samedi 4 octobre 2025

Carnet de bord 27/09/2025-03/10/2025



Films vus en compagnie
Death at a Funeral de Frank Oz (2007, Joyeuses funérailles)
Daniel est chargé d’organiser les funérailles de son père dans la maison familiale. Il espère que son frère Robert, un écrivain prestigieux qui revient des Etats-Unis pour l’occasion, prendra leur mère à New York afin qu’il puisse emménager dans son propre appartement avec son épouse Jane. La journée ne va pas se dérouler comme prévu. Robert se révèle irresponsable, le conjoint d’une nièce provoque des troubles et un mystérieux invité tente d’extorquer de l’argent.

Death at a Funeral est probablement l’ultime opus de Frank Oz qui, à 81 ans, n’aura plus beaucoup d’opportunité. Après des débuts prometteurs (Dark Crystal en 1982, Little Shop of Horrors en 1986), il s’est complu dans des comédies faciles jusqu’au naufrage de The Stepford Wives en 2004, remake totalement à côté de la plaque de l’excellent classique de 1975. Pour Death at a Funeral, il part en Grande-Bretagne avec un tournage dans les fameux studios Ealing à Londres et un casting quasi-exclusivement britannique, à l’exception de Peter Dinklage en visiteur gênant et Alan Tudyk, acteur spécialiste du doublage qui adopte ici un convaincant accent anglais. Alors que Death at a Funeral est un scénario original, on a clairement l’impression de voir une pièce de théâtre filmée. Il y a peu de lieux, la réalisation est statique et repose principalement sur des dialogues verbeux et des gags d’un goût parfois douteux. Si l’enchainement des péripéties permet de ne pas s’ennuyer, l’humour lourdingue finit par fatiguer. Cela se termine évidemment par un happy-end, avec un petit discours censément profond qui aligne les platitudes. Sans être aussi navrant que The Stepford Wives, Death at a Funeral ne vaut pas tripette et conclut tristement la carrière d’un Frank Oz qui n’aura pas su s’extirper des années 80.


Je suis le seigneur du château de Régis Wargnier (1989)
En 1954 en Bretagne, au décès de son épouse, Jean songe à embaucher une gouvernante pour s’occuper de son fils Thomas, un garçon de 10 ans froid et hautain. Il sollicite les services de Mme Vernet dotée d’une bonne réputation, dont le mari a disparu en Indochine et qui a besoin d’argent. Elle s’installe avec Charles, son enfant du même âge que Thomas. Ce dernier se met aussitôt à terroriser le sensible Charles pour se débarrasser des nouveaux venus et récupérer l’attention de son père. Son plan échoue toutefois, Jean étant charmé par Mme Vernet.

Je suis le seigneur du château est une adaptation libre du roman de Susan Hill I’m the King of the Castle paru en 1970 et traduit en 1972. C’est le second long métrage de l’ancien assistant Régis Wargnier, qui avait lancé Dominique Blanc au cinéma en 1986 dans La femme de ma vie. Il la réengage dans le rôle de Mme Vernet, accompagnée de Jean Rochefort en Jean et de deux gosses qui ne firent pas carrière (on comprend pourquoi…). Il y a quelques idées intéressantes, avec de jolis paysages bretons, un manoir effrayant et une ambiance malsaine qui flirte avec le fantastique. C’est malheureusement gâché par la musique grandiloquente de Prokofiev absolument pas appropriée, l'absence de subtilité de la narration et la lourdeur de la mise en scène. Dommage.


The Tracker de Rolf de Heer (2002)
En 1922 dans l’outback australien, quatre hommes traquent un aborigène accusé d’avoir assassiné une femme blanche : le leader, un policier raciste obnubilé par sa quête ; son subalterne inexpérimenté ; un vieux briscard appelé en renfort ; et un traqueur aborigène capable de suivre n’importe quelle piste. L’expédition s’éternise et des tensions apparaissent entre les membres, en particulier entre le chef extrémiste et son adjoint qui ne partage pas son fanatisme.

The Tracker marque le début de la collaboration entre Rolf de Heer et David Gulpilil, qui se poursuivit avec Ten Canoes (2006), Charlie's Country (2013) et les documentaires de Molly Reynolds, la conjointe de Rolf de Heer. C’est la première fois depuis les années 70 que David Gulpilil obtient un rôle principal, dans un scénario dénonçant la persécution des aborigènes dans les années 1920. Sur la forme, le film est original : de grandes peintures remplacent de façon figurative les explosions de violence ; et la bande son, composée par Graham Tardif et interprétée par le chanteur aborigène Archie Roach, commente l’action à la manière d’un Keoma en moins barré (1976). J’ai moyennement accroché à cet aspect en raison d’une musique trop légère et countrisante, qui n’apporte ni le côté over the top de Keoma ni l’angoisse de The Last Wave (1977) qui utilisait notamment le didgeridoo et des sons synthétiques bizarres. Cela n’empêche pas The Tracker d’être une réussite grâce à la prestation de David Gulpilil, épaulé par des acteurs locaux peu connus et par une intrigue simple mais efficace, qui développe des thèmes rarement abordés dans le cinéma australien.


Almamula de Juan Sebastián Torales (2023)
Nino est un adolescent gay martyrisé par les jeunes de son quartier. Pour calmer la situation et satisfaire les voisins réacs qui estiment qu'il pervertit leurs enfants, sa mère l’amène avec sa sœur passer l’été dans le village de son père, responsable d’une équipe de bucherons. La chaleur est étouffante, la maison est délabrée et l’ennui assaille rapidement les nouveaux arrivants. Un garçon a récemment disparu dans la forêt et la rumeur incrimine l’Almamula, un esprit qui s’en prend aux personnes à la sexualité déviante. Déçu par Dieu qui ne lui répond pas, Nino est persuadé que l’Almamula va venir le chercher.

Selon une légende du nord de l’Argentine, l’Almamula était une femme sans morale, qui commit des incestes avec son frère et son père, coucha avec un prêtre et fut transformée par Dieu en mule en punition. Juan Sebastián Torales reprend l’idée d’un monstre lié au péché sans l’imagerie animalière. Il en fait un être irréel jamais montré, qui désigne un prétendu danger inventé par une société empreinte de religiosité pour condamner ceux qui sortent de la norme.
Juan Sebastián Torales a injecté dans Almamula des éléments autobiographiques. Fan de Lucrecia Martel, issue comme lui du nord du pays, il renoue avec l’atmosphère moite de La ciénaga, pleine de vices et de non-dits dans une nature luxuriante et menaçante. J’avoue cependant ne pas avoir été convaincu, il y a trop de symboles, de religion et de désir, et pas assez de fantastique. A l’instar de La ciénaga, le rythme est lent mais Juan Sebastián Torales ne parvient pas à maintenir la tension et le malaise. J’ai trouvé le temps long une fois posés les enjeux et le résultat m’a frustré, j’aurais préféré un basculement dans l’horreur.


Totally F***ed Up de Gregg Araki (1993)
A Los Angeles, un groupe de six jeunes adultes se soutient et traine ensemble dans les lieux homos de la ville. Il est formé de deux couples, Michele et Patricia ainsi que Steven et Deric, et de deux autres gays, le frivole Tommy et le blasé Andy. Steven filme leur quotidien avec son caméscope tout en se questionnant sur son histoire avec Deric, qu’il aime mais trouve routinier. De leur côté, Michele et Patricia voudraient avoir un enfant pendant que Tommy multiplie les aventures et qu’Andy rencontre enfin un mec qui lui plait.

Après trois courts métrages fauchés, Gregg Araki se lança dans un long avec un budget guère plus élevé, avec une caméra 16 mm qu’il manipulait lui-même, tournant dans les rues de Los Angeles sans équipe technique ni permis. Les interprètes étaient amateurs et ne firent pas carrière à l’exception de James Duval (Andy), dont le rôle le plus célèbre est paradoxalement celui du lapin Frank dans Donnie Darko (2001) où on voit à peine son visage. Totally F***ed Up est le premier volet de ce qui a été rétrospectivement appelé la trilogie de l’apocalypse adolescente, composée de The Doom Generation (1995) and Nowhere (1997) également avec James Duval. Il s’inscrit dans le courant du New queer cinema, une série de films au début des années 90 abordant explicitement l’homosexualité sans tabou, avec un détournement des normes hétérosexuelles après des années 80 marquées par le SIDA. Go Fish (1994) ou The Watermelon Woman (1996), déjà critiqués sur ce blog, se rattachent aussi à ce mouvement.
La structure en quinze parties de Totally F***ed Up est inspirée du découpage en vignettes de Masculin féminin de Jean-Luc Godard (1966). Un peu comme dans Go Fish, l’intrigue est mince, prétexte à suivre une bande de jeunes queer chez qui s’ajoute au mal-être typique de leur âge une couche de soucis supplémentaires liée au rejet par la société de leur sexualité et de leur façon d’être. La division en chapitres n’apporte pas grand-chose et les enjeux se dévoilent tardivement. Ce style de narration construite autour de discussions entre potes/amants, avec des enchaînements de tranches de vie quotidiennes et un montage expérimental, n’est pas ma tasse de thé. Si je comprends l’importance de Totally F***ed Up à son époque, c’est aujourd’hui daté.


Films vus seuls
怪奇 江戸川乱山 [Kaiki Edogawa Ranzan] de Kenji Shimomura (1937, The Mysterious Edogawa Ranzan)
Il y a vingt-cinq ans, le riche Jubei Edoya fut victime d’un coup monté, inculpé pour contrebande et exécuté. Les trois responsables, Takagi, Arai et Osakaya, accaparèrent sa fortune et devinrent des notables. Leurs enfants sont à présent adultes et la fille d’Arai est tombée amoureuse du fils de Jubei, l’artiste Edogawa Ranzan. Outrés, les trois anciens compères recrutent des mercenaires pour éliminer Edogawa, qui meurt d’une balle de pistolet. Il est ressuscité par un sorcier et se change en un fantôme vengeur invincible qui se lance à la poursuite de ses assassins.

Kenji Shimomura fut directeur de la photographie puis réalisateur pour divers petits studios au cours des années 20 et 30. En 1940, il fut transféré dans le département des films culturels (文化映画 ou bunka eiga) et continua à exercer dans le domaine du documentaire jusqu’aux années 70. Kaiki Edogawa Ranzan fut produit par la compagnie Imai Film, fondée en 1937 par Risuke Imai, un membre de la famille de Shôzô Makino, le père du cinéma japonais. Elle eut une courte existence, mettant la clé sous la porte en avril 1938 au bout d’une vingtaine de titres. Une de leur star maison fut l’acteur Mitsusaburô Ramon venu du théâtre shinpa, qui joue ici un Edogawa quasi-muet. Il ne parvint jamais à percer dans un grand studio en dépit de son arrivée à la Daiei en 1942, relégué à des rôles secondaires après la guerre. Il est difficile de juger sa performance dans Kaiki Edogawa Ranzan, il se contente majoritairement d’errer dans les rues et n’a presque aucune ligne de dialogue.
Kaiki Edogawa Ranzan est un mélange étrange de drame, d’horreur et de comédie, peut-être lointainement inspiré de White Zombie (1932) qui avait connu un certain succès au Japon en 1933. Edogawa a en tout cas une attitude très zombiesque avec sa démarche lente et son regard vide. Les scènes d’épouvante sont réussies, avec des surimpressions, une bonne utilisation de la lumière et une violence sèche. Mitsusaburô Ramon est effrayant, notamment quand il émerge d’un étang sous les yeux des porteurs ou qu’éclate son rire glaçant. Les passages comiques ou dramatiques sont en revanche ratés, ils servent à meubler pour atteindre la durée d’une heure. Kaiki Edogawa Ranzan est donc une intéressante curiosité, qui prouve la variété du cinéma japonais des années 30.


Calabacitas tiernas de Gilberto Martínez Solares (1949, Tender Pumpkins)
Un homme à l’allure de clochard s’arrange pour récupérer un pistolet et un costume. Il souhaite rencontrer un producteur de théâtre mais est refoulé à l’entrée par le gardien. Alors qu’il songe à se suicider, il tire en l’air et touche un individu qui était dans l’arbre. Croyant l’avoir tué, il fuit, est renversé par une voiture et se réveille dans une luxueuse demeure. Par peur d’aller en prison, il feint l’amnésie. Le propriétaire des lieux, manager d’un cabaret qui va ouvrir prochainement, décide de faire passer ce sans-abri pour le responsable des opérations afin d’éviter d’avoir à s’occuper d’une artiste caractérielle.

Après la jolie surprise qu’a constitué Ahí está el detalle (1940) avec Cantinflas, j’étais curieux de découvrir l’autre grande figure comique du cinéma mexicain des années 50, Germán Valdés dit Tin-Tan. Calabacitas tiernas est sa première collaboration avec Gilberto Martínez Solares, avec qui il travaillera sur une quarantaine de longs métrages. Il comporte une structure qui se retrouve dans la plupart de ses apparitions ultérieures et dans laquelle il finira par s’enfermer : un héros dragueur et sûr de lui qui séduit toutes les femmes, avec un look typique des pachucos, un comique burlesque, et des numéros chantés et dansés. Si Cantinflas avait déjoué mes attentes, Tin-Tan répond à mes craintes. Son jeu outrancier et grimaçant m’a rapidement agacé, avec en bonus un côté obsédé sexuel pénible. On a même droit à des blagues racistes autour de l’orchestre noir de la chanteuse cubaine Amalia Aguilar. Seul aspect positif, la dizaine de chansons étaient plaisantes, avec de la samba, de la rumba et des musiques mexicaines de différents genres. Je retenterai à l’occasion sans illusion.


Frightmare de Pete Walker (1974)
Internés pendant des années à l’asile pour une succession de crimes abominables, Edmund et Dorothy Yates ont été libérés, considérés comme totalement guéris. Dorothy semble pourtant encore perturbée et leur fille Jackie lui apporte régulièrement de mystérieux colis ensanglantés. Leur benjamine Debbie en revanche pense être orpheline et ignore la vérité. Récemment expulsée de son couvent, elle traine avec des délinquants en dépit des remontrances de Jackie. Celle-ci aimerait bien avoir une vie sentimentale et a des vues sur Graham, un psychiatre croisé chez des amis.

Après une série de comédies sexy et de thrillers à petit budget surfant sur une relative permissivité de la stricte censure britannique à la fin des années 60, Pete Walker se risqua sur des projets plus ambitieux dont Frightmare fut un des points d’orgue. Il s’inscrit dans une veine d’horreur gothique actualisée, Pete Walker employant des thèmes traditionnels du genre en les propulsant dans l’Angleterre des années 70. Une partie de Frightmare se déroule ainsi dans une vieille maison de campagne, avec une femme à fleur de peau oppressée par ses parents, un amoureux impétueux, et une intrigue centrée sur le retour du passé, des liens familiaux complexes, la peur de l’enfermement et la folie. Pete Walker utilise ce cadre pour mettre en place un climat étouffant, avec une violence en arrière-plan ponctuée de quelques surgissements de gore. Malgré de nombreux clichés, avec un discours réac sur les institutions laxistes, la jeunesse dépravée et les aliénés dangereux, le résultat est convaincant grâce à un récit sans fioriture et une bonne distribution menée par Deborah Fairfax dans son premier rôle sur grand écran. J’escomptais un truc d’exploitation racoleur, j’ai été agréablement surpris.


Requiescant de Carlo Lizzani (1967, Tue et fais ta prière)
Un garçon mexicain dont le clan vient d’être exterminé par des militaires confédérés est recueilli par un prêtre ambulant qui voyage avec son épouse et sa fille Princy. Devenu adulte, il constate qu’il possède des talents exceptionnels de tireur et est surnommé Requiescant car il prononce la phrase « Requiescat in pace » (repose en paix) devant les cadavres de ses adversaires. A la recherche de Princy qui s’est enfuie avec une troupe de danseuses, il arrive dans une petite ville contrôlée par George Bellow Ferguson. Il ignore que cet homme est responsable du massacre de sa famille.

Longtemps méconnu en France, Carlo Lizzani a été redécouvert en avril 2023 avec la ressortie de trois de ses opus puis à travers une rétrospective de la Cinémathèque française en mai 2025. Communiste antifasciste, il navigua entre cinéma d’auteur et cinéma commercial et explora divers genres. Il ne dirigea que deux westerns, l’apparemment mauvais Un fiume di dollari (1966, Du sang dans la montagne) et Requiescant. La distribution comprend le Suédois Lou Castel en Requiescant, l’Américain Mark Damon en vil Ferguson et Pier Paolo Pasolini en prêtre mexicain, autre communiste avec qui Lizzani collabora à de multiples reprises.
Requiescant est rangé dans la catégorie des westerns spaghettis politiques, inclus dans le sous-genre du Zapata western axé sur des révolutionnaires mexicains (l’exemple le plus célèbre est sans doute El Chuncho qui lança la mode en 1966). Le scénario, retravaillé par Lizzani et Pasolini, aborde les questions d’expropriation des terres, de racisme et de catholicisme révolutionnaire. C’est assez artificiel, ces problématiques étant plaquées sur une banale histoire d’étranger qui débarque dans un bled paumé et qui se heurte au despote local. L’intérêt de Requiescant se situe dans l’affrontement entre Requiescant le naïf, incarné par un Lou Castel brownface, et Ferguson l’affreux capitaliste terriblement queer codé. Mark Damon le joue sobrement dans ce qui constitue sa meilleure performance. Requiescant est donc au-dessus de la moyenne du western spaghetti (qui, il faut le dire, est franchement basse en dehors des classiques) mais loin de la réputation de chef d’œuvre qui lui est parfois accolé.


ペナルティループ [Penaruti rupu] de Shinji Araki (2024, Penalty Loop)
Jun décide de tuer le meurtrier de Yui, sa petite amie, en s’infiltrant dans son usine pour l’empoisonner, le poignarder et jeter le corps dans la rivière. Le lendemain, tout est à recommencer. Il se trouve en effet dans une boucle temporelle et doit accomplir sa vengeance jour après jour. Sa victime semble néanmoins se rendre compte de quelque chose et son comportement évolue. Elle finit par se méfier et devient de plus en plus difficile à éliminer. Jun lui-même s’interroge sur sa tâche et se met à hésiter.

Depuis l’excellent Summer Time Machine Blues (2005), les Japonais ont le chic pour renouveler le thème galvaudé de la boucle temporelle. Leur dernière réussite était River (2023), avec des boucles de deux minutes dans une auberge. Penalty Loop est plus confidentiel, second long métrage de Shinji Araki tourné avec des moyens limités et une poignée de comédiens. Le style est auteurisant, le rythme lent, avec des réflexions sur la peine de mort, le châtiment et le deuil. Combinée à un climat de mystère, la froideur de la photographie, des décors et des protagonistes crée une distance initiale qu’il convient de dépasser pour entrer dans l’histoire. La boucle temporelle est employée de manière originale et la confrontation entre les deux antagonistes fonctionne bien grâce à l’implication des deux interprètes. La romance en flash-back de Jun est moins convaincante, avec une sous-intrigue dispensable autour de Yui. Sans valoir River, Penalty Loop s’avère honnête et apporte au genre une dimension morale inhabituelle.


O Homem do Sputnik de Carlos Manga (1959)
Une nuit, le Spoutnik s’écrase sur le poulailler d’Anastácio et Cleci, un couple de pauvres paysans. Cleci se rend immédiatement à une cabine téléphonique pour contacter le département des recherches planétaires dans l’espoir de leur revendre à bon prix. Pendant ce temps, Anastácio embarque le satellite et l’amène à la banque pour l’échanger contre de l’argent. Il tombe sur une guichetière qui appelle son fiancé journaliste pour lui révéler le scoop. Un article paraît dans le journal, qui attire l’attention des grandes puissances. L’URSS, les Etats-Unis et la France envoient des représentants au Brésil pour essayer de racheter le Spoutnik au nez et à la barbe de leurs adversaires.

Après les Mexicains Cantinflas et Tin-Tan, je continue avec les comiques latinos prestigieux des années 50. O Homem do Sputnik met en vedette le Brésilien Oscarito, extrêmement populaire de ses débuts dans les revues des années 30 aux années 60. Il forma durant une dizaine d’années un duo avec l’acteur/chanteur noir Grande Otelo et fut fréquemment dirigé par le réalisateur Carlos Manga. O Homem do Sputnik marque les ultimes soubresauts de la chanchada, un type de comédie musicale brésilienne souvent carnavalesque qui connut son apogée dans les années 40-50. Dans O Homem do Sputnik, produit par le spécialiste du genre Atlântida Cinematográfica, il n’y a aucun carnaval et le volet musical est léger, à l’inverse de la satire qui se déploie joyeusement. Carlos Manga se moque allègrement des Soviétiques, des Etats-Uniens (sans doute les pires du lot) et des Français, avec une parodie de Brigitte Bardot incarnée par la future star Norma Bengell dans sa première apparition à l’écran. Oscarito joue un campagnard benêt au jeu parfois lourdingue, régulièrement éclipsé par une multitude de personnages et de situations. Les méchants étrangers ultra-stéréotypés sont plutôt amusants (avec des accents français évidemment ridicules) et c’est assez dynamique. Ce n’était donc pas désagréable, ce qui est déjà pas mal pour un véhicule conçu pour un comique grimaçant à la mode.

Livres
Fox de Martin Wallen (Reaktion Books, collection « Animal », 2006), 206 p.
La collection « Animal » de l’éditeur Reaktion Books consacre des monographies à des espèces animales. Fox porte sur le renard, que Martin Wallen tente de cerner en six chapitres :
• Présentation des 21 espèces de renards, de leurs distinctions et des différences dans les genres et les noms latins
• Mythes et légendes autour du renard dans le monde
• Les utilisations du mot fox en anglais
• Une histoire de la chasse au renard
• L’évolution de la commercialisation de la fourrure de renard
• La métaphore sexuelle du renard au cinéma
C’est le premier ouvrage que je lis dans cette collection. Je m’attendais à quelque chose de plus naturaliste et j’avoue avoir été déçu dans l’ensemble. Le chapitre 1 est le seul dédié à la biologie du renard. Il est malheureusement trop succinct et daté, l’arbre phylogénétique des renards ayant été bouleversé au cours des deux dernières décennies. Les chapitres 2 et 3 ne m’ont rien appris, et le 6 est curieusement centré sur les sous-textes sexuels du renard au cinéma aux dépends d’autres problématiques. Reste les chapitres 4 et 5, qui développent des aspects que je connaissais mal car pas franchement ma tasse de thé (la chasse et la mode). Unique point positif, c’est richement illustré, avec de nombreuses photos de renard. Si tous les livres de la collection sont du même acabit, ce sera sans moi.

Celui qui hantait les ténèbres de Gou Tanabe (Ki-oon, collection « Les chefs d’œuvre de Lovecraft », 2022), 164 p.
Celui qui hantait les ténèbres comporte deux nouvelles de Lovecraft :
Dagon est un court récit de moins de dix pages publié dans The Vagrant en novembre 1919. C’est le témoignage d’un officier allié échappé d’un navire allemand à bord d’un canot, qui aborde une île nauséabonde récemment émergée des eaux.
Celui qui hantait les ténèbres constitue le cœur de l’ouvrage. Il est tiré de The Haunter of the Dark paru en décembre 1936 dans Weird Tales et est composé de trois parties : La tour noire ; Une pierre mystérieuse ; Le châtiment des profondeurs. Il décrit la fascination d’un écrivain passionné par l’occulte pour une église abandonnée de Providence, qui semble évitée par les humains et les oiseaux. Malgré les avertissements de la population locale, il décide d’y entrer pour percer son secret.
Dagon fut la première histoire de Lovecraft dans l’univers du mythe de Cthulhu. Il la reprit dans les grandes lignes dans L’appel de Cthulhu, avec un exposé similaire d’un homme échoué sur une île. Ce parallèle est d’autant plus flagrant avec la transposition de Gô Tanabe, qui adopte une esthétique identique entre les deux aventures, procurant aux lecteurs de L’appel de Cthulhu un sentiment de déjà-vu.
Celui qui hantait les ténèbres est l’ultime histoire rédigée par Lovecraft en solo avant sa mort à l’hôpital en mars 1937. Elle a été pensée comme un jeu avec Robert Bloch, ami de Lovecraft qui avait tué ce dernier dans une de ses nouvelles. Lovecraft créa en représailles le pauvre Robert Blake calqué sur Robert Bloch, à qui il infligea un horrible sort.
C’est la première fois que Gô Tanabe ne rend pas justice à l’œuvre d’origine. A sa décharge, celle-ci repose sur la peur du noir et sur les monstres qui peuplent l’obscurité, élément qui perd de sa puissance dès lors qu’il est retranscrit visuellement. Le mangaka effectue un bon travail mais je n’ai pas retrouvé la tension qui habitait le texte (dans mon lointain souvenir car je n’ai pas lu de Lovecraft depuis longtemps). Celui qui hantait les ténèbres est donc un recueil mineur selon moi, à réserver aux complétistes.


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