samedi 19 juillet 2025

Carnet de bord 12/07/2025-18/07/2025



Films vus en compagnie
Household Saints de Nancy Savoca (1993)
A New-York dans le quartier de Little Italy, vers la fin des années 40 durant un jour de canicule, le boucher Joseph Santangelo gagne aux cartes la fille de Lino Falconetti. D’abord réticente, Catherine accepte le mariage, au grand dam de la mère de Joseph, Carmela, qui la considère indigne de son fils. Les relations entre les deux femmes qui vivent sous le même toit sont houleuses, Catherine n’aimant pas la superstition et la religiosité excessive de Carmela. Des années plus tard, Teresa, l’enfant de Joseph et Catherine qui n’a pas connu sa grand-mère, bascule dans un catholicisme exalté inspiré de Sainte Thérèse.

J’avais découvert Nancy Savoca en 2018 avec Dogfight (1991), son second long métrage. Son premier et son troisième, True Love (1989) et Household Saints, m’intéressaient également mais n’étaient pas disponibles. Contrairement à ce que les gens pensent, tout n’est pas trouvable sur internet, surtout quand on veut des sous-titres et une qualité d’image correcte. Le cinéma de patrimoine un peu confidentiel des années 80-90 est très mal desservi, j’attends toujours par exemple que A City of Sadness de Hou Hsiao-Hsien (1989), vainqueur du Lion d’or à Venise donc pas un petit truc obscur, sorte en Occident. Restaurée en 2023 puis diffusé en salles et en Blu-ray, Household Saints est enfin visible dans de parfaites conditions.
C’est une adaptation d’un roman de Francine Prose paru en 1981 qui raconte le destin de trois générations de femmes d’origine italienne dans le Little Italy des années 40 à 70. Née dans le Bronx d’un père italien et d’une mère argentine, l’histoire parlait intimement à Nancy Savoca qui voulait le transposer depuis longtemps. Elle estime qu’elle a baigné dans la religiosité dans sa jeunesse et a un temps été proche d’une Carmela ou d’une Teresa avant de devenir une Catherine en vieillissant. La première moitié montre les familles Santangelo et Falconetti, l’ambiance du quartier et les tensions quotidiennes. La seconde moitié est assez différente, centrée sur Teresa obnubilée par le miracle de Fatima et Thérèse de Lisieux. Il est bon de connaître vaguement la vie de celle-ci pour apprécier la comparaison et je suis content d’avoir vu récemment Thérèse d’Alain Cavalier (1986). Bien que sceptique, Nancy Savoca ne juge pas et brosse un portrait touchant et triste de ces protagonistes torturés et de la communauté italo-américaine. Si j’ai préféré la partie précédant la naissance de Teresa, l’ensemble vaut le coup d’œil et je compte récupérer True Love qui a été édité en Blu-ray avec sous-titres anglais.


The Substance de Coralie Fargeat (2024)
Ancienne star du cinéma, Elisabeth Sparkle s’est recyclée dans une émission d’aérobics à la télévision. Elle a à présent 50 ans, le public l’a oublié et son producteur désire l’évincer au profit d’une belle potiche d’une vingtaine d’années. Elisabeth entend parler d’un produit miracle, la Substance, qui lui permettrait de retrouver sa jeunesse. Prête à tout, elle se fait une injection. Elle tombe inconsciente, une femme sort de son dos et la remplace pendant sept jours en pompant un fluide du corps d’Elisabeth. Cette dernière reprend ensuite la main. Les cycles d’une semaine se succèdent jusqu’au jour où Sue, le double d’Elisabeth, décide de prolonger sa période au-delà de la limite hebdomadaire.

Malgré ses nombreux prix remportés et de son appartenance au genre du body horror dont je suis familier, je nourrissais des craintes vis-à-vis de The Substance, renforcées par les dures critiques des Cahiers du cinéma et de Mad Movies. Les Cahiers déploraient son simplisme et son assujettissement aux effets de mode. Mad Movies soulignait la fatigante surenchère, la vaine profusion de citations cinéphiliques (La mouche (1986), The Shining (1980), Elephant Man (1980), Sueurs froides (1958), Parasite (1982)…), l’absence d’ancrage émotionnel envers un personnage principal jamais attachant, et un male gaze outrancier qui n’atteint pas son objectif. Tous ces reproches se confirment et plus encore. Le montage est insupportable, accumulant les gimmicks kitsch comme le fish-eye ; le dénouement complètement camp détonne ; les gros plans incessants sur les fesses ou les seins des actrices ne véhiculent pas le malaise escompté : en employant l’imagerie voyeuriste des années 80, on s’enfonce dans les mêmes travers… Oui, Demi Moore est convaincante et les maquillages sont super, ça ne suffit pas à en faire un film pertinent et impertinent...


La maldición de la Llorona de Rafael Baledón (1963, Les larmes de la malédiction)
Amelia retourne dans sa maison d’enfance avec son conjoint Jaime qu’elle a récemment épousé. Elle a été invitée par sa tante Selma qu’elle n’a pas vu depuis des années. A son arrivée, elle est effrayée par l’atmosphère lugubre des lieux et par le vieux serviteur boiteux au visage brulé. En réalité, Selma souhaite sacrifier sa nièce pour ressusciter la Llorona, une sorcière dotée de grands pouvoirs. En dépit de leur méfiance, Amelia et Jaime ne parviennent pas à s’enfuir et succombent à l’emprise de Selma.

J’ai déjà chroniqué sur ce blog des œuvres adaptées de la légende de la Llorona. Cette version de 1963 est une des plus connues alors qu’elle est paradoxalement une des moins fidèles au récit populaire traditionnel : la Llorona n’est pas le fantôme vengeur habituel qui pleure la mort de ses enfants qu’elle a assassinés, c’est uniquement une sorcière défunte qui sert de prétexte à l’intrigue. La maldición de la Llorona est produit par Abel Salazar, une figure majeure du cinéma d’horreur mexicain des années 50-60 qui fut également acteur (il joue ici Jaime) et réalisateur. Il avait fondé sa compagnie en 1955 pour favoriser les idées progressistes qu’il prônait. Il fut marié durant vingt ans à Rosita Arenas, qui interprète Amelia.
La maldición de la Llorona baigne dans une épouvante gothique façon Le masque du démon de Mario Bava (1960). Le duo Amelia/Jaime fonctionne bien, les décors en studio sont réussis, la photographie est superbe et il y a quelques scènes de terreur impressionnantes pour l’époque, notamment l’ouverture et les attaques de chiens particulièrement violentes. L’histoire est par contre très clichée, il y a pas mal de longueurs, un rythme parfois mou typique de la période, et Rita Macedo (Selma), une comédienne pourtant expérimentée, en rajoute et multiplie les mouvements de sourcils. En conclusion, ce n’est pas désagréable mais ça rebutera sans doute les néophytes qui risquent de s’ennuyer.


Le roman de Jim de d’Arnaud & Jean-Marie Larrieu (2024)
Au cours d’une soirée, Aymeric rencontre Florence, une ex-collègue célibataire enceinte. Ils tombent amoureux, Aymeric assiste à la naissance du bébé appelé Jim et s’en occupe comme si c’était son propre fils. Le couple s’installe à la campagne, sept ans s’écoulent paisiblement. Jim adore Aymeric et ses parents ne lui ont jamais parlé de Christophe, son père biologique. Celui-ci débarque un soir, expliquant que son épouse et ses deux filles sont décédées dans un accident de voiture six mois auparavant. Florence accepte de l’accueillir sous leur toit. Aymeric n’est guère enthousiaste, craignant que Christophe ne tente de prendre sa place.

Le roman de Jim est tiré du livre éponyme de Pierric Bailly paru en mars 2021. C’est l’auteur lui-même qui demanda aux frères Larrieu de le transposer. Tourné dans les beaux décors naturels de Bourgogne et du Jura, Le roman de Jim est porté par le toujours impeccable Karim Leklou, qui incarne un Aymeric gentil et touchant. Le spectateur partage son point de vue à travers sa voix-off. C’est probablement l’aspect qui m’a le moins emballé, j’ai trouvé ce procédé lourdingue et rarement utile. J’ai en revanche apprécié l’absence de mélo larmoyant sur un thème qui y était propice. Il n’y a pas de vrai méchant, Aymeric subit l’égoïsme des autres qui composent selon les circonstances et leurs moyens. On a ainsi un drame tout en retenue sur un sujet peu abordé dans le cinéma français, à l’inverse du japonais où l’adoption est un motif récurrent, à l’image des opus de Kore-eda qui opposent fréquemment famille biologique et famille choisie.


Días de otoño de Roberto Gavaldón (1963, Jours d'automne)
Luisa, une provinciale rêveuse, se présente à l’entrée d’une luxueuse pâtisserie de Mexico avec une recommandation de sa tante récemment décédée qui avait connu le père de Don Albino, le propriétaire. Il consent à lui donner sa chance et elle s’avère être une adroite décoratrice de gâteaux. Veuf avec deux enfants à charge, Don Albino aimerait se remarier et est attirée par Luisa qui n’a pas remarqué son intérêt. Lorsque sa collègue Rita essaye de la convaincre de sortir avec des garçons, elle annonce à la surprise générale qu’elle va épouser prochainement un homme rencontré dans la rue l’automne précédent.

Pour Días de otoño, Roberto Gavaldón réunit le trio gagnant de Macario (1960) : une adaptation d’une nouvelle de B. Traven (Frustration publiée en 1961) mettant en vedette le duo Pina Pellicer (Luisa) et Ignacio López Tarso (Albino). Ce n’est toutefois pas ici un conte fantastique mais un drame sur une campagnarde introvertie qui s’enfonce dans une spirale de mensonges pour obtenir la sollicitude de son entourage et la reconnaissance de la société. Pour cela, elle doit préserver son honneur, devenir une épouse puis une mère voire une veuve, seuls statuts convenables pour une femme à cette époque. La folie n’est jamais loin et on se demande souvent dans quelle mesure Luisa croit à ses affabulations, doutes renforcés par un montage qui joue sur les ellipses. Par rapport au récit d’origine, Roberto Gavaldón a ajouté l’amour inconditionnel de Don Albino pour Luisa. Bénéficiant d’une excellente interprétation et d’une narration subtile, Días de otoño se démarque des mélodrames féminins classiques et montre la nécessité de sauvegarder les apparences dans la société patriarcale mexicaine des années 60.


Pendant ce temps sur Terre de Jérémy Clapin (2024)
L’astronaute français Franck Martens disparait durant une mission dans l’espace. Sa sœur Elsa, restée sur Terre, est désespérée et peine à se reconstruire. Au lieu d’accomplir son rêve de devenir dessinatrice, elle végète dans son village natal en travaillant dans l’EHPAD de sa mère. Elle entend un soir la voix de son frère, qui l’appelle et lui dit de poser une curieuse graine dans son oreille pour qu’ils puissent communiquer. La graine entre dans son cerveau et un extraterrestre lui dicte les conditions pour le retour de Franck. Pour le revoir, sera-t-elle prête à sacrifier sa morale et permettre l’arrivée d’entités étrangères sur notre planète ?

Pendant ce temps sur Terre est le second long métrage de Jérémy Clapin après l’admirable J'ai perdu mon corps (2019), le premier en prises de vue réelles bien qu’il ait conservé un recours partiel à l’animation. Elle sert à illustrer le lien profond entre Franck et Elsa lié à leur jeunesse heureuse dans les années 80, dans un style à la Capitaine Flam (Elsa taggue d’ailleurs sur la ceinture de la statue de Franck le F de Franck/Flam). Le mélange de procédés vise à souligner l’ambivalence d’Elsa, son positionnement entre deux mondes comme le résume le réalisateur : « c’est le portrait d’une femme coincée entre deux mondes, celui des morts et des vivants, entre l’espoir et la résignation, entre son enfance et l’âge adulte, entre la Terre et l’espace ».
A la fois pour des questions budgétaires et d’ambiance, Pendant ce temps sur Terre ne comprend quasiment pas d’effets spéciaux. La relation avec les extraterrestres passe par le son. Une lourde charge pèse donc sur les épaules de l’actrice principale, Megan Northam, qui doit faire ressentir les émotions à travers son jeu. Elle s’en tire parfaitement, à l’inverse des voix qui ont un phrasé un peu à la doublage de films d’animation français. De façon générale, les discussions avec les aliens et la quête pour répondre à leurs exigences convainquent moins que le premier tiers sur lequel plane l’amertume et l’impossibilité du deuil. Contrairement à certaines critiques sévères, j’ai néanmoins accroché à cette proposition de SF à la française qui se démarque des équivalents américains, plus intimiste et reposant davantage sur un concept que sur des images de synthèse à gogo.


Films vus seuls
Las luchadoras contra el médico asesino de René Cardona (1963, Doctor of Doom)
Un savant fou essaye de transplanter des cerveaux d’un corps à l’autre. Il est déjà parvenu à greffer celui d’un gorille sur un homme et souhaiterait réussir avec une femme. Les meurtres et les échecs s'accumulent, son assistant lui suggère d’utiliser le cerveau d’une personne éduquée. Il enlève une scientifique mais c’est encore un fiasco. La victime était la sœur de Gloria Venus, une fameuse luchadora qui jure de la venger. Epaulée par sa camarade de ring Golden Rubi et par deux policiers, elle va tenter de débusquer le coupable.

Ayant terminé les Santo, je me penche sur son pendant féminin, la série des Luchadoras. Ça va aller beaucoup plus vite, il n’y en a que cinq, sortis entre 1963 et 1969 à l’apogée de la mode des films de catch. Trois d’entre eux comportent le duo Lorena Velázquez/Elizabeth Campbell, le quatrième Elizabeth Campbell accompagnée d’Ariadne Welter et le cinquième un casting totalement différent, la continuité étant assurée uniquement par le titre.
Rien de neuf pour un spectateur de Santo. Les idées et canevas circulaient fortement dans le cinéma mexicain de cette époque, et on retrouve aux manettes l’incontournable René Cardona. L’originalité ici est la présence de Lorena Velázquez et Elizabeth Campbell à la place de Santo et de ses éventuels acolytes type Blue Demon. Si elles n’ont pas le même niveau dans les combats où elles sont clairement doublées par des cascadeuses au physique assez éloigné, elles surpassent leurs équivalents masculins en termes de jeu, capables de manifester davantage d’émotions que Santo et compagnie. A part ça, ce n’est pas désagréable, avec une musique jazzy, une restauration récente qui met en valeur un beau noir et blanc, des matchs de catch pêchus et un fantastique très années 60 réjouissant après les Santo des années 70 parfois terre à terre. C’est donc une honnête entrée en la matière.


君たちがいて僕がいた [Kimitachi ga ite boku ga ita] de Ryûichi Takamori (1964, Here Because of You)
M. Yabuki est professeur principal d’une classe de terminale. Apprécié par les élèves et par le proviseur, il suscite régulièrement la colère du président des parents d’élèves, un riche hautain persuadé que son fils incapable doit entrer dans une prestigieuse université. Toutes les lycéennes sont amoureuses de lui, en particulier Chieko, la fille d’une propriétaire d’auberge. Elle a également de l’affection pour Hiroshi, un garçon borné dont la sœur est devenue geisha pour lui permettre d’aller à la fac. Quand M. Yabuki est menacé d’expulsion à cause d’un faux scandale, Chieko mobilise les étudiants pour le soutenir.

Trois mois avant Yume no Hawaii de bon odori (1964, Let’s Dance Bon-Odori in Hawaii), la Toei avait produit Kimitachi ga ite boku ga ita avec une équipe similaire à partir d’une chanson populaire de Kazuo Funaki. Le ton est plus sérieux et Kazuo Funaki (Hiroshi) est moins central, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Le premier rôle est dévolu à Chiyoko Honma (Chieko), largement meilleure actrice. Elle a aussi droit à sa petite chanson avec Aishiau ni wa hayasugite. Elle est bien entourée avec Mieko Takamine en mère de Chieko, Shûji Sano en ami de la famille et Sonny Chiba en M. Yabuki. Ce dernier s'était spécialisé dans le cinéma d'action dès la fin des années 60 et je ne l’avais jamais vu dans une comédie dramatique. Il ne démérite pas, profitant d’un script convaincant à défaut d’être surprenant. Un cran au-dessus de Yume no Hawaii de bon odori, Kimitachi ga ite boku ga ita est une plaisante réussite dans le genre film pour ados des années 60.


泰山寶藏 [Tài shan bao zàng] de Liang Zhefu (1965, Tarzan and the Treasure)
A la fin de la guerre, avant de se retirer, les troupes japonaises ont caché un butin dans les montagnes de Malaisie. Ils en ont confié la garde à deux recrues, un Taïwanais et un Chinois de Macao, avec une carte permettant de localiser le magot. Les deux hommes découpent le plan en deux morceaux et promettent de se contacter une fois la situation internationale stabilisée. Vingt ans plus tard, un truand a récupéré la première moitié tandis que Tenn Siok-hun, la fille du Taïwanais, a la seconde en sa possession. En voyage en Malaisie, elle est envoyée par un inspecteur de police dans les environs du trésor pour appâter les méchants. Lorsqu’elle est attaquée par un serpent, un gars en pagne nommé Tarzan jaillit pour la secourir.

Tarzan and the Treasure est un nouvel exemple du curieux et passionnant cinéma populaire taïwanais des années 60. Longtemps considéré perdu, il a été restauré en 2019 par le Taiwan Film Institute à partir de deux copies, la version en mandarin mieux conservée mais censurée et la version originale en taïwanais. Tarzan and the Treasure débute sur une belle ouverture de nuit noirisante avec gangsters, meurtres et trahisons. Un flic débarque ainsi qu’une femme fatale, ça parle de vengeance, d’argent, on est en terrain connu. Transition soudaine, Tenn Siok-hun et son jeune cousin (joué par l’enfant-star Ba Ge décédé d’un cancer en 2022 à 67 ans) se baladent dans la montagne malaisienne proche de la jungle (en réalité, la région de Kenting dans le sud de Taïwan, doté d’un paysage de collines de bord de mer à végétation basse qui n’évoque absolument pas la flore malaisienne). Deux-trois stock-shots d’animaux, un mec dans un studio qui se balance sur une liane et hop, voilà Tarzan. Il est incarné par Ming Kao, un culturiste qui eut une jolie carrière sur grand écran, apparaissant notamment chez King Hu (dans Dragon Inn (1967) ou A Touch of Zen (1971)), Hou Hsiao-hsien (dans Good Men, Good Women (1995) et Goodbye South, Goodbye (1996)) ou dans des productions de la Shaw Brothers.
Tarzan and the Treasure est bourré de problèmes de cohérence ou de séquences invraisemblables. Il faut dire à sa décharge que Liang Zhefu a réalisé neuf opus en 1965, à ce rythme y’a pas le temps de peaufiner. L’intrigue est extrêmement stupide, Tenn Siok-hun étant sauvé par Tarzan six fois en une quarantaine de minutes. La représentation des Malaisiens est caricaturale, des bons sauvages en pagne et bikinis, prétexte pour montrer des femmes en petite tenue. Avec son seul sac à mains pour bagage, Tenn Siok-hun change de vêtements à chaque scène, avec une coiffure et un maquillage toujours impeccables. On a même une touche de mélo avec un frère et une sœur qui se retrouvent après vingt ans de séparation. Les interprètes en font globalement trop, surtout le vil chef des truands. Et pourtant, il se dégage de Tarzan and the Treasure un charme suranné et une naïveté rafraichissante qui le rendent foncièrement sympathique.


Chico ventana también quisiera tener un submarino d’Alex Piperno (2020, Window Boy Would Also Like to Have a Submarine)
Dans la jungle des Philippines, des paysans s’étonnent de la présence d’une cabane en béton à la porte fermée qui semble avoir surgi brusquement à côté de leur village. Ils craignent un lieu maudit, se relaient pour la surveiller et empêchent quiconque d’y entrer. A bord d’une croisière en Patagonie, un matelot a découvert une porte secrète donnant dans l’appartement d’une femme à Montevideo en Uruguay. Dès qu’il le peut, il s’y rend pour l’espionner ou se reposer en son absence. Un jour, elle l’aperçoit et, passé un moment de panique, sympathise avec le jeune homme.

Le pitch de Chico ventana también quisiera tener un submarino était intrigant et je me disais que c’était une bonne opportunité pour regarder mon quatrième film uruguayen. Malheureusement, il faut davantage qu’un concept étrange et un titre servant de chute pour tenir le spectateur en haleine pendant 1h20. C’est l’unique long métrage d’Alex Piperno, il aurait dû se contenter d’un court vu la minceur de sa trame, inspirée de ses voyages en bateau entre Buenos Aires et Montevideo (environ 2h30 de traversée). Les paysages philippins sont magnifiques, l’aspect labyrinthique du paquebot et la lenteur poétique offrent quelques passages intéressants. C’est toutefois insuffisant. Le cinéma auteurisant contemplatif pour festivaliers est un univers périlleux et déjà bien trop exploré. Chico ventana también quisiera tener un submarino n’apporte rien de neuf, n’est pas Apichatpong Weerasethakul qui veut.


Livres
Annabella, gardez le sourire ! d’Eric Antoine Lebon (L’Harmattan, 2018), 510 p.
Oubliée de nos jours, Annabella fut pourtant une immense star des années 30, célèbre partout en Europe et aux Etats-Unis. Elle eut une brève carrière hollywoodienne (apparaissant notamment dans Suez d’Allan Dwan en 1938) et fut mariée à Tyrone Power de 1939 à 1948. Dans Annabella, gardez le sourire !, Eric Antoine Lebon revient en détail sur sa vie, de sa naissance dans une famille d’intellectuels et d’artistes petits-bourgeois à sa vieillesse dans un anonymat relatif, partagée entre Paris et sa maison de campagne dans les Pyrénées-Atlantiques. Il consacre évidemment la majorité de son étude au volet cinématographique, en décrivant le tournage et la réception de sa quarantaine de longs métrages, ainsi que ses performances au théâtre et à la radio. Il aborde également ses diverses romances et ses années en tant que visiteuse de prison.

Je précise au préalable qu’Eric est un ami et que je ne serai pas objectif. J’ai suivi de loin la rédaction de cet ouvrage, qui a nécessité beaucoup de temps et d’énergie. Outre la compilation d’une imposante documentation et le visionnage de pellicules difficiles à obtenir, il a rencontré un maximum de proches de l’actrice pour collecter leurs témoignages et récupérer des archives permettant de mieux comprendre le monde d’Annabella. Le résultat est impressionnant.
J’avoue que je connaissais mal Annabella. J’avais vu ses films les plus réputés, Napoléon (1927), Le million (1931), Quatorze Juillet (1933), La bandera (1935) ou Hôtel du Nord (1938), mais je ne l’avais jamais remarquée avant qu’Eric m’en parle. J’avais donc des réticences vis-à-vis de ce sujet qui ne m’enthousiasmait pas et devant un pavé de 500 pages en grand format. J’avais tort et j’ai vraiment apprécié ma lecture. Il n’y a pas besoin d’être passionné par Annabella, tout amateur de cinéma de patrimoine y trouvera son compte.
Annabella était membre du gotha, côtoyait les vedettes et de riches personnalités. En dehors de Tyrone Power, elle a vécu avec Albert Préjean ou Jean Murat. Elle a eu des liaisons avec de nombreuses célébrités, y compris un jeune Henri Fonda ou Roald Dahl, a été voisine de Gary Cooper… Eric prend le temps de nous plonger dans la période. A travers une vaste somme d’informations et d’anecdotes, il nous brosse un portrait du cinéma français puis européen et américain des années 20 à 40. Il critique aussi les films d’Annabella et, s’il épargne en général la comédienne, il a par moments la dent dure sur ses collègues ou sur la réalisation. C’était au total très enrichissant et je vais tenter d’enchaîner rapidement sur ses autres livres. Il a en effet adopté un rythme de stakhanoviste après ce premier essai et est en train d’achever sa quatrième biographie.

Dur, dur de Banana Yoshimoto (Rivages poche, collection « Bibliothèque étrangère », 2006), 129 p.
Dur, dur est un recueil de deux nouvelles paru au Japon en 1999 :
Peau dure (69 pages) : Après une journée de randonnée au cours de laquelle elle a croisé un inquiétant sanctuaire abandonné, une femme s’installe pour la nuit dans un petit hôtel désert. Elle repense à sa relation avec Chizuru, une ex décédée, et fait des cauchemars étranges.
Coup dur (47 pages) : Le quotidien d’une étudiante est bouleversé par l’hémorragie cérébrale de sa sœur adorée. Celle-ci est dans le coma, il n’y a aucune chance de guérison et la famille attend sa mort.
Même si j’avais vu une adaptation d’un de ses romans avec Tsugumi (1990) que je n’avais pas aimé, c’est la première fois que je lis du Banana Yoshimoto. Autrice japonaise publiée depuis la fin des années 80, elle est extrêmement célèbre dans son pays. Un de ses romans et plusieurs de ses nouvelles ont été traduits en français. Ses récits ancrés dans le Japon contemporain se penchent sur la vie de jeunes femmes solitaires confrontées à des expériences éprouvantes. Son style simple et poétique baigne souvent dans un onirisme qui flirte parfois avec le fantastique, comme dans Peau dure. Pour cette raison, j’ai largement préféré ce texte à Coup dur que j’ai jugé banal et sans enjeu. Peau dure offre en revanche un surnaturel mélancolique qui m’a évoqué certains Nobuhiko Ôbayashi des années 80-90. C’est un bilan mitigé plutôt positif, il faudra que je retente à l’occasion pour confirmer mes impressions.


Em silêncio d’Adeline Casier (La Boîte à Bulles, 2025), 160 p.
En 1962 dans le nord du Portugal, João survit difficilement avec sa mère, son épouse et ses deux filles. Le jour où son frère est arrêté par la police et où son patron le vire de son boulot, il désespère et noie son chagrin dans l’alcool. Un ami lui suggère d’émigrer en France : un de ses cousins semble y mener la belle vie, il y a du travail et on gagne de l’argent. Déchiré à l’idée de quitter sa famille pour une durée indéterminée, João se décide malgré tout à partir. Pour atteindre la France, il va devoir franchir l’Espagne à pied à l’aide de passeurs au prix de nombreux dangers.

Bien que mon grand-père arrivé en France en 1947 n’ait pas eu à effectuer o salto, terme popularisé par un film de 1967 de Christian de Chalonge désignant le saut illégal entre les frontières, tout franco-portugais un peu intéressé par le passé a eu vent de cet aspect de l’Histoire de l’immigration portugaise. Comme le rappelle Victor Pereira dans la postface, les voyages périlleux furent quantitativement minoritaires, la majorité rejoignant la France sans risque. Les gens ont cependant besoin de héros, surtout quand ils sont pauvres et déclassés dans un pays étranger pas aussi accueillant qu’escompté, et la figure du clandestin parcourant à pied des centaines de kilomètres en se cachant de la police s’est imposée dans les esprits.
Le grand-père de l’autrice fit partie de ces hommes contraints d’échapper à la Guardia Civil, de subir la faim, le froid et l’incertitude pour atterrir dans un bidonville, loin des promesses de richesses qu’on lui avait fait miroiter. Si la traversée décrite ne correspond pas au vécu de la masse des immigrés, les conditions de misère amenant à l’émigration étaient partagées par la quasi-totalité de la population. Mon beau-père ne pouvait ainsi pas se loger et manger à sa faim avec son maigre salaire d’instituteur au début des années 60. Autre point commun à tous, la terrible déception engendrée par la France. Le pays des droits de l'homme laissait les immigrés s’entasser dans des barraques entourées de boue, sans eau courante ni électricité, ravi d’avoir une main d’œuvre corvéable à merci pour construire ses grands ensembles de banlieue. Le dessin réaliste en noir et blanc au crayon renforce le propos et permet de se plonger dans le récit. Je n’ai évidemment rien appris que je ne connaissais déjà mais Em silêncio reproduit correctement le climat d’une époque, posant des images sur une histoire essentiellement orale, à l’instar du travail effectué par José Vieira dans ses documentaires.


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