samedi 2 novembre 2024

Carnet de bord 26/10/2024-01/11/2024



Films vus en compagnie
The Ring de Gore Verbinski (2002, Le Cercle - The Ring)
A la demande de sa sœur, Rachel, journaliste au Seattle Post-Intelligencer, enquête sur le décès de sa nièce Katie, victime d’un arrêt cardiaque à l’âge de 17 ans. Des lycéens à l’enterrement lui mentionnent l’existence d’une cassette dont le visionnage entrainerait la mort. Elle découvre que les trois autres ados qui s’étaient rendus avec Katie dans une auberge de montagne ont également péri exactement sept jours plus tard. Elle loue la même chambre et regarde une VHS trouvée à la réception, qui contient des images perturbantes. A la fin de la projection, le téléphone sonne, une voix murmure « sept jours », le temps qu’il reste à Rachel pour briser la malédiction.

The Ring est un remake de Ringu de Hideo Nakata (1998), financé par la Paramount pour surfer sur la mode des thrillers surnaturels à la suite du succès du Sixième Sens (1999). Le parallèle avec l’original picote, il suffit de consulter une des nombreuses vidéos confrontant les deux versions sur internet pour le constater. L’américaine gomme une bonne partie de la singularité du classique de Nakata, qui renouvelait la J-Horror en modernisant les traditionnels fantômes du kaidan eiga et en instaurant une atmosphère extrêmement malaisante. The Ring retombe sur les rails d’une banale péloche d’horreur américaine, avec un abus de filtre vert. Sans être mauvais en soi, il ne supporte guère la comparaison.


Patrick de Richard Franklin (1978)
Trois ans après avoir assassiné sa mère et son amant, Patrick git dans le lit d’une clinique en état de mort cérébrale. Le responsable de l’établissement refuse de le débrancher, estimant qu’il constitue un sujet d’étude sur la frontière entre la vie et la mort. Une infirmière nouvellement embauchée, Kathy, est chargée de s’occuper de lui. Récemment séparée de son époux, elle n’a pas beaucoup d’amis et se prend d’affection pour son patient. Les hommes qui approchent Kathy vont dès lors subir d’étonnants accidents.

Patrick est le deuxième scénario d’Everett de Roche, une figure majeure de la ozploitation, un cinéma d’exploitation populaire qui inonda les écrans australiens entre le début des années 70 et la fin des années 80. Il rédigea notamment les scripts de Long Weekend (1978), Roadgames (1981), Razorback (1984) et Link (1986). Patrick s’inscrit dans la vague des films traitant de la psychokinésie à l’instar de Carrie (1976) ou Scanners (1981). Sa particularité est de se concentrer non pas sur le possesseur des pouvoirs mais sur un témoin extérieur, une femme au caractère affirmé. Elle couche avec un playboy et son ex sans que cela soit jugé négativement, n’est pas impressionnée par la violence ou les évènements étranges qui s’enchaînent, ne se laisse pas dicter ses choix. Combiné à une belle galerie de personnages secondaires, cela fait de Patrick un agréable divertissement dans le genre, très différent des équivalents américains de l’époque.


My Name Is Gulpilil de Molly Reynolds (2021)
David Gulpilil fut le premier acteur aborigène doté d’une aura internationale. Après le succès de Walkabout en 1971, il parcourut le monde, joua dans une quarantaine de métrages et séries télévisées, dirigea des troupes de danse, écrivit, peignit et fit même un one man show. En 2017, il apprend qu’il a un cancer et qu’il n’a plus que six mois à vivre. Avec ses ami·e·s Molly Reynolds et Rolf de Heer, il se lance dans une ultime production, un documentaire devant retracer sa disparition et son enterrement. Les choses ne vont pas se dérouler comme prévu, Gulpilil repoussant la mort grâce au soutien de son aide-soignante Mary.

Il ne faut pas trop attendre de My Name Is Gulpilil, prétexte utilisé par le trio Reynolds/de Heer/Gulpilil pour tourner ensemble une dernière fois. La carrière et la biographie de David Gulpilil sont survolées, le formidable The Last Wave (1977) n’est pas mentionné et la trame est chaotique. Molly Reynolds multiplie les ralentis, la musique accentue le pathos et on s’attarde sur un vieil homme ravagé par la maladie. Malgré ces défauts et facilités, c’est émouvant de voir et d’entendre David Gulpilil revenir sur son existence, survivant d’une ère révolue et ambassadeur d’une culture menacée par l’oubli. Il y avait sans doute matière à une œuvre puissante, en l’état c’est un documentaire regardable qui m’a donné envie de combler mes trous dans la filmographie de cet artiste unique.


Les chambres rouges de Pascal Plante (2023)
Au Palais de justice de Montréal s’ouvre le procès de Ludovic Chevalier, soupçonné d’avoir torturé, abusé sexuellement et assassiné trois adolescentes, et d’avoir filmé et projeté en direct ses atrocités via un système de diffusion illégal appelé Chambres rouges. Kelly-Anne assiste aux audiences, devant faire la queue durant des heures tous les matins pour obtenir une place. Elle semble obnubilée par l’affaire et récupère des informations complémentaires sur internet par des biais illicites. Elle est abordée par Clémentine, une autre membre du public qui clame l’innocence de Ludovic.

Le point de départ de Pascal Plante était de se pencher sur les groupies de serial killer, manifestation dérangeante de l’attrait qu’exercent les tueurs en série dans notre société. Il visait à développer une réflexion sur cette fascination sur fond de cyber-thriller judiciaire, Kelly-Anne manipulant avec aisance les outils technologiques. Les chambres rouges se focalise sur cette anti-héroïne sociopathe, qui n’exprime rien et tente de contrôler intégralement son environnement. C’est extrêmement stylisé, trop à mon goût, avec un rythme lent et un scénario peu vraisemblable étiré sur 1h50. L’ambiance est malaisante à souhait, on ne sait pas sur quel pied danser et je suis resté dubitatif.


My Octopus Teacher de Pippa Ehrlich & James Reed (2020, La Sagesse de la pieuvre)
Après des années de travail intensif, le documentariste Craig Foster est épuisé. Il retourne chez lui, au bord de la mer près du Cap. Il se met à plonger quotidiennement dans une forêt de varech en face de son domicile, découvrant les merveilles de ce riche écosystème sous-marin. Il tombe un jour sur une pieuvre farouche. Charmé, il décide de gagner doucement sa confiance. Pendant presque un an, il va se passionner pour sa nouvelle amie.

Craig Foster est le fondateur d’une association de défense de la vie marine, qui souligne notamment l’importance des forêts de varech. My Octopus Teacher retrace sa relation particulière avec une pieuvre, qui a changé sa manière de concevoir son environnement. Le documentaire, qui mit dix ans à se concrétiser, est totalement centré sur lui et sur son point de vue. Avec sa musique grandiloquente et son introduction très clichée, je n’escomptais pas grand-chose. J’ai donc été agréablement surpris par la suite. On est rapidement subjugué par la beauté des images sous-marines et par la bizarrerie de la faune et de la flore, oubliant la voix-off qui enchaîne les poncifs. A cela s’ajoute les interactions touchantes entre Craig Foster et la pieuvre ainsi que la magie dégagée par cette extraordinaire créature. Nonobstant le commentaire convenu, le résultat est une œuvre bienvenue qui pousse à reconsidérer les céphalopodes.


Films vus seuls
兵隊やくざ [Heitai yakuza] de Yasuzô Masumura (1965, Hoodlum Soldier)
Détestant l’armée et échouant volontairement aux examens de promotion, l’intellectuel Arita n’est qu’un pauvre première classe malgré ses trois années de service. Il attend avec impatience la quille prévue pour dans quelques mois. Dans l’intervalle, son chef le charge d’encadrer un bleu, un ancien yakuza rebelle nommé Omiya. Les deux hommes se lient d’amitié, Arita se démenant pour rattraper les débordements de l’impétueux Arita.

Heitai yakuza est le volet inaugural d’une série de neuf longs métrages qui dépeignent les mésaventures d’Arita et Omiya. A l’inverse de certains titres ambigus de la période, Yasuzô Masumura tire à boulets rouges sur l’armée japonaise, où les forts écrasent les faibles, où règne la corruption, l’arbitraire et la violence. C’est un véhicule pour Shintarô Katsu, produit par Ikuo Kubodera qui était déjà à l’initiative de Zatoichi. L’acteur est relativement sobre, épaulé par Takahiro Tamura, le fils aîné de Tsumasaburô Bandô.
Heitai yakuza est plutôt plaisant en dépit d’une abondance de bagarres qui permettent à Shintarô Katsu de s’en donner à cœur joie. Il s’achève sur une conclusion ouverte, la Daiei anticipant une suite. Je crains toutefois le syndrome Rikugun Nakano gakko (L'école militaire de Nakano), avec un bon premier épisode réalisé par Yasuzô Masumura puis une brutale baisse de qualité sous la houlette des habituels faire-valoir du studio Tokuzô Tanaka et Kazuo Mori. Je regarderai sans doute le deuxième pour vérifier mon hypothèse et je m’arrêterai probablement là (j’ai vu il y a longtemps le dernier, Shin Heitai Yakuza Kasen, de nouveau dirigé par Yasuzô Masumura en 1972).


Santo vs. los villanos del ring d’Alfredo B. Crevenna (1968, Santo vs. the Villains of the Ring)
La riche grand-mère d’une filleule de Santo, Maria Elena, est gravement malade. Sur son lit de mort, elle se réconcilie avec sa petite-fille et lui lègue la majorité de sa fortune. Une bande de criminels comportant des catcheurs dépravés souhaite lui extorquer son héritage. Pressentant l’intervention de Santo, ils essayent de l’éliminer sur le ring ou dans la rue. Heureusement, Santo est aidé de ses camarades et des patrons de l’association des lutteurs, Masque Gris et Masque Noir.

Ce Santo exagère d’une manière délirante le nombre et la longueur des combats, qui constituent 43% de la durée totale (environ 38 minutes sur 88). Ils sont brouillons, répétitifs, avec une multitude d’adversaires qui tombent dans tous les sens. Il ne reste guère de temps pour développer une réelle intrigue, qui se focalise sur Maria Elena et son copain. Santo n’est là que pour les bastons et pour démasquer le cerveau de l’affaire grâce à ses fameux dossiers. Un Santo médiocre qui clôt la collaboration du luchador avec le producteur Alfonso Rosas Priego.

Pendant ce temps, Santo enquête.


アンデスの花嫁 [Andesu no hanayome] de Susumu Hani (1966, Bride of the Andes)
Tamiko arrive au Pérou avec son enfant Takeshi pour épouser Taro, le fils d’un ancien ami de son père. Il habite dans un village quechua dans les montagnes, cherchant des antiquités pour les revendre et amasser l’argent nécessaire à l’irrigation des champs. La vie n’est pas simple pour une immigrée qui parle peu la langue, avec un mari taciturne et souvent absent. Pour se changer les idées, elle décide d’aller récupérer seule des graines dans une colonie japonaise installée au bord de la jungle, à deux jours de train. Ce voyage l’amène à mieux appréhender le point de vue de Taro.

Andesu no hanayome suit une logique similaire à celle de Bwana Toshi no uta (1965, La chanson de Bwana Toshi) sorti l’année précédente. Susumu Hani partit de nouveau dans un pays étranger, ici le Pérou, avec une équipe réduite pour un tournage de six mois au cœur de la population locale. L’accueil fut méfiant et il fallut vaincre les réticences des résidents. Tamiko est incarnée par Sachiko Hidari, une star engagée qui fut la femme de Susumu Hani entre 1959 et 1977.
Si l’implication de Susumu Hani et de Sachiko Hidari est indéniable, le résultat n’est pas du niveau de Bwana Toshi no uta. Le scénario présente des enjeux plus diffus, usant de ficelles parfois faciles à l’instar de l’opposition entre gentils indiens et méchants blancs. Susumu Hani effectue même un rapprochement physique et surtout ethnologique discutable, Tamiko expliquant à Takeshi que les Incas et les Japonais ont probablement des ancêtres communs. Les protagonistes manquent de charisme, avec un Taro effacé interprété par un non professionnel. Bien qu’intéressant pour les aspects semi-documentaires et en tant que rare exemple d’expatriation du cinéma japonais en Amérique du Sud, Andesu no hanayome ne tient pas ses promesses.


Home at Seven de Ralph Richardson (1952)
David Preston rentre du boulot à son heure habituelle et trouve son épouse en train de se ronger les sangs. Elle affirme qu’il a disparu depuis vingt-quatre heures, qu’il n’est pas allé à sa banque aujourd’hui et qu’elle craignait un accident. D’abord dubitatif, David comprend qu’il a eu un trou de mémoire d’une journée. Son docteur ne semble pas inquiet outre mesure, estimant que cela pourrait être une séquelle de la guerre. Mais quand l’argent du club dont il est le trésorier s’avère avoir été volé et que l’intendant est retrouvé mort, son amnésie le place dans une position embarrassante vis-à-vis de la police.

Home at Seven (titré Murder on Monday aux Etats-Unis) est l’unique réalisation de l’acteur Ralph Richardson qui joue David Preston. Selon Sidney Gilliat, figure importante du cinéma britannique de cette période, la mise en scène fut prise en charge par Alexandre Korda qui produisait le film. Quel que soit le responsable, elle n’est pas franchement inspirée, plate retranscription de la pièce éponyme de R. C. Sherriff. Ralph Richardson reprend le rôle qu’il occupait déjà dans la version théâtrale, un employé de banque timide et tête en l’air. David Preston est un monsieur tout-le-monde avec une existence calme et rangée, les dangers sont essentiellement dans son imagination. Il n’y a aucun suspense, la résolution tombe comme un cheveu sur la soupe, un thriller sans frisson qui sera vite oublié.


หนุมาน พบ 7 ยอดมนุษย์ [Hanuman pob Jed Yodmanud] de Sompote Sands & Shohei Tôjô (1974, Hanuman Meets 7 Supermen)
Le jeune Koh est tué en tentant d’arrêter des pilleurs de temples. Sur la planète M78, les Ultra ont été témoins de cette mort injuste. Révoltés, ils ressuscitent Koh en fusionnant son corps avec celui d’Hanuman. Pendant ce temps sur Terre, un savant mène des expériences pour faire pleuvoir et sauver le pays de la sécheresse. Malheureusement, ses missiles explosent, réveillant cinq créatures enfouies sous terre.

Hanuman Meets 7 Supermen est une coproduction nippo-thaïlandaise entre Tsuburaya Productions, le studio du spécialiste des trucages Eiji Tsuburaya, et Chaiyo Productions bâti par Sompote Sands. En 1962, grâce à une bourse de son gouvernement et de Mitsui Bank, Sompote Sands put venir étudier les effets spéciaux à la Tôhô, sous la houlette d’Eiji Tsuburaya. En 1974, tandis que Tsuburaya Productions était en difficulté financière quatre ans après le décès de son fondateur, Noboru Tsuburaya contacta son ancien collègue. L'objectif était de renflouer les caisses avec deux coproductions à budget réduit. La première fut Jumborg Ace & Giant (1974), crossover entre le héros de la série TV Jumborg Ace (1973) et le géant de l’opus précédent de Sompote Sands, Tah Tien (1973). La seconde qui nous concerne ici intègre le Hanuman des légendes thaïlandaises à l’univers d’Ultraman. N'ayant vu que la série Ultraman initiale, je ne connaissais pas tous les avatars apparus ensuite. Pas grave, Hanuman Meets 7 Supermen n’est de toute façon pas canon.
Durant une bonne heure, Hanuman Meets 7 Supermen est du gros porte-nawak. Sompote Sands multiplie les sous-intrigues, entre la bande de gosses qui prient pour obtenir de la pluie, les voleurs de statues, Hanuman et les Ultra, le scientifique et ses sous-fifres censés être drôles, le pote de Koh qui essaye de le rattraper… A cela s’ajoute un humour lourdingue et des flashs de violence gratuite. Surgissent enfin les monstres, qui réaniment le spectateur assoupi. On assiste alors à une trentaine de minutes de traditionnels combats de kaijus, avec des gars en costumes qui détruisent allègrement quelques maquettes. C’est maigre et Hanuman Meets 7 Supermen n’intéressera que les fans hardcores de la saga Ultraman à la recherche d’une curiosité.

A noter que Sompote Sands était un sacré filou. En 1996, il argua à l’aide d’un faux document antidaté de 1976 qu’il possédait les droits internationaux des Ultraman d’avant 1974 et des deux films tournés en Thaïlande. Au bout de quatorze ans de bataille juridique, Tsuburaya Productions gagna son procès et récupéra son dû. Cet imbroglio explique pourquoi Hanuman Meets 7 Supermen (titré au Japon The 6 Ultra Brothers vs. The Monster Army / ウルトラ6兄弟VS怪獣軍団 / Urutora Roku Kyôdai tai Kaijû Gundan) n’a pas été diffusé au Japon depuis les années 90 et pourquoi il n’est généralement pas mentionné pas dans les ouvrages officiels consacrés à Ultraman.


O Pai Tirano d’António Lopes Ribeiro (1941)
Francisco, vendeur de chaussures aux grands magasins Grandella, est épris de Tatão, une employée d’une boutique de parfums. Pour se rapprocher d’elle, il s’arrange pour louer une chambre à la pension de sa marraine où elle habite. Son déménagement n’a pas l’effet escompté, Tatão le snobe, préférant sortir avec un playboy aisé. Elle souhaite se marier avec un nanti, privilégiant le luxe aux sentiments. Tout change quand elle entend Francisco se disputer avec son père, annonçant qu’il renonce à sa noblesse pour mener une existence de prolétaire et épouser la femme qu’il aime. Tatão le voit dès lors d’un autre œil, ignorant qu’il était en réalité en train de répéter une pièce de théâtre.

En 1941, António Lopes Ribeiro, cinéaste officiel du régime salazariste, créa sa société de production Produções Lopes Ribeiro. Son but était de maintenir en permanence une équipe de techniciens et d’interprètes, d’enchaîner les tournages pour rentabiliser les coûts et les investissements. Cinq longs métrages en résultèrent : O Pai Tirano (1941) ; O Pátio das Cantigas (1942) mis en scène par Francisco Ribeiro, le frère d’António Lopes Ribeiro aussi appelé Ribeirinho ; Aniki-Bobó (1942) de Manoel de Oliveira ; Amor de Perdição (1943) ; et Camões (1946) de José Leitão de Barros, désastre financier qui coula la compagnie. A l’inverse de Camões, O Pai Tirano fut un immense succès public et est encore aujourd’hui considéré comme un classique de la comédie à la portugaise, aux côtés de La chanson de Lisbonne (1933) et de O Pátio das Cantigas.
António Lopes Ribeiro a écrit l’histoire de O Pai Tirano pour son frère Ribeirinho, qui incarne Francisco. Il lui a adjoint Vasco Santana, une star du théâtre qui choisissait avec soin ses rares rôles sur grand écran (il joue notamment le mémorable personnage principal de La chanson de Lisbonne). Le reste de la distribution est solide, mélange de valeurs sûres et de jeunes comédiennes prometteuses. Le démarrage est poussif et on ne rentre dans le vif du sujet qu’au bout d’une heure. Le subterfuge pour tromper Tatão et la représentation théâtrale qui s’ensuit sont fort cocasses. Idéologiquement, pas de propagande visible, plutôt un conservatisme bon teint qui favorise la stabilité, le travailleur sérieux au riche aventurier. J’ai passé un agréable moment, O Pai Tirano mérite sa réputation, largement meilleur et dynamique que le décevant A Vizinha do Lado (1945) du même António Lopes Ribeiro.


Livres
Dans le torrent des siècles de Clifford D. Simak (J’ai lu, 1973), 314 p.
Asher Sutton a quitté la Terre vingt ans auparavant, envoyé sur une planète mystérieuse entourée par un champ de force. Tandis que plus personne n’attendait son retour, son supérieur, Christopher Adams, est prévenu par un homme du futur qu’il atterrira à proximité le lendemain et qu’il doit absolument être éliminé. Adams refuse, estimant son subordonné trop précieux. Asher est porteur d’un message susceptible de bouleverser la domination de l’humanité sur la galaxie. Divers groupes vont essayer d’influer sur son destin pour modifier l’avenir à leur avantage.

Dans le torrent des siècles est le premier vrai roman de Clifford D. Simak après Cosmic Engineers, une nouvelle de 1939 rallongée pour sa parution en livre en 1950. On y repère déjà son humanisme universaliste qui englobe les robots et tous les êtres vivants, son goût pour la ruralité et son rejet d’un modernisme effréné. Dans le torrent des siècles est ancré dans son époque, prenant parti pour des androïdes dont la situation rappelle la ségrégation, additionné de touches de Guerre Froide, Asher Sutton revenant d’un monde protégé par un mur invisible. Dans le torrent des siècles n’a cependant pas la puissance de Demain les chiens qu’il évoque par moments. La romance entre Asher Sutton et une femme chargée de le défendre ne fonctionne pas, on s’égare dans les réflexions du héros et l’intrigue s’enlise, avec une conclusion peu satisfaisante. On sent que l’auteur débute et, sans être déplaisant, cela demeure un Simak mineur.


Le roi tué par un cochon de Michel Pastoureau (Points, collection « Histoire », 2018), 272 p.
En 1131, le fils aîné de Louis VI le Gros, Philippe, âgé de quinze ans, périt d’une chute de cheval dans les rues d’un faubourg de Paris. L’accident a été provoqué par un cochon errant qui a bousculé sa monture. Outre le malheur de perdre l’héritier désigné, couronné roi à Reims en 1129 pour asseoir la succession, le responsable de la catastrophe est particulièrement infamant : le cochon est un animal vil, impur, la mort est sans gloire et souille la réputation familiale. L’évènement va entraîner des conséquences majeures, amenant sur le trône le frère de Philippe, Louis, un enfant destiné à la religion. Mal préparé, naïf et maladroit, son long règne sera désastreux pour le royaume de France. Selon Michel Pastoureau, la volonté de redorer le blason de sa lignée peut expliquer l’adoption à cette période des attributs iconographiques de la Vierge Marie, le lis et le bleu azur.

Michel Pastoureau est un historien du Moyen-Âge spécialiste des couleurs et des animaux. Dans ses travaux, il s’attarde sur des faits mésestimés ou méconnus, longtemps relégués aux livres d’anecdotes, pour décrire des changements culturels profonds. Dans Le roi tué par un cochon, un incident oublié lui permet de dresser une Histoire alternative des rois de France au XIIe siècle, en abordant la question de la perception du cochon au Moyen-Âge, l’apparition des armoiries, les signes religieux, et la symbolique associée au lis et à la couleur bleue. Il résume dans une perspective différente certains éléments analysés en détail dans ses recherches précédentes, notamment Le cochon : Histoire d'un cousin mal aimé et Bleu, histoire d'une couleur. Comme d’habitude avec Pastoureau, cela se lit aisément et s’avère palpitant, je le recommande fortement.


Cinema Year Book of Japan 1936-1937 édité par Tadashi Iijima, Akira Iwasaki et Kisao Uchida (The Sanseido Co., 1937), 137 p.
En 1937 et 1938, la Kokusai Eiga Kyôkai (= association internationale de cinéma) édita un ouvrage en anglais visant à promouvoir les productions japonaises à l’étranger. Ce premier volume comprend des textes sur l’Histoire du cinéma de l’archipel, sur ses caractéristiques marquantes, sur ses liens avec le théâtre shingeki, sur sa musique, sur son industrie et sur sa législation. Neuf films récents sont présentés, de nombreuses photos d’exploitation sont proposées ainsi que des portraits des principaux acteurs, actrices et réalisateurs.

J’ai déjà signalé l’intérêt que je porte aux anciens bouquins sur le cinéma japonais, qui développent souvent des approches originales et fournissent des informations aujourd’hui ignorées. J’ai donc été ravi de récupérer les deux Cinema Year Book of Japan sur archive.org. Celui de 1936-1937 n’est malheureusement plus disponible sur le site à cause de son récent piratage, j’espère qu’il reviendra. Il y a à boire et à manger dans ce recueil, entre une Histoire partiale adoptant un point de vue dédaigneux et modernisateur sur le cinéma muet, de brèves critiques insignifiantes pour un lecteur de 2024 et un essai de Foujita qui admet qu’il n’y connait rien en cinéma japonais. J’ai en revanche apprécié l’article sur le shingeki, celui sur la situation économique de l’industrie en 1937, avec plein de statistiques passionnantes, et celui sur le fonctionnement des salles (horaires, modes de tarification…). Ces données précises que je n’avais jamais lues ailleurs justifient à elles seules de se pencher sur ce Cinema Year Book of Japan.


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