Films vus en compagnie
El hombre de papel d’Ismael Rodríguez (1963, The Paper Man)

En février 2023, à un moment où j’étais peu familier du cinéma mexicain, j’avais survolé rapidement ¡A.T.M! (¡A toda máquina!) (1951) sans connaître le type d’humour de cette période, les stars qui y participaient ou l’importance d’Ismael Rodríguez, réalisateur excessif qui avait tendance à en rajouter à la fois dans le mélo et dans la comédie. El hombre de papel se situe dans la seconde partie de sa carrière, après ses grands succès et la mort de son acteur fétiche Pedro Infante en 1957. Tiré d’une nouvelle de Luis Spota, c’est un drame satirique proche du conte qui vilipende la vénale société mexicaine des années 60. Ismael Rodríguez eut l’idée de rendre le héros muet et de le confronter à des filles de joie. Pour Adam, il souhaitait engager Toshirô Mifune avec qui il venait de terminer Ánimas Trujano (1961). Celui-ci étant indisponible, il se rabattit sur Ignacio López Tarso, l’inoubliable interprète de Macario. C’est heureux compte tenu de la propension au surjeu de Mifune tandis qu’Ignacio López Tarso est parfait en pauvre naïf. Il est opposé à l’Italienne Alida Valli en prostituée et à Luis Aguilar, une énorme vedette des années 40-50, en ventriloque.
En dépit d’une trame schématique et de quelques fautes de goût (notamment une blague très raciste), El hombre de papel montre encore une fois la qualité du cinéma mexicain grâce à des comédien·ne·s impeccables, emmenés par un Ignacio López Tarso touchant, et un tournage en extérieur qui dévoile les dessous du miracle économique mexicain (une ère de forte croissance d’une quinzaine d’années entre 1954 et 1970). Cela me donne envie de récupérer d’autres opus d’Ismael Rodríguez et surtout d’explorer la filmographie d’Ignacio López Tarso dont je suis fan (il était également excellent en patron amoureux dans Días de otoño (1963)).
Prescription: Murder de Richard Irving (1968, Columbo : Inculpé de meurtre)

Ma copine a proposé qu’on regarde un Columbo par mois. Même si je les ai tous vus quand j’étais jeune, j’ai accepté car Columbo est ma madeleine de Proust et je ne connais pas la VO. Sachant qu’il existe 69 épisodes répartis en dix-huit saisons, je m’embarque donc pour six années de critiques.
Prescription: Murder est un téléfilm qui précède de trois ans la première saison. A l’époque, Peter Falk privilégiait le cinéma et ne voulait pas s’engager dans une série. Le personnage de Columbo est apparu dans un épisode de l’anthologie The Chevy Mystery Show diffusé sur NBC en 1960, incarné par Bert Freed. L’intrigue s’inspirait d’une nouvelle de Richard Levinson et William Link publiée dans l’Alfred Hitchcock's Mystery Magazine. Les deux écrivains en firent une adaptation en pièce de théâtre, avec Thomas Mitchell en Columbo, Joseph Cotten en Ray Flemming et Agnes Moorehead en Carol. Thomas Mitchell mourut durant la tournée et il fallut attendre 1968 pour que la pièce soit reprise sur le petit écran. Peter Falk fut un choix par défaut de Richard Irving, Lee J. Cobb et Bing Crosby ayant décliné.
Prescription: Murder présente la structure classique des futurs Columbo, avec une longue ouverture dépeignant un meurtre effectué par un riche influent et une arrivée tardive de l’inspecteur. Il a déjà son gros cigare, un imperméable, et son style faussement naïf fait de petites questions agaçantes et d’anecdotes autour de sa femme. Il est cependant moins débraillé et plus vindicatif que par la suite, il n’a pas son chien ni son vieux tacot, et son accent du Bronx me semble moins prononcé. La mise en scène est basique, Richard Irving n’a travaillé que pour la télévision et ça se sent. C’est platement filmé en champ-contrechamp, principalement en studio, avec des faux raccords et des éclairages douteux. La résolution est nasouille, Prescription: Murder vaut comme introduction à l’univers et pour les solides fondations qu'il pose.
Memoir of a Snail d’Adam Elliot (2024, Mémoires d’un escargot)

Memoir of a Snail est le second long métrage d’Adam Elliot après Mary and Max (2009). Son ambition est de réaliser neuf opus au total dans sa carrière, trois courts, trois moyens, trois longs. Il ne lui reste plus qu’un moyen et un long pour atteindre son objectif. Il se concentre systématiquement sur des marginaux, montre leur quotidien en alternant drame et comédie avec des touches de bizarre voire de glauque et un esprit résolument adulte. Techniquement, Memoir of a Snail est impressionnant, de l’animation en pâte à modeler qui a nécessité un an de préparation et huit mois de tournage. Pour réduire les coûts et la complexité, le récit est majoritairement sous forme de flash-back en voix off, avec peu de dialogues, procédé fatiguant sur la durée. Sur le fond, j’ai retrouvé ce qui m’avait gêné dans Mary and Max, soit une histoire extrêmement sombre et parfois sordide, avec une héroïne qui enchaîne les infortunes et les rencontres creepy. Ça m’a paru forcé, j’ai fini par me lasser et je ne partage pas l’enthousiasme de la critique.
Eat the Night de Caroline Poggi & Jonathan Vinel (2024)

Outre leur premier long métrage Jessica Forever en 2018, Caroline Poggi et Jonathan Vinel sont auteurices d’une dizaine de courts. Ils aiment apparemment employer l’esthétique des jeux vidéo en se focalisant sur des solitaires bloqués dans leur adolescence et dans des univers artificiels. Pour Eat the Night, ils ont construit une œuvre ancrée dans le vrai monde, mélangeant thriller et drame. Ils n’ont malheureusement pas pu s’empêcher de greffer à cela une errance dans Darknoon, qui se rattache difficilement à la trame principale axée sur la romance entre Pablo et Night (avec de nombreuses scènes de sexe inutiles, la première suffisait) et sur la déception d’Apolline. S’y ajoutent un soudain incident fantastique qui ne donne lieu à aucun prolongement ; un père absent qui revient pour accentuer le chagrin d’Apolline ; ou un gang de dealers peu crédible qui se préoccupe d’un vieil homme malade et d’une obscure affaire de pénurie de drogue, avec un assassinat qu’on ne comprend pas bien. A force de caser trop d’éléments, on se finit par tout survoler. Dommage.
Little Fugitive de Ray Ashley, Morris Engel & Ruth Orkin (1953, Le petit fugitif)

Little Fugitive est un titre important du cinéma américain indépendant d’après-guerre, une sorte de trait d’union entre le néoréalisme italien et la Nouvelle vague française qui exerça une influence notable sur Truffaut et Godard. Il fut tourné dans les rues de Brooklyn où Morris Engel avait grandi et à Coney Island durant l’été 1952, avec des acteurs amateurs et une caméra portable 35 mm révolutionnaire. Elle permit à Morris Engel, pionnier du photojournalisme, de filmer sur le vif et discrètement dans la foule. La prise de son n’étant pas possible, les dialogues furent post-synchronisés, avec une bande originale à l’harmonica.
L’intrigue est simple, prétexte à s’attarder sur le quotidien d’un groupe de garçons et sur la découverte de Coney Island par un enfant. Malgré cette trame rachitique, le résultat n’est pas ennuyeux grâce à un montage dynamique assuré par Ruth Orkin, l’épouse de Morris Engel. Elle-même photographe prestigieuse, elle avait grandi à Hollywood et avait brièvement travaillé pour la MGM. Little Fugitive est donc un document passionnant qui nous plonge dans le New York des années 50. Il ne faut toutefois pas s’attendre à un film de gosses à l’anglaise type The Magnet (1950) avec du suspense ou de l’émotion, on est davantage dans une espèce de docufiction dans lequel il ne se passe pas grand-chose. Le couple Morris Engel/Ruth Orkin a réalisé deux autres opus dans un style similaire, Lovers and Lollipops (1956) et Weddings and Babies (1958), que je récupèrerai à l’occasion.
Films vus seuls
暁の合唱 [Akatsuki no gasshô] de Hiroshi Shimizu (1941, Le chœur de l’aube)

Akatsuki no gasshô est tiré d’un roman en deux parties de Yôjirô Ishizaka publié en décembre 1940 et mars 1941. Fidèle à ses habitudes, l’auteur a centré son récit sur une héroïne avec un fort caractère, qui prend ses propres décisions et termine conductrice de bus, position rarement atteinte par une femme à cette époque (encore aujourd’hui, cet emploi est occupé à 98% par des hommes). Pour la réalisation, la Shôchiku fit appel à Hiroshi Shimizu, qui avait déjà dirigé en 1936 Arigatô-san (Monsieur Merci) axé sur le quotidien d’un chauffeur de bus. On se focalise cette fois sur la receveuse dans une ambiance légère assez similaire, avec moins de péripéties sur la route et davantage de temps consacré à Tomoko en dehors de son boulot.
Ukita est incarné par Shin Saburi, une des vedettes de la Shôchiku, et Tomoko par Michiyo Kogure. Recrutée deux ans auparavant par la Shôchiku, elle devint une star dans les années 40, souvent dans des rôles de viles séductrices. Elle joua pour Kurosawa (L'ange ivre, 1948), Mizoguchi à quatre reprises, Naruse (Okuni et Gohei, 1952) ou Ozu (Le goût du riz au thé vert, 1952). Elle interprète ici un garçon manqué sûre de ses choix, personnage original en pleine guerre tandis que le gouvernement prônait la mise en avant des valeurs traditionnelles. On n’échappe d’ailleurs pas à un petit laïus sur l’américanisation de la jeunesse qui montre trop ses sentiments. C’est l’unique concession à la propagande, on aurait du mal à part ça à situer l’histoire. Hiroshi Shimizu reprendra ses films de bus en 1948 avec Asu wa nipponbare (Tomorrow There Will Be Fine Weather), proposant une vision plus sombre conséquence de la défaite. Akatsuki no gasshô eut droit à deux remakes, par Hiromu Edagawa pour la Daiei en 1955 et par Hideo Suzuki pour Takarazuka Motion Picture Company en 1965. Je ne sais pas ce qu’ils valent, le Shimizu est en tout cas une réussite d’un féminisme étonnant pour 1941.
Eye of the Devil de J. Lee Thompson (1966, Le mystère des treize)

Eye of the Devil comporte un casting impressionnant avec David Niven en Philippe de Montfaucon, Deborah Kerr en Catherine, Donald Pleasance en prêtre, et deux débutants prometteurs, David Hemmings en Christian avant sa révélation dans Blow-Up (1966) et Sharon Tate en Odile. La direction est assurée par le vétéran J. Lee Thompson et le scénario baigne dans la folk horror. Il y avait donc un beau potentiel et la désillusion est d’autant plus forte. Catherine devait être interprétée par Kim Novak, qui se blessa sur le tournage et fut remplacée en catastrophe par Deborah Kerr. Ceci explique peut-être sa pitoyable performance. Elle est complètement à l’ouest, toujours énervée ou en panique, pas aidée par un rôle mal écrit et agaçant. Philippe dit explicitement à Catherine de ne pas venir, la prévient des risques et des dangers au fur et à mesure. Elle ignore tous les conseils, fonce tête baissée sans se préoccuper des susceptibilités locales et récolte logiquement des ennuis. L’intrigue manque de suspense et de tension, David Niven tire la tronche en permanence et j’ai trouvé le temps long. Il n’y a guère que Donald Pleasance qui surnage en curé creepy. A éviter.
Сказка о потерянном времени [Skazka o poteryannom vremeni] d’Aleksandr Ptushko (1964, Le conte du temps perdu)

Le conte du temps perdu est la transposition d’une pièce de théâtre pour marionnettes de 1940 du russe Evgueni Schwartz. La réalisation aurait dû être assumée par Tamara Lisitsian mais Mosfilm lui retira le projet à la dernière minute au profit d’Aleksandr Ptushko, un spécialiste des adaptations de contes et de légendes. Le résultat est décevant. Le public visé était probablement très jeune, l’humour repose sur du slapstick lourdingue et des grimaces, les comédiens en rajoutent et le scénario rachitique véhicule une morale moisie qui précise qu’il ne faut pas perdre son temps et bien travailler. Même les trucages, le point fort normalement d’Aleksandr Ptushko, sont rudimentaires. C’était pénible et je ne le conseillerai pas.
A noter qu’un coucou mécanique est substitué quand il reprend vie par… une tourterelle turque en gros plan. Ils ont juste superposé un bruit de coucou au rourou de la tourterelle qui s’envole…
Der Rächer de Karl Anton (1960, Le Vengeur défie Scotland Yard)

Edgar Wallace fut un écrivain britannique du début du XXe siècle spécialisé dans les romans policiers ou d’aventures. Très populaire en Allemagne, ses livres y furent transposés sur grand écran dès les années 20. En 1959, la société danoise Rialto Films produisit en Allemagne Der Frosch mit der Maske ( La Grenouille attaque Scotland Yard), qui fut un immense succès. Elle se lança en conséquence dans une ribambelle d’adaptations d’Edgar Wallace de moins en moins fidèles. Imitée par d’autres studios, la série des Edgar Wallace totalisa 38 opus entre 1959 et 1972, la plupart issus de la Rialto qui avait négocié pour un temps une exclusivité sur les œuvres de l’auteur. Deux textes lui échappèrent avant le deal, dont Der Rächer acheté par le producteur Kurt Ulrich.
Der Rächer est dirigé par le vétéran Karl Anton, qui avait débuté dans les années 20, et le rôle principal de Brixan a échu à Heinz Drache, vedette de nombreux téléfilms dans les années 50. En dépit du titre français qui mentionne Scotland Yard, Le Vengeur défie Scotland Yard n’a aucun rapport avec les deux Edgar Wallace de la Rialto Films qui l’ont précédé, où des inspecteurs de Scotland Yard poursuivaient des organisations criminelles.
C’est mon premier Edgar Wallace allemand, un banal whodunit avec un détective cool, de multiples suspects et des touches de bizarre, ici des têtes coupées et un serviteur noir effrayant nommé Bhag, un pur cliché raciste interprété par Al Hoosman. Ancien soldat et boxeur noir américain, il fut muté en Allemagne à la fin des années 40, s’installa dans ce pays après sa démobilisation et se recycla dans le cinéma. Le Vengeur défie Scotland Yard comporte également un mec fourbe joué par Klaus Kinski, sale type récurrent dans les Edgar Wallace. L’intrigue est curieusement menée, elle dévie rapidement vers un riche obsédé et les rivalités sur un tournage avant de se raccrocher à la trame initiale du Chasseur de têtes à l’approche du dénouement. C’est en conclusion un whodunit plan-plan mais je suis bon client sur ce genre.
伊賀野カバ丸 [Igano Kabamaru] de Norifumi Suzuki (1983, Kabamaru the Ninja)

Igano Kabamaru est au départ un manga en douze volumes de Yû Azuki publié dans le magazine shôjo Bessatsu Margaret entre août 1979 et février 1982. Outre ce long métrage de 1983, il fut adapté en un animé de 24 épisodes diffusé par Nippon Television d’octobre 1983 à mars 1984. Produit par la Toei, la mise en scène d’Igano Kabamaru a été confiée à Norifumi Suzuki, plus habitué à l’érotisme, l’horreur et l’action violente qu’à la comédie. Kabamaru est incarné par Hikaru Kurosaki, un disciple de Sonny Chiba qui travailla essentiellement pour la télévision ; Saizô par Sonny Chiba grimé ; et Shizune par Hiroyuki Sanada. L’origine manga est immédiatement perceptible par le découpage et la caractérisation caricaturale des protagonistes. L’humour est extrêmement lourdingue, parfois en dessous de la ceinture, avec en prime deux-trois blagues homophobes. C’est franchement pénible, il n’y a pas grand-chose à sauver et je suis étonné que les rares avis sur internet soient aussi indulgents.
Livres
Les oubliés de la science de Camille Van Belle (Alisio, collection « Sciences », 2024), 200 p.

J’avais beaucoup aimé Dans les pantoufles de Darwin et j’étais curieux de lire l’autre BD de Camille Van Belle, Les oubliés de la science. Ayant dépassé depuis longtemps l’âge cible de Science et Vie Junior, tous les textes étaient inédits pour moi et j’ai pu découvrir de nombreux·ses chercheur·euse·s dont je n’avais jamais entendu parler. Le trait de Camille Van Belle est agréable, les histoires sont bien documentées et racontées de façon amusante. L’accumulation ne m’a pas lassé et permet de souligner la récurrence de certains schémas d’exclusion, notamment des femmes jusque très récemment. Deux légers reproches : l’occidentalo-centrisme (seule une Chinoise est mentionnée, et encore elle a travaillé aux Etats-Unis, rien sinon en dehors de l’Europe et des Etats-Unis) ; et des références nationales à des époques où cette notion n’était pas pertinente (dire d’un homme du XVIe siècle qu’il est Italien ou du XVIIe siècle qu’il est Néerlandais n’a aucun sens). Cela n’empêche pas cet ouvrage d’être fort recommandable, pour les petits et les grands.
- Les œufs fatidiques, Diablerie et autres récits de Mikhail Boulgakov (Le livre de poche, collection « biblio », 1990), 215 p.Les œufs fatidiques, Diablerie et autres récits contient quatre nouvelles de Mikhail Boulgakov :
- • Les œufs fatidiques (1924, 114 pages) : Le zoologiste Persikov découvre un rayon rouge générateur de mutations chez les amphibiens qui les fait pulluler, grossir et devenir agressif. Son invention est confisquée par un responsable de sovkhoze pour une expérience qui va dégénérer.
- • Diablerie (1924, 51 pages) : Korotkov est employé dans une usine d’allumettes. Refusant son renvoi par le nouvel administrateur, il le poursuit et tombe sur un sosie barbu.
- • La Commune ouvrière Elpite N° 13 (1922, 13 pages) : Une commune ouvrière normalement chauffée fait face à une pénurie de pétrole, qui oblige ses habitants à contourner les règles de sécurité.
- • Les aventures de Tchitchikov (1922, 19 pages) : Grâce à son bagout et ses contacts, une crapule nommée Tchitchikov devient rapidement extrêmement riche.
Diablerie est un récit absurde d’un individu opposé à une machine bureaucratique incompréhensible, une sorte de Brazil (1985) avant l’heure qui dérive vers une narration de plus en plus délirante. C’était un peu trop bizarre pour moi en dépit d’images fortes et déconcertantes. Je n’ai enfin pas accroché à La Commune ouvrière Elpite N° 13, court et sans enjeu, ni à Les aventures de Tchitchikov, bourré de références à Gogol qui me sont passées au-dessus. C’était au total assez déroutant et ça me pousse à explorer l’œuvre de Mikhail Boulgakov, notamment son fameux Le Maître et Marguerite.
How to Clone a Mammoth de Beth Shapiro (Princeton University Press, 2016), 220 p.

Bien qu’en faveur de la désextinction pour certains dossiers spécifiques et murement réfléchis, elle présente les innombrables contraintes que suscitent le procédé. Elle explique que ressusciter une espèce telle qu’elle était à son époque est impossible, le clonage nécessitant l’emploi de cellules extraites sur un être vivant et l’ADN ancien étant trop dégradé pour pouvoir fabriquer un génome complet. Ce que tentent les chercheurs est d’injecter dans un proche parent (séparé par quelques millions d’années d’évolution) des gênes clés de l’espèce cible afin de créer un hybride capable d’interagir de la même manière avec l’environnement de réinsertion. Ainsi, pour le cas du mammouth, l’objectif serait de générer une sorte d’éléphant d’Asie laineux résistant au froid qui pourrait peupler les steppes sibériennes en martelant la terre, ayant pour effet de casser la mousse, stabiliser le terrain de la toundra et rétablir une végétation de prairie. Pour ses partisans, la désextinction serait un outil supplémentaire dans les stratégies de réensauvagement en implantant des variations d'espèces locales éteintes au lieu d’aller récupérer des animaux totalement étrangers à l’écosystème. La désextinction pourrait enfin permettre de réintroduire des espèces fraichement exterminées pour lesquels le milieu est toujours en place, à l’image du bouquetin des Pyrénées, une sous-espèce du bouquetin ibérique dont le dernier représentant est décédé en 2000.
La désextinction est un domaine récent et polémique, souvent sujet à des approches sensationnalistes, y compris de la part des compagnies qui procèdent aux recherches. Colossal Biosciences a par exemple annoncé en avril 2025 avoir ressuscité le loup sinistre, une espèce de canidés disparue il y a 10 000 ans et popularisé par la série Game of Thrones. En réalité, comme l’a confirmé Beth Shapiro qui occupe depuis mars 2024 la position de directrice scientifique pour Colossal Biosciences, il s’agit de loups gris communs avec une vingtaine de modifications génétiques sélectionnées pour les faire ressembler aux animaux de Game of Thrones. Sachant qu’il n’y a aujourd’hui aucun milieu adéquat pour les réintroduire, ce choix est très discutable et je suis étonné que Beth Shapiro ait participé à cette mascarade. C’est d’autant plus dommage que How to Clone a Mammoth n’est jamais caricatural et montre parfaitement les difficultés de la désextinction ainsi que ses limites biologiques, environnementales et éthiques. J’en ressors avec un fort scepticisme concernant l’intérêt de la chose mais avec les clés pour appréhender les avantages, les inconvénients et les enjeux.
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