Films vus en compagnie
The Strongest Man in the World de Vincent McEveety (1975, L’homme le plus fort du monde)

The Strongest Man in the World est le troisième et dernier volet de la trilogie Dexter Riley, après The Computer Wore Tennis Shoes (1969) et Now you see him now you don’t (1972), qui s’était avéré fort sympathique. The Strongest Man in the World n’est malheureusement pas du même niveau. Sans le décès à 49 ans de Joe Flynn (Dean Higgins) et la volonté de changement d’un Kurt Russell en fin de contrat avec Disney, ça aurait pu durer encore longtemps. Kurt Russell a à présent 24 ans et se contente d’une quasi-figuration, n’apparaissant qu’au commencement et au dénouement. A l’instar des deux épisodes précédents, Joseph L. McEveety est au scénario et c’est son frère, Vincent McEveety, qui est derrière la caméra en remplacement de Robert Butler. Comédie routinière privée de l’humour cartoonesque et absurde de Now you see him now you don’t, The Strongest Man in the World est accaparée par des seconds couteaux qui en font des tonnes et qui auraient dû demeurer en arrière-plan. Kurt Russell mettra du temps à rebondir et il faudra attendre Escape from New York en 1981 pour que sa carrière post-Disney décolle.
Other People de Chris Kelly (2016)

Les comédies dramatiques sur une mère souffrant d’une maladie grave étaient à la mode en 2016, Other People rappelant The Hollars. On y retrouve l’alternance entre passages légers et graves, le retour du héros dans sa commune d’origine et le rôle central de la mère dans la famille. Other People insiste davantage sur les conséquences de la maladie et est plus sombre dans l’ensemble, sans doute lié à l’aspect grandement autobiographique du récit. Jesse Plemons (David), croisement improbable entre Philip Seymour Hoffman et Matt Damon vu dans The Power of the Dog (2021), est convaincant et Molly Shannon (Joanne) est parfaite. Malgré un pathos parfois excessif et une dispensable séquence de danse du petit frère gay du meilleur ami de David, c’est adroitement ficelé dans son genre.
The Damned United de Tom Hooper (2009)

Brian Clough est une légende du football britannique, un entraîneur mythique qui a tout gagné. Avec son collègue Peter Taylor, ils étaient spécialisés dans la prise en main d’équipes médiocres, avec lesquelles ils accomplissaient des miracles. Tiré du best-seller de David Peace, The Damned United se focalise sur le seul échec de Brian Clough, qui n’est resté que 44 jours à Leeds United avant d’être renvoyé. Le livre est rédigé du point de vue de Brian Clough, le lecteur est dans sa conscience et voit le monde à travers ses yeux aigris. Le long métrage prend de la distance afin de rendre la narration moins sombre, plus vendeuse pour le public.
The Damned United est un passionnant film de sport sans sport : il n’y a quasiment pas d’images de match, on se concentre sur Brian Clough, être brillant à l’ego surdimensionné, incapable de savourer ses exploits en raison de sa rancœur et de sa jalousie envers Don Revie. Historiquement, il y a de nombreuses approximations et des protagonistes se sont plaints, dont la famille de Brian Clough. Il ne faut donc pas s’attendre à un documentaire et plutôt apprécier The Damned United pour son approche atypique axée sur l’échec d’un winner, qui s’écarte de la classique success story.
A Long Way Down de Pascal Chaumeil (2014, Up & Down)

Nick Hornby est un écrivain anglais à la mode depuis 25 ans, adapté au cinéma à de multiples reprises, notamment par Stephen Frears en 2000 avec High Fidelity. Selon les internet, il s’intéresse aux déficiences de l’homme moderne en se penchant sur ses faiblesses et ses obsessions dans un style simple et émouvant. Mouais. N’ayant pas lu de Nick Hornby, je ne peux juger que sur les transpositions High Fidelity et A Long Way Down, peuplés de mecs relous et égocentriques évoluant dans des situations extrêmement clichées. Réalisé par le français Pascal Chaumeil, A Long Way Down est convenu et prévisible, j’ai eu du mal à m’apitoyer sur le pédophile Martin Sharp en dépit de la classe de Pierce Brosnan et Imogen Poots en Jess s’est avérée fatigante sur la durée. Il n’y a guère que Toni Collette qui surnage en Maureen, la prolo déprimée. Dispensable.
Vice Versa de Peter Ustinov (1948)

Acteur mémorable, Peter Ustinov a également dirigé huit longs métrages, tombés dans l’oubli à l’exception du chef d’œuvre Billy Budd (1962). Je garde un bon souvenir de Romanoff and Juliet (1961), comédie utopique et mélancolique du temps de la guerre froide. Vice Versa est inspiré du livre éponyme de Thomas Anstey Guthrie, source du célèbre Freaky Friday de Mary Rodgers. Peter Ustinov a poussé à fond le burlesque, avec un humour enfantin bête et gentil. En dehors de deux brèves séquences racistes dans une Inde et une Afrique de pacotille, c’est plaisant, parfois poussif, parfois drôle et souvent absurde, une pochade sympathique avec des interprètes en roue-libre qui s’amusent. On notera la présence d’une jeune Petula Clark en fille du proviseur.
In My Mind de Chris Rodley (2017)

Je n’étais pas amateur du Prisonnier quand j’étais ado, j’en avais vu des bouts de-ci de-là et ça ne m’avait pas marqué. J’avais tout de même eu vent des polémiques qui l’entourent, notamment de sa frustrante conclusion. In My Mind, bien que spoilant largement la série, n’apporte pas de réponses aux interrogations sur sa signification. C’est davantage un documentaire sur l’intraitable Patrick McGoohan, individu secret hors norme qui refusait d'analyser son travail. Il préférait laisser la porte ouverte à l’interprétation, à l’instar de Kubrick qui finalisait à l’époque du tournage du Prisonnier son controversé 2001: A Space Odyssey (1968) et qui n’a jamais voulu éclairer ses œuvres.
M’attendant à une réflexion sur le show et n’étant pas au courant de la réputation de Patrick McGoohan, j’ai trouvé le temps long, on s’attarde sur les lubies du comédien au détriment du fond. Sur la forme, il y a un côté répétitif qui ne m’a pas convaincu, mélange d’extraits du Prisonnier, de conversations avec Patrick McGoohan et sa fille Catherine McGoohan, et de plans aériens modernes de Portmeirion, le village où l’action se déroulait. Si je ressors avec une impression mitigée, ça m’a au moins donné envie de jeter un œil un jour à cette série qui ne comporte que 17 épisodes (McGoohan en avait initialement prévu 7 et fut incité par le producteur Lew Grade à étirer son ébauche).
Films vus seuls
D坂の殺人事件 [D-Zaka no satsujin jiken] d’Akio Jissôji (1998, Murder on D Street)

D-Zaka no satsujin jiken est tiré du premier roman d’Edogawa Ranpo mettant en vedette le détective Kogoro Akechi, sorte de Sherlock Holmes japonais. Il plut tellement aux lecteurs que les éditeurs prièrent Ranpo de le transformer en héros récurrent. Il apparaîtra dans douze ouvrages de l’auteur, dont le fameux Le lézard noir. Publié en 1925 dans le magazine Shinseinen, D-Zaka no satsujin jiken est un banal meurtre en chambre close. L’adaptation de 1998 s’en écarte sensiblement, ajoutant des éléments de deux autres récits de Ranpo, Le test psychologique et Le promeneur dans le grenier. Le metteur en scène est Akio Jissôji, qui a débuté sur la série TV Ultraman avant de se faire un nom grâce à une trilogie érotisante bouddhiste La vie éphémère (1970), Mandala (1971) et Uta (1972) distribuée par ATG.
Scénaristiquement, ça ne vaut pas tripette, la fusion des trois histoires est ratée, il n’y a plus de mystère et l’enquête n’occupe que le dernier tiers. Akio Jissôji instaure par contre une atmosphère malaisante un peu bizarre, plutôt réussie malgré un érotisme bondage voyeuriste et artificiel, dans l’esprit de l’univers d’Edogawa Ranpo. C’est cependant insuffisant et je me suis ennuyé.
天倫 [Tian lun] de Mu Fei (1935, Song of China)

En comptant le Confucius (1940) récemment restauré, seuls quatre longs métrages de fiction (hors opéras filmés) de Mu Fei sur huit sont disponibles. Tian lun est le plus ancien, même s’il ne circule que dans une mouture lourdement défigurée. En 1935, le cinéma chinois traversait une crise due à la récession qui affectait le pays et au suicide de la diva Ruan Lingyu. Luo Mingyou, un des directeurs du prestigieux studio Lianhua Film Company, choisit de financer un film muet éthique, genre à la mode, dans la logique du Mouvement de la vie nouvelle lancé en 1934 par Tchang Kaï-chek. Proche du néoconfucianisme, cette idéologie se positionnait en rempart au communisme en visant le retour à un ordre moral autour de quatre vertus : le respect des rites, la droiture, l’honnêteté et le sens du bien et du mal. Tian lun réunit un ensemble de stars et fut confié à Mu Fei, qui avait débuté deux ans auparavant à la Lianhua Film Company en dirigeant à 27 ans Chengshi zhi ye (1927). La bande originale fut composée par le célèbre Huang Tzu qui, en recourant à des instruments traditionnels, se démarquait de la musique classique occidentale abondamment utilisée dans le cinéma chinois à cette époque. En dépit d’une intense campagne de publicité, Tian lun connut un échec retentissant et Luo Mingyou fut poussé vers la sortie.
Tian lun fut néanmoins remarqué lors de sa projection à Shanghai par Douglas MacLean, un producteur américain qui acheta les droits pour une diffusion sur le territoire des Etats-Unis, une première pour une œuvre chinoise. Hollywood étant Hollywood, Tian lun fut fortement remanié. La musique de Huang Tzu fut remplacée par quelque chose de moins perturbant pour les spectateurs du pays de l’oncle Sam. Les intertitres en chinois furent transcrits librement, avec l’adjonction d’une touche poétique orientalisante hors de propos. « Sept ans plus tard » devint ainsi « Sept fois le poirier fleurit ». Dans la traduction anglaise, le producteur Luo Mingyou fut promu réalisateur et Mu Fei rétrogradé au rang de réalisateur adjoint. Enfin et surtout, Tian lun fut remonté, il fut raccourci de 1h05 à une cinquantaine de minutes et le dénouement fut remanié pour lui donner un tour optimiste (sachant qu’apparemment le script avait déjà été retouché au cours du tournage, la fin initialement prévue étant encore plus sombre).
A l’heure actuelle, il n’existe malheureusement que la version américaine, la musique chinoise ayant toutefois été rétablie dans la copie qui circule sur internet. Difficile dans ces conditions de se prononcer. En l’état, il y a une belle photographie, les acteur·ice·s sont convaincant·e·s et c’est assez fluide tant qu’on n’est pas dans la partie charcutée. C’est en revanche extrêmement moralisateur, phénomène accentué par le happy end factice. Des coupes excessives rendent les dix dernières minutes confuses, on ne comprend pas trop les tenants et aboutissants et on présume qu’il manque des morceaux. Eu égard à ces facteurs, je ne peux le conseiller.
The Blood on Satan's Claw de Piers Haggard (1971, La nuit du maléfice)

Longtemps oublié, The Blood on Satan's Claw a été redécouvert grâce au regain d’intérêt pour la folk horror après les succès de The Witch (2015) et Midsommar (2019). Il est en effet considéré, avec Witchfinder General (1968) et The Wicker Man (1973), comme un précurseur de ce genre qui fleurira en salles et à la télévision dans les années 70. Trois histoires indépendantes, sur une fiancée folle, des enfants possédés et un juge qui se bat contre le malin, ont été fusionnées et cela se sent. Le studio exigea en outre de plagier le populaire Witchfinder General. C’est mis en scène par l’obscur Piers Haggard, qui a essentiellement travaillé pour la télévision.
L’ambiance rurale angoissante est efficace et l’interprétation est d’un bon niveau. Ça se dégrade doucement à cause d’un scénario faiblard et d’un cruel manque de moyens, la conclusion étant particulièrement bâclée, avec un démon ridicule qui aurait dû rester dans l’ombre. Des ficelles éculées sont employées, à l’image de la jeune fille qui accuse faussement de viol le prêtre local et qui est immédiatement écoutée. The Blood on Satan's Claw perd toute crédibilité bien malgré lui au bout d’une heure en raison d’une séquence où des bouseux jettent une pseudo-sorcière dans la rivière. Cela évoque tellement Monty Python and the Holy Grail (1975) qu’il est dur de regarder sérieusement la suite. Dommage car le premier tiers est intrigant et aurait mérité d’être approfondi plutôt que d’être combiné à deux épisodes inférieurs.

Livres
Demain les chiens de Clifford D. Simak (J’ai lu, collection « Science-fiction », 1990), 311 p.

Je continue les Simak avec son livre le plus réputé, Demain les chiens, un classique de la SF des années 50. Certains chapitres m’ont rappelé A chacun ses dieux, avec une Terre dépeuplée où les rares habitants sont retournés dans les campagnes et où des robots intelligents s’occupent des tâches quotidiennes. Les machines en arrivent à philosopher et par prendre la place de l’humanité, ici accompagnées par des chiens mutants qui parlent et réfléchissent. A l’instar des autres Simak que j’ai lus, le rejet de la modernité et de la ville (le titre anglais de Demain les chiens est City) n’apparaît pas réactionnaire et la ruralité amène à terme l’isolement et la disparition. Au pessimisme sur le devenir de l’humanité, sur un ton triste et nostalgique, se mêle une touche d’optimisme, nos successeurs canins ne retombant pas dans les mêmes erreurs. Le bouquin est très riche, explore de multiples thèmes et les nouvelles ont été adroitement reliées, formant un ensemble cohérent. Un épilogue a été écrit en 1973, mon édition n’en fait cependant pas mention. Encore une belle réussite de Simak.
- Le cinéma taïwanais – Son histoire, ses réalisateurs et leurs films de Matthieu Kolatte (Presses universitaires du Septentrion, collection « Arts du spectacle – Images et sons », 2019), 246 p.Le cinéma taïwanais – Son histoire, ses réalisateurs et leurs films comporte deux volets :
- • Un panorama du cinéma taïwanais de ses débuts à nos jours. Après avoir survolé l’ère coloniale et l’après-guerre, Matthieu Kolatte évoque le temps des taiyupian, les films en taïwanais, puis des guoyupian en mandarin. Il examine ensuite la nouvelle vague des années 80, la seconde nouvelle vague des années 90, le creux qui a suivi et la relance dans la foulée de Cape No. 7 en 2008.
- • Une focalisation sur une sélection de réalisateurs et de rares réalisatrices regroupé·e·s en quatre générations : celle qui a précédé la nouvelle vague ; la nouvelle vague ; la deuxième nouvelle vague ; et les metteurs en scène actuels.
Le mystère de l'île aux Cochons de Michel Izard (Paulsen, 2022), 320 p.

Journaliste pour TF1 et Ushuaïa TV, Michel Izard est passionné par les voyages, notamment dans les mondes polaires, l’Histoire et les questions environnementales. En 2017, il avait embarqué à bord du brise-glace l'Astrolabe chargé de ravitailler la base française en Antarctique. Il avait tiré de cette odyssée Adélie mon amour, où il mêlait à son récit de voyage la chronique de l’exploration de la terre Adélie par Jules Dumont d’Urville en 1840. De même, dans Le mystère de l'île aux Cochons, il alterne entre les détails de l’expédition de 2019 et les incidents qui ont ponctué la vie de l’île depuis sa découverte en 1772.
Michel Izard sait dramatiser les évènements et entretenir le suspense. S’appuyant sur une documentation fournie, il n’hésite pas à romancer, se mettant dans la peau des protagonistes dont il décrit les aventures, imaginant leurs pensées et sentiments, sorte de version écrite des reconstitutions documentaires. Si je ne suis pas fan du procédé, préférant la rigueur scientifique, il faut avouer que cela rend la lecture moins aride et ouvre à un large public. Le mystère de l'île aux Cochons se lit comme un roman et, si tout n’est pas juste, c’est vraisemblable et cela ne dessert pas le fond écolo du propos. C’est de la vulgarisation scientifique et historique de qualité et je récupèrerai à l’occasion son Adélie mon amour.
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