samedi 23 novembre 2024

Carnet de bord 16/11/2024-22/11/2024



Films vus en compagnie
Crash de David Cronenberg (1996)
Occupé à lire un script en conduisant, James Ballard effectue une sortie de route. Sa voiture entre en collision avec un véhicule en sens opposé, il a la jambe fracturée, l’autre automobiliste est tué sur le coup et sa passagère est gravement blessée. Cette dernière croise James à l’hôpital puis dans un parking dans lequel ils font l’amour. Fasciné·e·s par les accidents de la circulation, iels vont se lancer dans un jeu dangereux supervisé par Robert Vaughan, un homme inquiétant qui reconstitue les crashs célèbres de l’Histoire.

Inspiré de la nouvelle éponyme de J. G. Ballard publiée en 1973, Crash suscita la controverse à Cannes en 1996. Il divisa le jury, son président Francis Ford Coppola refusa de lui décerner la Palme d’or ou le Grand Prix du jury, et ils tirèrent de leur chapeau une distinction peu employée, le Prix spécial du jury.
C’est un des rares vieux Cronenberg que je n’avais jamais vu. Son côté sulfureux paraît bien inoffensif de nos jours. L’intrigue est mince, les réflexions sur l’aliénation des émotions et sur la technologie comme extension de l’humain sont mieux exploitées dans d’autres œuvres du réalisateur, les scènes de sexe d’enchaînent sans qu’on s’intéresse au destin des protagonistes. Je me suis ennuyé.


Pontypool de Bruce McDonald (2008)
Sur le chemin du boulot, Grant Mazzy, animateur d’une radio locale, est approché par une femme hagarde qui tape sur la vitre de sa voiture en répétant une phrase incompréhensible avant de disparaître. Encore troublé par cet évènement, il débute sa prise d’antenne en énonçant les maigres actualités de la tranquille ville de Pontypool, dans un style polémique qui agace Sydney, sa productrice. Il est interrompu par leur monsieur météo, qui leur explique assister en direct à une émeute en bas de chez lui. Enfermé·e·s dans leurs locaux, Grant et Sydney n’ont pas moyen de vérifier si c’est un canular ou la réalité, les autorités ne communiquant pas sur le sujet.

Pontypool est l’adaptation par son auteur Tony Burgess du deuxième volume de sa trilogie Pontypool. En parallèle du film confié à Bruce McDonald, un spécialiste de la comédie noire fauchée, une pièce radiophonique fut montée avec une distribution identique. Pontypool est un huis-clos dans un studio de radio, une invasion zombie perçue par ouï-dire, avec des informations filtrées au compte-goutte pour accroitre graduellement la tension. Cela fonctionne parfaitement, excepté dans le dénouement où Tony Burgess semble vouloir à tout prix justifier son concept et le suranalyse. Cela n’empêche pas Pontypool d’apporter une fraicheur bienvenue au genre et de mériter le statut culte qu’il s’est construit avec le temps.


[Jam] de Jason Yu (2023, Sleep)
Hyeon-soo et Soo-jin forment un couple comblé qui attend avec impatience la naissance de leur premier enfant prévu dans quelques mois. Une nuit, Soo-jin découvre que son époux est victime de somnambulisme. Il se déplace dans l’appartement, ouvre le frigo, mange des aliments crus et tente même de passer par la fenêtre. Iels consultent un médecin et, par précaution, sécurisent les sorties. Ces mesures ne jugulent cependant pas les crises et Soo-jin commence à s’inquiéter pour son futur bébé.

Jason Yu a écrit le scénario de Sleep alors qu’il s’apprêtait à se marier et était au chômage. Il souffrait par ailleurs d’apnée du sommeil, phénomène qui terrifiait sa conjointe sans qu’il s’en rende compte. Il s’est servi de ces éléments pour développer une histoire en trois actes mettant à l’épreuve la solidité d’un ménage très uni : le chapitre un pose le décor ; le second, claustrophobique, distend les liens entre Hyeon-soo et Soo-jin ; le troisième part dans un délire psychotique. Le récit ne tranche pas entre diverses interprétations plus ou moins surnaturelles, laissant planer le doute. L’angoisse se répand progressivement, la menace ne vient pas de l’extérieur mais de l’être aimé.
Resserré sur 1h30, Sleep est prenant, bien goupillé en dépit de détails inutilement retors présents uniquement pour instaurer une incertitude sur les intentions des personnages. Comme d’habitude dans le cinéma coréen, on a un mélange de genres avec des touches humoristiques, l’amateur de comédies romantiques Jason Yu ne s’étant dirigé vers l’horreur qu’à contrecœur. Jung Yu-mi (Soo-jin, vue dans Dernier train pour Busan en 2016) et Lee Sun-kyun (Hyeon-soo, le héros de Hard Day en 2014 ou le père de la famille riche dans Parasite en 2019) sont excellent·e·s et contribuent à la réussite de l’ensemble. C’est malheureusement l’ultime apparition sur grand écran de Lee Sun-kyun, qui se suicida en décembre 2023 à cause d’un scandale lié à des accusations d’infidélité et de consommation de drogues douces. Sans gros budget, axé sur ses interprètes et sur une intrigue maline, Sleep revigore une industrie coréenne en difficulté depuis la pandémie de covid.


Mr. Malcolm's List de Emma Holly Jones (2022, La liste de Monsieur Malcolm)
En raison de sa fortune héritée d’une tante, Jeremy Malcolm est un des célibataires les plus courtisés de Londres. Tandis que la fière Julia Thistlewaite estimait avoir ses chances, elle est écartée dès le premier rendez-vous et moquée par une caricature dans un journal. Quand elle apprend par son cousin Lord Cassidy que Malcolm possède une liste de dix qualités requises pour devenir sa promise, elle décide de le prendre à son propre jeu en créant la femme parfaite à ses yeux. Elle demande l’aide de son amie Selina, une fille de pasteur d’une classe sociale inférieure, chargée de le séduire puis de le rejeter.

Mr. Malcolm's List est tiré du roman éponyme de Suzanne Allain. Il a donné lieu à un court métrage avec une distribution quasi-similaire, excepté Gemma Chan qui jouait Julia Thistlewaite à la place de Zawe Ashton. Il fut diffusé sur internet et, devant le succès rencontré, fut transformé en long. Le résultat est un pot-pourri de bouquins de Jane Austen. Les esprits chagrins seront choqués des libertés historiques avec un casting hétéroclite majoritairement non blanc, pour ma part je n’en ai cure. J’ai en revanche eu du mal avec le jeu excessif de Zawe Ashton, qui a remplacé au pied levé Gemma Chan engagée sur le blockbuster Eternals (2021). C’est filmé assez platement, prévisible, pas désagréable sans valoir un bon vieux Jane Austen.


Zeder de Pupi Avati (1983)
Pour son cadeau d’anniversaire, l’aspirant romancier Stefano reçoit de son épouse Alessandra une machine à écrire d’occasion. Ravi, il s’en sert immédiatement mais le ruban de la machine s’emmêle rapidement. En le déroulant, il découvre un texte rédigé par l’ancien propriétaire, qui mentionne l’existence de zones K permettant de vaincre la mort. Pensant tenir le thème de son prochain livre, il se lance dans une enquête pour décoder l’énigme entourant ce message.

J'avais un a priori favorable sur Zeder, qui bénéficie d’une honorable réputation chez les amateurs de cinéma de genre. J'avais en outre accroché à l'ambiance creepy de La maison aux fenêtres qui rient réalisé par le même Pupi Avati en 1976. Malgré la présence de Gaumont au générique, le manque de budget saute aux yeux dès l’ouverture, combiné à une musique abominable du pourtant expérimenté Riz Ortolani et à un montage bizarre. Je ne suis pas entré dans le truc, pas aidé par un rythme mou et un scénario bancal qui tourne autour du pot. Les quelques séquences de terreur dans la dernière demi-heure et la conclusion façon Simetierre de Stephen King (qui sortit trois mois plus tard aux Etats-Unis) n’ont pas suffi, Zeder m’a profondément rebuté et je ne vois pas ce qu’on lui trouve.


Films vus seuls
Santo en el tesoro de Drácula/El vampiro y el sexo de René Cardona (1968, Santo in the Treasure of Dracula/The Vampire and Sex)
Santo n’est pas que le défenseur des braves gens et du patriarcat, un super-héros détenteur d’une cagoule magique, un détective qui potasse ses dossiers, un agent secret d’Interpol ou un infirmier. C’est aussi un scientifique qui souffre, avide de la reconnaissance de ses pairs. Il a inventé un appareil permettant d’envoyer un corps dans une vie antérieure. L’expérience est suivie par l’intermédiaire d’un écran qui diffuse les aventures du sujet. Il cherche un cobaye, précisant que ce n’est pas sans risque. Devant l’insistance de Luisa, la fille de son ami le docteur Sepúlveda, Santo accepte de la sélectionner. Elle est catapultée au XIXe siècle et tombe sous le joug de Dracula.

Santo en el tesoro de Drácula est un des Santo les plus célèbres depuis que Viviana García-Besné, la petite-nièce du producteur Guillermo Calderón, a mis la main sur l’infamante version internationale El vampiro y el sexo. Outre neuf minutes alternatives de nudité, elle propose une copie en couleur alors que l’unique bande mexicaine conservée était un montage télévisé en noir et blanc coupé sur les bords. El vampiro y el sexo fut programmé au festival de Guadalajara en 2011 mais le fils de Santo s’y opposa. Son père n’avait en effet toléré cette mouture sexy qu’à la condition qu’elle ne soit pas montrée au Mexique. Après avoir levé les ambiguïtés juridiques, il fut finalement projeté en festival et à la télévision. Il a par ailleurs été restauré et est sorti en blu-ray avec des sous-titres anglais (ce blu-ray est néanmoins imparfait, le DVD Bach films français est apparemment meilleur).
J’ai regardé Santo en el tesoro de Drácula avant de le comparer avec El vampiro y el sexo. Les seules différences concernent cinq scènes dans lesquelles les actrices sont nues au lieu d’être habillées, et où Dracula tripotte ses victimes avant de les mordre. L’ajout de la couleur est en revanche appréciable. On retrouve sinon le schéma du Santo deux-en-un, avec une partie dans le passé et une dans le présent. C’est la première fois que Santo n’est qu’un observateur voyeur, commentant les péripéties qui assaillent la pauvre Luisa auxquelles il assiste à travers son téléviseur. Luisa est propulsée dans une classique relecture de Dracula, elle est un équivalent de Mina et un certain professeur Van Roth se substitue à Van Helsing. Le second pan est plutôt nase, Santo flanqué d’un sidekick « rigolo » luttant contre un groupe de criminels mené par un mystérieux individu masqué. Le prétexte du traditionnel combat de catch est extrêmement crétin, le chef des méchants consentant à ce que Santo affronte son fils sur le ring en échange d’un plan qu’il convoite en cas de victoire. C’est faible.


エノケンの青春酔虎傳 [Enoken no seishun suikoden] de Kajirô Yamamoto (1934, Romantic and Crazy)
Enomoto, 28 ans, quadruple redoublant à l’université, se prépare pour ses examens en pensant échouer à nouveau. Contre toute attente, il obtient son diplôme puis est engagé dans la compagnie de son père. Dépité par le manque d’intérêt que lui porte Rirako, la cadette de sa belle-sœur qu’il voulait épouser, il se résigne à un mariage arrangé avec la jolie Machiko.

Ken'ichi Enomoto surnommé Enoken ou le « Roi de la comédie » fut une immense vedette populaire dans le Japon des années 30-40. Comme souvent avec les acteurs comiques, il fut totalement inconnu en Occident et rares sont les spectateurs contemporains qui l’auront vu dans autre chose que le rôle du porteur dans Les hommes qui marchèrent sur la queue du tigre d’Akira Kurosawa (1945). Il démarra dans le théâtre de variété avant de se faire un nom au cinéma. Au début des années 30, il était employé par la Shôchiku qui, en dehors de ses studios, possédait un vaste réseau de salles de théâtre. Elle ne souhaitait cependant pas le lancer sur grand écran et Enoken dut se tourner vers la jeune concurrente P.C.L.. Enoken no seishun suikoden est son premier opus, il y exprime ses qualités de chanteur, son dynamisme et son agilité digne des spécialistes américains du slapstick.
Prenant pour modèle les musicals avec Eddie Cantor, l’intrigue combine des éléments de comédie estudiantine en vogue à l’époque, des incursions dans le monde du travail clin d’œil au shôshimin-eiga, des numéros vaguement Busby Berkeley-esque et des séquences très slapsticks. Les chansons, l’histoire d’amour naïve et la baston dans un grand bar à bières m’ont également évoqué Ongaku kigeki horoyoi jinsei (1933, Tipsy Life).
Bien que l’humour soit gentiment lourd et les situations convenues, le rythme soutenu et des chansons agréables font d’Enoken no seishun suikoden un honnête divertissement, un exemple de la forte influence d’Hollywood avant le raidissement nationaliste qui obligea les studios à dissimuler les références à la culture américaine.
A noter que le kanji 傳 (histoire, légende) du titre d’origine est aujourd’hui supplanté par la variante simplifiée 伝, majoritairement utilisée sur internet. J’ai pour ma part adopté la graphie présente sur l’affiche.


江戸の悪太郎 [Edo no akutaro] de Masahiro Makino (1959, Evil Man of Edo)
Pour échapper à un mariage forcé imposé par sa riche famille, Namino s’enfuit de sa ville natale d’Ina dans la province de Shinshu pour gagner Edo sur les conseils de son grand-père. Elle se déguise en garçon et débarque dans un taudis habité par Sanshiro, un brave rônin devenu professeur pour les enfants des environs. Le quartier est menacé par l’avidité d’un puissant voisin, qui ambitionne d’y construire un temple pour un faux voyant. Avec l’aide des résidents, Sanshiro va tenter de contrecarrer ses plans.

Edo no akutaro est un remake par Masahiro Makino de son propre film de 1939, avec un remplacement de la tête d'affiche Kanjûrô Arashi par Ryûtarô Ôtomo. Star des années 30, celui-ci avait connut une période de vache maigre avec la semi-interdiction du chanbara durant l’occupation américaine, avant de réussir son retour à la Toei en 1953. Il interprète ici un rônin nonchalant et charismatique, plus proche dans son jeu humaniste d’un Tsumasaburô Bandô que des autres vedettes du genre comme Kazuo Hasegawa ou Utaemon Ichikawa.
Si rien ne distingue sur le papier Edo no akutaro du tout-venant des jidai-geki de la Toei, l’importance accordée au groupe plutôt qu’à un héros solitaire apporte une certaine fraicheur. La version de 1939 ayant disparu, difficile de comparer, mais on sent un scénario assez typique des années 20-30. Sans être révolutionnaire, cela donne un spectacle supérieur à la moyenne.


Damnation Alley de Jack Smight (1977, Les survivants de la fin du monde)
Une base militaire dans le désert des Mojaves en Californie a été épargnée par la guerre nucléaire qui a ravagé les Etats-Unis. Malheureusement, deux ans après la catastrophe, un accident provoque la mort de tous ses occupants excepté quatre chanceux. Menés par le major Denton, ils partent à la recherche d’une possible communauté survivante dans l’Etat de New-York à bord de véhicules blindés tout-terrain.

Damnation Alley est une transposition très libre du roman éponyme de Roger Zelazny chroniqué cette semaine. La première mouture du script, relativement fidèle, avait contenté Zelazny. Elle fut ensuite modifiée en profondeur et l’auteur fut horrifié du résultat. Il n’y a plus en effet qu’un mince lien avec le récit sombre d’origine, sur un pourri désabusé qui affronte de terribles dangers pour livrer un vaccin contre la peste à une cité aux abois. Tanner n’est qu’un second couteau gentiment casse-cou et vaguement rebelle. Le personnage principal ajouté par les scénaristes est Denton, un militaire droit dans ses bottes incarné par un George Peppard pré-Agence tous risques. La troupe ramasse sur le chemin une femme et un ado, l’entente est parfaite, il doivent juste se méfier des cafards anthropophages et des rednecks. Ça s’achève en happy-end, youpi tralala.
Il n’y a pas grand-chose à sauver dans Damnation Alley. La 20th Century-Fox avait de grosses ambitions et avait investi un paquet de tunes (clairement pas visible à l’écran), focalisant en cette année 1977 son marketing sur ce blockbuster aux dépends d’un petit machin nommé Star Wars. Oups.


Temptation Island de Joey Gosiengfiao (1980)
Quatre finalistes d’un concours de beauté se rendent en paquebot sur les lieux de l’ultime épreuve. Leurs motivations diffèrent : Dina veut s’affirmer et s’acheter une voiture en cas de victoire ; la riche Suzanne participe par vanité et pour passer le temps ; Bambi désire renflouer sa famille en faillite ; l’arnaqueuse Azenith espère corrompre les juges avec son copain et empocher le magot. Durant la traversée, un incendie se déclenche, les passagers évacuent en panique et sont dispersés. Dina, Suzanne et sa domestique Maria, Bambi et Azenith échouent sur une île déserte en compagnie d’Umberto, un membre de l’équipage, d’Alfredo, embarqué clandestinement pour suivre Dina, de Joshua, un des organisateurs, et de son partenaire Ricardo.

Le terme « camp » a été utilisé à toutes les sauces et il est compliqué de délimiter nettement son champ d’application. Pour Paul Baker, il nécessite la présence de naïveté ou d’idiotie, d’exagération, d’artifice et une opposition à la norme. Le camp est excessif, il transpire l’ironie, se moque des clichés genrés. Temptation Island, du réalisateur gay philippin Joey Gosiengfiao, en est un bonne illustration.
Les quatre héroïnes sont d’anciennes miss au jeu discutable ; les situations sont absurdes, souvent ridicules ou sirupeuses, prétexte à des combats de femmes en petites tenues sous les yeux d’hommes torse-poil ou chemises ouvertes qui les regardent se rouler sur la plage ; Joshua est ostensiblement gay (avec cependant une personnalité maniérée, grotesque et antipathique typique du cinéma asiatique des années 70-80) et Ricardo est bi ; la société matérialiste philippine est critiquée et parodiée… Il convient néanmoins de ne pas surinterpréter car il est difficile d’évaluer les intentions précises de Joey Gosiengfiao. Temptation Island est par ailleurs racoleur, avec un côté porte-nawak caractéristique d’un certain cinéma commercial philippin de l’époque, il cherche à satisfaire le voyeurisme du public et se termine sur une conclusion morale. Cela reste une expérience, que l’on considère cela comme un nanar, une œuvre camp ou un exemple de la culture populaire philippine de la fin des années 70 (j’ai ainsi trouvé intéressant la manière de jongler entre l’anglais et le tagalog selon les interlocuteurs et les circonstances).


Livres
Les culbuteurs de l’enfer de Roger Zelazny (Jean-Claude Lattès, collection « Titres/SF », 1979), 252 p.
Hell Tanner est un ex-Hells Angels, un criminel endurci condamné pour meurtres, viols et proxénétisme. C’est aussi le meilleur pilote survivant sur une Terre dévastée par une guerre nucléaire, où seuls une partie de la Californie et les environs de Boston ont été épargnés. Lorsqu’une épidémie de peste ravage soudain Boston, il est gracié à condition d’y amener le vaccin en traversant les Etats-Unis, tâche a priori impossible tant les dangers sont multiples. Afin de le surveiller et de le seconder, il est accompagné par deux autres véhicules, les avions ne pouvant voler dans un ciel zébré d’effroyables orages.

Damnation Alley est tiré d’une nouvelle éponyme traduite en français en 1968 sous le titre L'odyssée de Lucifer. Cinq ans plus tard, un quidam s’est dit qu’il vaudrait mieux changer pour Les culbuteurs de l’enfer… Pour une ressortie en 2000, Denoël a eu la sage idée de modifier cela en Route 666, bien que je ne comprenne pas pourquoi ne pas simplement opter pour La route de la damnation. Zelazny admettait préférer sa nouvelle, que je n’ai pas lue. Il l’avait étirée sous la pression de son éditeur pour appâter un éventuel producteur. Le plan fonctionna, malheureusement pour lui.
Les culbuteurs de l’enfer se démarque des textes habituels de Zelazny par sa linéarité, sa violence et son absence d’éléments mythologiques. Il a toutefois gardé sa prédilection pour les héros surpuissants au lourd passif, Hell Tanner étant particulièrement négatif. On est dans de la pure action sans temps mort, de la littérature de gare efficace avec des bébêtes géantes, des explosions, des macchabés à foison et de la baston. C’est assez anecdotique, pas désagréable si on pardonne cette tendance à rendre séduisant un affreux. Correctement transposé, ça aurait pu donner un honnête film d’exploitation.


Miss Hokusai – Tome 1 d’Hinako Sugiura (Philippe Picquier, 2019), 352 p.
Miss Hokusai décrit les aventures de l’entourage du fameux peintre Katsushika Hokusai : sa troisième fille O-Ei surnommée Ago (= le menton), qui habite avec lui et exerce le même métier ; son disciple Ikeda Zenjirô dit Zen, un pique-assiette ancien samouraï qui a des difficultés à obtenir des commandes ; Utagawa Kuninao, un élève de l’école Utagawa rivale d’Hokusai ; Inoué Masame, disciple et amante d’Hokusai experte en dessins de monstres. Iels tentent de vivre de leurs travaux dans la grouillante Edo des années 1820, où les artistes bénéficient d’un certain prestige.

Au début des années 80, Hinako Sugiura forma avec Yôko Kondô et Murasaki Yamada le trio de filles de Garo, le magazine féminisant enfin ses effectifs. Attirée par la recherche historique, Hinako Sugiura ne devint mangaka que pour gagner sa croute et abandonna cette carrière en 1993 pour se consacrer à l’Histoire. Elle décéda d’un cancer en 2005 à 46 ans. Spécialiste de l’ère Edo, ses mangas fourmillent de détails réalistes, à l’image de Miss Hokusai paru entre 1983 et 1987 dans Weekly Manga Sunday. Ce titre français de Miss Hokusai est trompeur, reprenant celui employé par l’adaptation animée de Keiichi Hara diffusée en France en 2015. Le personnage principal est Hokusai davantage que sa fille O-Ei. Le manga s’appelle en japonais Sarusuberi, mot désignant le lilas des Indes, un arbuste ornemental répandu au Japon.
Ce tome 1 enchaîne les courts récits en utilisant Hokusai comme fil directeur. Le ton est léger, les protagonistes sont sympathiques, on est plongé dans l’univers culturel d’Edo et on découvre le style d’Hokusai et d'autres maîtres de l'époque à travers de nombreuses reproductions de leurs peintures. Il n’y a pas vraiment de progression narrative, c’est une accumulation de tranches de vie. Il est dommage que l’éditeur Philippe Picquier ne propose pas une présentation de l’autrice ou du recueil, j’espère qu’il y aura quelque chose dans le volume 2.


Revues
Mad Movies n°387 – Novembre 2024
Le gros dossier du mois en hommage aux 70 ans de Godzilla est passionnant grâce à la participation de Fabien Mauro. Il interviewe le suit-maker (le responsable de la conception des costumes de kaijû) Shinichi Wakasa et le cinéaste Ryûhei Kitamura, qui dirigea Godzilla: Final Wars (2004). J’ai aussi apprécié l’article sur la classification des films en France, qui revient sur l’interdiction de Terrifier 3 au moins de 18 ans et la manière dont fonctionne le comité chargé de prendre les décisions. Les rencontres avec John McTiernan, qui analyse plusieurs scènes clés de ses œuvres, et avec l’Indonésien Timo Tjahjanto sont également très intéressantes.

Du côté des sorties, je note la série japonaise d’animation Dandadan produite par le studio de Masaaki Yuasa ; le français 37 : l’ombre et la proie inaugure le label Parasomnia Productions, qui a pour objectif de devenir une espèce de Jason Blum à la française ; Smile 2, apparemment meilleur que le 1 avec l’introduction d’une touche de comédie musicale ; Une femme en jeu, la première réalisation d’Anna Kendrick visible sur Netflix ; et le vieux La marque du diable de Michael Armstrong (1970), qui traine depuis longtemps dans mes listes. Et il faudra que je me penche sur la filmographie du kazakh Adilkhan Yerzhanov, qui semble conjuguer humour à froid à la Kaurismaki et amour du genre.


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