samedi 30 novembre 2024

Carnet de bord 23/11/2024-29/11/2024



Films vus en compagnie
Lorette et les autres, chronique de l'exil de Dominique Dante (1972)
Le bidonville de Massy vit le jour en 1964. A son extension maximale, il accueillait jusqu’à 800 Portugais et comprenait des baraques « en dur » (en briques et ciment), sous les yeux bienveillants de la mairie avide de main d’œuvre à bon marché pour construire les grands ensembles des environs. En 1969, un scandale éclata : un employé municipal fut licencié pour avoir instauré un racket, un trafic de cartes de séjour, de travail et des taxes fantaisistes, appuyé par un service d’ordre. L’année suivante, alors que l’administration ne tenait pas sa promesse de relogement des habitants, elle lança une politique de résorption au bulldozer en application d’un décret du Premier Ministre. Encouragés notamment par Laurete Da Fonseca, les Portugais s’organisèrent, manifestèrent et obligèrent les autorités à reculer. Frustrées, celles-ci reportèrent leur colère sur Laurete.

Laurete et son mari Carlos avaient quitté le Portugal en 1962 pour esquiver la conscription pour la guerre en Angola. Après quelques années passées à enseigner en Algérie, ils étaient arrivés en région parisienne en 1968. D’abord maçon puis ouvrier spécialisé (O.S.), Carlos parvint à devenir dessinateur industriel, avec un salaire qui leur permit de louer un appartement à Massy à côté du bidonville. Carlos commença à y donner des cours d’alphabétisation pendant que Laurete, qui parlait bien français, se mit à aider les immigrés à remplir leurs papiers et à les accompagner dans leurs démarches. Elle se retrouva mêlée aux contestations contre la destruction des baraques, poussant les gens à se regrouper pour se renforcer au lieu d’aller individuellement aux convocations de la mairie.
En mai 1971, elle reçut de la préfecture de police un avertissement lui disant de se tenir tranquille et elle consulta une avocate. Elle n’arrêta toutefois pas son assistance aux Portugais et, le 3 septembre 1971, une lettre l’informa qu’une procédure d’expulsion avait été initiée à son encontre. Elle demanda à être auditionnée par une commission et fut convoquée le 22 septembre 1971. La nouvelle s’ébruita rapidement, un comité de soutien à Laurete constitué de Français et de Portugais se créa aussitôt. Une manifestation, supportée par la CFDT et le PSU, mobilisa 1500 à 2000 personnes, une pétition exigeant qu’elle puisse rester en France réunit 4000 signatures. Dominique Dante, metteur en scène engagé de courts métrages et fils d'immigrés, décida de tourner un documentaire sur l’évènement. Lorette et les autres, chronique de l'exil retrace le quotidien dans le bidonville de Massy et les actions de Carlos et Laurete Da Fonseca, se terminant à l’issue du jugement.

Contrairement aux attentes de Dominique Dante, le film ne fut jamais diffusé à la télévision, probablement censuré par le pouvoir de l’époque qui contrôlait l’ORTF. Je l’ai cherché durant de nombreuses années et j’ai pu le récupérer grâce à Hugo Dos Santos, qui m’a fourni un lien vers archive.org. Il a été déposé sur ce site par l’association Memória Viva, dont l’objectif est « de recueillir et transmettre la mémoire de l’immigration portugaise ». C’est une chronique passionnante, qui montre une autre image de l’immigration portugaise, aujourd’hui faussement considérée comme un modèle d’intégration sereine. Tout ne s’est pas déroulé dans le calme, les Portugais ont longtemps été victimes de racisme, de discrimination, et certain·e·s ont osé protester malgré les menaces d’expulsion vers une dictature qu’ils avaient fuie. Lorette et les autres, chronique de l'exil met par ailleurs en avant le rôle des femmes, souvent oubliées dans les récits d’immigration (outre Laurete, Carlos explique comment les Portugaises repoussèrent violemment des policiers venus pour fouiller les baraques).
En 2014, l’importance de Laurete Da Fonseca fut finalement reconnue par Massy, qui donna son nom à l’allée principale du parc Georges Brassens, sous les yeux émus de Carlos toujours doté d’un lucide esprit critique : « Je suis toujours très ému. Franchement, après avoir passé tout ce qu'on a vécu... Toute cette vie d'immigrés... Et puis, à la fin, le nom d'une allée. Est-ce une récompense ? Je n'en sais rien. Est-ce pour nous faire taire ? ». Laurete est malheureusement décédée en 2001 d’une sclérose en plaques. En dépit des risques, elle continua à défendre les Portugais jusqu’à la disparition du bidonville en 1977. Son arrêté d’expulsion ne fut levé qu’en 1981 avec l’élection de François Mitterrand.

Sous l’impulsion d’Hugo Dos Santos, Lorette et les autres, chronique de l'exil a été récemment ressuscité par le joueur de guitare portugaise Philippe de Sousa. Il a composé en 2021 une bande-sonore originale, qu’il a interprété en direct au cours de plusieurs projections. Cette version m’a plu également, même si j’aurais aimé un ajout de sous-titres quand la musique couvre la voix-off ou la diatribe du pasteur René Cruse.


Woman of the Hour d’Anna Kendrick (2023, Une femme en jeu)
Cheryl Bradshaw est une actrice débutante qui ne réussit pas à percer et songe à repartir dans sa ville natale. Son agente lui offre d’apparaître à l’émission The Dating Game pour gagner en célébrité. Elle accepte à regret, contrainte de jouer la gentille gourde sur un plateau de télévision. Parmi les trois prétendants masculins, un seul se démarque avec des réponses amusantes et respectueuses. Cheryl ignore qu’il s’agit du tueur en série Rodney Alcala, violeur et assassin de jeunes femmes. Il est identifié par une membre du public, qui essaye d’alerter la production sous le regard incrédule de son compagnon.

Woman of the Hour est tiré de l’histoire vraie du serial killer Rodney Alcala, qui a effectivement participé à The Dating Game en 1978 en présence de Cheryl Bradshaw. Ce qui concerne les meurtres est proche des évènements réels tandis que les interactions durant le show ont été modifiées et dramatisées pour valoriser Cheryl Bradshaw. C’est la première réalisation d’Anna Kendrick, qui ne devait au départ qu’incarner Cheryl avant d’être promue à un poste de direction et de production. C’est filmé sobrement, de façon classique, et les comédien·ne·s sont convaincant·e·s. On voit les humiliations et dangers auxquels sont confrontées quotidiennement les femmes, dans une société qui méprise leurs témoignages et leur parole. Bien que prenant clairement position pour les victimes, je suis néanmoins las de cette fascination morbide des Etats-Unis pour les serials killers, avec la multiplication ces dernières années de livres, séries et longs métrages sur le sujet. Cette accumulation me rebute profondément et m’a empêché d’apprécier Woman of the Hour malgré ses indéniables qualités.


La tía Alejandra d’Arturo Ripstein (1980)
Une vieille dame nommée Alejandra emménage chez son neveu à la mort de sa vénérable mère. Le couple est ravi de la recevoir, la tante apportant avec elle son magot et proposant de rembourser les dettes. Les deux aînés sont plus circonspects, l’adolescente Malena et le garçon Andres considérant avec suspicion cette douairière inquiétante qui agit comme une sorcière sous son allure distinguée. La benjamine Martita, en revanche, est conquise et Alejandra la prend sous son aile. La chute d’Alejandra dans l’escalier à cause d’un patin à roulette d’Andres enclenche un enchaînement de drames qui va jeter la famille dans un tourbillon de souffrances.

Arturo Ripstein fut le fils d’un fameux producteur mexicain. Assistant de Buñuel à 19 ans, il dirigea Un temps pour mourir (1966) à 21 ans, un âge exceptionnellement précoce dans un système habituellement rigide. Il eut une longue carrière, passant par le cinéma expérimental ou de genre, avec des héros souvent brisés par un destin inéluctable. La tía Alejandra emploie le cliché de la vieille terrifiante avec une belle économie de moyens et une distribution solide menée par Isabela Corona, une grande diva du cinéma mexicain des années 30-40 qui interprétait déjà une sorcière en 1962 dans Le miroir de la sorcière.
La tía Alejandra est un film d’horreur qui repose sur son atmosphère malaisante davantage que sur ses effets. S’il n’hésite pas à décimer son casting, il n’y a quasiment pas de sang ni de violence directe. Ce climat est renforcé par une mise en scène simple et austère, des couleurs délavées et une maison décrépie évoquant une gloire évanouie. On pense évidemment à Carlos Enrique Taboada, la référence mexicaine dans le style épouvante psychologique lugubre. En dépit d’une certaine lenteur et d’un peu de nudité gratuite, La tía Alejandra est une intéressante curiosité qui donne envie d’explorer l’œuvre d’Arturo Ripstein.


El Conde de Pablo Larraín (2023, Le Comte)
Augusto Pinochet est en réalité un vampire français, Claude Pinoche, né au XVIIIe siècle, ex-soldat royaliste qui a juré de détruire les révolutions et les mouvements progressistes. Arrivé au Chili en 1935, il a gravi les échelons jusqu’à son coup d’état de 1973. En 2006, il a feint son décès pour éviter les poursuites et habite avec son épouse dans une ferme isolée. Lassé de la vie, sa condition se détériore, pas assez vite toutefois pour ses enfants qui aimeraient récupérer son argent. L’une de ses filles engage une exorciste comptable, à la fois pour le tuer et pour dénicher les richesses dissimulées.

Pablo Larraín est un réalisateur chilien à la mode à Hollywood, spécialiste du biopic dramatique à l’image léchée (Jackie sur Jackie Kennedy en 2016, Spencer sur Lady Di en 2021 et Maria sur Maria Callas en 2024). Pour El Conde, il revient au Chili avec une satire fantastique sur l’ancien dictateur Augusto Pinochet. Dès les premières minutes, on sent que la subtilité ne sera guère de mise. Pablo Larraín a adopté un noir et blanc accompagné de musique classique pour faire classe, avec des clins d’œil appuyés à Nosferatu (1922). C’est super lourdingue, l’intrigue se concentre sur des querelles mesquines entre affreux, dépeignant à la truelle les exactions de Pinochet. S’y ajoute une dose de religion et de nonne pervertie censée procurer une fausse profondeur, et Margaret Thatcher en voix off parce que pourquoi pas. A fuir.


The Wrong Trousers de Nick Park (1993, Un mauvais pantalon)
A son grand désarroi, Gromit reçoit de Wallace pour son anniversaire un collier, une laisse et une paire de jambes robotisées capable d’aller le promener. A son retour de balade, il apprend que Wallace a mis en location une pièce libre de leur maison. Un hôte potentiel frappe à leur porte, un manchot taiseux qui n’inspire pas confiance à Gromit. Il accapare la chambre de ce dernier et conquiert rapidement le cœur de Wallace. Gromit abandonne son maître, avant de changer d’avis quand il remarque le comportement suspect du volatile.

En 1989, deux sympathiques camarades, Wallace et son chien Gromit, font leur apparition dans A Grand Day Out, un court métrage d’animation en pâte à modeler du studio Aardman. Doté d’un humour absurde très anglais, c’est une ébauche attachante mais imparfaite des chefs-d'œuvre à venir, pourvue d’un rythme lent et d’une trame simple. Leurs aventures continuent en 1993 avec The Wrong Trousers, le meilleur volet jusqu’à présent. C’est un mélange de policier, d’action et de film de casse, avec un manchot absolument machiavélique et une musique qui accentue la tension. L’animation est impressionnante, effectuée essentiellement par Nick Park et Steve Box (chargé notamment du manchot Feathers McGraw) dans un hangar car Aardman n’avait pas de locaux à l’époque. Il a nécessité deux ans de travail, à raison de quatre secondes d’animation par jour pour les complexes scènes de dialogue (d’où les astuces pour dissimuler la bouche de Wallace dans la mesure du possible).
A l’inverse du précédent, il n’y a aucun temps mort. Feathers McGraw est un des méchants mémorables des années 90, source probable du manchot fredonneur des publicités Bud Ice diffusées entre 1995 et 1997. The Wrong Trousers est un incontournable et j’ai hâte d’assister à la revanche de Feathers McGraw dans Wallace & Gromit: Vengeance Most Fowl (2024).


Wallace & Gromit: Vengeance Most Fowl de Merlin Crossingham & Nick Park (2024, Wallace & Gromit : La palme de la vengeance)
Pour aider Gromit dans l’entretien du jardin, Wallace fabrique un gnome robot apte à accomplir n’importe quelle tâche avec vitesse et dextérité. L’invention devient vite populaire dans le voisinage et Wallace passe même sur une chaîne locale. Son interview est vue par le redoutable Feathers McGraw, qui croupit dans sa prison-zoo. Arrêté par Wallace et Gromit trente ans auparavant, il décide d’assouvir enfin sa vengeance en reprogrammant l’automate depuis sa cellule, le transformant en un être maléfique à son service.

En clôture de la 21e édition du Carrefour du cinéma d'animation, le Forum des Images a accueilli l’avant-première européenne de Wallace & Gromit: Vengeance Most Fowl en présence de Merlin Crossingham et Nick Park, un mois avant sa sortie officielle sur Netflix le 3 janvier 2025. C’est le second long métrage de Wallace et Gromit, la suite du fameux The Wrong Trousers (1993). Il a fallu cinq années pour mener le projet à son terme, entre ses prémices sur papier et l’achèvement de la post-production, mobilisant pendant quinze mois une équipe de 260 salariés dont 35 animateurs répartis sur une quarantaine de plateaux. A son pic d’activité, l’ensemble pouvait tourner au maximum une minute par jour. Nick Park et Merlin Crossingham ont chacun réalisé 50% du boulot, une réunion d’avancement quotidienne permettant d’assurer la cohérence globale. Ben Whitehead succède au défunt Peter Sallis, disparu en 2017. Il était sa doublure sur The Curse of the Were-Rabbit (2005), il l’imitait admirablement et le remplaçait déjà sur des missions annexes (par exemple la voix de Wallace dans les jeux vidéos). Si la différence se ressent durant les premières minutes de Vengeance Most Fowl, ce n’est pas choquant et on finit par ne plus y prêter attention.
Merlin Crossingham et Nick Park sont revenus aux fondamentaux en reprenant la structure en trois parties de The Wrong Trousers, sans s’empêtrer dans une histoire d’amour contrairement aux trois opus antérieurs de la série : Wallace imagine une machine pour Gromit qui le met dans l’embarras ; Feathers McGraw l’emploie à son profit ; ça se termine sur une folle course-poursuite. Comme d’habitude, c’est bourré de références, des Nerfs à vif version Scorsese (1991) au Village des damnés (1960). Plus étonnant, Merlin Crossingham précise s’être inspiré de la vile Mrs Danvers de Rebecca (1940) dans sa façon de filmer Feathers McGraw. C’est lui la star de Vengeance Most Fowl, le personnage le moins expressif et par conséquent le plus cinématographique, ses intentions devant être révélées à travers la lumière, la musique ou le mouvement du corps. Pour le reste, c’est techniquement époustouflant, agréable sans être révolutionnaire scénaristiquement, plus ramassé que The Curse of the Were-Rabbit mais moins enthousiasmant que The Wrong Trousers ou A Close Shave (1995). On est en tout cas à des années-lumière au-dessus de l’oubliable Chicken Run: Dawn of the Nugget (2023) et ça m’a fait plaisir de voir Nick Park en vrai.


Films vus seuls
邪願霊 [Jaganrei] de Teruyoshi Ishii (1988, Psychic Vision: Jaganrei)
La journaliste d’investigation Kyoko Sawaki travaille avec son équipe sur un documentaire portant sur le monde des idoles japonaises. Elle suit une compagnie qui tente de promouvoir une jeune chanteuse, Emi Kato, grâce à un nouveau tube. Kyoko constate qu’il manque dans les participants le compositeur de la musique, que personne ne semble avoir rencontré. Les accidents se multiplient et la silhouette fantomatique d’une femme se manifeste derrière Emi.

Jaganrei est un documenteur horrifique de 49 minutes créé pour le marché de la vidéo. Il est considéré comme le premier exemple de la J-Horror, qui connaîtra son apogée en 1998 avec Ringu de Hideo Nakata. Il a été scénarisé par Chiaki Konaka, à l’origine de la théorie Konaka, une manière de représenter la peur en ancrant le surnaturel dans le réel et en lui conférant une intangibilité, visible à travers des images fixes ou dans le regard terrifié de la victime. L’aspect documentaire renforce cette logique, de même que la qualité VHS avec son rendu imparfait. Le côté très Evil Dead (1981) dans le déplacement de l’esprit néfaste est en revanche regrettable et casse l’ambiance.
Jaganrei est plutôt réussi, jouant pleinement avec les contraintes de son faible budget. On est certes loin de l’angoisse générée par un Ringu mais il y a une montée en tension correctement amenée et deux-trois passages malaisants. Le discours critique sur la construction des idoles est en outre intéressant, il a probablement influencé Yoshikazu Takeuchi dans l’écriture de Perfect Blue: Complete Metamorphosis (adapté par Satoshi Kon en 1997). Un bon début qui permet de scruter les fondations de la J-Horror.
Pour l’anecdote, l’assistant réalisateur est incarné par un Naoto Takenaka encore chevelu, mis en avant sur la jaquette alors qu'il n'apparaît quasiment pas à l'écran.


Santo contra Capulina de René Cardona (1969, Santo vs. Capulina)
Gardien de nuit dans un entrepôt, Capulina néglige son devoir et dort constamment. Une nuit, deux malfaiteurs s’introduisent sur les lieux pour s’emparer d’une caisse. Ils sont arrêtés par Santo, qui les fait détaler puis examine la marchandise dans laquelle il découvre des diamants de contrebande. Aidé bon gré mal gré par Capulina, il va essayer de capturer la bande, qui envoie des androïdes pour les éliminer.

Gaspar Henaine dit Capulina fut un fameux humoriste mexicain actif de 1943 à 1996, au summum de sa popularité dans les années 50-60. Spécialiste d’un humour gentil et policé, il fut la vedette de 84 films généralement centrés sur des aventures engendrées par son incompétence et sa bêtise. Il visait particulièrement le public des jeunes enfants et est le véritable héros de Santo contra Capulina, davantage que Santo qui sert de clown blanc.
C’est le seul Santo produit par Alfredo Zacarías, qui emploiera régulièrement Capulina par la suite. C’est clairement fauché, avec peu de décors, pas d’effets spéciaux (les robots se repèrent uniquement à leur ceinture ridicule cachée sous leurs vêtements) et une musique incongrue tantôt « rigolote », tantôt western spaghettisante. L’intrigue est un assemblage bancal conçu pour valoriser Capulina. C’est le genre de comédie difficilement exportable, à visionner avant ses dix ans pour avoir une chance de l’apprécier.
A noter, dans les gosses qui gravitent autour de Capulina, la présence de René Cardona III, le petit-fils de René Cardona, et de Jorge Guzmán, le fils de Santo qui prendra sa relève sur le ring sous le nom d’El Hijo del Santo. Il s’entraîne brièvement avec son père dans une scène entre Santo et les enfants.


君よ憤怒の河を渉れ [Kimi yo fundo no kawa wo watare] de Jun'ya Satô (1976, Manhunt)
Accusé par une inconnue dans la rue de l’avoir cambriolée, le procureur Morioka est conduit au poste de police. A son arrivée, un témoin l’accable en prétendant qu’il lui a dérobé son appareil photo la même nuit. Morioka accompagne son supérieur du ministère de la Justice et l’inspecteur Yamura chargé de l’affaire dans son appartement, où les objets volés sont retrouvés. Persuadé d’être au cœur d’une machination, il s’enfuit afin de mener sa propre enquête.

Ken Takakura fut une megastar du cinéma japonais des années 60 à 80, quadruple vainqueur du Japan Academy Film Prize du meilleur acteur (recordman dans cette catégorie avec Kôji Yakusho). Il fut un parangon du ninkyo eiga, ces films de yakuzas chevaleresques tiraillés entre leur devoir et leurs sentiments. Il eut aussi une courte carrière internationale, apparaissant notamment dans The Yakuza de Sydney Pollack en 1974 et Black Rain de Ridley Scott en 1989. Il fut surnommé le Clint Eastwood japonais, comparaison assez adéquate compte tenu des personnages de taiseux invincibles qu’il interprétait. Kimi yo fundo no kawa wo watare est sa sixième collaboration avec le réalisateur Jun'ya Satô, un an après Super Express 109 (1975), une superproduction emblématique du film catastrophe japonais qui eut un énorme succès hors de l’archipel et inspira Speed (1994).
Kimi yo fundo no kawa wo watare est la transposition d’un roman de Jukô Nishimura publié en 1974. Il fut produit par la Daiei, en faillite en 1971 et qui renaquit de ses cendres en 1974. Il marque les débuts de Ken Takakura en freelance après son départ de la Toei, qui l’avait découvert en 1955. Il y déploie sa coolitude habituelle, épaulé par un antagoniste charismatique incarné par Yoshio Harada (un familier des antihéros rebelle) et par une femme à fort caractère jouée par Ryôko Nakano. Bien qu’excessivement long (2h30), avec trop de circonvolutions, une musique légère discutable et une conclusion inappropriée à la Inspecteur Harry (1971), ça tient la route : il y a du budget, c’est dynamique, sobre et efficace, on ne s’ennuie pas. Kimi yo fundo no kawa wo watare fut le premier titre étranger diffusé dans la Chine populaire post-révolution culturelle. Le thème de l’accusé à tort poursuivi par les autorités toucha une fibre sensible dans la population, qui se rendit en masse dans les salles. Il fit de Ken Takakura et de Ryôko Nakano des vedettes en Chine.


สวรรค์มืด [Sawan mued] de Rattana Pestonji (1958, Dark Heaven)
Nien est une pauvre orpheline affamée. Elle vole à un riche de la nourriture achetée pour ses chiens et est pourchassée par la police. Elle croise un brave collecteur d’ordures, Choo, qui la cache dans son chariot. Une fois l’incident terminé, il lui propose de venir s’installer chez lui et de partager son taudis. Ils tombent rapidement amoureux et vivent dans le bonheur jusqu’à ce que Choo reçoive un avis de conscription et doive partir à la guerre.

Rattana Pestonji est une figure majeure du cinéma thaïlandais, qui a grandement contribué à sa modernisation dans les années 50. Il poussa ainsi à l’utilisation de la couleur, du son, du 35 mm au lieu du 16 mm, innovations présentes dans Dark Heaven où il employa le Ferraniacolor (technologie italienne de colorisation). Dark Heaven provient d’une fameuse pièce radiophonique de Suwat Woradilok dit Rapeeporn, un écrivain thaïlandais réputé, déjà adaptée à la télévision en 1956. Il fut tourné dans les studios Hanuman Film et est considéré comme le premier long métrage thaïlandais en prise de son direct. C’est l’unique apparition à l’écran de Seubneung Kanpai (Nien), une miss locale du nord du pays, et la seconde de Suthep Wongkamhaeng, un chanteur très célèbre.
La trame est basique, du pur mélodrame tirée de L'heure suprême de Frank Borzage (1927). Le rythme est plutôt lent, les scènes statiques se succèdent à cause de moyens techniques limités et d’une origine théâtrale trop visible. L’intérêt se situe essentiellement dans les nombreuses chansons, encore appréciées de nos jours en Thaïlande et dépaysantes pour un spectateur occidental néophyte. Cela reste extrêmement naïf et ne passionnera que les amateurs d’exotisme cinématographique.


Duelle de Jacques Rivette (1976)
Une bourgeoise nommée Leni est à la recherche d’un ancien amant qui occupait la chambre d’un hôtel un an auparavant. Elle demande à la réceptionniste, Lucie, de retrouver sa trace contre rémunération. En parallèle, Viva engage le frère de Lucie, Pierrot, pour récupérer une pierre précieuse mythique. Leni et Viva sont en réalité ennemies et ont le même but. Pour y arriver, elles n’hésiteront pas à manipuler leur entourage et à écraser les résistances.

Jacques Rivette souhaitait réaliser une tétralogie intitulée Scènes de la vie parallèle, centrée sur des thèmes mythologiques et des femmes fortes. Il devait tourner les épisodes dans le désordre, 2, 3, 1 et 4, en commençant par Duelle, le second volet. Il enchaîna avec Noroît puis stoppa son projet sans explication, peut-être en raison d’une dépression nerveuse. Duelle poursuit une approche irréelle et éthérée initiée par Céline et Julie vont en bateau (1974), avec un aspect plus sombre et désespéré. Autant j’avais accroché à Céline et Julie vont en bateau, dont la fantaisie et la bonne humeur finissaient par tout emporter, autant je ne suis jamais entré dans Duelle. Il repose davantage sur son atmosphère que sur son intrigue, relativement mince et inutilement complexifiée par un montage arty. Je regarderai Noroît par complétisme, sans conviction.


Livres
Histoires de voyages dans le temps présentées par Demètre Ioakimidis, Jacques Goimard & Gérard Klein (Le livre de poche, collection « La grande anthologie de la science-fiction », 1984), 442 p.
Histoires de voyages dans le temps comporte dix-neuf nouvelles de 3 à 58 pages parues entre 1940 et 1962. Elles sont rédigées par des hommes, excepté deux d’entre elles coécrites par Catherine L. Moore avec son conjoint Henry Kuttner :
Les dominos de Cyril M. Kornbluth (1953) : W. J. Born, président d’un fonds d’investissement, aimerait connaître à l’avance l’évolution du marché et la date du prochain crash.
Par ici la sortie de Lester Del Rey (1951) : Un homme reçoit la visite de son double âgé qui lui fournit une description détaillée des actions qui vont amener à cette rencontre.
Le paradoxe perdu de Fredric Brown (1943) : déjà lu dans Paradoxe perdu.
Les éclaireurs de Donald Malcolm (1960) : Deux explorateurs sont propulsés cent millions d’années dans le futur, ignorant qu’une créature les guette.
L'enfant trop curieux de Richard Matheson (1954) : En sortant du travail, Robert Graham ne se souvient plus où il a garé sa voiture. Il réalise qu’il perd progressivement la mémoire.
Le jardin du temps de J. G. Ballard (1962) : Un couple de nobles cueille des fleurs du temps pour retarder l’arrivée d’une populace en colère.
Souvenir lointain de Poul Anderson (1957) : L’esprit d’un Américain du XXe siècle est projeté dans le corps d’un homme préhistorique.
La cure de Henry Kuttner & Catherine L. Moore (1946) : Un avocat prestigieux fait régulièrement des rêves éveillés dans lesquels il est écrasé contre une vitre.
Le troisième sous-sol de Jack Finney (1950) : Charley est persuadé qu’il a découvert un troisième sous-sol dans la gare de New York permettant de remonter dans les années 1890.
L'homme qui était arrivé trop tôt de Poul Anderson (1956) : Un soldat américain reprend conscience dans l’Islande du Xe siècle et tente de s’intégrer dans une famille locale.
Sombre interlude de Fredric Brown & Mack Reynolds (1951) : Un ambassadeur du futur débarque dans la campagne profonde du sud des Etats-Unis avec pour objectif de laisser un message pour ses pairs.
Saison de grand cru de Henry Kuttner & Catherine L. Moore (1946) : Trois étrangers fantasques louent une maison en attendant un évènement prévu pour la fin du mois.
Expérience de Fredric Brown (1954) : La première expérience de voyage dans le temps ne donne pas les résultats escomptés.
Moi, moi et moi de William Tenn (1947) : Un ex-bagnard pas malin est envoyé dans la préhistoire pour bouger une pierre afin d’en analyser les conséquences dans le présent.
Regard en arrière de Jack Williamson (1940) : Breck Veronar a trahi sa planète la Terre en acceptant l’emploi proposé par la dictature de l’Astrarchie. Il doit maintenant affronter ses anciens camarades.
Comment fut découvert Morniel Mathaway de William Tenn (1955) : Un poète méconnu explique la façon dont un peintre raté est devenu le plus grand artiste de tous les temps.
La patrouille du temps de Poul Anderson (1955) : déjà lu dans La patrouille du temps.
Le temps et la 3e Avenue de Alfred Bester (1951) : En 1950, un individu du futur offre à un couple de leur racheter l’Almanach de 1990 qu’ils ont acquis sans le savoir.
Vous les zombies... de Robert Heinlein (1959) : Un agent temporel aborde un soulard qui lui raconte son infortune, comment il a rejeté son enfant et changé de sexe.
Les recueils de la collection « La grande anthologie de la science-fiction » se suivent et ne se ressemblent pas. Histoires de voyages dans le temps s’ouvre sur une pertinente préface de Jacques Goimard, loin du machin illisible de Gérard Klein. Il dresse un rapide historique des récits de voyages dans le temps et en trace les thématiques majeures, entre périples dans le futur et dans le passé, projections spirituelles ou physiques dans le temps, avec un degré variable de paradoxes. Les chapitres sont organisés selon ces principes et avec une complexité croissante.
Les textes sont globalement agréables sans être exceptionnels. En termes d’ambiance, le meilleur est L'enfant trop curieux de Richard Matheson en dépit d’une chute nasouille. Le plus amusant est Moi, moi et moi de William Tenn. Je n’avais rien lu de lui, c’est apparemment un Fredric Brown moins sexiste et vulgaire. Ayant dorénavant du recul sur Poul Anderson, bien représenté ici, je le trouve surcoté, avec des difficultés à se renouveler. Vous les zombies... de Robert Heinlein enfin est à la fois le plus tordu sur la problématique du voyage dans le temps et le plus glauque, ce qui ne m’étonne pas de la part de cet écrivain qui ne m’attire guère.


Miss Hokusai – Tome 2 d’Hinako Sugiura (Philippe Picquier, 2019), 346 p.
Dans ce second tome, on continue à s’intéresser à l’entourage de Katsushika Hokusai dans les années 1820 en se concentrant essentiellement sur Hokusai, sa fille O-Ei et son disciple Ikeda Zenjirô. Le surnaturel et l’étrange occupent une place plus importante, irriguant le quotidien des habitants d’Edo.

Rien de neuf par rapport au volume 1, on poursuit sur une logique épisodique sans grande péripétie. Contrairement à mes espérances, il n’y a toujours pas de présentation de l’autrice ou de son œuvre, l’éditeur Philippe Picquier n’apporte aucun complément. Le quatrième de couverture est même trompeur, laissant entendre que le manga est axé sur O-Ei alors que le personnage principal est Hokusai et qu’elle n’apparaît que périodiquement. Cela demeure un excellent manga qui nous immerge dans une époque, c’est dommage de ne pas l’avoir mieux valorisé.


Contes pour les enfants et la maison – Tome I collectés par les frères Grimm (José Corti, collection « Merveilleux » n°40, 2009), 514 p.
En 2009, l’éditeur José Corti a publié la première intégrale commentée en français de l’ensemble des 201 contes des frères Grimm auxquels ils ont joint 28 textes supprimés au cours des diverses versions du recueil et 10 légendes pour les enfants. Natacha Rimasson-Fertin offre une nouvelle traduction, qui essaye d’être fidèle au style des frères Grimm. Chaque conte est accompagné d’une glose comprenant le titre en allemand ; le numéro du conte type dans la classification de référence d’Aarne-Thompson avec d’éventuelles précisions ; l’édition dans laquelle le conte a été ajouté et sa position ; l’origine géographique du conte ainsi que ses sources ; les autres moutures en Allemagne et dans le monde ; une courte discussion sur les thématiques présentes.

A l’image des parutions allemandes, Contes pour les enfants et la maison est séparé en deux tomes (il y a apparemment une réédition de 2017 en un seul pavé de 1184 pages, je n’en vois pas vraiment l’intérêt : cela le rend moins maniable et moins conforme à l’esprit de l’original en deux parties). Le volume I se compose de 86 contes. Ils sont suivis des préfaces des livres I et II des différentes éditions allemandes, de notices bibliographiques et d’une chronologie. De nombreux classiques sont inclus comme Raiponce, Hänsel et Gretel, Le vaillant petit tailleur, Cendrillon, Le Petit Chaperon Rouge ou Blanche-Neige. Tout en les appréciant, je leur préfère le Conte de celui qui partit pour apprendre la peur, Les musiciens de la ville de Brème (qui m’avait marqué quand j’étais jeune pour une raison que j’ignore), Le diable aux trois cheveux d’or, La jeune fille sans mains adapté imparfaitement en 2016 par Sébastien Laudenbach, le Conte du genévrier qui a inspiré The Juniper Tree (1990), ou l’amusant Rumpelstilzchen.
Le travail de compilation des Grimm est impressionnant, bien qu’ils retouchent sans doute davantage qu’ils ne veulent l’avouer. Ils ont également épuré les récits excessivement cruels (même s’il en reste des absolument affreux), les ont moralisés, infantilisés, christianisés et germanisés (en remplaçant par exemple la fée trop française par une sage-femme). En dépit de ces limites, ils ont sauvegardé un pan entier de la culture populaire allemande. C’est un ouvrage indispensable qui permet de considérer à sa juste valeur la tâche entreprise par les Grimm et de resituer les contes dans un contexte global.


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