Films vus en compagnie
目露凶光 [Muk lau hung gwong] de Ringo Lam (1999, Victim)

Comme noté précédemment, à la suite de l’échec de School on Fire (1988), Ringo Lam s’orienta vers du pur cinéma d’action, dont le summum fut le délirant Full Contact (1992). A la fin des années 90, après un bref passage aux Etats-Unis à la demande de Jean-Claude Van Damme pour qui il tourna Maximum Risk (1996), il revint à du classique polar à la hongkongaise avec Full Alert (1997), sa première collaboration avec l’acteur Lau Ching-wan. Deux ans plus tard, il lui confia un rôle d’antihéros dans Victim, une innovation pour un Lau Ching-wan habitué aux braves gars. Avec l’immense succès de Ring (1998), l’horreur était à la mode en Asie de l’Est et Victim semble s’ancrer dans cette tendance. C’est mal connaître Ringo Lam. Peu intéressé par le surnaturel, il l’utilise pour engendrer une ambiguïté et masquer ses intentions. En réalité, Victim est un drame sur un homme ruiné et devenu fou, un schéma récurrent chez le réalisateur qui pousse ses protagonistes dans leurs derniers retranchements jusqu’à les transformer en monstres. Deux montages furent diffusés dans les salles hongkongaises : l’un correspondant au souhait de Ringo Lam, avec une conclusion traditionnelle ; un second conforme à la volonté du producteur Joe Ma, où les fantômes reviennent. C’est malheureusement cette version qui est proposée par le DVD Asian Star.
Sans être aussi nihiliste qu’un School on Fire, Victim est sombre et pessimiste, les gens sont rongés de l’intérieur par leurs peurs et leurs soucis et l’espoir est absent. Il ne faut pas se fier à l’atmosphère instaurée en introduction, ce n’est pas un film d’horreur et cet aspect est rapidement négligé (à l’inverse d’un Mad Detective (2007) qui, de mémoire, combinait habilement les genres). Cela procure parfois l’impression que Ringo Lam se cherche et ne sait pas dans quelle direction il va. Les interprètes sont excellents, que ce soit Tony Leung Ka-fai en flic violent, Lau Ching-wan en méchant ou Amy Kwok en femme terrifiée par son conjoint (pour l’anecdote, Lau Ching-wan et Amy Kwok sont mariés dans la vraie vie). Point dommageable, un gros problème de synchronisation des bruitages, en retrait et étouffés par la musique, nuit à l’intensité de l’action. Sans être un des meilleurs Ringo Lam, Victim est un bon polar désespéré qui nécessite d’accepter l’abandon de l’angle fantastique en cours de route.
Paddington de Paul King (2014)

Paddington Bear est une série de romans pour enfants entamée en 1958 par Michael Bond. Les Anglais adorent son personnage principal et tous les Britanniques ont grandi avec Paddington et sa pléiade de produits dérivés. Il n’avait curieusement jamais été porté sur grand écran, uniquement à la télévision, avec une fameuse adaptation de la BBC en 1976. Ce Paddington 2014 respecte apparemment la trame des livres, avec l’ajout cependant de catastrophes et d’aventures ainsi que d’une vile taxidermiste incarnée par Nicole Kidman, admiratrice de l’œuvre de Michael Bond. Paddington est entièrement en image de synthèse et perd la bonhommie du dessin. Les scénaristes se sont acharnés à inventer des péripéties, c’est assez artificiel et j’aurais aimé qu’ils assument la simplicité des textes d’origine. Cela m’a en tout cas incité à lire les bouquins et j’attends avec curiosité Paddington 2 (2017), encensé dans The Unbearable Weight of Massive Talent (2022).
ジャンケン娘 [Janken musume] de Toshio Sugie (1955, So Young, So Bright)

En plus des deux Hibari Chiemi évoqués précédemment, Hibari Misora et Chiemi Eri ont tourné ensemble dans quatre comédies musicales, accompagnées d’une troisième star de la chanson, Izumi Yukimura. Les trois artistes étaient gérées par des agences rivales, ce qui limita leur association en dépit des énormes succès de leurs films, notamment auprès du public féminin. Janken musume est leur première collaboration, inspiré d’un roman populaire de Minoru Nakano publié dans le magazine Heibon Shukan. Il contient une quinzaine de numéros, majoritairement chantés et courts. Le trio est complémentaire, Chiemi Eri en garçon manqué aux tubes pop rock occidentalisées, Izumi Yukimura girly et jazzy et une romantique Hibari Chiemi. Aucune des trois n’a de petit ami et la camaraderie importe davantage que les histoires de cœur. C’est rythmé, dans un beau Eastmancolor typique du début de la couleur au Japon. Excepté une dispensable séquence avec des blackfaces, c’est fort plaisant et ça donne envie de voir les autres Hibari/Chiemi/Izumi.
Oculus de Mike Flanagan (2013, The Mirror)

Avec Oculus, Mike Flanagan réalise un remake de son court métrage Oculus: Chapter 3 – The Man with the Plan (2006) en augmentant le nombre de protagonistes et en ajoutant un jeu de renvois entre la jeunesse de Tim et Kaylie et le présent. Sur le papier, ce concept est galvaudé, utilisé trop régulièrement et de manière abusive ces dernières années, par exemple dans Luckiest Girl Alive (2022). Oculus se démarque de la moyenne en mélangeant les époques, avec des héro·ïne·s qui se perdent dans les trames temporelles. Il ne va néanmoins pas assez loin à mon goût et, bloqué par un passé déjà écrit et révélé aux spectateurs, s’achève de façon décevante. A noter qu’il fut très apprécié de Stephen King, ce qui aida sans doute Mike Flanagan dans sa négociation pour récupérer les droits d’adaptation de Doctor Sleep (2019).
MONDAYS/このタイムループ、上司に気づかせないと終わらない [Mondays: Kono taimurûpu, jôshi ni kidzuka senai to owaranai] de Ryo Takebayashi (2022, Mondays: See You 'This' Week!)

Les comédies de boucle temporelles japonaises que je connais, Summer Time Machine Blues (2005) et Beyond the infinite two minutes (2020), sont excellentes et ce Mondays au pitch insolite attisait ma curiosité. Il renouvelle en effet le genre sur deux aspects : la boucle est d’une semaine au lieu d’une journée et l’individu déclencheur n’est pas celui qui agit sur les évènements. A cela s’adjoint une touche de comédie de bureau, avec un dévouement au travail typiquement japonais. Malheureusement, après une agréable phase d’installation des enjeux, ça s’enlise, avec une seconde moitié qui tente de relancer l’intrigue sans y parvenir en changeant de perspective. C’est le deuxième long métrage de Ryo Takebayashi, suivant un documentaire en 2021, et le premier de la scénariste et autrice Saeri Natsuo. Le casting est judicieux dans l’ensemble, porté par le vétéran Makita Sports en chef facétieux. On retrouve le cliché coutumier du gentil patron et ce qui compte c’est d’être dans une ambiance sympa même si on trime sans relâche. Cela reste distrayant dans le style petite comédie sans prétention.
Dix mille choses de Benoît Delbove (2010)

Dix mille choses est l’unique réalisation du monteur Benoît Delbove. Si la trame est mince, donnant l’impression d’errer un peu au hasard avec des intervenants sans lien apparent, un portrait des occupants émerge doucement, mélange de stigmatisés, d’écolos et de déclassés. Dix mille choses est dominé par la figure de l'ornithologue communiste Pierre Rousset, à l’origine de l’espace naturel protégé de 11 hectares classé Natura 2000 au cœur du parc. L’intérêt des interviews est variable, j’ai surtout été content de voir de nombreuses espèces d’oiseaux communs dans un endroit où je suis déjà allé il y a quelques années (j’y avais d’ailleurs rencontré Pierre Rousset à sa place habituelle sur la colline). A noter l'absence flagrante du bruant des roseaux présent sur l'affiche.
Films vus seuls
どろ犬 [Doro inu] de Takaharu Saeki (1964, The Desperate)

Je n’avais jamais entendu parler de Takaharu Saeki. En effectuant des recherches, j’ai vite compris pourquoi. Entré à la Toei en 1954 en tant qu’assistant, Doru inu est sa première réalisation. L’année suivante, il participa activement à un mouvement de protestation syndical et fut relégué en rétorsion dans une division de la Toei dédiée aux shows télévisés. A l’exception d’un second long métrage en 1984 juste avant sa retraite, il délaissa les salles obscures et demeura fortement impliqué dans son syndicat. Doru inu est un film noir tiré d’un roman publié en 1963 de Yûki Shôji, un des pionniers du hardboiled au Japon.
Takaharu Saeki se conforme au schéma classique de ce genre avec un flic qui s’enlise et que chaque tentative de sortir la tête de l’eau enfonce davantage. Minoru Ôki est un Sugai convaincant, que ce soit en intègre révolté ou en pourri prêt à tout pour sauver sa peau. Acteur polyvalent de la Shôchiku puis de la Toei, il fut proche de Tomisaburô Wakayama et je l’ai vu notamment dans Baby Cart. Yamaguchi est incarné par Kô Nishimura, toujours parfait en crapule, accompagné par Kunie Tanaka pour compléter la galerie des inévitables vilains du cinéma japonais des années 60. Sans être révolutionnaire et malgré une photographie trop sage, c’est efficace.
The Black Scorpion d’Edward Ludwig (1957, Le scorpion noir)

Si The Black Scorpion a une notoriété légèrement supérieure à la masse des séries B de bébêtes des années 50, ce n’est pas en raison de son scénario ultra-convenu ou de ses interprètes pas franchement charismatiques, c’est grâce aux effets spéciaux de Willis O'Brien, créateur du King Kong en stop-motion de 1933. Ce n’est en revanche pas du O'Brien de gala, c’est cheap, il réutilise des plans de King Kong et les scorpions sont laids, poussant des cris ridicules comparables à ceux des fourmis de Them! (1954). A part ça, la principale originalité est le tournage à proximité de Mexico et la présence de nombreux comédiens latinos. Le couple héroïque reste bien blanc, avec le terne Richard Denning en Hank Scott et la playmate Mara Corday en presque pas potiche elle va servir à quelque chose ah non en fait elle est là uniquement là pour être amoureuse de fadassou. Rien de folichon donc.
ひとり狼 [Hitori okami] de Kazuo Ikehiro (1968, Lone Wolf Isazo)

Acteur de kabuki passé sur grand écran en 1954, Raizô Ichikawa devint une superstar de la Daiei à la faveur de son rôle dans Le pavillon d’or en 1958, l’adaptation par Kon Ichikawa du fameux roman de Yukio Mishima. Il se spécialisa dans le jidai-geki et enchaîna les séries populaires avec les douze Nemuri Kyôshirô et les neuf Shinobi no Mono. Au summum de sa carrière, il décéda d’un cancer à l’âge de 37 ans en 1969. N’eut été cette mort prématurée, Hitori okami aurait peut-être donné lieu à une suite. Il fut mis en scène par Kazuo Ikehiro, un habitué des chanbara à rallonge qui, outre Nemuri Kyôshirô et Shinobi no Mono, a travaillé sur des Zatoichi. C’est tiré d’un ouvrage de Genzo Murakami et cinq scripts furent nécessaires pour contenter l’écrivain, très satisfait du résultat, et Raizô Ichikawa. En dépit de son échec au box-office, Hitori okami a acquis une petite réputation et Kazuo Ikehiro considérait que c’était sa meilleure œuvre avec Onna gokuakuchô (1970).
Mélange de drame, d’action et de western, avec son vagabond solitaire et une fin à la Shane (1953), Hitori okami se démarque des traditionnels récits de sabreurs itinérants par sa narration, effectuée par un admirateur d’Isazo qui le croise à différents moments de sa vie. Quand l’histoire s’écarte de ce schéma et se recentre sur le point de vue d’Isazo dans un flashback où il apparaît en jeune naïf déclassé, on bascule dans un drame peu convaincant. Cela se maintient malgré tout au-dessus de la moyenne du genre et mérite le coup d’œil.
Livres
Un monde magique de Jack Vance (J’ai lu, 1978), 188 p.

J’avais lu Un monde magique il y a longtemps et je ne m’en souvenais plus. J’avais également oublié qu’il faisait partie du cycle de la Terre mourante, suivi par Cugel l'astucieux, Cugel saga et Rhialto le merveilleux, et qu’il avait d’inspiration à Gary Gygax au cours la création du jeu de rôles Donjons et Dragons. Un monde magique est composé de six nouvelles, seules les trois premières étant reliées entre elles. Elles baignent dans une atmosphère d’aventures exotiques sur fond d’univers chaotique, avec une simplicité s’apparentant au conte. C’est fort distrayant et il faudra que j’enchaîne sur les Cugel, lus pendant mon adolescence.
Le dernier empire de la presse – Une sociologie du journalisme au Japon de César Castellvi (CNRS éditions, 2022), 301 p.

Après avoir dressé un état de la presse japonaise contemporaine, César Castellvi évoque la façon dont sont structurées les carrières, les liens entre les journalistes et leurs sources et la puissance des clubs de presse, des lieux localisés au sein de chaque institution importante et à l’accès réservé aux médias établis. Il traite ensuite du rapport au travail dans cette profession où l’actualité prend le pas sur la vie personnelle et où l’investissement est souvent extrême. Cela n’est guère à l’avantage des femmes, qui continuent à être régulièrement cantonnées dans des départements déconsidérés comme la culture ou les sciences aux dépens de la politique ou de l’international alors qu’elles sont de plus en plus nombreuses dans ce secteur à l’avenir incertain et délaissé par les jeunes diplômés masculins. L’auteur termine sur la récente starification des journalistes qui, après des décennies d’anonymat, signent dorénavant les articles de leur nom.
Le dernier empire de la presse est tiré de la thèse de doctorat de César Castellvi, aujourd’hui maître de conférences en études japonaises à l'Université Paris Cité. Si cette provenance universitaire pourrait effrayer le néophyte, on est loin d’un texte ardu et jargonneux, l’ouvrage est lisible et abordable, ponctué d’entretiens et disposant d’un lexique récapitulant les termes japonais. César Castellvi ajoute des comparaisons éclairantes avec la France et les Etats-Unis et remet la situation actuelle dans son contexte historique. Bien qu’ayant vu pas mal de films japonais avec des reporters, je n’avais pas conscience du poids de leur journal d'origine et du fait qu’ils sont avant tout les représentants de leur entreprise. J’ignorais en outre le rôle clé des clubs, qui monopolisent l’accès à l’information officielle. Le dernier empire de la presse est au final un bouquin passionnant qui m’a beaucoup appris sur ce milieu au Japon.
Rassure-moi, "Les travers de Porc" c'est fait exprès ?
RépondreSupprimerSinon tu m'intrigues à propos de Paddington, je me demande si les bouquins et/ou les films seraient appréciables par une fille de 4 ans ou si c'est encore un peu tôt...
Tu t'es planté de post pour ton commentaire, tu l'as mis sur le précédent ^^ Pas grave. Oui, c'est bien un jeu de mots tout nul de l'autrice, qui est une française d'origine vietnamienne.
SupprimerPour Paddington, le style est un peu soutenu parfois (écrit dans les années 50 par un Britannique éduqué) mais sur le fond je pense que ce serait lisible pour ta fille. Après, soit tu traduis et dans ce cas tu peux simplifier un peu, soit tu récupères la VF si elle existe. Je pourrais te prêter le premier volume à l'occasion et tu jugeras par toi-même.