Films vus en compagnie
散歩する侵略者 [Sanpo suru shinryakusha] de Kiyoshi Kurosawa (2017, Avant que nous disparaissions)

Excepté Tokyo Sonata, le seul film que j’ai vu de lui qui n’a aucun rapport avec l’horreur ou le fantastique, je n’ai jamais été vraiment convaincu par le cinéma de Kiyoshi Kurosawa, trop lent, trop mystique, avec des personnages souvent sans profondeur ou des intrigues bancales. Certains de ces problèmes sont présents dans Avant que nous disparaissions, d’une durée excessive de 2h09. Les actes des héro·ïne· s manquent régulièrement de cohérence, il y a pas mal de scènes complètement inutiles, des gros trous dans le récit et c’est assez mou du genou. Dommage car le principe d’aliens capables de voler des concepts aux êtres humains était insolite. Cela fonctionnait peut-être mieux dans la pièce de théâtre La promenade des envahisseurs de Tomohiro Maekawa dont Kiyoshi Kurosawa s’est inspiré. En l’état, c’est franchement raté.
Spring de Justin Benson & Aaron Moorhead (2014)

Spring est le second long métrage de Justin Benson et Aaron Moorhead. On y retrouve les défauts et qualités de Synchronic (2019), qui semblent caractéristiques de leur travail : un scénario malin dans lequel ils exploitent sous différents angles une idée originale, ici une explication naturelle de créatures mythiques ; des protagonistes extrêmement bavards qui s’avèrent attachants ; une esthétique parfois maniérée avec des effets vains. Spring est davantage enclin à la romance que The Endless (2017) ou Synchronic. Il met du temps à démarrer et se perd par moments dans des conversations interminables entre Evan et Louise. Cela demeure cependant agréable grâce à la capacité des deux réalisateurs à installer une atmosphère étrange dans un cadre réaliste, et à rendre sympathique le couple principal.
En liberté ! de Pierre Salvadori (2018)

Pour En liberté !, Pierre Salvadori a combiné une intrigue de faux coupable à la Hitchcock au dilemme d’une femme devant révéler à son fils que son père décédé était un sale type. Cela donne une comédie loufoque très rythmée, ponctuée de séquences consacrées aux variations de l’histoire qu’Yvonne raconte à Théo avant d’aller se coucher. Comme toujours chez Salvadori, les personnages vivent dans le mensonge, cachant aux autres ce qu’ils sont et ce qu’ils font. J’avais un bon souvenir d’En liberté !, que j’avais déjà vu en 2018. Cela se confirme, c’est un excellent divertissement où les situations absurdes s’enchaînent sans temps mort, avec des interprètes parfaits et une certaine poésie.
Merrily We Live de Norman Z. McLeod (1938, Madame et son clochard)

Merrily We Live est un remake inavoué façon screwball de la comédie romantique What a Man, avec une forte influence de My Man Godfrey sorti deux ans auparavant. Il réunit deux acteurices aujourd’hui oublié·e·s, Constance Bennett (Jerry, qui venait de triompher dans Topper en 1937 du même Norman Z. McLeod) et Brian Aherne (Wade), un Anglais débarqué à Hollywood en 1934 qui rencontrait des difficultés à percer. Norman Z. McLeod, un familier du genre qui a notamment travaillé pour les Marx Brothers, se charge de la mise en scène.
Merrily We Live n’est clairement pas du niveau de My Man Godfrey auquel il fait penser. Outre un passage gênant et raciste avec le cliché du noir peureux, le problème vient d’un montage catastrophique. Au lieu d’accompagner les dialogues et de renforcer le rythme, il multiplie les reaction shots, coupant l’action et la spontanéité. Cela reste pourtant foncièrement sympathique et parfois rigolo grâce à un casting bien choisi et à des protagonistes farfelus. Mention spéciale à la petite sœur jouée par Bonita Granville (15 ans à l’époque), qui eut une belle carrière de businesswoman et produisit 374 épisodes de la série Lassie de 1959 à 1973.
Mother, Couch de Niclas Larsson (2023)

Mother, Couch est une adaptation libre de Mamma i soffa de l’écrivain suédois Jerker Virdborg. Enthousiasmé par le concept, Niclas Larsson affirme avoir rédigé son script après la lecture des dix premières pages sans tenir compte de la suite. Du vague résumé du bouquin que j’ai pu trouver sur internet, je suis sceptique en raison du nombre trop important de points communs.
Il ne se passe pas grand-chose dans Mother, Couch, centré sur un personnage complexé par le manque d’amour maternel. On ne sait pas vraiment si les évènements sont réels ou imaginaires, avec un climat de réalisme magique pas inintéressant, les aspects fantastiques étant assumés jusqu’au bout. L’ambiance est lourde, accentuée par une musique pesante. Cela m’a laissé dubitatif, on tombe dans la caricature du cinéma indé prétentieux, avec des séquences glauques ou bizarres, et une mère extrêmement cruelle. Je ne le conseillerais guère.
Films vus seuls
El tesoro de Moctezuma de René Cardona & René Cardona Jr. (1968, The Treasure of Montezuma)

El tesoro de Moctezuma est le second et ultime volet des aventures d’agents secrets de Santo et Jorge. Jorge Rivero reprendra sans Santo son rôle de Jorge Rubio dans Alerta, alta tensión (1969) avant de poursuivre une honnête carrière nationale et internationale. Il apparaît ici très nonchalant, volant moins la vedette à Santo que dans Operación 67 (1967). Ses limitations en catch sont par ailleurs flagrantes, remplacé régulièrement par un cascadeur vaguement ressemblant. El tesoro de Moctezuma est plus faible que son prédécesseur. L’intrigue est bancale, succession de scènes artificiellement liées entre elles, avec des méchants transparents qui s’enchaînent rapidement. S’il y a toujours des moyens conséquents, ils sont mal exploités. Le prochain épisode, Santo en el tesoro de Drácula, reviendra à un schéma traditionnel. Reste à savoir sur quelle version je vais mettre la main.
インスマスを覆う影 [Insumasu o ôu kage] de Chiaki Konaka (1992, The Shadow Over Innsmouth)

Insumasu o ôu kage est une curiosité, un téléfilm diffusé par la chaîne TBS en 1992 dans le cadre de son programme Gimme a Break (ギミア・ぶれいく). Le projet est né sous l’impulsion de l’acteur Shirô Sano, qui souhaitait jouer dans une transposition de la nouvelle de Lovecraft Le cauchemar d'Innsmouth actualisée dans le Japon contemporain. Il convainquit TBS qui l’engagea pour jouer Takuyoshi Hirata et offrit la réalisation à Chiaki Konaka, un scénariste spécialisé dans l’horreur lovecraftienne célèbre chez nous pour avoir écrit la série Serial Experiments Lain (1998).
Le résultat est imparfait. Le budget est ridicule, on sent le téléfilm fauché avec une photographie suréclairée, des angles étriqués et des effets spéciaux cheap. Ce n’est cependant pas inintéressant, il y a une belle distribution (outre Shirô Sano, je note la présence de Renji Ishibashi, comédien à la carrière impressionnante aperçu dans Audition (1999) ou Tetsuo (1989)) et une atmosphère bien creepy. Ce n’est pas étonnant de la part de Chiaki Konaka, qui contribua à rénover la J-Horror avec ce qui fut appelé la théorie Konaka, une manière de représenter la peur à l’écran qui fut utilisée par Kiyoshi Kurosawa ou Hideo Nakata. Insumasu o ôu kage est disponible sur YouTube avec des sous-titres anglais, ça vaut le coup de jeter un œil pour se forger son opinion.
Une mort sans importance de Yvan Noé (1948)

Yvan Noé, cinéaste oublié des années 30-40, adapte sa propre pièce de 1947. On retrouve des thèmes similaires et le même type d’humour déjanté que dans Arsenic et Vieilles Dentelles sorti dans les salles françaises en décembre 1946. Yvan Noé y a ajouté une touche de policier, une de ses spécialités, et un soupçon de fantastique, genre en vogue après-guerre. Ce n’est malheureusement pas du niveau de son modèle, il y a un côté théâtre filmé très statique et l’intrigue s’embourbe dans ses retournements. Je suis toutefois clément pour les whodunits vaguement surnaturels, j’étais content de voir Jean Témerson dans un double rôle crétin ainsi que Jean Tissier dans son classique répertoire de gentil lunaire. Sans être bon, c’était distrayant et le dénouement était inattendu, je ne vais pas me plaindre.
おこんの初恋 花嫁七変化 [Okon no hatsukoi hanayome nanahenge] de Kunio Watanabe (1958, First Love of Okon)

Okon no hatsukoi hanayome nanahenge est tiré d’une pièce de Hideji Hôjô, un des leaders du théâtre commercial japonais d'après-guerre qui s’inspire ici d’un conte. C’est un véhicule à la gloire de Hibari Misora dans un double rôle dont elle est coutumière. Elle n’incarne pas cette fois un homme et une femme, bien qu’elle se déguise brièvement en garçon, mais deux demoiselles. La Toei a confié la réalisation à Kunio Watanabe, un stakhanoviste qui a débuté dans les années 20, qui est passé par la plupart des gros studios et qui a, selon le wikipedia japonais, dirigé 225 films pour le grand écran et 209 pour le petit.
Okon no hatsukoi hanayome nanahenge comporte beaucoup de numéros, ça chante et ça danse en permanence, pas juste les deux-trois solos habituels de Hibari Misora. Le style musical est plutôt traditionnel, avec un rythme enlevé et un humour enfantin. C’est fort plaisant, il est dommage qu’il n’existe pas de copie correcte : celle que j’ai récupérée était lamentable, pixelisée, recadrée avec des bords coupés.
クロスファイア [Kurosufaia] de Shûsuke Kaneko (2000, Crossfire)

A l’instar de nombre de jeunes metteurs en scène des années 80, Shûsuke Kaneko a démarré dans le pinku eiga avant de s’orienter vers des titres mainstreams. Crossfire s’intercale entre la trilogie Gamera, qui a fait sa réputation à la fin des années 90, et Godzilla, Mothra and King Ghidorah: Giant Monsters All-Out Attack (2001), le vingt-sixième Godzilla de la franchise. Il a coécrit le script en fusionnant deux livres de Miyuki Miyabe, une autrice populaire célèbre pour ses romans à mystère ou de fantasy (à l’image de Brave Story qui a été adapté en animé en 2006). Crossfire marque les débuts au cinéma d’Akiko Yada (Junko Aoki) et surtout de Masami Nagasawa (qui interprète une femme télépathe), vue dans Go Find a Psychic! (2009), I Wish (2010), Wood Job! (2014), Avant que nous disparaissions (2017) ou Masquerade Hotel (2019).
Oh que c’était mauvais. On dirait un TV drama agrémenté d’horreur et d’images de synthèse moches. La photographie est laide, le scénario est insipide et bourré de clichés, les personnages n’ont aucune profondeur… Le seul intérêt est une flic cynique qui ajoute une touche de second degré dans un récit qui en manque furieusement. A fuir.
Livres
Le vieil homme qui vendait du thé. Excentricité et retrait du monde dans le Japon du XVIIIe siècle de François Lachaud (Les Éditions du Cerf, collection « Les conférences de l’École Pratique des Hautes Études », 2010), 153 p.

Le vieil homme qui vendait du thé est une prolongation d’une conférence donnée par François Lachaud en 2005. L’ouvrage est divisé en deux pans égaux : une présentation générale des excentriques ; une focalisation sur Kô Yûgai. La première partie est d’une lecture ardue, dans un style peu lisible, truffée de citations qui m’ont parfois laissé dubitatif (pourquoi invoquer Cicéron ou Pétrarque ?) et de références à des penseurs que j’ignorais. J’ai eu l’impression que le chercheur tournait en rond et les ponts avec l’Occident m’ont semblé tiré par les cheveux, excepté le cas bien documenté de Matteo Ricci. La seconde partie est plus intéressante mais j’avais déjà saturé. C’est le genre d’étude qui ne passionnera qu’un petit milieu qui sait de quoi il parle.
- Soleil des loups d’André Pieyre de Mandiargues (Marabout, collection « Bibliothèque Marabout – Fantastique », 1970), 256 p.Ce recueil paru en 1951 comporte six nouvelles de 10 à 85 pages :
- • L’archéologue : Conrad Mur se souvient de sa rencontre avec sa fiancée Bettina avant que leur situation n’évolue.
- • Clorinde : Un homme distingue un minuscule chevalier sur un arbre dans la forêt.
- • Le pain rouge : Un bourgeois dépravé est rapetissé à la taille d’un insecte et explore le paysage d’un bout de pain rouge.
- • L’étudiante : Une des fenêtres de l’appartement de Maria Mors lui permet de voir son avenir.
- • L’opéra des falaises : Le capitaine Idalium est entraîné par une femme dans un réseau de grottes peuplé d’êtres inquiétants.
- • La vision capitale : Hester Algernon explique à son interlocuteur pourquoi elle en est réduite à vivre dans la crasse et à fuir l’humanité.
Contes du Japon d'autrefois de Kazuichi Hanawa (Kana, collection « Sensei », 2008), 264 p.

Kazuichi Hanawa a démarré dans Garo en 1971. Il voulait devenir illustrateur mais changea d’avis en découvrant l’œuvre de Yoshiharu Tsuge. Il se fit remarquer par des mangas horrifiques trashs et étranges proche de l’ero guro nansensu avant de bifurquer vers des BD surnaturelles situées dans le Moyen-Âge japonais, s’inspirant de légendes et de récits bouddhistes. Contes du Japon d'autrefois se place dans cette veine après sa parenthèse carcérale qui l’amena à écrire son plus grand succès, Dans la prison.
Si Contes du Japon d'autrefois n’est pas du même niveau que Dans la prison, cela reste d’une lecture agréable. Kazuichi Hanawa s’amusant à détourner des contes traditionnels, un minimum de connaissance sur le folklore japonais est cependant nécessaire pour apprécier pleinement le jeu sur les références. Le graphisme pourra rebuter, avec une petite fille au visage rond qui se retrouve dans tous les chapitres. Cela ne m’a pour ma part pas dérangé. Je vais essayer de récupérer ses autres titres traduits en français.
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