Films vus en compagnie
Crash de David Cronenberg (1996)

Inspiré de la nouvelle éponyme de J. G. Ballard publiée en 1973, Crash suscita la controverse à Cannes en 1996. Il divisa le jury, son président Francis Ford Coppola refusa de lui décerner la Palme d’or ou le Grand Prix du jury, et ils tirèrent de leur chapeau une distinction peu employée, le Prix spécial du jury.
C’est un des rares vieux Cronenberg que je n’avais jamais vu. Son côté sulfureux paraît bien inoffensif de nos jours. L’intrigue est mince, les réflexions sur l’aliénation des émotions et sur la technologie comme extension de l’humain sont mieux exploitées dans d’autres œuvres du réalisateur, les scènes de sexe d’enchaînent sans qu’on s’intéresse au destin des protagonistes. Je me suis ennuyé.
Pontypool de Bruce McDonald (2008)

Pontypool est l’adaptation par son auteur Tony Burgess du deuxième volume de sa trilogie Pontypool. En parallèle du film confié à Bruce McDonald, un spécialiste de la comédie noire fauchée, une pièce radiophonique fut montée avec une distribution identique. Pontypool est un huis-clos dans un studio de radio, une invasion zombie perçue par ouï-dire, avec des informations filtrées au compte-goutte pour accroitre graduellement la tension. Cela fonctionne parfaitement, excepté dans le dénouement où Tony Burgess semble vouloir à tout prix justifier son concept et le suranalyse. Cela n’empêche pas Pontypool d’apporter une fraicheur bienvenue au genre et de mériter le statut culte qu’il s’est construit avec le temps.
잠 [Jam] de Jason Yu (2023, Sleep)

Jason Yu a écrit le scénario de Sleep alors qu’il s’apprêtait à se marier et était au chômage. Il souffrait par ailleurs d’apnée du sommeil, phénomène qui terrifiait sa conjointe sans qu’il s’en rende compte. Il s’est servi de ces éléments pour développer une histoire en trois actes mettant à l’épreuve la solidité d’un ménage très uni : le chapitre un pose le décor ; le second, claustrophobique, distend les liens entre Hyeon-soo et Soo-jin ; le troisième part dans un délire psychotique. Le récit ne tranche pas entre diverses interprétations plus ou moins surnaturelles, laissant planer le doute. L’angoisse se répand progressivement, la menace ne vient pas de l’extérieur mais de l’être aimé.
Resserré sur 1h30, Sleep est prenant, bien goupillé en dépit de détails inutilement retors présents uniquement pour instaurer une incertitude sur les intentions des personnages. Comme d’habitude dans le cinéma coréen, on a un mélange de genres avec des touches humoristiques, l’amateur de comédies romantiques Jason Yu ne s’étant dirigé vers l’horreur qu’à contrecœur. Jung Yu-mi (Soo-jin, vue dans Dernier train pour Busan en 2016) et Lee Sun-kyun (Hyeon-soo, le héros de Hard Day en 2014 ou le père de la famille riche dans Parasite en 2019) sont excellent·e·s et contribuent à la réussite de l’ensemble. C’est malheureusement l’ultime apparition sur grand écran de Lee Sun-kyun, qui se suicida en décembre 2023 à cause d’un scandale lié à des accusations d’infidélité et de consommation de drogues douces. Sans gros budget, axé sur ses interprètes et sur une intrigue maline, Sleep revigore une industrie coréenne en difficulté depuis la pandémie de covid.
Mr. Malcolm's List de Emma Holly Jones (2022, La liste de Monsieur Malcolm)

Mr. Malcolm's List est tiré du roman éponyme de Suzanne Allain. Il a donné lieu à un court métrage avec une distribution quasi-similaire, excepté Gemma Chan qui jouait Julia Thistlewaite à la place de Zawe Ashton. Il fut diffusé sur internet et, devant le succès rencontré, fut transformé en long. Le résultat est un pot-pourri de bouquins de Jane Austen. Les esprits chagrins seront choqués des libertés historiques avec un casting hétéroclite majoritairement non blanc, pour ma part je n’en ai cure. J’ai en revanche eu du mal avec le jeu excessif de Zawe Ashton, qui a remplacé au pied levé Gemma Chan engagée sur le blockbuster Eternals (2021). C’est filmé assez platement, prévisible, pas désagréable sans valoir un bon vieux Jane Austen.
Zeder de Pupi Avati (1983)

J'avais un a priori favorable sur Zeder, qui bénéficie d’une honorable réputation chez les amateurs de cinéma de genre. J'avais en outre accroché à l'ambiance creepy de La maison aux fenêtres qui rient réalisé par le même Pupi Avati en 1976. Malgré la présence de Gaumont au générique, le manque de budget saute aux yeux dès l’ouverture, combiné à une musique abominable du pourtant expérimenté Riz Ortolani et à un montage bizarre. Je ne suis pas entré dans le truc, pas aidé par un rythme mou et un scénario bancal qui tourne autour du pot. Les quelques séquences de terreur dans la dernière demi-heure et la conclusion façon Simetierre de Stephen King (qui sortit trois mois plus tard aux Etats-Unis) n’ont pas suffi, Zeder m’a profondément rebuté et je ne vois pas ce qu’on lui trouve.
Films vus seuls
Santo en el tesoro de Drácula/El vampiro y el sexo de René Cardona (1968, Santo in the Treasure of Dracula/The Vampire and Sex)

Santo en el tesoro de Drácula est un des Santo les plus célèbres depuis que Viviana García-Besné, la petite-nièce du producteur Guillermo Calderón, a mis la main sur l’infamante version internationale El vampiro y el sexo. Outre neuf minutes alternatives de nudité, elle propose une copie en couleur alors que l’unique bande mexicaine conservée était un montage télévisé en noir et blanc coupé sur les bords. El vampiro y el sexo fut programmé au festival de Guadalajara en 2011 mais le fils de Santo s’y opposa. Son père n’avait en effet toléré cette mouture sexy qu’à la condition qu’elle ne soit pas montrée au Mexique. Après avoir levé les ambiguïtés juridiques, il fut finalement projeté en festival et à la télévision. Il a par ailleurs été restauré et est sorti en blu-ray avec des sous-titres anglais (ce blu-ray est néanmoins imparfait, le DVD Bach films français est apparemment meilleur).
J’ai regardé Santo en el tesoro de Drácula avant de le comparer avec El vampiro y el sexo. Les seules différences concernent cinq scènes dans lesquelles les actrices sont nues au lieu d’être habillées, et où Dracula tripotte ses victimes avant de les mordre. L’ajout de la couleur est en revanche appréciable. On retrouve sinon le schéma du Santo deux-en-un, avec une partie dans le passé et une dans le présent. C’est la première fois que Santo n’est qu’un observateur voyeur, commentant les péripéties qui assaillent la pauvre Luisa auxquelles il assiste à travers son téléviseur. Luisa est propulsée dans une classique relecture de Dracula, elle est un équivalent de Mina et un certain professeur Van Roth se substitue à Van Helsing. Le second pan est plutôt nase, Santo flanqué d’un sidekick « rigolo » luttant contre un groupe de criminels mené par un mystérieux individu masqué. Le prétexte du traditionnel combat de catch est extrêmement crétin, le chef des méchants consentant à ce que Santo affronte son fils sur le ring en échange d’un plan qu’il convoite en cas de victoire. C’est faible.
エノケンの青春酔虎傳 [Enoken no seishun suikoden] de Kajirô Yamamoto (1934, Romantic and Crazy)

Ken'ichi Enomoto surnommé Enoken ou le « Roi de la comédie » fut une immense vedette populaire dans le Japon des années 30-40. Comme souvent avec les acteurs comiques, il fut totalement inconnu en Occident et rares sont les spectateurs contemporains qui l’auront vu dans autre chose que le rôle du porteur dans Les hommes qui marchèrent sur la queue du tigre d’Akira Kurosawa (1945). Il démarra dans le théâtre de variété avant de se faire un nom au cinéma. Au début des années 30, il était employé par la Shôchiku qui, en dehors de ses studios, possédait un vaste réseau de salles de théâtre. Elle ne souhaitait cependant pas le lancer sur grand écran et Enoken dut se tourner vers la jeune concurrente P.C.L.. Enoken no seishun suikoden est son premier opus, il y exprime ses qualités de chanteur, son dynamisme et son agilité digne des spécialistes américains du slapstick.
Prenant pour modèle les musicals avec Eddie Cantor, l’intrigue combine des éléments de comédie estudiantine en vogue à l’époque, des incursions dans le monde du travail clin d’œil au shôshimin-eiga, des numéros vaguement Busby Berkeley-esque et des séquences très slapsticks. Les chansons, l’histoire d’amour naïve et la baston dans un grand bar à bières m’ont également évoqué Ongaku kigeki horoyoi jinsei (1933, Tipsy Life).
Bien que l’humour soit gentiment lourd et les situations convenues, le rythme soutenu et des chansons agréables font d’Enoken no seishun suikoden un honnête divertissement, un exemple de la forte influence d’Hollywood avant le raidissement nationaliste qui obligea les studios à dissimuler les références à la culture américaine.
A noter que le kanji 傳 (histoire, légende) du titre d’origine est aujourd’hui supplanté par la variante simplifiée 伝, majoritairement utilisée sur internet. J’ai pour ma part adopté la graphie présente sur l’affiche.
江戸の悪太郎 [Edo no akutaro] de Masahiro Makino (1959, Evil Man of Edo)

Edo no akutaro est un remake par Masahiro Makino de son propre film de 1939, avec un remplacement de la tête d'affiche Kanjûrô Arashi par Ryûtarô Ôtomo. Star des années 30, celui-ci avait connut une période de vache maigre avec la semi-interdiction du chanbara durant l’occupation américaine, avant de réussir son retour à la Toei en 1953. Il interprète ici un rônin nonchalant et charismatique, plus proche dans son jeu humaniste d’un Tsumasaburô Bandô que des autres vedettes du genre comme Kazuo Hasegawa ou Utaemon Ichikawa.
Si rien ne distingue sur le papier Edo no akutaro du tout-venant des jidai-geki de la Toei, l’importance accordée au groupe plutôt qu’à un héros solitaire apporte une certaine fraicheur. La version de 1939 ayant disparu, difficile de comparer, mais on sent un scénario assez typique des années 20-30. Sans être révolutionnaire, cela donne un spectacle supérieur à la moyenne.
Damnation Alley de Jack Smight (1977, Les survivants de la fin du monde)

Damnation Alley est une transposition très libre du roman éponyme de Roger Zelazny chroniqué cette semaine. La première mouture du script, relativement fidèle, avait contenté Zelazny. Elle fut ensuite modifiée en profondeur et l’auteur fut horrifié du résultat. Il n’y a plus en effet qu’un mince lien avec le récit sombre d’origine, sur un pourri désabusé qui affronte de terribles dangers pour livrer un vaccin contre la peste à une cité aux abois. Tanner n’est qu’un second couteau gentiment casse-cou et vaguement rebelle. Le personnage principal ajouté par les scénaristes est Denton, un militaire droit dans ses bottes incarné par un George Peppard pré-Agence tous risques. La troupe ramasse sur le chemin une femme et un ado, l’entente est parfaite, il doivent juste se méfier des cafards anthropophages et des rednecks. Ça s’achève en happy-end, youpi tralala.
Il n’y a pas grand-chose à sauver dans Damnation Alley. La 20th Century-Fox avait de grosses ambitions et avait investi un paquet de tunes (clairement pas visible à l’écran), focalisant en cette année 1977 son marketing sur ce blockbuster aux dépends d’un petit machin nommé Star Wars. Oups.
Temptation Island de Joey Gosiengfiao (1980)

Le terme « camp » a été utilisé à toutes les sauces et il est compliqué de délimiter nettement son champ d’application. Pour Paul Baker, il nécessite la présence de naïveté ou d’idiotie, d’exagération, d’artifice et une opposition à la norme. Le camp est excessif, il transpire l’ironie, se moque des clichés genrés. Temptation Island, du réalisateur gay philippin Joey Gosiengfiao, en est un bonne illustration.
Les quatre héroïnes sont d’anciennes miss au jeu discutable ; les situations sont absurdes, souvent ridicules ou sirupeuses, prétexte à des combats de femmes en petites tenues sous les yeux d’hommes torse-poil ou chemises ouvertes qui les regardent se rouler sur la plage ; Joshua est ostensiblement gay (avec cependant une personnalité maniérée, grotesque et antipathique typique du cinéma asiatique des années 70-80) et Ricardo est bi ; la société matérialiste philippine est critiquée et parodiée… Il convient néanmoins de ne pas surinterpréter car il est difficile d’évaluer les intentions précises de Joey Gosiengfiao. Temptation Island est par ailleurs racoleur, avec un côté porte-nawak caractéristique d’un certain cinéma commercial philippin de l’époque, il cherche à satisfaire le voyeurisme du public et se termine sur une conclusion morale. Cela reste une expérience, que l’on considère cela comme un nanar, une œuvre camp ou un exemple de la culture populaire philippine de la fin des années 70 (j’ai ainsi trouvé intéressant la manière de jongler entre l’anglais et le tagalog selon les interlocuteurs et les circonstances).
Livres
Les culbuteurs de l’enfer de Roger Zelazny (Jean-Claude Lattès, collection « Titres/SF », 1979), 252 p.

Damnation Alley est tiré d’une nouvelle éponyme traduite en français en 1968 sous le titre L'odyssée de Lucifer. Cinq ans plus tard, un quidam s’est dit qu’il vaudrait mieux changer pour Les culbuteurs de l’enfer… Pour une ressortie en 2000, Denoël a eu la sage idée de modifier cela en Route 666, bien que je ne comprenne pas pourquoi ne pas simplement opter pour La route de la damnation. Zelazny admettait préférer sa nouvelle, que je n’ai pas lue. Il l’avait étirée sous la pression de son éditeur pour appâter un éventuel producteur. Le plan fonctionna, malheureusement pour lui.
Les culbuteurs de l’enfer se démarque des textes habituels de Zelazny par sa linéarité, sa violence et son absence d’éléments mythologiques. Il a toutefois gardé sa prédilection pour les héros surpuissants au lourd passif, Hell Tanner étant particulièrement négatif. On est dans de la pure action sans temps mort, de la littérature de gare efficace avec des bébêtes géantes, des explosions, des macchabés à foison et de la baston. C’est assez anecdotique, pas désagréable si on pardonne cette tendance à rendre séduisant un affreux. Correctement transposé, ça aurait pu donner un honnête film d’exploitation.
Miss Hokusai – Tome 1 d’Hinako Sugiura (Philippe Picquier, 2019), 352 p.

Au début des années 80, Hinako Sugiura forma avec Yôko Kondô et Murasaki Yamada le trio de filles de Garo, le magazine féminisant enfin ses effectifs. Attirée par la recherche historique, Hinako Sugiura ne devint mangaka que pour gagner sa croute et abandonna cette carrière en 1993 pour se consacrer à l’Histoire. Elle décéda d’un cancer en 2005 à 46 ans. Spécialiste de l’ère Edo, ses mangas fourmillent de détails réalistes, à l’image de Miss Hokusai paru entre 1983 et 1987 dans Weekly Manga Sunday. Ce titre français de Miss Hokusai est trompeur, reprenant celui employé par l’adaptation animée de Keiichi Hara diffusée en France en 2015. Le personnage principal est Hokusai davantage que sa fille O-Ei. Le manga s’appelle en japonais Sarusuberi, mot désignant le lilas des Indes, un arbuste ornemental répandu au Japon.
Ce tome 1 enchaîne les courts récits en utilisant Hokusai comme fil directeur. Le ton est léger, les protagonistes sont sympathiques, on est plongé dans l’univers culturel d’Edo et on découvre le style d’Hokusai et d'autres maîtres de l'époque à travers de nombreuses reproductions de leurs peintures. Il n’y a pas vraiment de progression narrative, c’est une accumulation de tranches de vie. Il est dommage que l’éditeur Philippe Picquier ne propose pas une présentation de l’autrice ou du recueil, j’espère qu’il y aura quelque chose dans le volume 2.
Revues
Mad Movies n°387 – Novembre 2024

Du côté des sorties, je note la série japonaise d’animation Dandadan produite par le studio de Masaaki Yuasa ; le français 37 : l’ombre et la proie inaugure le label Parasomnia Productions, qui a pour objectif de devenir une espèce de Jason Blum à la française ; Smile 2, apparemment meilleur que le 1 avec l’introduction d’une touche de comédie musicale ; Une femme en jeu, la première réalisation d’Anna Kendrick visible sur Netflix ; et le vieux La marque du diable de Michael Armstrong (1970), qui traine depuis longtemps dans mes listes. Et il faudra que je me penche sur la filmographie du kazakh Adilkhan Yerzhanov, qui semble conjuguer humour à froid à la Kaurismaki et amour du genre.
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