Soo-Yong avec de nombreuses interventions du metteur en scène, réaliste et franc sur sa carrière.
Un riche pianiste tombe amoureux d’une pauvre chanteuse contre l’avis de leur famille respective. Prêts à tout pour se marier, l’homme, renié par son père, abandonne sa situation ; la femme quitte son travail pour ne pas faire honte à la réputation de ses beaux-parents. Une fois mariés, pour subvenir aux besoins du couple et de leur enfant nouveau-né, l’ancien pianiste accepte un poste de professeur et travaille d’arrache-pied, ne lésinant pas sur les heures supplémentaires. Harassé par le travail, il devient aveugle.
Ho, le beau mélo que voilà. Ca pleure, ça meurt, et le sort s’acharne sur le malheureux couple. C’est ponctué de chansons car nous sommes dans un musical hongkongais des années 60. C’est franchement invraisemblable, pas original pour deux sous, la réalisation appuie lourdement les effets, le choix de l’acteur masculin est franchement discutable (Peter Chen Ho, pas mauvais mais peu crédible du haut de ses 35 ans pour jouer un jeune diplômé aux côtés d'une Jenny Hu de moins de 20 ans). Et pourtant, il faut avouer que c’est assez distrayant. L’actrice principale, Jenny Hu dont c’est le premier film, a un jeu rafraîchissant, à l’inverse des parents du pianiste et de la grand-mère de la chanteuse qui en rajoutent. A noter également l’apparition d'une Lily Ho Li-Li encore débutante, que je connaissais surtout dans des wu xia pian comme La légende du lac (1972) ou Les 14 amazones (1972). Seul bémol, les chansons, pourtant composées par un habitué du genre, Joseph Koo Ka-Fai, ne sont pas terribles à l’exception de la dernière.
Résumé par un forumiste de DVDClassik :
Un jeune pianiste sérieux et honnête tombe dans les griffes d’une chanteuse frivole et infidèle, au grand désespoir de sa fiancée. Sa passion destructrice le mènera à commettre l’irréparable.
J'attendais beaucoup de The Wild, Wild Rose, j'en avais lu des louanges dans plusieurs ouvrages et articles sur le cinéma hongkongais. Outre le fameux opéra de Bizet, le scénario rappelle fortement L'ange bleu de Josef von Sternberg (1930), soit la déchéance d'un ancien professeur amoureux d'une chanteuse de cabaret. Musicalement, c’est très intéressant, avec des reprises réussies d'airs connus tirés de Carmen évidemment, mais aussi de l’opérette La veuve joyeuse ou de Madame Butterfly de Puccini dans des variantes rumba, mambo ou jazzy. Les acteurs sont plutôt convaincants bien qu'il m'ait fallu quelques minutes pour m'habituer au jeu outrancier de Grace Chang.
Tout en ayant apprécié The Wild, Wild Rose, j'avoue une légère déception. Je m'attendais à un scénario plus policier ou film noir, pas à un remake de L'ange bleu dont je ne suis pas fan. Certains aspects mélo sont par ailleurs lourdingues, comme cette scène dans laquelle le vieux musicien se dispute avec sa femme alitée et les 20 dernières minutes où ça crie et ça pleure à longueur de temps. Un film un peu surestimé d'après moi.
Trois chanteuses de music-hall hongkongaises acceptent une tournée en Asie dans l'espoir de rencontrer des millionnaires à marier. S'ensuivent deux tonnes d'aventures et de quiproquos, impliquant notamment des trafiquants de bijoux.
Le cinéaste japonais Umetsugu Inoue s'est fait connaître dans son pays grâce à plusieurs comédies musicales avec des stars de l'époque, en particulier Hibari Misora. Pendant six ans durant la deuxième moitié des années 60, il réalisa dix-sept films pour la Shaw Brothers, principalement des comédies musicales (dont des remakes de ses propres opus japonais).
J'ai trouvé The Millionaire Chase fort sympathique. Malgré des numéros musicaux très classiques et des chansons pas exceptionnelles, c’est bien rythmé, une sorte de mélange entre les Gold Diggers des années 30 et Comment épouser un millionnaire (1953). Le scénario est franchement prévisible, les gags déjà vus 10 000 fois ailleurs, ce qui n'empêche pas ce divertissement enjoué de fonctionner efficacement.
Un groupe de pop hongkongaise part se reposer/jouer de la musique/draguer des Japonaises dans une station touristique japonaise. Leur impresario accepte de les laisser y aller s'ils lui ramènent sa fille qui a fugué dans la dite station. Les pauvres musiciens ont pour seul indice une photo de la jeune femme lorsqu'elle était bébé, qui laisse apparaître un grain de beauté remarquable sur sa poitrine. Poursuivie par une horde de donzelles, le leader du groupe va tenter de mettre la main sur la fugueuse, tout en fricotant avec la chanteuse engagée par leur hôtel.
L’histoire se déroule dans une université provinciale pendant la Révolution culturelle. Afin de soutenir la révolution en s’éduquant, un « Groupe de propagande des travailleurs » de province est envoyé dans l’université locale. Celui-ci est en proie à de fortes tensions entre plusieurs organisations étudiantes, qui s’affrontent pour le contrôle de l’université. Les deux groupes principaux, le « Corps de la révolution et de la rébellion orageuse » et le « Quartier général de la révolution et de la rébellion des Gardes Rouges », sont représentés par deux sœurs ennemies (je ne sais pas combien il y a d’organisations au total, j’ai noté « l’Armée en marche », le « Corps des combattants intrépides » et le « Corps de la révolution et de la rébellion des travailleurs, étudiants et paysans ». J’en ai peut-être loupé...).
Le « Groupe de propagande des travailleurs », dont le commissaire est la mère des deux sœurs, décide de prendre les choses en main pour faire signer une trêve et calmer la situation. La commissaire se rend compte que le « Quartier général de la révolution et de la rébellion des Gardes Rouges » est manipulé par un vil capitaliste enseignant à l’université (qui a évidemment une tête de fourbe). Après moult rebondissements, comme le non-respect de la trêve par le « Quartier général de la révolution et de la rébellion des Gardes Rouges » ou la repentance d’un membre du « Quartier général de la révolution et de la rébellion des Gardes Rouges » devant un drapeau touché par le Grand Mao, tout se résout finalement dans un grand meeting en plein air, où un professeur allié du méchant capitaliste se repend en entendant un récit sur sa pauvre mère campagnarde.
Je m’intéresse beaucoup aux films de propagande et je commence à en avoir vu pas mal, de différentes époques et de différents pays. J’avoue pourtant que celui-ci est un des plus gratinés que j’ai pu visionner jusqu’à présent. C’est une ode à la gloire du Grand Timonier et de la Révolution culturelle, qui permet aux paysans de vivre, aux travailleurs de s’éduquer et à la société d’atteindre l’harmonie, seulement perturbée par la bassesse des capitalistes saboteurs.
Song of Mango est un document historique passionnant car il illustre les tensions au sein des révolutionnaires. L’université est divisée en de nombreux groupuscules ennemis qui veulent le pouvoir et se prétendent tous détenteurs de la légitimité et de l’autorité. Chaque groupuscule capture des prisonniers politiques, et même le « Groupe de propagande des travailleurs », envoyé officiel du pouvoir étatique au sein de l’université, a du mal à asseoir son autorité. Les jeunes ne respectent pas les vieux, les enfants ne respectent pas leurs parents, on a l'impression d'un sacré bazar plutôt que d’une formidable société harmonieuse.
Passé ces considérations historiques, Song of Mango est malheureusement assez mauvais, filmé sans imagination et avec une actrice principale franchement catastrophique. Ce n’est pas étonnant qu’il soit totalement méconnu en Occident, j'ai d'ailleurs dû créer la fiche imdb. La qualité du DVD que j’ai récupéré n’aide pas, l’image et le son sont corrects mais les sous-titres anglais sont abominables, ça sent le mauvais traducteur automatique. Si l’intrigue reste compréhensible, j’ai dû louper des subtilités. A éviter, sauf intérêt pour les films de propagande ou pour la période de la Révolution culturelle.
Dans un petit village au nord de Lisbonne, deux familles de charretiers s’affrontent. D’un côté, un jeune homme vantard et sa mère acariâtre. De l’autre, une jeune femme, Gracinda (Beatriz Costa), et son parrain Jacinto. Le fils de Jacinto étant parti à Lisbonne, il ne dispose plus que de conducteurs incapables et perd doucement ses passagers. Afin de reconquérir le marché de la conduite en charrette et damer le pion à l’autre famille, Gracinda décide d’aller chercher à la capitale le fils de Jacinto dont elle est amoureuse.
Aldeia da Roupa Branca est une des rares comédies à la portugaise se déroulant essentiellement à la campagne. Comme souvent dans le genre, les musiques allient chansons populaires (la chanson titre Aldeia da Roupa Branca connut un certain succès à l’époque) et fados. L’histoire est assez simple, une bonne vieille rivalité entre deux familles, avec un comique de situation agrémenté de bons mots. Le film est joyeux, sans mauvais esprit, et les situations s’enchaînent à bon rythme. La censure coupa apparemment quelques courtes séquences jugées immorales. Excepté Beatriz Costa, les acteurs en font des caisses mais ça ne gêne pas outre mesure.
La réalisation de Chianca de Garcia (figure méconnue dont c’est l’ultime long métrage avant son départ pour le Brésil) est intéressante, avec des scènes d’action bien menées, en particulier une course de charrettes et une bataille de village. Plusieurs critiques portugais firent une comparaison que je trouve exagérée avec Eisenstein (notamment La ligne générale (1929)). Les décors, la plupart du temps naturels, permettent d’avoir une petite idée de la vie dans un village du Portugal à la fin des années 30 (même si on est sous Salazar hein, ça reste clairement idéalisé). C’est donc une petite comédie sans prétention agréable à regarder. C’est la dernière apparition sur grand écran de Beatriz Costa, grande vedette de théâtre, actrice occasionnelle (dans La chanson de Lisbonne (1933) par exemple) et icône populaire.
Aldeia da Roupa Branca existe en DVD avec sous-titres français, anglais, espagnol et portugais édité par Lusomundo. L’image est de qualité correcte dans l’ensemble, le son est potable. Un problème gênant toutefois : plutôt que d’avoir de brefs plans dans une qualité d’image inférieure, quelqu’un a eu la bonne idée de couper les passages les plus endommagés... Du coup, plusieurs fois dans le film, des coupes allant de quelques millisecondes à plusieurs secondes ont été effectuées. Ce n’est généralement pas trop handicapant, excepté pour une chanson sur laquelle il manque probablement plus d’une dizaine de secondes. En bonus, un documentaire de 55 minutes sur Beatriz Costa est proposé, avec sous-titres anglais uniquement. Le documentaire se concentre surtout sur sa carrière théâtrale et sur la fin de sa vie. Pas franchement palpitant, ça permet néanmoins d’en savoir un peu plus sur cette vedette portugaise complètement inconnue en France.
O Pátio das Cantigas décrit la vie des habitants d’un quartier populaire de Lisbonne, dont les interactions s’articulent autour d’une cour intérieure bordée d’immeubles. Une veuve abandonnée par sa fille partie faire carrière au Brésil est courtisée par un brave alcoolique (Vasco Santana) et un commerçant hautain (António Silva) ; deux frères se disputent le cœur de deux sœurs ; un vieil excentrique un peu savant fou invente des machines plus ou moins utiles… Tout ça sur fond de chansons, de beuveries et de fêtes traditionnelles.
Unique film réalisé par l’acteur comique Ribeirinho (Francisco Ribeiro), qui joue ici le rôle du fils de l’alcoolique, O Pátio das Cantigas fut produit pour le compte des Produções Lopes Ribeiro. Cette société fut fondée en 1941 par l’ancien critique influent puis réalisateur António Lopes Ribeiro (le frère de Ribeirinho), parfois appelé le cinéaste du régime pour le zèle qu’il manifestait à promouvoir l’Estado Novo. On remarque d’ailleurs dans O Pátio das Cantigas une formidable scène de propagande : à un moment, une fête tourne en bataille générale et l’alcoolique décide d’aller abriter les enfants. Il les descend au sous-sol et les met dans une roulotte en disant qu’ici ils peuvent être tranquilles, il ne leur arrivera rien. La caméra remonte et on voit le nom de la roulotte : Salazar.
O Pátio das Cantigas comporte une brochette d’acteurs connus, parmi lesquels Vasco Santana (également scénariste du film en compagnie des frères Ribeiro) et António Silva, tous les deux déjà présents dans La chanson de Lisbonne (1933). Le casting est assez réussi dans l’ensemble, un peu surjoué comme souvent sans que cela soit dramatique. Quelques chansons parsèment le métrage : un ou deux fados et plusieurs chansons populaires. Au final, je n'ai pas été totalement convaincu. Du haut de ses 2h02, O Pátio das Cantigas aurait gagné à être condensé. Par ailleurs, l’humour jamais franchement subtil de ce genre de comédie est encore plus lourdingue que d’habitude.
L’édition DVD de Lusomundo comporte des sous-titres français et anglais. L’image et le son sont acceptables, O Pátio das Cantigas ayant été restauré en 2K. Contrairement à Aldeia da Roupa Branca, pas de coupures d’images. En bonus se trouvent six court-métrages de la série Zé Analfabeto dirigés par Carlos Marques en 1952 dans le cadre d’une campagne nationale pour l’éducation des adultes, avec Vasco Santana dans le rôle principal. Ce sont des comédies à vocation éducative montrant les désavantages de l’analphabétisme dans la vie de tous les jours. Il n’y a aucun sous-titre disponible et le son est assez mauvais. J’ai regardé le premier, j’ai compris dans les grandes lignes mais des subtilités m’ont échappées. Pas franchement passionnant, c’est très surjoué et le message est bien appuyé.
男の顔は履歴書 [Otoko no kao wa rirekisho] de Tai Katô (1966, Délit de faciès)

Délit de faciès se déroule dans le Japon d’après-guerre, peu après la défaite. Il commence dans les années 50 et est construit en flash-back : l’arrivée d’un blessé amène le médecin à se souvenir d’évènements survenus huit ans plus tôt. La réalisation est plutôt bonne, de même que les décors et éclairages. Le problème vient d’un « détail » non mentionné dans mon résumé : les méchants ne sont pas de vulgaires yakuzas mais des Coréens (tous joués par des acteurs japonais). Le scénario prend dès lors des accents nationalistes et xénophobes, malgré un carton au début nous expliquant qu’il faut s’aimer les uns les autres et un rappel de cette morale à deux euros à la fin du métrage.
A l’exception de deux personnages (un homme et une femme), qui apparaissent comme des exceptions, les Coréens ne sont constitués que d’affreux bonshommes, des types sans foi ni loi, cruels et grotesques. Ils aiment tabasser du Japonais, violer des femmes en buvant et en riant. Si les Japonais osent protester, ils invoquent la maltraitance subie durant la guerre. Ils n’en apparaissent que plus perfides, justifiant leur infamie par les erreurs du passé. Délit de faciès date de 1968, époque à laquelle la situation des Coréens au Japon n’était pas franchement folichonne (encore aujourd’hui, les Japonais d’origine coréenne sont discriminés) et où le Japon reprenait confiance en soi après le succès des jeux olympiques de Tokyo en 1964.
On pourrait me rétorquer que l’image des Japonais dans le film n’est pas reluisante, avec des personnages assez mesquins et individualistes. Certes, sauf qu’en sortant, on retient surtout l’ignominie des Coréens et la réaction du personnage principal : après de nombreuses hésitations, afin de sauver la communauté, pour venger son frère et pour « arrêter le cycle de la violence », il décide de tuer tous les Coréens, quitte à mourir ou à aller en prison. Tuer tout le monde pour arrêter le cycle de la violence, une démarche originale…
- Quelques détails supplémentaires disséminés de-ci de-là renforcent cette vision douteuse des Coréens :
- • Dans une scène de guerre en flash-back, on découvre que le gentil Coréen était un soldat de l’Empire. Le médecin était son supérieur, un chef juste et pas raciste à l’inverse des autres soldats. Le seul Coréen masculin sympa est donc celui qui a été embrigadé et a fait la guerre dans une unité japonaise (alors que la plupart des Coréens engagés dans l’armée japonaise ont servi dans des travaux de construction ou dans des unités entièrement coréennes). Il a d’ailleurs gardé respect et admiration pour son supérieur japonais.
- • Les deux gentils Coréens sont nés au Japon de parents coréens et sont orphelins. Ce sont les seuls Coréens dont on mentionne les origines.
- • Malgré le discours du personnage principal sur la nocivité de la violence, la situation se règle lorsqu’il se révolte. Il ose tuer tous ces Coréens qui se retranchaient derrière l’excuse du « on est méchant parce que les Japonais n’ont pas été gentils durant la guerre ».
みな殺しの霊歌 [Minagoroshi no reika] de Tai Katô (1968, Requiem pour un massacre)

Takako Yasuda, femme riche et oisive, est assassinée chez elle par un inconnu. Avant de la tuer, celui-ci l’a forcée à noter le nom de quatre femmes sur une feuille de papier…
Minagoroshi no reika fut réalisé pour le compte de la Shôchiku. Mélangeant film de serial killer à la Peeping Tom de Michael Powell (1960) et film de vengeance noirisant, il est susceptible de plaire aux amateurs de thriller voyeuriste. N’étant pas fan de ce genre, je n’ai pas été complètement convaincu.
Sur le plan stylistique, Minagoroshi no reika est original et m’a rappelé certaines œuvres de Seijun Suzuki par son côté quasi expérimental. Il y a quelques scènes superbes, surtout dans la deuxième moitié, plus rythmée et intéressante que la première. J’avoue cependant avoir trouvé le temps long, ne me sentant pas franchement concerné par les péripéties du tueur et de ses victimes. Je ne suis pas fan de l’acteur principal, Makoto Satô, ce qui n’a pas aidé. Je le conseillerai tout de même pour se faire sa propre opinion.
真田風雲録 [Sanada fûunroku] de Tai Katô (1963, Chroniques guerrières du clan Sanada)

Après la bataille de Sekigahara, un groupe d’enfants intrépides se lie à un samouraï, Sanada, qui part à l’assaut du château d’Ôsaka.
Une comédie musicale à costumes atypique mêlant combats de ninjas, anachronismes loufoques et science-fiction. À travers l’histoire du clan Sanada qui, par opportunisme, ne choisit jamais son camp au cours de la décisive bataille de Sekigahara, Tai Katô transpose dans le Japon guerrier du XVIe siècle les troubles politiques de 1960, quand la jeune génération s’opposa violemment à la reconduction du traité de paix nippo-américain par le gouvernement. Sur le papier, ça pouvait être sympa.
Les deux premiers tiers sont assez pathétiques : humour lourd, acteurs sans charisme et en roue libre, personnages principaux agaçants, effets spéciaux lamentables. Avec un doublage français ridicule, ça aurait pu faire un bon nanar. Le dernier tiers sauve un peu les meubles. Le récit devient plus sombre, l’humour disparaît, et le film se concentre sur d’autres personnages et acteurs plus intéressants. Le sous-texte politique est bien présent et contribue à assombrir l’atmosphère. Si ça ne devient pas exceptionnel, c’est regardable sans souffrance. Ne pouvant pas sauter le gros morceau relou sans préjudice pour la compréhension globale, je déconseille donc fortement Sanada fûunroku, qui ne ravira que les fans hardcore du cinéma populaire japonais des années 60.
Coffret Yoo Hyeon-Mok du Korean Film Archive

그대와 영원히 [Geudae-wa Yeongwon-hi] de Yu Hyun-mok (1958, Forever With You)

깅약국의 딸들 [Kim yakgukjib daldeul] de Yu Hyun-mok (1963, The Daughters of Kim’s Pharmacy)

막차로 온 손님들 [Makcharo On Son-nim-deul] de Yu Hyun-mok (1967, The Guests of the Last Train)

장마 [Jangma] de Yu Hyun-mok (1979, Rainy Days)

Ces quatre longs métrages fort intéressants ne sont apparemment pas les plus marquants et représentatifs de Yu Hyun-mok (je tire ces informations du livret explicatif et du documentaire présents dans le coffret). Réalisateur de 45 films entre 1956 et 1996, il s’est fait connaître en 1961 avec Aimless Bullet. Considéré comme un intellectuel, un auteur à part entière, il a beaucoup travaillé dans le domaine du cinéma expérimental, a produit de nombreux courts métrages et films culturels, et a enseigné le cinéma à l’université à partir de 1976.
Deux grandes thématiques se dégagent de son œuvre : dans le premier pan de sa carrière, il s’est focalisé sur les conflits externes propres à la société coréenne ; dans le second, il s’est recentré sur les conflits internes, notamment entre l’homme et Dieu (il vient d’une famille religieuse). Forever With You et The Daughters of Kim’s Pharmacy se situent dans la première veine, The Guests of the Last Train et Rainy Days plutôt dans la seconde bien qu’il manque un opus sur la question religieuse.
J’ai particulièrement aimé The Guests of the Last Train et Rainy Days. The Guests of the Last Train illustre la désorientation engendrée par la modernisation et la perte de repères de la société coréenne de la fin des années 60. Rainy Days montre quant à lui le conflit coréen sous un angle original, à une petite échelle et sans grandiloquence. Leurs narrations sont en outre plus posées, évitant certaines facilités mélodramatiques présentes dans Forever With You et The Daughters of Kim’s Pharmacy.
Forever with You pourra cependant avoir ses fans. C’est un pur mélodrame policier lorgnant sur le film noir américain, avec femme fatale, héros déchu et sans avenir, gangsters en costards et flash-back. Le tout est filmé de façon efficace, rappelant ce qui se faisait à la Nikkatsu à la même époque.
Les quatre films sont proposés dans des restaurations impeccables, à la fois pour l’image et pour le son. Les sous-titres anglais sont bons, du moins autant que je puisse en juger vu que je ne parle pas un mot de coréen. Le documentaire sur Yu Hyun-mok n’est pas exceptionnel (celui sur Kim Soo-Yong est largement meilleur) mais, vu le peu d’informations disponibles sur ce réalisateur, il reste appréciable.
Coffret Kim Soo-Yong du Korean Film Archive

갯마을 [Gaetmaeul] de Kim Soo-yong (1965, The Seashore Village)

어느 여배우의 고백 [Eonu yeobaweooui gobaek] de Kim Soo-yong (1967, Confession of an Actress)

안개 [Angae] de Kim Soo-yong (1967, Mist)

야행 [Yahaeng] de Kim Soo-yong (1977, Night Journey)

Réalisateur de 109 films entre 1958 et 1999, Kim Soo-Yong a œuvré à la fois dans le pur cinéma commercial, dans le cinéma de propagande, et a également tourné des métrages plus auteuristes. Il s’est notamment spécialisé dans l’adaptation de romans, dont quatre exemples sont proposés ici. Très populaire dans les années 60, il a pu se permettre pas mal d’expérimentations formelles. Ses films apparaissent plus originaux dans leur montage et dans leur déroulement narratif que ceux de Yu Hyun-mok, qui a pourtant travaillé dans l’expérimental.
- Le coffret propose trois types d'intrigues assez différentes :
- • The Seashore Village est un mélodrame à tendance naturaliste. Kim Soo-Yong s’attarde longuement sur la vie quotidienne des pêcheurs, sur leurs traditions, leurs fêtes et coutumes. Ce cadre importe plus que le scénario, et j'ai un peu décroché dans le dernier quart quand l’héroïne quitte le village.
- • Confession of an Actress est un pur mélodrame larmoyant, avec gens qui pleurent tout le temps, révélations, maladies et mort. L’intérêt vient une fois encore du cadre. Tous les personnages sont liés au milieu du cinéma, acteurs et actrices, producteur, réalisateurs. Le récit permet de percevoir ce qu’était le milieu du cinéma coréen dans les années 60.
- • Mist et Night Journey m’ont fait penser à The Guests of the Last Train de Yu Hyun-mok (1967). Des personnages solitaires, en perte de repères, errent dans une société coréenne en proie à la déshumanisation. Les gens s’ennuient, ne se préoccupent que d'eux-mêmes et de choses matérielles. Lorsqu’une tentative de révolte survient, elle est vite étouffée par le quotidien.
Techniquement, rien à redire : images et son restaurés de façon impeccable, livret instructif et documentaire passionnant, qui retrace la carrière de Kim Soo-Yong avec de nombreuses interventions du metteur en scène, réaliste et franc sur sa carrière.
何日君再來 [He ri jun zai lai] de Kim Chun (1966, Till the End of Time)

Ho, le beau mélo que voilà. Ca pleure, ça meurt, et le sort s’acharne sur le malheureux couple. C’est ponctué de chansons car nous sommes dans un musical hongkongais des années 60. C’est franchement invraisemblable, pas original pour deux sous, la réalisation appuie lourdement les effets, le choix de l’acteur masculin est franchement discutable (Peter Chen Ho, pas mauvais mais peu crédible du haut de ses 35 ans pour jouer un jeune diplômé aux côtés d'une Jenny Hu de moins de 20 ans). Et pourtant, il faut avouer que c’est assez distrayant. L’actrice principale, Jenny Hu dont c’est le premier film, a un jeu rafraîchissant, à l’inverse des parents du pianiste et de la grand-mère de la chanteuse qui en rajoutent. A noter également l’apparition d'une Lily Ho Li-Li encore débutante, que je connaissais surtout dans des wu xia pian comme La légende du lac (1972) ou Les 14 amazones (1972). Seul bémol, les chansons, pourtant composées par un habitué du genre, Joseph Koo Ka-Fai, ne sont pas terribles à l’exception de la dernière.
野玫瑰之戀 [Ye mei gui zhi lian] de Tian-Lin Wang (1960, The Wild, Wild Rose)

Un jeune pianiste sérieux et honnête tombe dans les griffes d’une chanteuse frivole et infidèle, au grand désespoir de sa fiancée. Sa passion destructrice le mènera à commettre l’irréparable.
J'attendais beaucoup de The Wild, Wild Rose, j'en avais lu des louanges dans plusieurs ouvrages et articles sur le cinéma hongkongais. Outre le fameux opéra de Bizet, le scénario rappelle fortement L'ange bleu de Josef von Sternberg (1930), soit la déchéance d'un ancien professeur amoureux d'une chanteuse de cabaret. Musicalement, c’est très intéressant, avec des reprises réussies d'airs connus tirés de Carmen évidemment, mais aussi de l’opérette La veuve joyeuse ou de Madame Butterfly de Puccini dans des variantes rumba, mambo ou jazzy. Les acteurs sont plutôt convaincants bien qu'il m'ait fallu quelques minutes pour m'habituer au jeu outrancier de Grace Chang.
Tout en ayant apprécié The Wild, Wild Rose, j'avoue une légère déception. Je m'attendais à un scénario plus policier ou film noir, pas à un remake de L'ange bleu dont je ne suis pas fan. Certains aspects mélo sont par ailleurs lourdingues, comme cette scène dans laquelle le vieux musicien se dispute avec sa femme alitée et les 20 dernières minutes où ça crie et ça pleure à longueur de temps. Un film un peu surestimé d'après moi.
釣金龜 [Diao jin gui] d’Umetsugu Inoue (1969, The Millionaire Chase)

Le cinéaste japonais Umetsugu Inoue s'est fait connaître dans son pays grâce à plusieurs comédies musicales avec des stars de l'époque, en particulier Hibari Misora. Pendant six ans durant la deuxième moitié des années 60, il réalisa dix-sept films pour la Shaw Brothers, principalement des comédies musicales (dont des remakes de ses propres opus japonais).
J'ai trouvé The Millionaire Chase fort sympathique. Malgré des numéros musicaux très classiques et des chansons pas exceptionnelles, c’est bien rythmé, une sorte de mélange entre les Gold Diggers des années 30 et Comment épouser un millionnaire (1953). Le scénario est franchement prévisible, les gags déjà vus 10 000 fois ailleurs, ce qui n'empêche pas ce divertissement enjoué de fonctionner efficacement.
青春萬歲 [Qing chun wan sui] d’Umetsugu Inoue (1969, The Singing Escort)

- Comme souvent dans le genre, le scénario de The Singing Escort est cousu de fil blanc, les situations sont très convenues et les péripéties assez quelconques. Le rythme enlevé et léger rend toutefois le film fort agréable, agrémenté par deux éléments :
- • Les chansons, assez omniprésentes, sont sympathiques dans leur genre. C’est de la pop hongkongaise des années 60 des plus agréables, avec des chanteurs au look Beatles un peu gays. Ils n’arrêtent pas de chanter sans raison, en sortant du car, en voiture, dans la piscine, dans leur chambre… Les musiques ont été composées par Fuling Wang qui, outre The Millionnaire Chase, a œuvré sur Le Retour de l’Hirondelle d’or (1968) et Vengeance! de Chang Cheh ou The Big Boss de Lo Wei (1971). Les chorégraphies sont en revanche limitées à quelques déhanchements.
- • L’esthétique de The Singing Escort est d’un kitsch délicieux. Ça pique les yeux, avec des costumes fluos, des goûts vestimentaires douteux, des décors flashy, des coupes de cheveux Playmobil. Ça ferait presque passer les James Bond avec Roger Moore pour des summums de raffinement.
芒果之歌 [Mangguo zhi ge] de Chang Yan & Zhang Puren (1976, Song of Mango)

Le « Groupe de propagande des travailleurs », dont le commissaire est la mère des deux sœurs, décide de prendre les choses en main pour faire signer une trêve et calmer la situation. La commissaire se rend compte que le « Quartier général de la révolution et de la rébellion des Gardes Rouges » est manipulé par un vil capitaliste enseignant à l’université (qui a évidemment une tête de fourbe). Après moult rebondissements, comme le non-respect de la trêve par le « Quartier général de la révolution et de la rébellion des Gardes Rouges » ou la repentance d’un membre du « Quartier général de la révolution et de la rébellion des Gardes Rouges » devant un drapeau touché par le Grand Mao, tout se résout finalement dans un grand meeting en plein air, où un professeur allié du méchant capitaliste se repend en entendant un récit sur sa pauvre mère campagnarde.
Je m’intéresse beaucoup aux films de propagande et je commence à en avoir vu pas mal, de différentes époques et de différents pays. J’avoue pourtant que celui-ci est un des plus gratinés que j’ai pu visionner jusqu’à présent. C’est une ode à la gloire du Grand Timonier et de la Révolution culturelle, qui permet aux paysans de vivre, aux travailleurs de s’éduquer et à la société d’atteindre l’harmonie, seulement perturbée par la bassesse des capitalistes saboteurs.
Song of Mango est un document historique passionnant car il illustre les tensions au sein des révolutionnaires. L’université est divisée en de nombreux groupuscules ennemis qui veulent le pouvoir et se prétendent tous détenteurs de la légitimité et de l’autorité. Chaque groupuscule capture des prisonniers politiques, et même le « Groupe de propagande des travailleurs », envoyé officiel du pouvoir étatique au sein de l’université, a du mal à asseoir son autorité. Les jeunes ne respectent pas les vieux, les enfants ne respectent pas leurs parents, on a l'impression d'un sacré bazar plutôt que d’une formidable société harmonieuse.
Passé ces considérations historiques, Song of Mango est malheureusement assez mauvais, filmé sans imagination et avec une actrice principale franchement catastrophique. Ce n’est pas étonnant qu’il soit totalement méconnu en Occident, j'ai d'ailleurs dû créer la fiche imdb. La qualité du DVD que j’ai récupéré n’aide pas, l’image et le son sont corrects mais les sous-titres anglais sont abominables, ça sent le mauvais traducteur automatique. Si l’intrigue reste compréhensible, j’ai dû louper des subtilités. A éviter, sauf intérêt pour les films de propagande ou pour la période de la Révolution culturelle.
Aldeia da Roupa Branca de Chianca de Garcia (1939)

Aldeia da Roupa Branca est une des rares comédies à la portugaise se déroulant essentiellement à la campagne. Comme souvent dans le genre, les musiques allient chansons populaires (la chanson titre Aldeia da Roupa Branca connut un certain succès à l’époque) et fados. L’histoire est assez simple, une bonne vieille rivalité entre deux familles, avec un comique de situation agrémenté de bons mots. Le film est joyeux, sans mauvais esprit, et les situations s’enchaînent à bon rythme. La censure coupa apparemment quelques courtes séquences jugées immorales. Excepté Beatriz Costa, les acteurs en font des caisses mais ça ne gêne pas outre mesure.
La réalisation de Chianca de Garcia (figure méconnue dont c’est l’ultime long métrage avant son départ pour le Brésil) est intéressante, avec des scènes d’action bien menées, en particulier une course de charrettes et une bataille de village. Plusieurs critiques portugais firent une comparaison que je trouve exagérée avec Eisenstein (notamment La ligne générale (1929)). Les décors, la plupart du temps naturels, permettent d’avoir une petite idée de la vie dans un village du Portugal à la fin des années 30 (même si on est sous Salazar hein, ça reste clairement idéalisé). C’est donc une petite comédie sans prétention agréable à regarder. C’est la dernière apparition sur grand écran de Beatriz Costa, grande vedette de théâtre, actrice occasionnelle (dans La chanson de Lisbonne (1933) par exemple) et icône populaire.
Aldeia da Roupa Branca existe en DVD avec sous-titres français, anglais, espagnol et portugais édité par Lusomundo. L’image est de qualité correcte dans l’ensemble, le son est potable. Un problème gênant toutefois : plutôt que d’avoir de brefs plans dans une qualité d’image inférieure, quelqu’un a eu la bonne idée de couper les passages les plus endommagés... Du coup, plusieurs fois dans le film, des coupes allant de quelques millisecondes à plusieurs secondes ont été effectuées. Ce n’est généralement pas trop handicapant, excepté pour une chanson sur laquelle il manque probablement plus d’une dizaine de secondes. En bonus, un documentaire de 55 minutes sur Beatriz Costa est proposé, avec sous-titres anglais uniquement. Le documentaire se concentre surtout sur sa carrière théâtrale et sur la fin de sa vie. Pas franchement palpitant, ça permet néanmoins d’en savoir un peu plus sur cette vedette portugaise complètement inconnue en France.
O Pátio das Cantigas de Francisco Ribeiro (1942)

Unique film réalisé par l’acteur comique Ribeirinho (Francisco Ribeiro), qui joue ici le rôle du fils de l’alcoolique, O Pátio das Cantigas fut produit pour le compte des Produções Lopes Ribeiro. Cette société fut fondée en 1941 par l’ancien critique influent puis réalisateur António Lopes Ribeiro (le frère de Ribeirinho), parfois appelé le cinéaste du régime pour le zèle qu’il manifestait à promouvoir l’Estado Novo. On remarque d’ailleurs dans O Pátio das Cantigas une formidable scène de propagande : à un moment, une fête tourne en bataille générale et l’alcoolique décide d’aller abriter les enfants. Il les descend au sous-sol et les met dans une roulotte en disant qu’ici ils peuvent être tranquilles, il ne leur arrivera rien. La caméra remonte et on voit le nom de la roulotte : Salazar.
O Pátio das Cantigas comporte une brochette d’acteurs connus, parmi lesquels Vasco Santana (également scénariste du film en compagnie des frères Ribeiro) et António Silva, tous les deux déjà présents dans La chanson de Lisbonne (1933). Le casting est assez réussi dans l’ensemble, un peu surjoué comme souvent sans que cela soit dramatique. Quelques chansons parsèment le métrage : un ou deux fados et plusieurs chansons populaires. Au final, je n'ai pas été totalement convaincu. Du haut de ses 2h02, O Pátio das Cantigas aurait gagné à être condensé. Par ailleurs, l’humour jamais franchement subtil de ce genre de comédie est encore plus lourdingue que d’habitude.
L’édition DVD de Lusomundo comporte des sous-titres français et anglais. L’image et le son sont acceptables, O Pátio das Cantigas ayant été restauré en 2K. Contrairement à Aldeia da Roupa Branca, pas de coupures d’images. En bonus se trouvent six court-métrages de la série Zé Analfabeto dirigés par Carlos Marques en 1952 dans le cadre d’une campagne nationale pour l’éducation des adultes, avec Vasco Santana dans le rôle principal. Ce sont des comédies à vocation éducative montrant les désavantages de l’analphabétisme dans la vie de tous les jours. Il n’y a aucun sous-titre disponible et le son est assez mauvais. J’ai regardé le premier, j’ai compris dans les grandes lignes mais des subtilités m’ont échappées. Pas franchement passionnant, c’est très surjoué et le message est bien appuyé.
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