Films vus en compagnie
Strul de Jon Holmberg (2024, Trouble)

Strul est un remake de la comédie d’action éponyme de 1988 que personne ne connait en dehors de Suède. La version de 2024 est ponctuée de références à l’original, adressées davantage au public local qu’aux spectateurs de Netflix sur lequel elle est diffusée (elle était destinée à Viaplay, un service de streaming suédois qui se retira du projet au profit de Netflix). La réalisation clinquante de Jon Holmberg est assez agaçante et n’a guère d’intérêt. Le scénario tombe dans la facilité, avec le cliché du mec qui déteste le nouveau mari de son ex ou du sbire fort et bête. Cela reste pourtant regardable grâce à un rythme qui ne faiblit pas et à la bonne alchimie du duo formé par Conny (Filip Berg) et une flic qui va le sauver (Amy Deasismont, une chanteuse ancienne enfant star), qui compensent le jeu excessif d’une partie des interprètes. Le Strul de 1988 est apparemment très différent, je le récupèrerai à l’occasion.
明日は日本晴れ [Asu wa nipponbare] de Hiroshi Shimizu (1948, Tomorrow There Will Be Fine Weather)

Asu wa nipponbare est le second long métrage d’Hiroshi Shimizu après-guerre, quelques mois après Les enfants du nid d'abeilles (1948) où il avait employé comme acteurs des orphelins recueillis dans sa ferme. Pour Asu wa nipponbare distribué par la Tôhô, première production du studio indépendant Ekuransha, il mélange professionnels et amateurs dans une relecture de son Monsieur Merci (1936). On y assistait déjà aux discussions entre les voyageurs d’un autocar, conduit par un brave chauffeur incarné par Ken Uehara. Monsieur Merci n’était pas mièvre, on y voyait une fille vendue par ses parents ou des ouvrières coréennes pauvres. Asu wa nipponbare est cependant bien plus sombre. La guerre a eu un impact sur la société et a généré son lot de malheur. Un passager a perdu une jambe, un autre la vue, elle a séparé des amoureux, engendré des orphelins, et il faut recourir au marché noir pour survivre. A l’inverse de Monsieur Merci, Sei ne parvient pas à maintenir la cohésion et cela l’arrange qu’on se débrouille sans lui. Chacun part de son côté et les tentatives de réconciliation échouent.
Le film était considéré perdu depuis sa sortie en 1948 mais la Shôchiku (pour laquelle Shimizu travailla entre 1922 et 1943) découvrit en 2020 une copie 16 mm dans ses archives, qui fut ensuite restaurée et gonflée en 35 mm. Le casting est composé de débutants convaincants (l’homme amputé, le diseur de bonne aventure, le gosse…) et de seconds couteaux, notamment Michitarô Mizushima dans le rôle de Sei et Shin'ichi Himori en aveugle, un excellent comédien héros du Fils unique d’Ozu (1936). Le tournage a été effectué en extérieur en utilisant un unique autocar. On retrouve dans Asu wa nipponbare une absence d’intrigue typique de Shimizu, qui pose un contexte puis suit tranquillement ses personnages et leurs interactions. Sous une apparence de légèreté et d’humour, entre l’aveugle qui a des capacités dignes de Zatoichi ou le diseur de bonne aventure chafouin, il s’en dégage une noirceur qui révèle les difficultés de la période de reconstruction consécutive à la défaite. C’est un incontournable pour les fans de Shimizu (dont je suis) ou de cinéma japonais des années 40-50 en général.
Films vus seuls
Santo contra el asesino de la T.V. de Rafael Pérez Grovas (1982, Santo vs. the TV Killer)

Comme prévu, ce second Santo de Rafael Pérez Grovas était nasouille bien que pas franchement pire que Santo en la frontera del terror (1981). Un tiers est occupé par cinq chansons et deux matchs de catch. Les deux tiers restants multiplient les protagonistes, entre Gerardo Reyes qui joue un chanteur/reporter, les malheurs de Marina (Irina Areu) emprisonnée par Magnus, une deuxième célébrité que Magnus veut kidnapper, les tribulations de Santo et de son manager Carlitos, et l’enquête d’une journaliste amie de Santo. Celle-ci est interprétée par Rubi Re dans son premier rôle majeur, une actrice sympathique qui n’effectua qu’un bref passage dans le show business avant de se retirer. Santo contra el asesino de la T.V. comporte en outre son lot habituel d’incohérences et un montage qui accumule les faux raccords parfois grossiers (Magnus dans une pièce qui répond à un affidé dehors devant une grotte, cf. image ci-dessous). C'est au final un Santo dans la moyenne basse. A noter un combat contre un karatéka avec un Santo étonnamment vif (Dave Wilt suspecte une doublure, peut-être le fils de Santo)

楳図かずお恐怖劇場 ねがい [Umezu Kazuo Kyôfu gekijô - Negai] d’Atsushi Shimizu (2005, Kazuo Umezu's Horror Theater: The Wish)

Quatrième volet de l’anthologie Kazuo Umezu's Horror Theater, Negai (= vœu) est tiré d’une nouvelle de Kazuo Umezu de 1975 qui a donné son titre au recueil Le vœu maudit publié par Le lézard noir en 2016. C’est un traditionnel récit de poupée creepy filmé sans esbrouffe par Atsushi Shimizu, un ancien disciple d’Akio Jissôji. Les effets spéciaux sont simples et efficaces, principalement un gars dans un costume, et les gosses jouent correctement. Sans révolutionner le genre, ce n’est pas désagréable et c’est sans doute le meilleur épisode de l’anthologie jusqu’à présent.
Rapunzel oder Der Zauber der Tränen d’Ursula Schmenger (1988, Raiponce ou la magie des larmes)

Rapunzel oder Der Zauber der Tränen est un téléfilm de la DEFA, le studio d’Etat de l’Allemagne de l’Est. Il a été confié à Ursula Schmenger, une réalisatrice du petit écran spécialisée dans les adaptations de contes de fées. C’est la fusion de deux contes des frères Grimm, Raiponce (KMH 12) et Demoiselle Maleen (KMH 198). Dans ce dernier, Maleen est enfermée dans une tour par son père pendant sept ans. Quand elle en sort, son pays a été dévastée et son fiancé la croit morte. Elle se retrouve à la cour de celui-ci par hasard le jour de son mariage et remplace la vile promise.
Le mélange des deux histoires est imparfait et génère quelques problèmes de cohérence mineurs. On est dans une aimable féérie naïve, qui masque bien son manque de budget et emploie des interprètes convaincants venus du théâtre. C’est assez fidèle aux contes des Grimm, que ce soit dans le texte ou dans l’esprit, et j’ai apprécié dans l’ensemble.
射鵰英雄傳續集 [She diao ying xiong chuan xu ji] de Chang Cheh (1978, The Brave Archer 2)

The Brave Archer 2 retranscrit le troisième volume de la tétralogie Legends of the Condor Heroes, qui comporte un interminable huis clos dans une auberge. Il peut ainsi se permettre de s’attarder davantage que The Brave Archer (1977), qui couvrait deux tomes imposants. Si le récit est plus intelligible, avec des scènes et des combats plus développés, cela demeure extrêmement épisodique.
Excepté la disparition des références historiques et du passé de Guo Jing en Mongolie (c’était déjà le cas de son prédécesseur), il n’y a pas de réécriture en profondeur, le scénario tente de caser toutes les péripéties du roman, y compris celles avec des personnages coupés dans The Brave Archer. Pour avoir une cohésion et être accessible aux néophytes, il aurait fallu faire des choix, se concentrer sur un nombre réduit de passages en élaguant et en recréant de la continuité avec des transitions. Les seules différences importantes semblent justifiées par des questions de coût, comme l’abandon d’un chapitre dans une eau infestée de requins, d’une baston épique sur un bateau en flammes ou d’intrigues sur une île exotique. La notion de temps long est également supprimée par le montage, on saute du coq à l’âne sans remarquer qu’il s’est écoulé des semaines ou des mois entre certaines séquences, ce qui empêche de comprendre la progression de Guo Jing. The Brave Archer 2 reste donc très faible.
Ladrones de tumbas de Rubén Galindo Jr. (1989, Grave Robbers)

Ladrones de tumbas est un slasher satanique respectueux du genre et de ses protagonistes. A l’inverse de la plupart de ses comparses états-uniens, il ne se moque pas des jeunes victimes, caricaturales au premier abord avant de s’avérer plus sympathiques qu’escompté. Il n’y a d’ailleurs pas de nudité inutile, les femmes ne sont pas là juste pour montrer leurs seins. Le boogeyman est réussi, un démon invincible avec un maquillage qui tient la route. Les trucages sont un des points forts, rustiques mais gores et amusants. Le metteur en scène, Rubén Galindo Jr., est le fils de Rubén Galindo, croisé sur ce blog pour le catastrophique Asesinos de Otros Mundos (1973) et pour le curieux Santo vs. las lobas (1976). Producteur, scénariste, il débuta à la réalisation en 1985 avec Cementerio del terror et se spécialisa dans l’horreur. Pour les amateurs de slasher, Ladrones de tumbas est une variante originale et convaincante, avec une vraie sincérité et un méchant iconique, largement supérieur à la masse des séries B hollywoodiennes.
Parada 88, o Limite de Alerta de José de Anchieta (1978)

Parada 88, o Limite de Alerta est l’unique film du costumier et scénographe de théâtre José de Anchieta. C’est un des rares exemples de SF brésilienne, dans une ambiance post-apo étouffante qui se penche sur le quotidien de rescapés dans un style réaliste. Sans être jamais mentionné, l’accident industriel évoque le danger nucléaire alors que le gouvernement brésilien cherchait à acquérir la bombe atomique. Malheureusement, si le concept est intéressant, le résultat est décevant. Passé la contextualisation initiale, on suit la morne vie des habitants enfermés et on finit par s’ennuyer autant qu’eux. La copie pourrie que j’ai récupérée n’a pas aidé, j’avais parfois du mal à distinguer les personnages. S’ajoute à ça une sous-intrigue de mauvais goût avec la fille de Joaquim amoureuse de son violeur. A éviter.
燃えよ剣 [Moeyo-ken] de Hirokazu Ichimura (1966, The Blazing Sword)

Moeyo-ken est tiré d’un roman historique de Ryôtarô Shiba paru de novembre 1962 à mars 1964 dans le magazine Shûkan Bunshun. Il dépeint la vie de Toshizô Hijikata, le vice-commandant du Shinsengumi, une milice aux ordres du shôgun qui maintint l’autorité dans la terreur à Kyôto de 1863 à 1868. La Shôchiku confia la direction à Hirokazu Ichimura, un pur produit du studio tombé dans l’oubli de nos jours. Ce n’est pas franchement étonnant si je me limite à Moeyo-ken, platement filmé et monté, avec un récit beaucoup trop dense qui multiplie les références historiques au risque de désorienter le spectateur. La distribution ne comporte pas de vedette. Elle est menée par Asahi Kurizuka, surtout connu pour ce rôle qu’il occupait déjà dans la série TV Shinsengumi Keppûroku en 1965 et qu’il reprit dans plusieurs autres séries pour le petit écran et au théâtre. C’est dans l’ensemble assez confus, sans moment marquant, et ça ne passionnera probablement pas grand-monde.
மெர்க்குரி [Merkkuri] de Karthik Subbaraj (2018, Mercury)

Fan de films muets, Karthik Subbaraj voulait en réaliser un lui-même. Il eut des difficultés à écrire un scénario adéquat et s’inspira des conséquences de la pollution générée par une fabrique de thermomètres dans la ville de Kodaikanal en 2001. Pour justifier l’absence de dialogues, il mit en scène des personnes muettes qui communiquent en langue des signes (ne connaissant pas cette langue, je ne sais pas si leurs gestes sont corrects, les acteurices n’étant en tout cas pas muets). Il ajouta à ça une touche d’épouvante, de violence et de fantastique. Le résultat est étrange, une espèce de slasher dans une usine mâtiné de suspense à la Sans un bruit (2018), le tueur se repérant au son (Karthik Subbaraj n’a toutefois pas été influencé par son équivalent américain, les deux étant sortis en avril 2018). Ce n’est pas toujours réussi, il y a des longueurs, c’est dénué de tension, le twist final est nase et l’intrigue tient sur un timbre-poste. Cela se démarque cependant de certains codes du cinéma indien par l’absence de séquence de danse (le méchant est pourtant incarné par la star Prabhu Deva, célèbre pour ses qualités de danseur et de chorégraphe), sa durée raisonnable (1h49), et un style relativement sobre avec un montage peu saccadé en dépit d’un filtre vert omniprésent. Cela pourra donc susciter la curiosité des amateurs d’horreur en quête d’exotisme.
Livres
Paddington Here and Now de Michael Bond (Harper Collins, collection « The Classic Adventures of Paddington Bear – The Complete Collection », 2019), 176 p.

Pas grand-chose de neuf à dire sur ce Paddington, qui poursuit sur la lancée des précédents. Excepté des retrouvailles inattendues, Michael Bond ne se fatigue pas et déroule les péripéties à un rythme pépère. Les histoires n’ont aucun lien entre elles, les protagonistes n’évoluent guère. Je continue uniquement par complétisme.
La ballade de Joaquín Murieta, bandit mexicain de John Rollin Ridge (Yellow Bird) (Anacharsis, collection « Griffe Famagouste », 2023), 222 p.

Le livre de John Rollin Ridge fut vite plagié et n’obtint pas le succès escompté. Il contribua néanmoins à établir la légende qui inspira en 1919 la création de Zorro par l’écrivain de pulp Johnston McCulley. Si La ballade de Joaquín Murieta, bandit mexicain occupe une place importante dans la culture populaire américaine, il comporte des défauts potentiellement rédhibitoires. Passé le chapitre introductif, c’est extrêmement répétitif, John Rollin Ridge nous dépeint diverses attaques de Joaquín Murieta et de ses sbires, et les différentes traques pour le capturer. Il s’attarde sur les violences, qu’il détaille abondamment pour satisfaire les lecteurs en quête de sensations. C’est en outre raciste vis-à-vis des Chinois et des tribus indiennes de Californie. Il ne faut enfin pas prendre les faits énoncés au pied de la lettre, on sent régulièrement qu’il affabule et aucune information n’est réellement fiable. La ballade de Joaquín Murieta, bandit mexicain n’est pourtant pas sans intérêt. John Rollin Ridge décrit les discriminations qui accablaient les Mexicains à cette période et, tout en dénonçant en permanence ses actions, fait de Joaquín Murieta un personnage héroïque et attachant, qui conservait un certain honneur dans ses méfaits. Je ne crois pas que je le conseillerais mais je ne regrette pas ma lecture.
Dans les pantoufles de Darwin de Camille Van Belle & Adrien Miqueu (Alisio, collection « Sciences », 2024), 196 p.

Ayant lu L’origine des espèces, la biographie de Darwin The Kiwi's Egg: Charles Darwin and Natural Selection de David Quammen et de multiples textes de vulgarisation sur les travaux du fameux naturaliste anglais (notamment les articles de Stephen Jay Gould ou l’oubliable Darwin n'est pas celui qu'on croit de Patrick Tort), j’avais récupéré cette BD pour les dessins rigolos et je ne pensais pas apprendre grand-chose. J’avais tort, l’approche de Camille Van Belle et Adrien Miqueu est à la fois originale et instructive, amenant à considérer le chercheur sous un jour nouveau. J’ai découvert l’humour de Darwin, qui aimait partager des bons mots avec ses potes, relayer des commérages et se moquer de ses adversaires. Je n’avais également pas réalisé l’étendue de ses problèmes de santé, seulement mentionnés rapidement en général dans les ouvrages le concernant. Dans les pantoufles de Darwin permet d’apprécier son humanité, de le descendre de son piédestal pour le rendre plus proche de nous. C’est un excellent complément à une biographie traditionnelle, se suffisant à lui-même pour celles et ceux qui peuvent se contenter du survol de son œuvre scientifique.
Revues
Mad Movies n°394 – Juin 2025

Au niveau des nouveautés, je note la comédie horrifique indienne Sister Midnight (2024) sur une épouse frustrée qui se transforme en monstre ; et The Ugly Stepsister (2025), relecture trash de Cendrillon du point de vue d’une des belles-sœurs. A part ça, j’ai apprécié l’hommage à Ted Kotcheff mort en avril dernier, metteur en scène de Rambo (1982) et de Wake in Fright (1971), qui lança la ozploitation ; l’interview de Kiyoshi Kurosawa pour les sorties de Chime (2024) et Cloud (2024), et d’Hélène Cattet, Bruno Forzani et Fabio Testi pour Reflet dans un diamant mort (2025) ; et l’analyse d’un plan de No Country for Old Men (2007) par Justin Benson et Aaron Moorhead, qui m’a donné envie de revoir le chef d’œuvre des frères Coen.
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